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LlBRARY
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HFSTOIRE
MARINE FRANÇAISE
DU MEME AUTEUR
Histoire de la Marine française.
I. — Les Origines. Un vol 8 fr.
II. — La Guerre de Cent ans. Révolution maritime. Un vol. . 8 fr.
{Couronné par l'Académie des inscriptions et belles-lettres, grand prix Gobert.)
^.IM^
HISTOIRE
DE LA
MARINE FRANÇAISE
III
LES GUERRES D'ITALIE
LIBERTÉ DES MERS
l'Ali
CHARLES DE LA RONCIÉRE
ANCIEN MEMBRE DE L 'kCOLE FRANÇAISE DE ROME
PARIS
LIBRAIRIE PLON
PLON-NOURRIT kt G-, IMPRIMEURS-EDITEURS
RUE GARANCIÈRE, 8
1906
DC
50
1 3
Tous droiu de reproduction et de traduction
réservés pour tous pays.
Published 23 May 19UG.
Privilège of copyright in tlie United States
reserved under the Act approved March Z<^ 190;>
by Plon-N'ourrit et C".
A LA MÉMOIRE
DE MA CHÈRE ELISABETH
J> _
ANDRE DORIA
^D'après Titien.)
HISTOIRE
DE LA
MARINE FRANÇAISE
CHARLES VIII
L'EXPÉDITION DE NAPLES
Des considérations que nous avons développées dans le
volume précédent, il résulte que la France n'était point
prête, à la fin du quinzième siècle, à s'engager dans une
grande guerre maritime. L'émiettementde nos forces entre
plusieurs amirautés indépendantes enlevait au comman-
dement l'unité, aux escadres la cohésion; avec les inces-
sants progrès de l'artillerie, la tactique évoluait, sans que
l'expérience eût encore permis d'en fixer les règles et d'ap-
précier la valeur relative des divers bâtiments : le rude
homme de mer qui avait illustré le règne de Louis XI,
Coulon, n'était plus. Point d'amiral en renom, peu de vais-
seaux, pas de flotte... Ce fut le moment choisi pour de-
mander à notre marine un effort considérable.
Lasse de poursuivre l'accroissement normal du terri-
toire, la politique française changeait soudain d'orienta-
m. 1
2 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
tion ; et pour nous se rouvrait, sous le vain masque de
croisade, l'ère des expéditions lointaines et stériles. Se-
conder une armée d'invasion par une action parallèle,
l'éclairer, la flanquer, la ravitailler, avec le danger d'être
sans cesse coupés de leur base d'opérations, tel était le
rôle capital dévolu à nos marins. Pour n'avoir pas de longue
main su préparer l'attaque, nous allions apprendre pour la
seconde fois à nos dépens de quel poids pèse dans une
guerre la suprématie navale.
En proie aux discordes intestines et à la crainte d'une
invasion turque, l'Italie appelait un sauveur, la papauté
un croisé, la population napolitaine un roi (1) , n Un homme
va venir, clamait Savonarole aux gens de Florence; il
envahira l'Italie en quelques semaines, sans tirer l'épée. Il
passera les monts et les rochers, et les forteresses tombe-
ront devant lui (;2) . »
Celui qu'on sollicitait ainsi de toutes parts était jeune,
par suite enclin aux aventures. Il céda. Et, en dépit des
sages remontrances de ses vieux conseillers (3), Charles VIII,
le fils du plus pratique de nos rois, se lança dans les entre-
prises les plus chimériques, conquête du royaume de
Naples, restauration de l'empire d'Orient.
A ces rêves, dont un autre Valois, un Charles aussi,
avait, deux siècles avant, montré l'inanité, Charles VIII
sacrifiait l'intégrité du territoire et la dignité nationale. Il
abandonnait à l'ennemi nos frontières, Roussillon, Cer-
dagne, Franche-Comté : à l'Angleterre, il payait tribut.
(1) Sur l'expédition de Charles VIII en Italie, il y a deux ouvrages d'une
importance capitale, l'un contemporain des événements, l'autre tout
moderne : Marine Sanuto, Spediztoite di Carlo VIII in Italia, éd. Binaldi
Fulin. Venezia, 1883, 8°, estralto dall' Archivio Veneto. — H.-Fr.
Delaborde, L'expédition de Charles VIII en Italie. Paris, 1888, in-4''.
(2) P. ViLLAHi, Jérôme Savonarole et son temps. Traduction G. Gruyer.
Paris, 1874, in-12, t. I, p. 192, 226.
(3) L'amiral de Graville et Gié {Mémoires de Philippe de Commynes, éd.
B. de Mandrot. Paris, 1903, in-8», t. II, p. 132).
CHARLES VIII. 3
Et libre de suivre en paix sa chimère, il proclama solen-
nellement à Lyon ses revendications sur le royaume de
Naples (1). Cette couronne, que lui avait léguée en héri-
tage, sans avoir pu la ceindre, le bon roi René, il comptait
l'arracher lui-même à l'usurpateur Alphonse d'Aragon.
Pour ce, une armée de 41,900 hommes était mise sur
pied : le quart de l'effectif prendrait la voie de la mer (2).
UNE FLOTTE IMPROVISEE
Mais point de flotte! l'État possédait en tout vingt et un
bâtiments, dont neuf dans le Ponant : il en fallait, à dire
d'experts, quatre-vingt-six (3). On en mendia partout, car-
raques et galères à Gênes, caravelles et allèges de débar-
quement en Portugal, galères, pontons et troupes à Flo-
rence (4), réquisitionnée par un ultimatum : l'Espagne se
chargerait des vivres, le duc de Milan du reste. Pour un
conquérant, le pitoyable aveu de faiblesse!
Tablant là-dessus, Florence refusa ses services; le pape
Alexandre VI se détourna de nous, au point de marier son
(1) 17 mars 1494 (Cf. Ph. vax der Haegiien, Examen des droits de
Charles VIII sur le royaume de Naples, dans la Revue historique, t. XXVIII
(1885), p. 89).
(2) Dépêche de Belgiojoso à Ludovic le More. 28 mars 1494 (H.-Fr.
Delaborde, p. 325).
(3) 50 galères, 24 gros navires et 12 galions. Or, nous possédions 7 vais-
seaux et 2 galères en Normandie, 6 navires et 6 galères dans la Méditerra-
née [Ibidem. — Cf. la notice consacrée aux armées de Charles VIII, par
H. Lemo^kier, dans l'Histoire de France de E. Lavisse. Paris, 1903, in-4",
t. V, p. 28).
(4) 6 galères, 2 pontons, 300 lances et 100 fantassins étaient le contingent
auquel fut taxée Florence dès le 2 février 1494 (Abel Desjardins, Néqocia-
tions diplomatiques de la France avec la Toscane, dans la coll. des docu-
ments inédits. Paris^ 1859, in-4'', t. I, p. 361, 401).
4 HISTOIRE D£ LA MARINE FRANÇAISE.
fils à la fille d'Alphonse d'Aragon. Indifférent au Saint-
Siège, dont il ne nous gagnait point l'appui, le projet d'ex-
pédition contre les Turcs offusquait Venise, jalouse de sa
suprématie en Orient. Peu scrupuleux sur le choix des
moyens de nous entraver, le capitaine général Andréa
Loredano supprima nos éclaireurs. Il pendit haut et courl,
sous le pavillon fleurdelisé arboré par dérision sur le
gibet, le capitaine de vaisseau Philippe Bucelly, de Mont-
pellier, et les gentilshommes de sa suite : l'exécution eut
lieu en l'île Saint-Georges, près de Zante (1).
Devant cette sinistre réalité, s'évanouissait le décevant
mirage développé devant Charles VIII par un rêveur qui
se donnait des allures de prophète. N'allait-il pas jusqu'à
dénombrer les contingents maritimes que nous badleraient
Il les rois de la mer» , Génois et Vénitiens (2), pour anéan-
tir les marranes musulmans! Et Guilloche de Bordeaux se
faisait d'autant mieux écouter qu'il revenait d'un voyage,
voire d'une mission, en Italie, dont il rapportait des impres-
sions flatteuses pour l'amour-propre national :
>' Or, ay je veu Napolitains,
Crier à Dieu à haulte voix,
Tant qu'ilz peurcnt à jointes mains :
Dieu! envoyez-nous ces Françoys ! » (3).
En dehors de ces sympathies popvilaires, presque impuis-
santes, nous n'avions en réalité qu'un seul allié, Ludovic
le More, duc de Milan. Encore l'indisposa-t-on en donnant
(1) Lettre de Charles VIII à la Republique de Venise, 22 janvier 1494
(Archives de Modène, Cancellaria Estense, estera, lettre publiée dans les
Lettres de Charles VIII, roi de France, par P. PÉLiciiiR. Paris, t. IV, 1903,
in-8", p. 1 : Société de l'histoire de France).
(2) 12 nefs, 32 galères, 22 galéasscs vénitiennes, 18 nefs génoises.
(3) Bibliothèque Nationale [que j'abrégerai désormais en B. N.]^ Franc.
1713 (fol. 18 v°), publié sous le titre : La prophécie du roj Charles VIII,
par maitre Guilloche, bourdelois (1494), publiée pour la première fois,
d'après le ms. de la Bibliothèque impériale, par le marquis de La Grange.
Paris, 1869, in-18.
CHARLES VIII. 5
une place prépondérante à son compétiteur éventuel au
trône de Milan, Louis d'Orléans, l'héritier des Visconti (l).
Le duc d'Orléans reçut le commandement de la flotte, tant
est enracinée chez nous l'idée qu'on s'improvise amiral,
idée que partageait le roi lui-même. Charles VIII, jaloux de
renouveler les exploits de Guillaume le Conquérant, si les
courtisans ne l'en avaient détourné, eût pris passage sur
la Charlolte, le plus puissant vaisseau du temps :
11 Vingt-deux cens pippes de vin portoit,
Sans l'appareil d'elle qui coniportoit.
Le tiers d'autant
Fournie estoit de grosse artillerie;
D'autres basions à feu, granz et poliz,
Elle portoit environ quatre cens. » (2)
Sur les llammes et les pavillons, lo grand peintre Jean
Bourdichon avait reproduit telle miniature des Heures de
la reine Anne, qui devenait le palladium de l'expédition :
la Vierge passant sur une nuée d'argent dans la voûte
constellée du firmament (ii) . Quand la grande nef changea
de chef, les armes d'Orléans se marièrent au hlason du
roi (4.) .
Tandis qu'on procédait au «recoutrement et rabillement"
des six galères de l'arsenal marseillais (5), un grand chan-
tier de constructions njivalcs était créé à Toulon sous la
direction de Frère Pierre Baron, chevalier de Rhodes, et
(1) Louis d'Orléans fut nommé chef et capitaine général de l'armée de
mer, 4 mars 1494 (B. ]N., Clairand)ault 825, fol. 114).
(2) [André de La Vio'k], Vcrqicr d'onneur, nouvellement imprimé à
Paris, par Jehan TreppercI, fol. ci v". — Je soupçonne toutefois le Vcrqier
d avoir confondu la Charlotte avec la Charente, qui n'alla que deux ans
plus tard dans le Levant.
(3) De Maulde La GLWiÈnK, Histoire de Louis XII. Paris, 1891, gr. in-8",
t. III, p. 62.
(4) Comptes d'équipement de la nef du duc d'Orléans (Archives nat.,
KK 333.) — GuiCHARDiN, Histoire des guerres et choses advenues en la
Chrestienté soubs Charles VIII. Paris, 1568, in-8°, fol. 68).
(5) Mars-mai 1494 (Archives des Bouches-du-Rhône, B 2551, fol. 1-
133).
6 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
du Marseillais Jehanon Risso (1). C'est ainsi que Toulon
s'éveilla, un matin de mars 1494, j^rand port de guerre.
Des équipes d'ouvriers venues de Marseille mettaient sept
galères (2) dans leurs berceaux, — dans leurs bers, disait-
on, — au bruit des marteaux du maître de forges : le
i< portai de la marine » , que gardait sévèrement un portier
consigne, protégeait les travaux contre tout regard indis-
cret.
Ce n'était point là toutefois que s'apprêtait le gros de la
Hotte expéditionnaire. Il avait fallu recourir à l'étranger
et prendre Gènes pour base d'opérations. Au grand écuyer
Pierre d'Urfé, assisté d'un chambellan royal, d'un contrô-
leur des finances et d'un maître d'hôtel (3), incombait la
lourde tâche d'improviser une flotte de dix carraques et
vingt-quatre galères, dont Ludovic le More assumait la
moitié des frais (4).
Organiser un service de brigantins éclaireurs autour de
Gênes, un service de ravitaillement jusqu'en Sardaigne,
préparer pour le passage éventuel du roi une galéasse et
une galère, pourvoir de palcmentes l'arsenal marseillais,
livrer bataille à la flotte ennemie, si elle osait paraître,
lutter contre la peste qui désolait le littoral, telle était la
tache écrasante imposée au grand écuyer : en guise de
récompense, il céderait son commandement au duc d'Or-
léans, dès que la flotte serait prête (5). Et comment donner
(i) Il Rolle de la despence faite à Thollon aux niaistres qui ont l)esonlié
aux gallées du lloy..., qui fait fore audit Tliollon « {Ihid., fol. 104, 119).
(2) Les constructeurs niaitres d'aiche étaient : Arlaut, pour trois galères;
Londjardon, pour une; Anglovs, pour trois. Le maître des forges s'appelait
Victor Fabre : il était aussi de Marseille [Ibid., fol. 107 v", 109).
(3) De Beaumont, Jean de t^a Primaudaie et Guinot de Lousiers.
(4) Il devait armer 4 carraques et 12 galères.
(5) Instructions de Charles VIII à Pierre d'Urfé, de Beaumont et .Ican
de La Primaudaye. Lyon, 4 mai 1494 (B. N., Moreau 774, fol. 1. — Cf.
l'append. de Commynes, éd. Dupont, t. III, p. 370.) — Tant aux navires
qu'aux archers, Guinot de Lousiers et son lieutenant Jean de La Grange
furent préposés commissaires (^Verqier d'onneur, éd. J. Trepperel, fol. ci).
CHARLES VIII. 7
quelque cohésion à des éléments aussi disparates : galères
et carraques génoises de Paolo Fregoso et Giovanni
Adorno (1), escadre provençale de Villeneuve-Trans et
Bidoux, transports savonais de François de Luxembourg (2) ,
nefs normandes de La Chapelle, au nombre de douze (3) ?
(1 La Franche Nan, la Figue, la Denise,
La grant navire au signe de la couppe,
La Marguerite légière de la courpe.
Le Chien de mer, le Jacquet, la Volcnte,
De La Rochelle aussi la Gouvernante (4). »
II
LA CONQUÊTE
Ce fut, pour Pierre d'Urfé, un vrai tour de force que
d'opérer sa concentration malgré Tennemi. Il eut l'intui-
tion que l'offensive vaut toujours mieux en pareil cas; au
lieu d'attendre de pied coi les trente-cinq galères et les dix-
huit vaisseaux du prince Frédéric de Tarenle, prince d'Al-
tamura et frère du roi de Naples, il ramassa tous les vais-
seaux en rade pour se porter à leur rencontre. Et bien qu'il
ne disposât que des quarante-trois bâtiments d'Adorno et
du prince de Salernc, il forçait, le 19 juillet, son adver-
saire à abandonner le siège de Porto-Venere et à se replier
sur Livourne (5) .
(1) B. SEX\nKGA, De rébus Genueiisihus commentaria ah anno 148S-'
1514, dans MunAToni, Scriptores rerum Italicarum, t. XXIV, p. 540.
(2) Luxembourg-Martigues avait été envoyé le 5 août à Savone pour
presser l'embarquement des troupes (De Maulde, t. III, p. 51).
(3) B. N., Franc. 17329, fol. 182. Ce capitaine était sans doute Pierre de
Velort, sieur de La Chapelle-Belouin, que nous retrouverons en 1503.
(4) Vergier rVonneur, fol. ci v° : la Louise, qui y est également portée,
ne vint qu'en 1496 dans le Levant.
(5) Senarega, De rébus Genuensibus, dans MuR.vroRi, t. XXIV, p. 540.
— S.ixuTO, Spedizione, p. 52, 58.
8 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Notre plus redoutable ennemi faillit être nous-mêmes;
la rivalité éclatait entre les chefs de la Hotte. Pierre d'Urfé
avait refusé, au départ, de céder le commandement à tout
autre qu'au duc d'Orléans (1) et de reconnaître les préten-
tions soit du lieutenant général des galères Paolo Fre-
goso (2), soit du nouveau lieutenant du duc d'Orléans.
François de Luxembourg, vicomte de Martigues, avait en
effet reçu du prince une mission analogue à celle de Pierre
d'Urfé, travailler, nuit et jour, àl'armementde la flotte (3).
Fort heureusement, un personnage considérable, le chef
suprême de la marine française, s'était effacé, et, par
cette sage abstention, qui marquait sa désapprobation
pour les projets du roi, l'amiral de Graville n'avait point
contribué à compliquer l'imbroglio. Malet de Graville
n'en avait pas moins patriotiquement joint à l'expédition
ses deux nefs, le Lion et la Pensée, armées à ses frais (4)
et placées sous les ordres de René Parent, jvicomte de
Rouen (5).
Enfin, l'arrivée de Louis d'Orléans, le 29 juillet, mit fin
à de fâcheuses rivalités. Le capitaine général, à bord de la
grosse nef Negrona, pavoisée à tousses mâts, passa la revue
navale la pkis grandiose qu'il nous eût été donné d'avoir
depuis plus d'un siècle. Quatre-vingt-dix-huit vaisseaux,
(1) Le 13 juin, Charles VIII avait prévenu Pierre d Urfé que le chef de
l'armée navale serait le duc d'Orléans (^Catalogue de vente, par Et. Chara-
vay, 11 décembre 1875, n" 106).
(2) Selon des lettres de provision en date du 9 avril (B . N., Clairamhault
825, fol. 114).
(3) Lettre du doge de Gênes au duc d'Orléans. 10 juillet (Archives de
Gênes, Littcrarum (1493-1495), X 140 : 36-1812). — Dk Maui.de, t. III,
p. 61.
(4) Le roi lui remboursa plus tard 23,175 livres pour les dix-neuf mois
de campagne (l'^'' juin 1494-31 décembre 1495) du Lion et de la Pensée
(B. N., Franc. 8310, fol. 235 v°. — P. Anselme, Tre'sor ge'ne'aloqique,
t. VII, p. 865).
(5) Quittance de René Parent, chevalier, « vicomte de Rouen et cappi-
taine de navires. » 1'^ mais 1498 (B. IN., Pièces orig. 2196, doss. Parent de
Normandie, 2),
CHARLES VIII. 9
en le saluant tour à tour tle leurs aubades, s'alignèrent
devant lui (1).
C'était également, à deux bâtiments près, l'effectif total
de la flotte napolitaine (2); mais nous avions beaucoup
moins de galères que l'ennemi. Ce détail n'avait point
échappé à l'œil vigilant du prince de Tarente, qui revenait
à la charge. Débarquant quatre mille hommes à Rapallo, à
quelques lieues de Gênes, il renvoya vers Naples ses navires
de transport, pour conserver toute liberté d'allures, se
dérober, si notre flotte attaquait en bloc, « opprimer " au
contraire nos lourds voiliers, s'ils se présentaient isolément
ou suivaient en traînards (;î).
Pour empêcher le mouvement insurrectionnel de gagner
de proche en proche, le duc d'Orléans prit immédiatement
la mer à la tête de ses vaisseaux légers, dix-huit galères,
six galions et galéasses et neuf vaisseaux. Le corps d'armée
des San-Severino,de Giovanni Adorno et Antoine de Baissey
descendait le long de la côte pour le seconder (4). Sous la
protection de la capitane Notre-Dame (5). dont la grosse
artillerie balayait « Testroitte planure » de Rapallo et bat-
tait en flanc les Aragonnais, un millier de Suisses, débar-
qués de la flotte, prirent l'ennemi à revers, au moment où
les tètes de colonne d'Adorno et de Baissey prononçaient
leur attaque, le 8 septembre 1404. Refoulés dans la ville
(1) 20 galions, 17 navires, 6 carraques, 3 fustes, 23 grosses l)arques,
41)rijjantins, 24 galères (Compte de Pierre I^e Gendre : B. N., Franc. 17329,
fol. 182).
(2) 96 bâtiments, dont 30 galères, 30 barges, 4 vaisseaux, 4 galions
(NoTAR Gur.OMO, Cionica di Napnti, éd. P. Garzilli. Napoli, 1845, in-4'',
p. 183).
(3) GciCHARDix, Histoire... .«tojf/w Charles VIII, fol. 46 v".
(4) Ibidem, fol. 55.
(5) Qui appartenait à Commines (Commynes, éd. B. de Mandrot, t. II,
p. 137. — A. Spoxt, La marine française sons le règne de Charles VIII,
dans la Revue des Queslions hisforic/ues (1" avril 1894), p. 58. — Fier-
ville, Documents inédits sur Philippe de Commines. Le Havre, 1879, in-8",
p. 20.
10 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
de llapallo, les Nannis génois commandant les troupes ad-
verses, Ohietlo Fieschi, Fregosino et Giulio Orsini laissè-
rent une centaine de tués sur la place et la moitié de leurs
soldats prisonniers ; le reste gagna péniblement la mon-
tagne.
Le lendemain, comme la flotte napolitaine arrivait en
bataille pour tâcher de recueillir les fuyards, Louis d'Or-
léans, malgré son infériorité numérique, lui barra la route.
Devant la ferme attitude de nos marins, qui gouvernaient
(i droit comme une ligne » sur lui, le prince de Tarente,
pour la seconde fois, battit en retraite sur Livourne (1),
De cette brillante victoire de Rapallo, nous ne pûmes
tirer aussitôt profit. Le duc d'Orléans tomba malade : au
bout de deux semaines, on le remplaça à la tête de la flotte
par le cardinal Julien de La Rovère, commandant purement
nominal qui n'imposait point silence aux compétitions.
Complètement désorienté sur le plan de campagne à suivre,
le conseil royal ne savait à quelle solution s'arrêter : con-
tinuons la poursuite, disait Pierre d'Urfé, qui avait fait
ses preuves et que Briçonnet, évéque de Saint-Malo, ap-
puyait de son autorité (2). Gouvernons sur Naples, opinait
le sénéchal de Beaucaire, Etienne de Vesc, qui avait pour
lui le duc de Milan. Restez à Gênes, parés à barrer le che-
min à l'escadre espagnole de Villamarin, qu'a mandée le
prince de Tarente, seml)lait décider Charles VIII (3).
Nous disposions, à ce moment, de forces navales consi-
dérables, cent-vingt-six bâtiments, selon un recensement
fait en rade de Gênes (4) . Officiers et matelots à notre solde
(1) Hisloiic de 1270 a 1510, par un gentilhomme de la suite de Charleê
d'Orléans, dans Godefroy, p. 100. — Lettre de Charles VIIl au Parlement,
10 septembre [Bibliothèrjue de l'Ecole des Chartes, i. LV, p. 145). — =
Saxi-ïo, p. 54.
(2) Dépêche florentine, citée par M. m-: Boislislk, Etienne de Vesc, p. 94.
note 2. — CoMMYXES, éd. B. de Mandrot, t. II, p. 1G8 et p. 145, note 4.
(3) Sakuto, p. 244.
(4) Georgii Fi.om Mediolanensis, De e.xpeditioiie Carnli VIII in Neapoli-
CHARLES VIII. 11
avaient reçu ordre, le 9 octobre, de prêter serment de fidé-
lité entre les mains du lieutenant-général François de
Luxembourg (1). Une triple démonstration navale était
décidée contre les ports napolitains, toscans et pontifi-
caux, tant pour préparer l'invasion que pour ouvrir un
passage à l'armée de terre.
Le 16 octobre, une petite division, formée de la Salvazza
et de deux barges, s'ébranla pour La Spezia : elle portait
2,000 hommes d'infanterie et du canon au corps d'armée
de Gilbert de Bourbon-Montpensier, qui forçait l'entrée de
la Toscane parles villes de la Lunigiane. A quelques jours
d'intervalle, suivit l'armée de François de Luxembourg,
envoyée contre les États pontificaux : après avoir jeté dans
Ostie les trois cents arbalétriers de Menaud d'Aguerre et
joint aux troupes romaines de Fabricio Colonna le corps de
débarquement du lieutenant-général Gratien d'Aguerre (2),
elle devait se rabattre contre Livourne. C'était la plus forte
de nos escadres : elle ne comprenait pas moins de vingt-sept
galères et de quinze vaisseaux, placés primitivement sous le
commandement de Pierre d'Urfé. La dernière appareilla
pour le royaume de Naples dans les premiers jours de
novembre, emmenant l'amiral de Naples (3), Antoncllo di
San-Scverino, prince de Salcrne, le capitaine-général de la
marine de Provence, Louis de Villcneuve-Trans, sieur de
Sérénon, et trois mille combattants. Telles furent les nou-
velles publiées en France dans le premier bulletin officiel
de la grande armée d'Italie (i).
taimm re^nu»;, dans Godefroy, Histoire de Char/es VIII. Paris, t684, p. 22.5.
(1) Arcliives de Gênes, Litterarian (1493-14.95), X 140 : 36-1812,
fol. 100.
(2) Gratien d'Aguerre disposait de ses cinquante lances, plus trente lances
d'Antoine de Ville, sieur de Domjulien, trente de Robert de La Marck,
cinq cents Suisses et cinq cents arbalétriers : Colonna avait huit cents lancrs
italiennes à notre solde.
(3) B. N., Franc. 17329, fol. 182.
(4) J. DE L.\ PiLORGERiK, Campaqne et bulletinx rie la r/rn)irle armée
12 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Les mesures prises étaient habiles, la suite le prouva. A
l'annonce que le grand écuyer Pierre d'Urfé, à la veille de
quitter Gênes, s'était enquis des points faibles de Li-
vourne (1), Pierre de Médicis s'affola. Le 30 octobre, il
accourait au camp royal et nous livrait pour toute la durée
de la guerre les places fortes de la Lunigiane, Sarzane,
Pisc, Livourne (2). Contre les Etats de l'Eglise, la même
pression réussit. L'occupation d'Ostie, malgré le naufrage
de dix galères à l'embouchure du Tibre, le 22 novembre,
et la capture de deux autres par Frédéric de Tarente (3),
amena Alexandre VI à composition. Dès que Charles VIII
eut atteint la Ville Eternelle, le 30 décembre, le pape lui
remit en gage, outre Ostie, Civita-Vecchia et Terracine.
Dès lors, le ravitaillement par mer de l'armée d invasion
était assuré : et les convois de vivres se suivirent journel-
lement; c'est ainsi qu'à une flottille de vingt-deux petits
bâtiments, entrée dans le Tibre le 12 janvier (4), succédait
le convoi de Jean Laure, parti le surlendemain de Tou-
lon (5).
Aux termes du bulletin de la grande armée, deux
colonnes d'avant-garde devaient préparer l'invasion du
royaume de Naples. Gratien d'Aguerre et les Colonna des-
cendraient du nord; le prince de Salerne attaquerait sur
un autre point, de lui connu. Il affirmait qu'à son approche,
irilalie commatuice par Charles VIII (1494-1495). Nantes, 1866, ln-12,
p. 84-. — Historié lU ittesser Marco Guazzo, ove si coiiteiKjono la veuuta et
parlita illtalia di Carlo Ottavo, redi Franza, et cnme acquisto et lascio il
rer/nn di ISnpoli, et tuttc le cose iii qiici tempi in mare et in terra successe.
Venelia, 1547, in-8°, fol. 31.
(1) Leitres de Ridolti et Sodeiini à Pierre de Médicis, 7 et 22 octol)rc
(A. Desjardixs, t. I, p. 529, 578),
(2) Saxuto, p. 106. — Prof. Camillo Maxkrom, Storia délia marina ita-
liana. Ronia, 1897, in-8", t. III (dalla caduta di Costantinopoli alla batta-
ylia di Lepanto), p. 204.
(3) Sanuto, p. 204.
(4) .1. DE La PiLORGERiE, p. 136 : bulletin daté de Rome, 13 janvier.
(5) Archives de Toulon, BB 44. fol. 62.
CHARLES VIII. 13
quatre ports de la péninsule arboreraient notre drapeau (1),
et on était d'autant plus fondé à le croire qu'il était amiral
de Naples depuis 1477 et que sa famille, la puissante ge)i<i
des San-Severino, possédait nombre de villes et de châteaux
en BasilicaLe, en Calabre et dans la terre d'Otrante (2) . Mais
on lui avait donné l'escadre proven(;ale (3) de Villeneuve-
Trans, dont les matelots, hébergés au château de Trans,
n'étaient qu' » un tas de brigans et mauvais garsons " , à ce
point dangereux que le sénéchal de la province, deux ans
auparavant, avait dû conduire contre eux ban, arrière-ban
et milices (4). Jetée par la tempête sur les côtes sardes, où
un vaisseau se perdit, l'escadre fut si lente à n se r'habil-
1er I) qu'au lieu de devancer le roi à Naples, elle fut la der-
nière au rendez-vous (5).
En dépit de ce mécompte, la marche triomphale con-
tinua sans arrêt vers le sud : Voluntas Dei, Missus a Deo,
étaient les devises inscrites sur les étendards. A Naples,
dès l'approche des Français, l'émeute gronda dans les rues.
Aux cris répétés de « Francia! Francia! " le roi Alphonse
prit peur, abdiqua et s'enfuit. Le nouveau roi, Ferdinand
ou Ferrand II d'Aragon, abandonné de ses sujets, incapable
d'esquisser la moindre résistance, avec les huit galères et
barges du catalan Villamarin, se retira dans l'île d'ischia (G).
Le 20 février 1495, les vedettes de l'armée française aper-
çurent dans le port de Naples un gigantesque incendie;
(1) Avis adressé de I-.yon à Pierre de Médicis. 24 mai (A. IJesjardins, t. I,
p. 397).
(2) Se. Ammirato, Fainiglie nobili Napoletane, l^art. I, p. 80.
(3) Armée à Marseille et Villefranche (Extraits des comptes des trésoriers
de la marine, B. N., Franc. 17329, fol. 182).
(4) 21 septembre 1492 (Archives de Toulon, BB 44, fol. 23).
(5) CoMMYXES, éd. Dupont, t. II, p. 327, 368. — Saxuto, Spedizioiie di
Carlo VIII, p. 188. — H.-Fr. Dei.aborde, p. 523.
(6) NoïAR GiACOMO, p. 185. — Sur l'entrée de Charles VIII à Naples, on
peut encore consulter avec fruit Michel Ris, Histoire de la coix/uéte et de
la rébellion de Naples, en latin (B. N., Latin 6200), publiée partiellement
par A. DE BoisLisLE, Etienne de Vesc, p. 258.
14 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
c'était Tadieu du fugitif : l'arsenal brûlait avec les galères
et les fustes en chantier, une barge à flot et trois grands
vaisseaux ancrés près du môle, la Ferlina, C Annonciata et
la Ferrandina (1). Les flammes n'épargnèrent que deux
galéasses, attribuées plus tard à Etienne de Vesc et Gra-
ticn d'Aguerre (2), et l'Incapiello ou la Capella, que les
bannis génois, le cardinal-archevêque Paolo di Gampo
Fregoso et le protonotaire Obietto Fieschi, avaient obtenue
du roi fugitif pour se sauver eux-mêmes (3).
Le surlendemain, Charles VIII faisait dans Naples une
entrée solennelle, aux acclamations d'une foule qui l'atten-
dait comme le Messie. Il n'eut à compter qu'avec les gar-
nisons du château de l'Œuf et du Castel Nuovo. Les huit
cents Basques et Suisses du Castel Nuovo n'opposèrent
qu'une faible résistance, malgré le concours du corsaire
Peruca le Catalan. Pour réduire le château de l'OEuf, il
fallut au contraire l'écraser sous le feu des batteries du
Pizzofalcone, de l'escadre du prince de Salerne arrivée de
Sardaigne le 7 mars (4), et de la Capella que le cardinal-
archevêque de Gênes avait jointe à nos vaisseaux, en
échange d'une amnistie pour les bannis génois. Le gou-
verneur du château, Antonello Picciolo, sous la menace
de n'avoir aucun quartier après l'assaut, capitula le
13 mars (5).
Tout le royaume de Naples, à part Ischia, Lipari, Brin-
disi et Gallipoli, suivit l'exemple de la capitale. Et sur le
littoral méditerranéen, depuis les confins du Roussillon
(1) Mastrojanî*!, Sommaj'io deqli atti délia cancellerin di Carlo VIII a
Napoli, dans VArcIiivio storico per le pioviiicie Napoletane, t. XX (1895),
p. 566, n. 4.
(2) A. DE BOISLISLE, p. 133.
(3) Historié di messer Marco Guazzo, fol. 98. — Bulletin daté devant
Naples, 20février(J. de La Pilorgerie, p. 193).
(4) André DE La Vigxe.
(5) Guazzo, fol. 97 v", 103 v°, 112 v».
CHAR LKS VIII. 13
jusqu'à l'extrémité de la botte italienne, notre pavillon
flotta victorieux. Allait-il flotter plus loin encore (Ij?
A l'heureux conquérant, tout semblait sourire : les pro-
phéties se réalisaient (2). Après le royaume de Naples et
de Jérusalem, la suprême étape était pour lui l'empire
d'Orient. Le dernier descendant des basilcs, » prince de
Constantinople, seigneur de la Morée, » André Paléologue,
avait cédé à Charles YIII ses droits (3) ; le pape lui avait
remis Ziem ou Djem, frère et rival du sultan, a l'homme
que Bajazet craignoit le plus (4) » , comme un instrument
do guerre civile. Lors de l'entrée triomphale qu'il fit à
Naples, sous un dais de brocart d'or porté par les grands
officiers de la couronne, Charles VIII, escomptant l'avenir,
revêtit le costume d'apparat des empereurs d'Orient, avec
le sceptre et la pomme orbiculaire (5).
Avant même que les derniers bastions napolitains eussent
succombé, une circulaire avait mandé dans la capitale du
nouveau royaume tous les maîtres de navires, tous les
constructeurs de vaisseaux, afin d'improviser une flotte
immense (6). Un Paléologue, Georges de Bissipat, avait
commandé l'escadre royale (7) ; un Grec, Nicolas Famelitis,
(i) Suivant les cédules des Etats de Languedoc, Charles VIII, u à l'exor-
tacion de nostre sainct père » , avait « intencion tle mettre sus une grosse
armée pour résister aux daninables entreprises des Intidclles. . . par le
royaume de Naples, qui est oontigu desditz intidelles » (A. dk Boislisle,
p. 80, note 4).
(2) La prophécie, vision et lévelacion divine révélée par très Imnihle
prophète Jeiiax Michel... du recouvrement de la terre sainte à luj desti-
née. In-V.
(3) De Foncemagne, Éclaircissemens historiques sur rnielques circons-
tances du voyage de Charles VIII en Italie, et particulièrement sur la
cession que lui fit André Paléolo(/ue, du droit qu'il avait à l'empire de
Constantinople, dans les Mémoires de l'Acad. des insoiptious et belles^
lettres, t. XVII (i751).
(4) Commyses, t. II, p. 502.
(5) 12 mai (NoTAR Giacomo, p. 190. — Guazzo, fol. 139).
(6) 8 mars (Guazzo, fol. 111 v°. — Sandto, p. 259, 265).
(7) Cf. siiprh, t. II, p, 376.
16 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
était encare à la tète du vaisseau royal /a Marguerite (1).
Si la présence de Bucelly et de ses éclaireurs dans les
parapes de Zante indiquait assez ce qu'on attendait des
Grecs, la mission de l'archevêque de Durazzo fut plus
significative encore : de Naples, Charles VIII l'envoyait
susciter » quelque remvicment » en Grèce (2). Déjà, l'Al-
banie se soulevait. Les Turcs, en garnison dans l'antique
Hellade, s'affublaient de coiffures grecques, afin «d'évader
la fureur des François (3). » Des Albanais, en Grèce,
avaient arboré notre drapeau et envoyé supplier Claude de
Guise, à Otrante, de prendre possession de leur pays (4).
Un septuagénaire, dont le jeune conquérant avait sollicité
les conseils, l'illustre défenseur de Rhodes Pierre d'Aubus-
son, l'homme le mieux instruit des affaires d'Orient (5),
saurait donner à toutes les forces éparses de la chrétienté
en Orient une impulsion vigoureuse. A Constantinople ré-
gnait l'inquiétude, l'effroi : le sultan s'apprêtait à la guerre
ou à la fuite : cent vingt galères, quarante mille hommes
se massaient en prévision d'une attaque contre les postes
avancés de l'Islam. Ce fut le dernier frisson des Croisades.
Les Vénitiens interceptèrent au passage l'archevêque
de Durazzo (6). Au pape Alexandre Borgia, pensionné du
sultan pour servir de geôlier à Djem, 1 Islam n'importait
puère. Il devint vite le moindre des soucis de Charles VIII.
(1) Cité comme tel en 1497.
(2) GncHARDis, Histoire... souhs Charles VIII, fol. 105.
(3) Claude DE Seisskl, Histoire sinyulièje du roy Lojs XII. Paris, 1558,
n-8', fol. 69 Y».
(4) Bulletin royal daté de Naples, 28 mars (J . de La Pii.orgerie, p. 218).
(5) FosTAKiEU, Dissertation sur la cession faite par André' Paléoloque à
Charles VIII de ses droits à l'empire de Constantinople (B. N., Franc.
10450, fol. 348). — Du même, Histoire de Charles VlII (B. N., Franc.
13760, fol. 337). — Sur les rapports du sultan avec le royaume de Naples
avant 1494, cf. F. Ceroîse, La politica orientale di Alfonso d'Aragona,
dans Y Archivio storico per le provincie Napoletane (1902 et 1903).
(6) Y. Lamansky, Secrets d'Etats de Venise. Saint-Pétersbourg, 1884,
n-8% p. 292.
DJÈM
ÎMMENIi PAR LES CHEVALIERS UE RHODES
il!. N'., Laliii 60l>7, fol. 16'J.)
CHARLES VIII. 17
III
LA DEBACLE
Les délices de Capoue avaient perdu rarmée d'Annibal,
les délices de Naples perdirent les troupes françaises.
L'ennemi était aux portes, sans qu'on fit un effort pour le
déloger. D'Ischia, le capitaine d'Avalos, laissé en garnison
par le prince de Tarente, épiait nos mouvements : le roi
Ferrand et le corsaire Peruca venaient rôder aux abords de
Naples et enlevaient en vue de la ville nos transports de
vivres (I). Notre escadre, envoyée pour les chasser, trouva
la ville d'Ischia abandonnée; n'osant s'attaquer à la Rocca,
qui dominait la place, elle attendit, pour en commencer le
siège, d'autres vaisseaux mandés de Provence et de Gènes.
Mollesse plutôt que prudence! « Les François, laissant
aller à l'aventure les affaires de conséquence, ne pensoiont
à autre chose qu'à se festoyer (2). "
Et les signes précurseurs de l'orage ne les arrachèrent
point à leur torpeur. Ferdinand d'Aragon, roi d'Espagne,
écoutant la voix du sang, épousait la cause de son parent
vaincu; sous le prétexte de prendre la défense d'un fief du
Saint-Siège, il envoyait les deux escadres de Requesens
et d'Aguilar, avec dix-huit cents hommes de troupes, dans
le royaume de Naples. Les Espagnols débarquaient en
Sicile (3) ; les Vénitiens, jaloux de leur suprématie dans
nAdriatique, dirigèrent la flotte du capitaine général Gri-
(t) GuAzzo, fol. 127.
(2) GuiciiARDix, Histoire... soubs Charles VIII, fol. 104 v".
i^'i) Ibidem, fol. 107, 108, 117. — Dès le 4 janvier, trente-cinq caravelles
catalanes de Requesens, comte de Trivento, étaient parties pour Messine
(GuAZZO, fol. 83 v"). La flotte espagnole fut portée à soixante-quinze bâti-
ments par l'arrivée, en mai, de l'escadre d'Aguilar [Ibidem, fol. 151).
m. o
18 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
mani sur la Fouille. Inquiet de la présence de son rival
Louis d'Orléans à Asti, le due de Milan faisait des prépa-
ratifs dans le nord, levait des mercenaires allemands et
armait pour renforcer la flotte hispano-vénitienne dix ga-
lères et quatre grosses nefs. Le royaume de Naples allait
être cerné de toutes parts (1).
Tout à coup, dans la matinée du 5 avril 1495, éclata la
nouvelle de la formidable conspiration dirigée contre nous :
le pape, l'empereur, le roi d'Espagne, le duc de Milan, les
Républiques, Gênes, Venise s'étaient ligués pour nous
chasser d'Italie (2). L'ambassadeur vénitien, qui s'en était
fait le messager, tâchait d atténuer l'injure : la confédéra-
tion a pour objet, disait-il, une défense commune contre
le Turc. Mais Charles VIII l'interrompit avec violence :
(1 C'est une honte, s'écria-t-il, une honte intolérable.
N'ai-je pas moi aussi un Etat en Italie? Si votre République
voulait former une ligue, pourquoi ne m'a-t-elle point
avisé? A-t-elle perdu de vue que ses vaisseaux ne peuvent
faire le voyage de Flandres sans ma permission. Le Turc?
Je voudrais bien qu'il vînt par ici. " Et Charles continuait :
(i Quoi? le roi d'Espagne, à qui j'ai donné Perpignan et
Elne! Quoi ! Maximilien, qu une lettre de moi ferait rentrer
sous terre! Et le pape! Et Ludovic (3) ! »
La colère royale passée, il fallut songer au départ et à
un retour précipité vers le nord, avant que les forces de la
Ligue eussent achevé leur concentration. Un corps d'occu-
pation, commandé par le vice-roi Gilbert de Bourbon-
Montpensicr, fut laissé dans le royaume de Naples, princi-
palement dans les places maritimes, Naples, Otrante, Ta-
rente, Manfredonia, Monopoli (4), qu'une escadre légère
(i) Gdazzo, fol. 126, 129 v".
(2) 31 mars 1495.
(3) Sasuto, p. 294. — A. de Boishsle, p. 127.
(4) J. DK La I^iLonoEniK, p. 277.
CHARLES VIII. 19
pouvait relier entre elles. Et le 20 mai, Charles reprit la
route de France à la tête de l'autre moitié de ses forces,
un millier de lances et moins de six mille fantassins.
Encore, à Sarzane, morcela-t-il ses troupes, contre l'avis
de tout le conseil, pour détacher vers Gènes la colonne de
Philippe de Bresse (1). Appuyé par mer par l'escadre de
Louis de Miolans, Philippe de Bresse devait rallier, sous
les murs de Gênes, un bataillon venu d'Asti, les bandes de
Battista Fregoso et des troupes savoyardes. Conserver ou
reprendre notre base d'opérations navales était, en effet,
d'importance extrême.
Derrière l'armée en retraite, la révolte éclatait. Les
Caiétans se soulevaient, lors de la perception d'un subside
pour la flotte : trois cents marins basques du capitaine
Maorio, envoyés d'Ischia par Rodrigo d'Avalos, encadraient
les mutins. Il fallut détacher de l'escadre d'occupation (2)
quatre galères et cinq transports, avec huit cents hommes,
aux ordres du capitaine Gratien d'Aguerrc. Et le 24 juin,
la garnison de Gaète, dévalant du château, renforcée en
roule [)ar une compagnie de débarquement, tombait sur
les rebelles. Au port l'escadre de Gratien d'Aguerre, aux
portes les paysans de Fondi, conduits par le cardinal
Golonna, fermaient à l'insurrection toute issue. Maorio
perdit beaucoup des siens en se repliant sur la rade : des
remparts sautant d'un bond dans sa caravelle, il s'éloigna
à toutes voiles sous le feu de nos galères, qui poursuivirent
longtemps de leurs boulets ses deux bâtiments. La répres-
(1) La compagnie de Jean «le Poiignac, sieur de Beauniont, de garde à La
Spezia, 40 lances, les 40 lances du grand couver, 300 fantassins d'Aubi-
joux et 2,000 arbalétriers (J. de La Pilohgerie, p. 352). — 120 lances et
500 fantassins (Gliciiaudix, fol. 121 v". — Commynes, éd. de Mandrot, t. I,
p. 250, note 4).
(2) 12 galères, 3 galéasses, 2 gros galions, 1 vaisseau génois de 850 tonnes,
et 8 barges avec Fregoso, fils du cardinal de Gênes (B. N., Franc. 17329,
fol. 182.)
tiO HISTOIRE DE LA MARliNE FRANÇAISE.
sion fui terrible; quatre cents cadavres, d'aucuns disent
même quinze cents, jonchèrent les rues. Deux ou trois
cents jeunes femmes, dont plusieurs nonnes, allèrent re-
joindre à bord les trophées de la conquête, les brocards d'or
du lit des rois aragonais et les fameuses portes de bronze
du Gastel Nuovo : ainsi Titus enlevait les colonnes du
temple de Salomon pour les placer à Saint-Jean-de-Latran.
Et le sénéchal de Beaucaire, Etienne de Vesc, ne se fit
point faute du même sacrilège, en dépouillant des vases
sacrés, des ex-voto et des joyaux de leur trésor les sanc-
tuaires de Gaète (1).
Alourdie et encombrée par ces trophées, l'escadre de
Louis de Miolans cheminait lentement vers Gênes. Elle
avait pour chef non point un marin, mais un simple favori,
pourvu d'un commandement naval, sans que son office de
maréchal de Savoie l'indiquât guère pour cela, sans qu'il
eût fait autre chose que d'inspirer la mesure de clémence
qui avait valu au duc d'Orléans la liberté (2) . Miolans était
réduit à suivre les avis d'Etienne de Nefve, ancien patron
des galéasses de France. Un incident suffit à ruiner un
prestige si vain. Le doge de Gênes n'avait point attendu
l'attaque. Par ses ordres, Giustiniano, l'un des meilleurs
marins de la République, et Francesco Spinola le More
s'étaient portés à notre rencontre à La Spezia ; leurs forces
étaient sensiblement égales aux nôtres : huit galères, une
carraquc et deux barques génoises, contre sept galères,
deux gros galions, deux fustcs et un brigantm de France.
Pourtant, leur tactique consista d'abord à nous harceler,
sans engager d'action à fond. Le 3 juillet, comme Miolans
bombardait le château de Sestri Levante, l'escadre génoise
(1) Sasuto, Spedizinne, p. 440. — Domenico Malipikro, Annali Veneti
(1457-1500), dans VArchivio ston'co itaUano, l''" série, t. VII, part. I (1843),
p. 339. — A. DE BoisusLE, Etienne de Vesc, p. 131, noie 2, 137.
(2) Saixt-Gelals, Chronique, extrait dans la Collection de Mémoires
Michaud et Poujoulat, 1'^' série, t. I, p. 579.
CHARLES VIII. 21
lui donna la chasse et le força de se blottir dans le golfe
de Rapallo.
Dans la nuit du 12 au 13 juillet, Spinola le More, qui
avait reçu du doge des renforts, débarqua six cents soldats
et les lança contre Rapallo en une colonne d'assaut con-
duite par Gian-Aloisi Fieschi et Giovanni Adorno. Miolans
mit à terre contre eux une partie de ses équipages. Mais
pendant ce temps, Spinola cernait dans le port nos bâti-
ments à demi désarmés : Miolans, malade du mal de mer,
se rendit presque sans résistance. A Oberto di Levante, il
donna sa bourse et offrit dix mille ducats de rançon, à la
condition d'être mené incontinent en Provence. Il n'avait
pas achevé de conclure son marché, qu'il devenait la proie
de deux autres patrons de navires légers, puis d'Andréa
Giustiniano. Le commissaire de la flotte, Péron de Baschi,
fut plus heureux : avant qu'on pût reconnaître son iden-
tité, il obtint d'être relâché pour cent vingt-cinq écus et se
hâta d'aller prévenir du désastre la colonne de Philippe de
Bresse. Ce fut la seule personne qui échappa : toute
l'escadre française était prisonnière presque sans coup férir,
alors qu'elle eût pu écraser l'ennemi de ses trois cents
bouches à feu, alimentées par quatre cents barils de poudre.
Tout le butin de Naples et de Gaète, — plus de cent mille
ducats, — fut amené à Gênes, où Spinola le More offrit,
en guise d'ex-voto commémoralif de la victoire, le grand
vitrail de l'église de 1 Wnnunziata (1).
Ses compatriotes eurent le triomphe moins discret. En
août, la division provençale de Villeneuve-Trans revenait
de campagne. Des matelots envoyés à l'aiguade dans une
petite ville de la Rivière de Gênes " veirent un eschauf-
(1) GuAzzo, fol. 168 V», 174 v", 177, 191 v". — Sexarega, dans Mcra-
TORi, t. XXIV, col. 550. — ttait-ce un récit de la bataille que comptait
faire le doge de Gènes dans une lettre inachevée, qui débutait ainsi : u Is
est locus Rapalli in quem trirèmes hostiles exercitumimmiserunt» (Arclùvcs
de Gènes, Litterarum (1493-1495J, X 140 : 36-1812, fol. 123 v").
•22 HISTOIRE DE LA MARINfi FRANÇAISE.
faut dressé en l'ung des carrefours d'icelle, où 1 on faisoit
un mistère » ; le personnage principal de ce drame d'actua-
lité était le roi de France; et, grossière allusion à la retraite
d'Italie, on mettait le feu à... ses trousses. Le châtiment
ne se fit pas attendre : Villeneuve débarquait à deux heures
du matin une forte colonne, que la flotte, à un signal
donné, appuyait de son feu. La ville, emportée d'assaut,
fut mise à sac. Et Villeneuve venait s'en vanter, le 22 août,
au roi, — qui se trouvait alors à Chieri en Piémont (1).
Jamais courtisanerie ne fut plus inopportune. Charles VIII
n'avait dû qu'à la valeur de ses troupes de s'ouvrir un pas-
sage à travers l'armée italienne à Fornoue. Isolé dans le
nord, il avait la nécessité de ménager les Génois. De leur
concours ou de leur abstention dépendait le maintien ou
la chute de la domination française à Naples. Quatre mille
combattants devaient s'y rendre par mer, en plus des con-
tingents, qui descendaient de Rome vers le sud (2).
L'insurrection couvait dans la capitale napolitaine. On
le vit le 6 juillet, lorsque le roi Ferrand parut en vue de
son ancienne ville, à l'heure même où Charles VIII livrait
la bataille décisive de Fornoue. Aux soixante-trois bâti-
ments espagnols que le chef d'escadre Requesens amenait
de Messine, nous n'avions à opposer que seize vaisseaux et
galères. Nous faillîmes pourtant livrer bataille; plus d'un
capitaine suppliait Montpensier d'en donner l'ordre. Devant
notre ferme attitude, un flottement se dessina parmi les
vaisseaux aragonais, que le feu des châteaux mettait en
péril : et Ferrand battit en retraite vers Ischia. Gilbert de
Montpensier, précédé de l'épée royale, parcourait la ville
de Naples, afin de la maintenir dans le devoir. Le lende-
(i) [André de La Vigxe], Le Verc/ier d'honneui-, dans CiMBtu et Dakjoit,
Archives curieuses, i" série, t. I, p. 404.
(2) Lettre de Charles VIII à Jean de La Rovère, préfet de Rome. Turin,
29 août [Lettres de Charles VILI, t. IV, p. 275).
CHARLES VIII. 23
main, l'inconstante population des lazzaroni massacrait
dans les rues tous les Français qui ne purent trouver asile
dans les redoutes de Saint-Elme, Saint-Vincent, Pizzofal-
cone, Castel Nuovo et château de TOEuf. Ces bastions,
s'épaulant l'un l'autre, en une ligne de défense continue,
tinrent l'ennemi en échec pendant des mois entiers et pro-
tégèrent notre escadre, qui, du grand môle, s'élait repliée
sous les remparts du Castel Nuovo (1).
Il était d'un intérêt capital pour le roi Ferrand de
couper nos communications avec le dehors. Aussi cher-
chait-il à écraser notre flotte sous le feu convergent des
batteries du petit môle, de l'arsenal et du rivage. Comme
les pièces légères de la tour de la Lanterne lui causaient
beaucoup de mal, il lança à l'assaut la colonne d'Alonso
d'Avalos, marquis de Pescara. Obligés d'avancer en ter-
rain découvert, sous les rafales de nos pièces de marine et
de forteresse, les assaillants subirent de lourdes pertes,
avant de s'emparer, le :24 juillet, du phare (:2). Et leur
succès fut court. De nuit, la tour fut jetée bas par nos
grosses pièces. Mais sur les ruines, Pescara éleva de nou-
veaux retranchements, d'où les coulevrines recommen-
cèrent à tonner contre notre escadre. Le 28 juillet, une de
nos barges était coulée; le 13 août, un galion; un autre de
nos bâtiments les moins endommagés jusque-là était
dcmàté (3).
Par mer, le blocus se fit des plus étroits. L'apparition
de deux carraques, que l'on reconnut pour être la Negrona^
l'ancien vaisseau amiral de Louis d'Orléans, et la Camilla^
avait fait naitre l'espérance parmi les assiégés. Le 20 août,
(1) Antonio FKLTnio, Cronlca délie cose ciel reyiio di Aanoli, dans
Pkllicia, Raccolta di varie croniche, diari ed altri opuscoli, cosi italiani
tome latini, apparlenenti alla storia di Napoli. Napoli, 1780, in-4", t. I,
p. 294. — GiicnAnDi>", Histoire... soubs Charles VIII, fol. 138.
(2) NOTAR GlACOMO, p. 194.
(3) GcAzzo, fol. 198, 208 v».
24 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
un brlgantin tenta de prendre langue avec elles : le tré-
sorier de l'armée, les patrons de l'Armada et de la galcassc
d'Etienne de Vesc pensaient, avec ce léger bâtiment, forcer
le blocus : les braves gens payèrent de leur liberté leur
coup d'audace. Quant à la Camilla, à peine eut-elle réussi
à gagner notre mouillage, qu'elle sombrait sous une grêle
de boulets. Notre grande galéasse et deux autres de nos
bâtiments eurent le même sort (1), en dépit de la palissade
de pilotis derrière laquelle la flotte s'était retranchée, à la
pointe du château de l'OEuf. Deux brûlots auraient achevé
l'œuvre de destruction, le 3 septembre, si le môle ne les
avait déviés de leur route et empêchés de dériver jusqu'à
notre front de mer (i2) .
Pour sauver les débris de notre escadre, Montpensier;,
capitaine du Castel Nuovo, Yves d'Alègre, ancien cham-
bellan de Charles du Maine, roi de Sicile, qui lui avait
légué sa nef Saint-Michel (3), Etienne de Yesc, et le capi-
taine de la flotte, La Chapelle, résolurent d'occuper à nou-
veau le môle et de l'isoler de la terre ferme par une
tranchée. Soudain, le 22 septembre, les Allemands de
fifarde au nouveau bastion de la Lanterne se trouvèrent
enveloppés. Nos hommes d'armes attaquaient de front; nos
barques et une galère, chargées d'arquebusiers gascons,
avaient contourné le môle et tiraient en flanc. Les bâti-
ments aragonais, à leur vue, s'enfuirent vers la Mad-
dalena, où était embossée la flotte de Ferrand, Attirés
au bruit du canon, les Napolitains, qui cherchaient à
secourir par l'arsenal le corps de garde, étaient foudroyés
par le feu du Castel Nuovo. Pescara, accourant enfin à
la rescousse, se jeta sur nos gens d'armes : la crainte
(1) GuAzzo, fol. 208, 210. — Antonio Felthio, p. 295.
(2) jNoTAn GiAcoMO, p. 194.
(3) Et 1000 écuspour aller à Compostelle. 10 décembre H81 (P. Anselme,
t. VII, p. 709).
CHARLES VIII. 25
d'atteindre les nôtres dans la mêlée fit taire le feu de notre
escadrille et assura le triomphe des Aragonais (1).
En désespoir de cause, le vice-roi avait mandé à son
secours Stuart d'Aubigny, gouverneur des Galabres, et Ber-
nart de Précy, qui commandait dans la Basilicate. Précy
seul fut en état de répondre à son appel. Avec trois mille
hommes, il passa sur le corps d'armée quatre fois plus
fort de Tomaso Garaffa et, refoulant Prospero Golonna, le
10 octobre, il était aux portes de Naples; à la Ghiaja, il
apprit la capitulation toute récente du vice-roi. Ignorant la
marche en avant de Précy, Gilbert de Montpensier avait
promis, le 4 octobi'e, de rendre le Gastel Nuovo et les bas-
tions au bout de deux mois, s'il n'était dégagé dans l'inter-
valle. Seul, le capitaine du château de l'OEuf, Rabodanges,
avait refusé de capituler. L'escadre française, en atten-
dant, resterait à l'ancrage; le commandant de la division
normande, Pierre de La Ghapelle, et les patrons de la
Marie et de la Gahrielle s'en portaient garants, en deve-
nant les otages du chef d'escadre Requesens {il). Force fut
à Précy, trop faible pour livrer bataille, de rebrousser
chemin par le long souterrain voûté de Piedigrotta, en
abandonnant ses bagages.
La révolte de Naples avait été le signal d'un soulève-
ment général dans tout le royaume. De l'autre côté de la
botte italienne, sur l'Adriatique, notre drapeau avait été
mis bas à Manfredonia et Barletta, dès l'apparition du
pavillon de Saint-Marc. De Monopoli, le capitaine général
Antonio Grimani n'eut raison, le 1" juillet, qu'en lançant
quatre colonnes et en accablant la ville sous le feu de
vingt galères et de six vaisseaux. Ginq cents des siens et
(t) GiAZZO, fol. 209. — P. Jovii, Histoiiarum sui temporis tomi duo
(1494-1547). Florentiae, 1550-1552, lib. III ; traduictcs du latin par Denis
Sauvage, Histoire de Paolo Jovio. Paris, 1570, in-fol., tome I, p. 96.
(2) A. DE BoisLisLE, p. 143, 279. — Notar Giacomo, p. 196. — Guazzo,
fol. 229 v°.
26 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
quatre de ses capitaines y furent mis hors de combat (1).
Avec trois galères seulement, le prince Frédéric d'Alta-
mura tentait d'arracher aux griffes du lion de Saint-Marc
les lambeaux du royaume. Au gouverneur de Trani, le pro-
véditeur avait offert dix mille ducats, s'il voulait rendre la
ville aux Vénitiens. — Elle ne vous a jamais appartenu,
répliqua rudement Guillaume de Villeneuve. Et à la som-
mation du prince d'Altamura, il répondit : » Capituler?
Plutôt mourir! »
A l'heure de l'assaut, le 4 août, abandonné de trente-
deux lâches, Villeneuve n'avait plus que huit braves autour
de lui. Encore fallut-il plusieurs heures et l'attaque simul-
tanée de deux colonnes, par terre et par mer, pour avoir
raison de sa résistance. Prisonnier à bord de la galère
Marquese, il assista dès lors à la campagne navale de
l'ennemi, dont il a retracé les épisodes dans son curieux
Viatique (2).
La magnifique page d'histoire que le siège de Tarente!
La vieille acropole grecque, si propice aux flottes, était
défendue par deux descendants de ces chevaliers normands
qui avaient jadis conquis la Grande-Grèce, George de Silly
et un lieutenant du roi d'Yvetot. Frédéric d'Altamura pensa
1 enlever par surprise. Dans lu nuit du 19 août, la Marquese
s embusqua derrière 1 lie San-Pietro, cependant que deux
brigantins allaient courir des bordées devant la ville. Mor-
dant à l'appât, les gens de bien de la garnison, dès l'aube,
se jetèrent à leur poursuite sur trois ou quatre brigantins.
Ils touchaient au but, quand la Marquese sortit d'embus-
(i) GxjAzzo, fol. 185. — Malipikro, p. 3()V, 373.
(2) Guillaume de Villkneuvk, Histoire des guerres d'Italie sous
Charles VIII, roy de France, de JSaples et de Jérusalem (1495-1497),
publiée en Appendice des Mcinoircs de messire Philippe de Comines, nou-
velle édition, par Godefiioy et Le:>glet du Fressoy. Londres, in-4", t. IV
(1747], preuves, p. 82 ; ou dans la Collection Michaud et Poujoulat,
1™ série, t. IV, p. 379.
CHARLES VIII. 27
cade, et chassés à leur tour, ils eurent la plus grande peine
à gagner l'abri de Tartillerie du château.
Le soir, quinze bâtiments de Venise, de Naples et de
Biscaye (1) commençaient le blocus de Tarente. Un mois
après, le 15 septembre, ils étaient rejoints par dix-neuf
galères du provéditeur vénitien Gontarini. Ni les menaces,
ni les descentes multipliées, ni la famine n'avaient raison
du vaillant gouverneur. On usa de la trahison. Le 29 sep-
tembre, un traître, du nom de Louis Bertochelle, devait
ouvrir les portes de la citadelle. A l'heure fixée, le signal
convenu avec l'ennemi, une bannière blanche, parut sur la
tour, qui fut aussitôt foudroyée par l'artillerie du château.
Les galères des alliés approchèrent et jetèrent l'ancre,
parant leurs esquifs pour le débarquement, lorsqu'une
grole de boulets s'abattit sur elles. La trahison avait été
découverte deux heures avant 1 instant fatal; le traître
avait révélé le signal; le lir du château n'était qu'une
feinte, et la Marquese faillit être coulée à fond. Le surlen-
demain, après un bombardement infructueux de toutes
leurs pièces de marine, les alliés levaient le siège de
Tarente.
Laissant une galère en croisière de blocus devant la
ville, ils contournèrent la Calabre et passèrent devant
Reggio, dont le capitaine, un Ecossais, avait résisté avec
tant de valeur aux troupes du roi Ferrand que les assail-
lants, furieux, l'avaient haché en pièces. Gontarini et Alta-
mura allaient renforcer Requesens devant Naples pour la
reddition finale.
De l'entrée en ligne des marins génois dépendait le salut
de la capitale. On avait obtenu d'eux, le 10 octobre, l'enga-
gement de restituer l'escadre prise à Rapallo et d'y joindre
(1) 8 galères de Venise, 3 galères du prince d Altamura, 4 barges basques
du capitaine Juan Martin (Guillaume de Villekedve, onvr. cité : Michel
Ris, dans le ms. B. N., latin 6200, fol. 36).
28 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
deux carraques à leurs frais (1), trois ou quatre autres aux
frais de la France (2). Lorsque Etienne de Nefve et
Pérou de Baschi se présentèrent pour en prendre livraison,
le gouverneur de Gènes les éconduisit; Ludovic le More
éludait ses promesses, sous le fallacieux prétexte qu'il ne
s était pas engagé à laisser monter les carraques par des
Français (3). Les Florentins se dérobèrent de même à
leur promesse de fournir deux cent cinquante hommes
d'armes, malgré qu'ils eussent reçu comme arrhes les
villes que nous occupions en Toscane (4).
Vingt-huit bâtiments pourtant armés à Marseille et
Villefranche (5), sur les instances de Charles VIII (6), ten-
tèrent de jeter dans Naples un renfort de trois mille Suisses
et Gascons. Le 18 octobre, ils arrivaient dans les parages
des îles Ponza. Par malheur, vingt-quatre galères véni-
tiennes de Contarini et neuf galères catalanes de Villama-
rin étaient à Naples depuis cinq jours (7), ce qui avait
permis avix coalisés de détacher à notre rencontre toute
l'escadre des voiliers, trois grosses nefs de Gènes, vingt-sept
barges et trois galères. L'escadre napolitaine, sortant des
îles Ponza, où elle était masqviée, se mit en chasse et, à la
tombée de la nuit, parvint à portée de canon de la flotte de
Louis Aleman d'Arbent. A minuit, un violent sirocco
sépara les belligérants. Aleman d'Arbent se replia sur
Livourne; un de ses vaisseaux toucha à l'île d'Elbe, à
(1) GoDKFROV, Histoire de Charles VIII, p. 725.
(2) Lettre de Charles VIII au duc de Milan (Lettres de Cliarles VIII,
t. IV, p. 306).
(3) CoMlMY^■ES, éd. Dupont, t. II, p. 533. — De Mauldl, Histoire de
Louis XII, t. III, p. 359.
(4) Florence, 8 septembre (A. de Boisusle, p. 149).
(5) 16 navires, 4 galions, 2 fastes et 6 galères (Extrait de compte : B. X.,
Franc. 17329, fol. 182).
(6) Lettre au duc de Bourbon {Archives des Missions, 2'^ série, 1. II,
p. 384).
(7) Chronica anonima (1495-1519), publiée par Peli.ICCIA, t. I. p. 252.
— Tjettre de Contarini dans M.m.ipikho, p. 399.
CHARLES VIII. 29
Porto-Longone, où toute la flotte ennemie vint le cerner :
avant de fuir à terre, l'équipage et les trois cents Suisses
embarqués à bord jetèrent à la mer canons, vivres et muni-
tions. A Libourne, Arbent ne put empêcher ses hommes
de se débander et de gagner Pise : ayant ainsi échoué, le
:23 octobre, il reprit la route de Villcfranche (1).
Bien que le succès des coalisés fût insignifiant et que la
mésintelligence entre Girolamo Contarini et le capitaine de
l'escadre espagnole paralysât désormais leurs opérations
navales, la retraite d'Arbent fut pour Montpensier le coup
de grâce. Le vice-roi voulut sauver les débris de son
armée, et l'amiral prince de Salernc sa petite escadre.
Laissant une faible garnison au CastelNuovo et au château
de rOEuf, ils embarquèrent deux mille cinq ccnls hommes
sur les treize bâtiments en rade du château de lOEuf et,
dans la nuit du :27 octobre, au mépris des termes de la
capitulation, ils s évadèrent vers Salerne, sans que l'escadre
vénitienne, lancée à leur poursuite, parvint à les
rejoindre [2). Trois semaines plus tard, deux de leurs vais-
seaux et une galéassc gagnaient notre dernière ligne de
retraite, Gaète (3). Tout espoir de sauver Naples était
perdu, en dépit de la résistance désespérée du château de
rOEuf, dont le gouverneur, Rabodanges, ne capitula que
le 19 décembre.
Gaète allait-elle avoir le même sort? Pérou de Baschi
(1) GuicnARDix, fol. 141. — Sanuto, Clnouicon Veiictum (149V-1500),
dans MuRAToni, t. XXIV, col. 30. — Gicstisiaxo, fol. 252 v". —
André dk La Yignk, p. 408. — (!(iMMY>iES, éd. B. de Mandrot, t. II, p. 300.
— Scion Vii.LENKUvE, la flotte hispano-vénitienne, forte de 30 {jalères et
20 voiliers, ne serait arrivée de Messine que le 27 octobre [Mémoires, éd.
Michaud et Poujoulat, Coll. de Mémoires, t. IV, p. 393).
(2) Malipikp.o, Annali Veneli, dans Y Archivio storico italiano, t. VII,
p. 422, 423. — NoTAR Giacomo, p. 198. — Cronicn délie case di Aa-
puli, da Antonio Feltrio, dans Pelliccia, t. I, p. 295, — Guazzo,
foi. 232.
Ci) 14 novembre [Chronica anonima (1495-1519), dans Pelliccia, t. I,
p. 253).
30 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
était parvenu à former à Savone l'armée navale qu'il n'avait
pu organiser à Gênes. Forte de dix-neuf bâtiments (l),elle
appareilla sous le commandement du lieutenant général
Paolo Fregoso, emmenant, avec les Suisses et les Gascons
de l'escadre d'Arbent, huit cents fantassins venus de
Gueldre. A son approche, la flotte de blocus prit le large,
sans risquer un combat, et lui laissa toute facilité de
débarquer les troupes (2). Le prince de Tarente, quittant
précipitamment iNaples le 16 janvier 149(), accourut à la
rescousse à la tête de trente-cinq vaisseaux et six ga-
lères (3) ; mais il était trop lard : seul, un navire traînard,
la Magdeleine, lui tomba entre les mains. Il lui fallut se
résigner encore à un blocus, dont Galceran de Requesens,
avec une forte division navale (4), fut chargé. Nonobstant,
Etienne de Vesc, commandant de la place, s'échappa à la
tête de deux galères et neuf bâtiments légers (5) ; et par
lui, le roi reçut cet appel suprême :
il Sire, vostre royaume de Sicile ne se peust conquérir,
nv garder, si vous n'envoyés, à toute diligence, une armée
par mer, plus puissante que celle des Aragonnoys, ny des
Vénitiens, ny aultres vos ennemys (6). »
Pareilles nouvelles, confirmées parle délégué des barons
napolitains, par Vitellozzo, Orsini et par Trivulce, venu spé-
cialement d'Asti, provoquèrent à la Cour de France un vif
émoi. Sans une grosse flotte et une armée de secours de
quatre à cinq mille hommes, c'était l'effondrement complet
(1) 12 vaisseaux et 7 galères (Comptes d'annement : B. ÎN., Franc. 17329,
fol. 182).
(2) GciciunniN, fol. 182.
(3) NoTAR GiACOMO, p. 200. — Chronica anonima, dans Pki.liccia, t. I,
p. 254.
(4) Une douzaine de galères et 15 vaisseaux (Guillaume de Villexetjvk,
p. 398, 401).
(5) A. DE BoisLisLE, p. 155-157.
(6) Lettres de Gilbert de Grassay et G. d'Albret au roi. 8 avril et
31 mars 1496 (Commy.\es, éd. Dupont, t. III, preuves, p. 434-438).
CHARLES VIII. 31
de l'éphémère conquête. Charles YIII tenta d'y parer en
formant vine flotte qu'il comptait porter à trente vaisseaux
et trente galères (I) : à l'amiral de France, il prescrivit
d'expédier à Marseille la grande nef Louise, encadrée do
six barges bretonnes armées en guerre; aux généraux des
finances, il dépêcha quatre de ses secrétaires pour presser
les armements; au grand sénéchal de Provence, enfin, il
écrivit : «Arrêtez tous les vaisseaux en état de tenir la mer,
mettez en chantier un grand bâtiment de mille tonnes, et
comme ma flotte a besoin d'un port de refuge, fortifiez le
havre de Toulon. Mais avant tout, secourez (îaète : deux
navires légers, sous pavillon de Savoie, tiendront la route
de Sicile et de nuit, par ce subterfuge, trouveront moyen
d'entrer dans le port ["!) . »
Et de fait, le 26 juillet, une petite division de trois
galères, flanquées de la nef Normande, passait aii travers
des vingt-six vaisseaux du blocus, alors commandés par le
provéditeur vénitien Malipiero. Le 18 août, un galion avait
le même bonheur (3). Charles VIII n'en était pas moins aux
abois, faute de marins, — car les Provençaux se disaient
« merveilleusement dégoustez » de la guerre (4), — quand
les Bretons entrèrent en ligne.
A peine les instructions royales reçues, les vaillants capi-
taines de la flotte bretonne, ceux qui voulaient se mesurer,
en 1492, avec toutes les forces britanniques (5), Guillaume
Carrel et Jean de Porcon, armèrent « en extresme dili-
gence » leurs vaisseaux : qui, le Lesneven et le Baltazar à
(1) La PopKLiMKnE, Histoire île Cliarlcs VIII : B. N., Dupuy 71-5,
fol. 78.
(2) Lettre de Charles VIII au sénéchal de Provence. Châtillon-sur-Indre,
9 juillet (B. N., Moreau 774, fol. 4).
(3) Guillaume dk Villeneuve, p. 501. — Malipikho, p. 544. — Lettre
d'Etienne de Vesc. 21 juillet (Commyxes, éd. Dupont, t. III, p. 448).
(4) Lettre de Pierre d'Urfc au roi, 24 juillet (Commynes, éd. Dupont,
t. III, p. 454).
(5) Cf. tome II, p. 433.
32 HISTOIUE DE LA MARIiNE FRAiNÇAISE.
Brest (1), qui, une nef montée de trois cents marins de
combat, à Saint-Malo (:2) . Et les six barges requises pour
escorter la Louise furent bientôt prêtes à prendre la mer,
avec huit cents matelots commandés par Guyon Le Roy
du Chillou, capitaine du Groisic, et par Jean de Porcon.
La Charente, parachevée aux frais du trésorier Jean de La
Primaudaye (3), était partie de 1 avant, vu l'extrême
urgence. La grande nef de Morlaix, la Cordelière, devait
suivre, avec la compagnie de gens d'armes et d'archers de
Jean Guibé (4). D'autres carraques en chantier, aux frais
des villes de Bretagne (5), qui en faisaient cadeau à la
royauté (6), formeraient une escadre formidable avec la
carraque de Rhodes, achetée au grand maître Pierre d"Au-
busson (7). Et j'imagine que la mission secrète de Thomyn
Lefèvre, envoyé du Groisic en Portugal, était d'obtenir de
nouveaux renforts pour la flotte fS).
Les confédérés ne se faisaient point faute d'entraver de
tout leur pouvoir nos préparatifs. Une escadre de six vais-
seaux espagnols et les quatre galères vénitiennes du capi-
taine Marin Signolo, assemblée à Gênes, courut des bor-
dées depuis Yillefranche jusqu'aux j'omégues, afin
(i) Vaisseaux bretons armes en IWfO pour le recouvrement des Deux-
Sicilcs (Comptes des trésoriers : R. N.. Frani;. 8310, fol. 235 v").
(2) Suivant mandement royal du 22 juillet (Dom Moim;i:, Mémoires pour
servir de preuuex à l' histoire rie Bretiif/ne, t. III, col. TS-V).
(3) Et d'Etienne de JNefve. On l'appelait aussi la carraque Sainie-Marie-
Saint-Micliel {B. N., Pièces orig., vol. 2386, doss i'rimaudaye, p. 13. —
Archives nat., JJ 227, n° 139).
(4) 40 hommes d'armes et 80 archers, l''"' octohrc ^B. N., Franc. 8310,
fol. 256.) — Anne de Bretagne avait consacré à son ladoub un reliquat de
compte de Semblançay (B. N., Franc. 25720, p. 62).
(5) Les États de Vannes s'en étaient fait présenter les devis en février 1496
(B. N., Franc. 8310, fol. 247 v").
(6) Charles VIII envoie un messager s'enquérir des carraques, 28 juin 1497
(Archives de Nantes, EE 222).
(7) Charles VIII l'acheta 20,000 écus. Lyon, 10 décembre 1496 (B. N.,
Dossiers bleus, vol. 100, doss. Blanchefort, p. 138).
(8)B. N., Franc. 8310, fol. 238.
CHARLES Vin 33
d'intercepter nos convois. Trois de nos bâtiments furent
ainsi capturés (I), entre autres la barque du corsaire
Domenge, qui soutint un long combat en vue de Mar-
seille (2). Et comme Charles VIII songeait à retourner au
royaume de Naples, la Ligue lui opposa un redoutable
adversaire en mandant dans la péninsule l'empereur Maxi-
milien. L'empereur s'y prêta. Joviet inconscient de l'ambi-
tion de Ludovic le More, comme l'avait été auparavant le
roi de France, il vînt, mais avec des forces dérisoires, de
nature à rabaisser le prestige du nom impérial; et il se
laissa entraîner dans la plus lamentable des aventures.
Ludovic lui persuada que sa présence imposerait aux
Florentins et les détacherait de la France. L'empereur,
quittant donc Gènes le 20 septembre à la tête de quinze
gros vaisseaux de guerre qu'escortaient huit galères véni-
tiennes de Malipiero, s'achemina vers Livourne, le grand
port de guerre de Toscane. Des troupes allemandes, mila-
naises et vénitiennes vinrent simultanément camper devant
la ville. Loin de se laisser abattre par ce déploiement de
forces, la garnison florentine fit bonne contenance, comp-
tant sur la venue prochaine d'une centaine de lances fran-
çaises et d'un millier de fantassins suisses ou gascons (3).
Le 29 octobre 1496, au moment où les pionniers de
l'empereur commençaient les travaux d'approche, une
escadre parut. Malipiero avait posté ses vingt-sept bâti-
ments (4) derrière la Meloria, écueil fameux dans les fastes
maritimes de l'Italie; malgré son énorme supériorité, il ne
(1) Malipiero, p. 542.
(2) Valbelle, B. N., Franc. 5072, fol. 6.
(3) GuiCHARDix, fol. 204-205. Le sénéchal d'Albigeois, commandant dea
troupes, refusa de s'embarquer, ainsi que sa compagnie d'hommes d'armes;
le corps expéditionnaire, par de nou%'elles défections, fut réduit à six cents
hommes de pied.
(4) L'escadre comprenait trois grosses nefs génoises, six barges, six galions,
huit galères vénitiennes, deux galères génoises et deux brigantins, selon
Malipiero (p. 545).
34 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
chercha point à barrer la route à Porcon et Du Ghillou, car
c'était la grande nei Louise qui arrivait avec son escorte de
barges bretonnes (1). A part un bâtiment chargé de grains
et monté de quatre-vingts hommes, qui fut cerné par quatre
galères vénitiennes, tout le convoi entra dans Livourne, à
la vue de Maximilien : il amenait cinq cents hommes de
renfort, ainsi que les partisans Vitellozzo et Carlo Orsini,
qui allaient tenir la campagne. Puis la Louise — la grande
nei Normande comme on l'appelait — continua vers Gaète,
en renvoyant en Provence son escorte; ce qui ne l'empêcha
point de battre, par le travers de Port'Ercole, plusieurs
bâtiments génois. Les forceurs de blocus avaient sauvé Li-
vourne; devant la tempête, qui jeta l'Adornay la Salvadegfi
et plusieurs navires à la côte, le blocus dut cesser; et l'em-
pereur, levant le siège, reprit honteusement la route de
rAllemagne.
A Gaète, la fortune nous fut moins clémente. Les hn\{
galères de Prégent de Bidoux, en mer depuis le 3 octobre,
ne purent forcer le cordon d'investissement et coururent
vainement des bordées jusqu'en Corse et en Sardaigne pour
donner le change à la croisière de blocus (2). Maîtres, le
5 novembre, de la redoute de Monte-Orlando, les assiégeant^
dominaient le port : de cet ancien tombeau romain trans^
formé en bastion, les boulets pleuvaient sur nos cinq bâtir
ments en rade, bloqués d'autre côté par la flotte enne-
mie (3). Il fallut capituler. Le brave Aubert Du Rousset le
fit aux conditions les plus glorieuses et sortit, le 19 novem-
(i) Un témoin oculaire parle de six barges (Foscari, Dispacci, dans
YArchivio storico italiano, t. VII, p. 938). — Malipiero compta deux
grands vaisseaux et huit barges, avec les huit cents Bretons (p. ÔVG). —
GuicuARDis relève la présence dans l'escadre d'une grande nef normande
(fol. 205, 207 v") et Paul Jove (liv. IV) également.
(2) A. Spont, Les galères royales dans la Méditerranée, dans la Revue
des questions historiques, t. LVIII, p. 393, note 7.
(3) NOTAR GlACOMO, p. 212.
CHARLES VIII. 35
bre, après plus de dix mois de siège, avec les honneurs de
la guerre (1).
Le royaume de Naples était perdu. Charles VIII sanc-
tionna la ruine de ses espérances, en signant, le 25 février
1497, une trêve, avant-coureur de paix, avec le nouveau
roi de Naples, Frédéric d'Aragon.
Il se retourna contre Gènes, dont la défection, au fort de
la guerre, avait été la cause initiale de nos désastres. Le
corps d'armée de Trivulce coupa les communications de
Gènes avec Milan, par l'occupation de Novi; des troupes
florentines avancèrent par la rivière de Levant, tandis que
la division navale de Giamhattista Fregoso agissait par le
Ponant. Nos six galères s'emparèrent de. Vintimille, mais
ne purent rien tenter contre Savone, faute d'un soulève-
ment populaire qu'on escomptait et qui n'éclata pas (2). Au
large, croisaient nos voiliers; la grosse neî Promontoria, qui
apportait à Gênes une cargaison de blés de Sicile, ne put
résister à leurs pièces de gros calibre; ce qui fut, pour la
République, un motif de prescrire à toutes les nefs d'em-
porter un certain nombre de bombardes.
Loin de se laisser démoraliser par notre investissement à
distance, les Génois prenaient l'offensive. Trois grandes
nefs et deux galères, aux ordres de Gian-Aloisi Fieschi.
vinrent s'embosser, en juillet 1497, en vue de Toulon,
qu'elles tinrent bloqué de longs mois (3). Il se trouvait heu-
reusement que Charles VIII avait donne ordie, Tannée
précédente, d'achever les fortifications du port (4), ainsi à
l'abri d'un coup de main. Prégent de Bidoux riposta par
(1) De Boislisle, p. 168. — Un de nos vaisseaux coula en route et la
Normande aurait été capturée (Sanuto, t. I, col. 393).
(2) GUICUAKDIS, fol. 212 V».
(3) Paolo di Negrone succéda à Fieschi, malade (Agostino Giustiniano,
Annali di Genoa, fol. 254. — Archives du ministère des Affaires étran-
gères, Gènes 2, fol. 226).
(4) 9 juillet 1496 (CoMMYNES, éd. Dupont, t, III, p. 444),
36 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
une contre-attaque, qui amena les Génois à composition :
ses quatre galères cernèrent à Porto-Venere une soixan-
taine de voiles (1). Atteint dans ses œuvres vives, son com-
merce, le gouvernement de la République ligurienne s'hu-
milia; il demanda que les marchés de France lui fussent
de nouveau ouverts et particulièrement les foires de
Lyon (2). Et sans doute, cette soumission fut le résultat de
notre croisière.
Un vrai marin venait de se révéler au milieu de cette
pléiade de capitaines d'armées navales, qu'une commis-
sion royale improvisait et qu'une défaite rejetait dans le
néant. Et voyez comme un homme énergique et habile
peut changer la face des choses. Prégent de Bidoux avait
trouvé des matelots démoralisés par une série d'échecs, une
situation maritime des plus précaires. Deux ans après, à la
mort de Charles VIII, alors que Prégent n'avait pas plus
de huit bâtiments, le doge de Gênes écrivait : « Les galères
de France balayent tout sur leur passage, sans être inquié-
tées : personne n'ose leur tenir tête (3) . d
(1) Novembre 1497 (Malipiero, p. 550).
(2) 6 novembre (Archives des Affaires étrangères, Géues 2, fol. 226 v").
(3) 15 octobre 1V98. Bidoux avait été quérir à Civita-Vccchia la dispense
pontificale permettant à Louis XII d'épouser Anne de Bretagne : le 8 octobre,
il ramenait en France le porteur de la bulle, César Borgia (Sancto, Diarir,
t. I, col. 65. — Spokt, dans la Revue des questions historiques, t. LVIII,
p. 394. — La Levrière de Rouen, capitaine Guillaume de Laumosne, cou-
rait les eûtes d'Italie. Mai 1498 (Gossei.in, Documents authentiques et iné-
dits pour servir a l'histoire de la marine normande pendant les xvi' et
xvii° siècles. Rouen, 1876, in-8°, p. 6).
LOUIS XII
LA FRANGE EN ORIENT
Si le roi de France oubliait les injures du duc d'Orléans,
il n'en oubliait point les droits. Et les titres de roi de Jéru-
leni et des Deux-Siciles, de duc de Milan, que Louis XII prit
en montant sur le trône, laissaient assez deviner sa poli-
tique future. Ludovic Sforza fut le premier à s'en aperce-
voir. Conquis par nos troupes en octobre 1499, perdu à la
suite d'une sédition, le Milanais fut reconquis en moins de
vingt jours en mars-avril 1500 : Ludovic, prisonnier.
s'achemina vers la tour de Loches, où il devait mourir en
captivité. Cette conquête eut comme corollaire la soumis-
sion de Gênes le 26 octobre 1499, sans que l'escadre de
Villeneuvc-Trans eût à agir (1). Dès lors, Gènes, qui reçut
un gouverneur français, redevenait pour nous la meilleure
des bases d'opérations navales.
Dans l'accalmie qui suivit, en paix avec la Chrétienté
(1) Agostino GiusTiMASO, Annali di Geuoa, fol. 255. — Sakuto, Diariif
t. il, col. 465, 576, 714. — A. de Boislislk, Etienne de Vesc, p. 187, 190.
- — J)ella dedizione dei Genovesi a Luicji XII, da Luigi-ïommaso HklgRAno,
dans les Miscellanea di storia patria, t. I, p. 557. — Léon-G. F'Élissier,
Documents sur la première année du rèqne de Louis XII ; Documents sur
l'elahlissement de la domination française à Gènes, App. II ; et Recherches
dans les Archives italiennes : Louis XII et Ludovic Sforza (1498-1500).
Paris, 1896, 2 vol. in-8", dans la Bibliothèque des écoles frant;aises de Rome
et d'Athènes.
38 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
par des traités dûment conclus avec la Savoie (1), Venise,
FAu triche (2), l'Angleterre (3), l'Espagne (4), Louis XII
tint à justifier son titre de roi de Jérusalem, avant de faire
valoir ses prétentions au trône des Deux-Siciles. Une
escadre montée de sept mille hommes fut équipée pour
concourir à la défense de Rhodes contre l'Islam.
I
UNE BATAILLE DE N AVARIN-LÉP AN TE IGNORÉE
Dans l'histoire de l'Europe, la bataille de Lépante, en
1571, fait date. C'est l'arrêt brusque de l'islam, le recul de
l'invasion asiatique, le salut de l'Europe chrétienne. Or,
l'événement eût pu arriver soixante-douze ans plus tôt.
Dans les mêmes parages, des forces aussi imposantes,
cinq cents navires et soixante mille hommes, s étaient
trouvés en pi'ésence. Pour décider du sort de deux reli-
gions, Sinon de deux races, il ne manqua qu'un don Juan
d'Autriche : et jamais démonstration ne fut plus éclatante,
— les circonstances étant dans les deux batailles les mêmes,
— du rôle décisif que joue l'individualité du chef suprême.
Aussi éclatante fut dans l'histoire, dans la littérature,
dans la légende, la victoire de don Juan d'Autriche, aussi
terne et effacée est restée la longue bataille de treize jours,
livrée ou plutôt subie, en 1499, par Grimani. Et malgré
la part brillante qn'y prit l'escadre française, aucune de
nos histoires, même les plus récentes, n'en parle, comme
aucune de nos chroniques n'en a consigné le souvenir (5).
(i) 13 mai 1499.
(2) 2 août.
(3) 24 août.
(4) 5 août.
(5) A part Gaguin, dans ses Annales rermn Gallicarum. Encore ne
LA FRANCE EN ORIENT. 39
Au moment où notre escadi'e allait partir poui
Rhodes (1), s'éleva la voix suppliante des contempteurs de
la croisade de Charles VIII. Contre eux, se tournait l'offen-
sive turque; et, remords suprême pour les meurtriers de
Bucelly et de nos marins, c'est au lieu même du supplice,
dans les parages de Zante, qu'ils avaient besoin de notre
concours. De la détresse des Vénitiens, Louis XII eut
pitié. Le grand prieur d'Auvergne, Guy de Blanchefort,
reçut l'ordre de se détourner de sa route pour se ranger
sous l'étendard de Saint-Marc (2),
Près du cap extrême où la côte de Grèce s'infléchit vers le
nord, à Modon, le capitaine général Antonio Grimani barrait
au capoudan pacha Daud l'accès de l'Adriatique. Il avait
cent soixante-treize bâtiments, les Turcs deux cent soixante.
Le 12 août 1499, l'action s'engageait entre les vaisseaux
ronds des deux avant-gardes. Alban d'Armer, lâchement
abandonné par le chef d'escadre Alvise Marcello, qui ne le
soutint que de quelques volées de canon, attaqua le gros
bâtiment de Borrak-Raïs. Andréa Loredano ne voulut point
laisser à son camarade tout le faix du combat, et aux cris
enthousiastes de » Loredan, Loredan ! " la Pandora accro-
cha à son tour le vaisseau turc. Les musulmans étaient an
millier, marins ou janissaires, les Vénitiens un peu moins.
Le corps à corps dura, terrible, une demi-journée et ne finit
que dans l'embrasement gigantesque des trois vaisseaux.
parle-t-il que du capitaine général des Vénitiens et de sa pusillanimité. —
Sur nos préparatifs, cf. Spoxt, les Gaietés royales clans la Méditerranée,
dans la Revue des Questions historiques, t. LVIII, p. 395 : et Baudouin,
Histoire de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, t. 1, p. 200.
(1) Louis XII prie les Toulonnais de remettre deux canons pour la flotte
qu'il envoie porter secours à Rhodes. 10 mai 1499 (Archives de Toulon,
BB 44, fol. 141).
(2) Malipiero, Annali Veneti, p. 164, 170, 171. — C'était Gui de Blan-
chefort qui avait fait remise à la France de la carraque de Rhodes, 10 dé-
cembre 1496 (B. N., Dossiers bleus, vol. 100, doss. Blanchefort, p. 138).
— Léon-G. PÉLissiER, T^ouis XII et Ludovic Sforza, t. I, p. 300.
40 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Armer, en essayant de se sauver à la nage, tombait entre
les mains des Turcs. Loredano se jetait dans les flammes,
l'étendard de Saint-Marc au poing, en s'écriant : " Sous ce
drapeau, je suis né et j'ai vécu; sous lui, je veux mourir. »
Ainsi périt l'homme qui faisait trembler tout le Levant.
Grimani était resté coi, sans porter le moindre secours à un
camarade dont il était jaloux (1). Slahat Petriis a longe, lui
appliquait plus tard l'avocat général dans un terrible réqui-
sitoire. L'affaire restait indécise; mais ce furent les Véni-
tiens qui accusèrent leur défaite, en prenant position en
arrière, à l'île Prodano.
Il C'est la coutume des Vénitiens au service de l'État de
ne point écrire la vérité, sauf quand elle leur est favorable.
JExécrable habitude » , écrivait Sanuto à propos de cette
longue bataille navale, commencée à Modon pour conti-
nuer à Navarin et finir à Lépante (2). Dupée par les rap-
ports de Grimani, confiante dans des forces navales, qui
n'avaient jamais été si imposantes, — quatre-vingt-six vais-
seaux de ligne et vingt à vingt-cinq mille marins, — la
population vénitienne se livrait à de bruyantes manifesta-
tions de joie, alors que son prestige s'effondrait de façon
lamentable.
La pusillanimité de Grimani dépassait toute expression
et rendait critique la position de sa flotte, quand le 18 août,
à l'aube, parut l'escadre française de Guy de Blanchefort,
signalée la veille du côté de Zante. Elle comptait seize
vaisseaux, quatre galères et deux brigantins, dont quatre
vaisseaux de première ligne, la carraque de Rhodes cédée
à la France, la Charpente, la Louise et (a Rapiamus . Montée
de six à sept mille hommes et bien armée, notre escadre
(i) De Hammer, Histoire de l'einpire ottoman, trad. Dochez, t. I, p. 378.
~ Sakuto, Diarii, t. II, col. 858, 931, 959, 10J8, 1049, 1132, 1219.
(2) Sanuto, Chronicon Venetum (1494-1500), dans Mlbatori, t. XXIV,
col. 94.
LA FRANCE EN ORIENT. 41
n'avait d'autre défaut que d'être dépourvue de vivres, ce
qui nous poussait à une action immédiate (1). L'occasion
s'en offrait. Sortant de la rade de Navarin, le capoudan
pacha tentait de forcer le passage pour gagner le golfe de
Patras. Six brûlots lancés au milieu de sa flotte furent cap-
turés par elle, avant d'avoir été enflammés. Une vive
canonnade ne put davantage enrayer sa marche. La Cha-
rente^ commandée par le Breton Jean de Porcon, et un
grand vaisseau vénitien eurent plus de succès : enveloppée
par une soixantaine de galères musulmanes, la Charente^
après deux heures d'un combat furieux, força sa légion
d'adversaires à reculer (2), et sous une vigoureuse charge
des galéasses, les Turcs se replièrent vers Castel Tornese,
en face dé Zante. Ils avaient néanmoins gagné du terrain
et se rapprochaient de leur objectif. Il fallait en finir avec
eux.
Le lendemain, 21 août, les alliés adoptaient en conseil
de guerre l'ordre de bataille (3), qui, plus tard, dans les
mêmes parages, donnait la victoire à don Juan d'Au-
triche (4). Pour rendre aux Vénitiens du cœur par son
exemple, le grand prieur d'Auvergne mènerait l'attaque
avec sa splendide division de grands vaisseaux : la car-
raque de Rhodes, qu'il montait, dite la reine de la mer (5),
(1) Sanuto, Chronicon Vcnetum, dans MunAxoni, t. XXIV, col. 106. -~
Sanuto, Dinrii, t. Il, col. 12>}8,
(2) Réquisitoire de INicolô Michiel contle Griiiiani (Sa>cto, J)ia>ii, t. III,
col. 174). — «Jehan de Porcon, dit le Grand Porcon, cappilaine de mer, »
touchait, cette année même, 600 livres de pension. Compte de Jean Lale-
iiiant, receveur général de Normandie, 1499(B.N., Nouv. acq. franc. 7645,
fol. ;5iO v").
(3) Sanuto, t. II, col. 1292.
(4) A Lépante, en 1571, les galéasses étaient rangées en avant-garde avec
une réserve, les galères en demi-lune par derrière (B. Cuesckistio, Naidica
Mediterranea (1607), p. 523).
(5) Cf. sitprà, t. II, p. 474. Nous avons vu que c'était Guy de Blanche-
fort, grand prieur d'Auvergne, qui avait effectue la cession de la carraque
au roi en 1496.
42 HISTOIRE DK LA iMARINE FRANÇAISE,
La Charente ou la Notre-Dame de Saint-Michel (1), de deux
cents pièces de canon et douze cents hommes d'équipage,
si bonne voilière avec cela qu'en mer, » n'étoient pirates,
ne écumeurs qui devant elles tinssent vent » , (2) devaient
tomber simultanément sur le capoudan-pacha. Près d'elles,
combattrait, étendard rouge et jaune au vent, la grande
nef de l'amiral de France, la Louise, de soixante-treize
canons, dont les passevolants à tir rapide étaient logés
jusque dans les hunes et qui avait comme grosse pièce à
longue portée la célèbre coulevrine la Barbe (3) : la Louise,
dont les contemporains disaient qu elle était furieusement
armée, a furia, et que son artillerie eût suffi à garnir deux
vaisseaux (4). La Louise, amatelotée avec le chef d'escadre
Marcello, la Mema (5) et le brave Tomà Duodo, Domenego
Biancho et le galion du neveu de Louis XII, enfant de dix
ans qui allait rendre illustre le nom de Gaston de Foix,
(i) Cession de cette grosse nef au roi par les héritiers de La Priinaudaye.
1506 (B. N ., Pièces orig., vol. 2386, doss. Primaudaye, p. 12).
(2) Jean d'Actox, Ch/onirpie/t, éd. de Mauldc La Glavière, t. II, p 19.
(3) « L'inventère de... la grant nef nommée la Lojse, qui fut à Mgr de
Graville, admyral de France " : 22 coulevrines et faucons de fonte, 10 gros
canons de fer, sur affûts, 22 gros passevolants, dont un " canon à hune " ,
14 petits passevolants au château d'avant, 5 longues serpentines. 14 no-
vembre 1516 (Archives du Havre, EE 79 : communiqué par M. Gh.
Bréard).
(4) Lettres de Francesco Fonlana et Nap. Lomellino. Gênes, 2 juin 1498
(Léon-G. PÉLissiER, Documents pour l'histoire de l'établissement de la
domination française à Gênes (1498-1500), dans les Atti délia Societâ
ligure di storia patria, t. XXIV (1892), p. 514-515). — Le podestat de
San-Remo, dans une lettre du 3 mai 1499 au doge de Gènes, donne d in-
téressants renseignements sur la composition de notre escadre : la carraque
de Rhodes est commandée par celui qui l'a vendue au roi, Blanchefort ; il
y a deux faucons et une grosse bombarde par galère ; une bombarde, embar-
quée à bord de la Ferrandine, tire des boulets de 115 livrés; la Rapiamus
embarque des vivres ; la nef du marquis de Cotrone est équipée à Toulon ;
la Comtesse et la Mesquine partiront également {Ibidem, p. 528).
(5) Je ne sais à quel bâtiment français répond ce mot vénitien. Il est facile
de reconnaître, dans l'ordre de bataille que nous a conservé Sanuto, les
navires de notre flotte. Ils sont désignés par leur nom, tandis que les bâti-
ments vénitiens ne sont indiqués que par le nom de leur capitaine.
La Louise
Chantillv : Musce Condc, ms. 1886.}
LA FRANCE EN ORIENT- -43
envelopperaient deux à deux chacune des grosses galéasses
musulmanes.
Trois autres divisions chargeraient en même temps et
sur une seule ligne la flotte turque : quatorze vaisseaux,
dont la Panthère et le Lioîi (1), de liené Parent, vicomte
de Rouen, attaqueraient les navires ronds. Vingt et une
galéasses et caravelles, entre autres la Comtesse, la Figue
et la Michelle de notre division du Ponant, commandées
par le capitaine de la flotte de Barbarie, Baxadona, se jet-
teraient sur les galères subtiles. Dicdo, capitaine des
galéasses du Trafic, et Prégent de Bidoux, avec deux de
ses galères provençales, canonneraient les gros vaisseaux.
Une réserve de dix bâtiments vénitiens se tiendrait en
soutien de lavant-garde, à une portée d'arbalète.
Le général Grimani et ses provéditeurs, restant prudem-
ment en seconde ligne, se contentaient du poste d'infirmiers;
les galères vénitiennes étaient réduites au rôle de remor-
queurs pour les bâtiments hors de combat.
Le lendemain 22, dès que se prononça notre attaque, les
équipages turcs se dérobèrent, moitié d'entre eux s'enfuirent
à lerre. La victoire semblait dès lors acquise. Mais, au lieu
de charger à fond, Grimani et ses capitaines n'eurent-ils
pas la lâcheté de gagner la pleine mer! C'en fut assez pour
rendre le courage aux musulmans, qui prirent une vigou-
reuse offensive et, malgré la perte de quatre galères et deux
fustes, poussèrent jusqu'à la punta del Papa, le cap Kalo-
gria actuel, à l'entrée du golfe de Patras.
Un dernier combat se livra le 25 août au matin, comme
la flotte turque doublait la pointe du Pape. Au coup de
(1) L'année suivante, le commandement de la Panthère ou du Lion
devait être donné à Avmar de Vesc (Saxuto, t. III, col. 255, 269). Et c'est
en effet sur le Lion qu Aymar de Vesc fit en i501 la campagne de Mitylènc.
— Le LJon et la Pensée venaient d'être achetées 12000 livres à l'amiral
de Graville par le Trésor. 1498 (B. N., Pièces orig. 1813, doss. Malet,
p. 70 : Franc. 26277, p. 207).
44 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
canon de Guy de Blanchefort, qui commandait l'avant-
garde, la Charente^ deux vaisseaux français, le bâtiment de
Polo Calbo, et les galéasses du patron du Trafic prirent en
quevie l'ennemi et enlevèrent une dizaine de galères légères.
Si le reste de la flotte avait donné, « comme Dieu est
Dieu », tous les bâtiments musulmans succombaient. Mais
devant l'incompréhensible inertie du capitaine général et
des provéditeurs vénitiens, Guy de Blanchefort craignit, en
engageant nos seules forces, de subir le sort de Loredano
etd'Armer et de sacrifier inutilement les deux cents cheva-
liers qu'il menait au secours de Rhodes. Les Turcs gagnè-
rent enfin le golfe de Patras, où ils allaient combiner leurs
efforts avec l'armée de terre pour enlever Lépante. Dès le
lendemain du combat, le grand prieur d'Auvergne avait
pris congé de Grimani, et tiré vers Céphalonie, puis vers
Rhodes (1).
Il Vous êtes prudents, disait en matière de conclusion
Louis XII à l'ambassadeur vénitien; vous êtes riches, mais
vous avez trop peur de la mort. Nous, nous faisons la guerre
avec la volonté de vaincre ou de mourir (2) . "
Prégent de Bidoux en administrait incontincntla preuve.
Libre d'agir à sa guise avec ses quatre galères et deux fustes
de Rhodes, il se porta intrépidement sur les derrières des
Turcs, au milieu de leurs flottilles de relève. A Volo, au
nord de Nègrepont, on fabriquait des rames par milliers
pour la flotte de Daud; la présence de quatre cents cava-
liers et six cents fantassins turcs ou albanais donnait aux
ouvriers pleine confiance, quand parut en avril 1500 l'esca-
drille de Prégent. Sous le feu des galères qui balayent la
plage, le pacha et ses hommes lâchent pied : une compa-
gnie de débarquement de quatre cents hommes occupe
(1) Lettre d'un Vénitien datée de Zante, 2 septembre 1V99 (MALii'ii;no,
p. 176-179. — Sanuto, t. II, col. 1325).
(2) MALipiEno, p. 183.
LA FRANCE EN ORIENT. 43
aussitôt l'arsenal et l'incendie, sans que rien puisse échap-
per aux flammes. En retournant à Schyros, Prégent apprend
qu'une dizaine de bâtiments commandés par Kara Dormis et
Chablasi, vont assaillir l'île. Il court à leur rencontre, les
met en fuite, les force à s'échouer à Nègrepont et détruit
huit bâtiments : deux autres navires subissent le même sort
à Stalimène (1).
Cependant le grand visir Ali-Pacha et le capoudan Daud
poursuivaient leurs succès en Grèce. Les forteresses véni-
tiennes du sud, Modon, Coron, Navarin, succombaient tourà
tour au mois d'août sous leurs attaques répétées. Un renfort
de mille à douze cents Normands et Provençaux (2) , partis le
9 septembre de Gênes sur la Lomellina et la Bozella, n'avait
plus de raison d'être (3). René Parent, vicomte de Rouen,
ne put du reste amener à Zante qu'un des deux vaisseaux,
ayant laissé l'autre en détresse en Sicile. En Parent, le roi
avait mis sa confiance. Trois ans auparavant, Charles VIII
lui avait décerné une chaîne d'or pour services rendus en
l'expédition navale de Naples (4). Or, avec des allures de
matamore, avec ses serments terribles de se baigner dans
le sang des Turcs, Parent ne sut que se rendre ridicule et
compromettant : »Le roi d'Espagne, disait-il, arme soixante-
dix vaisseaux pour se faire nommer empereur de Constan-
tinople; sachez que mon maître a la même ambition ; l'an
prochain, il mandera là-bas autant de navires que son
rival (5). » Le maladroit parlait en présence du provédi-
(1) Lettre de Prégent, 29 avril 1500 (Santjto, t. III, col. 448, 492).
(2) Six cents Normands et quatre cents Provençaux, selon Guidoti
(Sancto, t. III, col. 542. — Léon-G. Pélissier, Louis XII et Ludovic
Sforza, t. III, p. 482).
(3) Leur armement avait coûté 35 000 écus (Archivio di Stato à Gênes,
Diversorum libri (1499-1500), 12 juin-7 septembre 1500. Sancto, t. III,
col. 576, 643, etc.) — A. Spont, Les galères royales clans la Méditerranée
(1496-1518), dans la Revue des Questions historiqties, t. LVIII, p. 396.
(4) B. N,, Franc. 8310, fol. 231 v°,
(5) Sa>ijto, t. lil, col. 1127.
4G HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
teur Pesaro, qui avait reçu des Espagnols des renforts
autrement importants que les nôtres, deux mille hommes.
Résolus de chasser les musulmans des îles Ioniennes, le
2 novembre 1500, les trois chefs d'escadre Pesaro, Pero
Navarro et René Parent se portaient contre le fort Saint-
Georges de Céphalonie, que défendaient trois cents Turcs.
Mais Parent, vexé de ne point recevoir de solde des Véni-
tiens (1), n'attendit pas lissuedu siège: un certificat attes-
tant qu'il avait rejoint Pesaro lui suffisait, et il partit. Dans
la traversée du retour, il trouva encore le moyen d'aggraver
son cas en capturant, en vue des îles Lipari, un navire de
la République. Sur les vives remontrances du doge, on le
punit par une destitution de ses emplois (2).
Le pis dans ses rodomontades, c'est qu'elles contenaient
une parcelle de vérité : une expédition française se prépa-
rait contre Gonstantinople.
II
EXPEDITION DE MITVLENE
De plus en plus affolée par les progrès des Turcs dans
l'Adriatique, Venise adressait un pressant appel à la France,
à la Papauté, aux nations chrétiennes de l'Occident, afin
de sauvegarder les intérêts du christianisme, et surtout les
siens. Toutes, l'Angleterre exceptée, promirent le concours
de leurs flottes. Mais quand il fut question d'agir de con-
cert, l'accord cessa : et le sultan Bajazet II put mettre en
ligne de compte, — la chose ne date pas d'aujourd'hui, —
les jalousies entre puissances pour garder ses conquêtes.
(1) P. Jovius, De vita et lebus yestis Goiisalui Ferdinandi Coidubae,
lib. I.
(2) Sa>-lïo, t. III, col. 1282, 1306, 1450 : Spont, p. 397.
LA FRANCV. EN ORIENT. 47
Sommé de s'exécuter au passage de notre flotte à Reggio,
Gonzalo de Cordova répondit avec désinvolture qu'il avait
d'autres soucis en tête que la croisade. Et si les Portugais
de Joaô de Meneses poussèrent jusqu'à Corfou, à seule fin
de donner l'illusion d'avoir tenté quelque chose, en rivaux
heureux des marchands vénitiens, ils ne cherchèrent point
à relever ceux dont ils avaient ruiné le commerce par la
découverte d'une nouvelle route des Indes. Ils poussèrent
l'ironie jusqu'à prétendre à leurs protégés que le roi était
trop pauvre pour risquer sa flotte (l). Quant au pape,
Alexandre Borgia trouva plus urgent de déloger le sei-
gneur de Piombino de l'opulente île d'Elbe que de faire la
guerre aux Turcs (2).
En définitive, Louis XIIetAnne de Bretagne, après s'être
assurés des sentiments des rois de Hongrie et de Pologne (3) ,
vinrent seuls au secours de Venise. Ils agirent sans arrière-
pensée, ni mesquinerie, l'un avec le sentiment que la pos-
session de Milan et de Naples faisait de lui le protecteur de
l'Italie menacée, l'autre avec l'enthousiasme d'une Bretonne
pour les idées de croisade. La duchesse de Bretagne «à
l'affaire de ce voyage n'eut le vouloir amolli, ne la main
close. i> Et sur les sept meilleures nefs de la province,
armées à ses frais, s'embarquèrent son vice-amiral Hervé
Garland, le premier héraut d'armes Pierre Choque, promu
historiographe de l'expédition, et Jacques Guibé, capitaine
d'une de ses compagnies, auquel elle confia la magnifique
nef la Cordelière. Les deux Porcon, le grand et le petit,
(i) Cluuin(/iies de Jean d'Auto>-, éditées par R. de Maulde La Clavière,
pour la Société de l'histoire de France. Paris, 1890, in-8", t. II, p. 153. —
Samjto, t. IV, col. 158, 166.
(2) Le F. A. GuGUELMOTTi, La Gueira dei pirati e la niaiina pontificia
clal 1500 al 1560. Firenze, 1876, in-8", p. 18.
(3) Le traité d'alliance conclu par Louis XII avee ces deux rois et dirigé
contre les Turcs est du 14 juillet 1500. Il a été publié en appendice de
Jean de Sai>ct-Gelais, Histoire de Louis XLI, éd. Godefroy (1622),
p. 231.
48 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Jean et François, commandaient l'un la Charente^ l'autre
six vaisseaux normands, qui rallièrent à Brest la division
d'Armorique. Parmi les volontaires, soldats sans solde, vrais
croisés résolus à livrer bataille à la flotte turque pour le
salut de leur àme (1), figuraient des noms illustres dans
nos annales : René d'Anjou, Du Quélénec, Coligny, Males-
troit, Boisboissel, Meschinot, L'Epinay, Dinteville, Vi-
vonne, Mouy, Damas, Grammont, Galiot, Castelbajac,
Gonflans, Cadoré, Du Cosquer, Lavedan, Chàteauvert.
Christophe, marquis de Bade, capitaine du Marais, et un
Stuart s'étaient joints à eux.
Les deux divisions du Ponant ralliaient à Toulon quatre
galères de Prégent de Bidoux, la Marquise àe Jean d'Auzis,
/e Zîon d'Aymar de Vesc. Al'escale suivante, à Gênes, atten-
dait un autre contingent de quatre nefs et quatre galères,
armées, à leur corps défendant, par les citoyens (2), mais
commandées par des capitaines dont les noms rappelaient
les gloires de l'ancienne République, Grimaldi, Fornari,
Lomellino et Fieschi, Stalliano, Fieschi, de Pozzo et Palla-
vicini. De Monaco, Giovanni Grimaldi avait envoyé pour
sa quote-part deux galères et deux cents combattants (3).
Jamais flotte française, que je sache, n'avait été aussi
bien organisée par escadres et par divisions. La division
bretonne de Jacques Guibé et la division normande du
Petit Porcon formaient l'escadre de Bretagne ou du Ponant,
sous le commandement du lieutenant général Jacques de
Fouquesolles; la division provençale de Prégent de Bidoux
et les deux génoises composaient la seconde escadre,
dite de Gènes, sous les ordres du lieutenant général Paolo
Fregoso (4). De quatorze grands bâtiments comme la pre-
(1) Lettre de l'orateur de Venise. Rlois, 16 février 1501 (Sanuto, t. III,
col. 1372).
(2) Atti délia Societd ligure, t. XXIV, p. 509.
(3) G. Saige, Documents sur Monaco, t. II, p. 30. — Spoxt, p. 398.
(4) Fouquesolles et Fregoso reçurent leur commission de lieutenants
LA FRANCE KN ORIENT. 49
mière (l), l'escadre du Levant avait sur elle l'avantage de
la vitesse : tous les navires rapides y avaient été versés. Le
commandement de l'expédition avait été confié au gouver-
neur de Gènes, que Louis XII avait également investi de la
charge d'amiral du royaume de Naples et Jérusalem, Phi-
lippe de Clèves, sire de Ravenstcin. Dans ses pouvoirs de
capitaine général (2) était inscritl'ordre formel de reprendre
aux Turcs Lépante et Modon, en leur livrant bataille. Ce
fut pour Ravenstcin l'occasion de méditer sur la stratégie
navale, dont aucun livre ne résumait les nouveaux prin-
cipes, depuis la révolution opérée dans la tactique par l'em-
ploi de l'artillerie (8). Tant le capitaine général qu'un de ses
officiers, Antoine de Gonflans, profitèrent de l'expérience
acquise dans cette campagne pour écrire un manuel de
stratégie; flatterie intelligente pour un roi qui n'avait pu
oublier, en montant sur le trône, qu'il était le vainqueur
de Rapallo. Et Louis XII, s'il n'étaitpoint » un très grand
historien (i) » , avait des lettres et prenait plaisir à s'ins-
truire.
Dans l'espoir d'être rallié en cours de route par les
autres flottes chrétiennes, Ravenstcin s'acheminait à pe-
tites journées vers le Levant, en multipliant les relâches.
Il s'attarda jusqu'au 9 août 1501 dans le golfe de Naples :
à son passage devant l'île de Stromboli, il ne résista pas
au plaisir de faire l'ascension du volcan. Durant quatre
heures, il monta, ayant de la cendre jusqu'aux genoux;
généraux le 12 février 1501 (B. N., Coll. Clairambault, vol. 825,
fol. 114).
(1) L'escadre dite de Gênes était de 8 galères et 6 nefs, l'escadre dite de
Bretagne était de 14 grosses nefs (Notar Giacomo , Cronica di Napoli
(—1511), p. 243).
(2) B. N., Franc. 5093, fol. 283.
(3) Cf. le tome précédent de cette Histoire (t. II, p. 496, 503).
(4) Jean de Sai:nct-Gel*is, Histoire de Louis XII, roy de France, père
du peuple, éd. Th. Godefroy. Paris, 1622, in-4°, p. 115 : " Nostre prince,
lequel est très grand historien... »
50 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
mais, faute de guide, il dut s'arrêter à mi-chemin du som-
met. 11 relâcha une semaine à Reggio, attendant vainement
au rendez-vous l'escadre espagnole. Le 29 septembre enfin,
à son arrivée à Zante, il eut des nouvelles de la seule flotte
qui se fût mise en mouvement en même temps que la nôtre.
Pesaro, avec trente galères vénitiennes, était à Gorfou et
envoyait proposer l'attaque immédiate de la forteresse de
la Valona, sur la côte albanaise, refuge des corsaires turcs.
Ravenstein réunit en conseil de guerre ses principaux
officiers et leur demanda leur avis. Le capitaine des ga-
lères provençales, Prégent de Bidoux, s'éleva avec force
contre tout retour en arrière : au lieu de rétrograder sur
Gorfou et de laisser aux Turcs le temps de mettre leurs places
en état de défense, il fallait, disait-il, précipiter l'attaque
avant l'hiver déjà proche; de plus, l'escadre que les cheva-
liers de Rhodes assemblaient dans leur île, perdue au milieu
des possessions musulmanes, risquait d'être écrasée par
les Turcs, si on ne la ralliait au plus tôt. Mais sur quel
point porter l'effort d'aussi grandes forces navales? Gons-
tantinople, défendue par une flotte formidable, était hors
de cause. Le Génois David Stalliano ou Staglieno, qui
avait jadis servi chez les Turcs, indiqua Mételin ou Mity-
lène, île « moult riche, fertile et prenable " , excellente
base d'opérations pour attaquer la flotte turque à la sortie
des Dardanelles. Cette proposition fut adoptée par le con-
seil de guerre et notifiée à Pesaro.
Bien qu'il vînt de subir un échec devant cette même
place de Mételin (1), le capitaine général des Vénitiens,
quittant aussitôt Gorfou, se rallia à nos propositions et se
mit à la recherche de notre flotte, qu'il finit par trouver
dans le port de Milo. Un moment repoussées par les vents
jusqu'à la rade de la Sude, les deux flottes parvinrent en
(1) Lettre du baile de Corfou, 31 juillet (Sa>uto, t. IV, col. 112, 161).
LA FRANGE EN ORIENT. 51
vue de Mitylène le 23 octobre 1501. Pour éviter toute sur-
prise de Tannée navale des Turcs, un détachement de huit
galères vénitiennes fut envoyé en croisière du côté des Dar-
danelles. Prégent de Bidoux, avec ses quatre galères pro-
vençales, fut charge de préparer l'attaque en explorant les
abords de la forte place de Mételin. Il le fit avec une
calme intrépidité, sous un feu violent, auquel il riposla
vigoureusement.
Mételin était défendue, du côté du rivage, par une grosse
tour qui baignait dans la mer. C'était la première redoute
à enlever. Le 26 octobre, sous le feu de cette tour, Raven-
stein débarqua trois mille hommes. Français pour les
deux tiers, avec un parc de siège de vingt-quatre pièces.
Les Turcs, refoulés de la plage, reculèrent pied à pied
vers les faubourgs, qu'ils furent obligés d'évacuer. Un
enseigne d'une compagnie de fantassins, nommé l'Enfant
de Paris, se fit tuer en plantant son drapeau sur les boule-
vards extérieurs de Mételin : mais sa compagnie restait
maîtresse du terrain, quand les Turcs, sortis secrètement
de la ville à bord de leurs brigantins, la prirent à revers :
et d'une position dominante, où ils installèrent trois pièces
de canon, ils désemparèrent les boulevards et les rendirent
intenables. Une autre sortie d'un escadron de cavalerie fut
repoussée par le marquis de Bade, capitaine du vaisseau le
Marais.
Cependant Ravenstein commençait à battre la grosse
tour du bord de la mer, qui gênait beaucoup par son tir
intense les communications de la flotte et de l'armée. Le
Petit Porcon venait d'être emporté par un boulet, au mo-
ment où il débarquait pour se rendre près du capitaine
général. Le Grand Porcon, capitaine de la Charente, brû-
lait de venger son frère : dès que la brèche fut jugée prati-
cable, il monta à l'assaut, en dépit des remontrances ami-
cales de son chef et du rapport des » échelleurs » , qui
52 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
avaient pu observer par-dessus les remparts la force de la
garnison. Avec une vingtaine de gentilshommes, il parvint
à gagner la crête des murailles noyées dans les brumes du
matin, pendant que, sur sa gauche, Tristan de Lavedan
et cent vingt hommes escaladaient la tour : « le chevalier
de Lavedan lit là tel exploit darmes, que ce futjusqucs à
l'épouvantement des Turcs. » Mais il échoua : le premier à
l'assaut, il battit en retraite le dernier, lorsque tous ses
compagnons furent en bas des échelles. Il était impossible
de tenir sous la pluie de soufre et de poix qui tombait des
murailles, avec des obus en cuir remplis de poudre, dont
l'amorce était formée de charbons ardents dans un pot
friable. Debout sur un pan de mur, Jean de Porcon com-
battit jusqu'à ce qu'un bloc de pierre lui eût faussé la
bavière de son armot et un coup de pique labouré la
gorge. Force était de battre en retraite sur toute la ligne.
Le bombardement de la tour continua une semaine
entière. Un dialogue engagé en breton entre un homme
de Quimperlé qui se trouvait parmi les Turcs et les ma-
rins de la duchesse Anne, nous apprit la détresse de la gar-
nison turque. Comme de grands pans de mvirailles s'étaient
écroulés sous nos boulets, Ravenstein fit sonner l'assaut :
Jacques de Coligny était à la tête de nos troupes, que
secondaient d'autre part les Vénitiens. Il montait à l'esca-
lade, l'épée au poing, quand une grosse pierre, en l'assom-
mant, l'envoya rouler dans les fossés. Mais, à sa place,
Jacques Guibé, capitaine de la Cordelière, son porte-en-
seigne Guillaume Cadoré, et d'autres capitaines de vais-
seau, Jean Ghapperon, le marquis de Bade, le duc d'Al-
bany, un cordelier, frère Bernardin, qui portait cuirasse
sous le froc et, la rapière au côté, la demi-pique au poing,
bénissait les Croisés, conduisaient valeureusement l'assaut.
L'enseigne de la Cordelière, trouée comme une loque, fut-
un moment en danger : bref, le tir des Turcs eut une der-
LA FRANCE EN ORIElNT. ^3
nière fois raison de notre fougue, en mettant hors de
combat la plus grande partie de nos gens, au moment où
les Vénitiens plantaient Fétendard de Saint-Marc sur une
des tours et le Génois Fieschi sa bannière sur un second
bastion (1).
La plupart des soldats étaient blessés ou malades, les
munitions s'épuisaient, les vivres tiraient à leur fin : l'es-
cadre des chevaliers de Rhodes, à laquelle Ravenstein avait
donné rendez-vous devant Mételin, n'apparaissait pas. Ra-
venstein se décida à lever le siège et, dans la nuit du 29 oc*
tobre, il rembarqua son artillerie.
Le lendemain, comme la flotte allait appareiller, les
galères vénitiennes envoyées en reconnaissance du côté
des Dardanelles rapportèrent qu'il n'y avait à craindre
aucune attaque à revers des Turcs. Et les Vénitiens insis-
tèrent pour qu'on continuât le blocus de Mételin, où déjà
la famine se faisait sentir. Un nouveau débarquement fut
donc résolu. Mais six à sept cents janissaires, faciles à
reconnaître à leurs blancs turbans, parvinrent à franchir
après une furieuse mêlée le cordon d'investissement. On
ne barra la route qu'à une partie d'entre eux : et c'était un
curieux spectacle de voir le brave Jacques Guibé, lancé à
leur poursuite, ayant de l'eau jusqu'aux aisselles, asséner
de grands coups de hallebarde dans l'eau, car il avait la
vue courte et croyait frapper l'ennemi.
Il y eut encore de hardis coups de main des nôtres,
mais cela ne nous avançait pas. Les vivres manquaient.
Frère Bernardin, qui avait toujours le harnois sur le dos,
comme un soldat, alla enlever, sous les murailles mêmes de
Mételin, un grip turc chargé de figues et de raisins : ce
n'était guère pour ravitailler l'armée. Aussi un suprême
assaut fut-il décidé. Il échoua encore. Par malheur, on
(1) Lettre de Chio, 20 et 22 novembre (Sanuxo, t. IV, col. 207).
64 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
n'avait pas de nouvelles de la flotte de Rhodes, forte de
vingt-quatre vaisseaux et de quatre mille quatre cents
hommes de troupes de débarquement, qui devaient nous
aider : la retraite fut de nouveau résolue, irrévocablement
cette fois, afin d'éviter l'attaque à revers d'Hersek-Ahmed
pacha et de Sinan, beglierbeg d'Anatolie, qui accouraient
enfin de Constantinople (1).
Ravenstein et Pesaro se séparèrent. Lun prit la route
de France, l'autre se retira du côté de la Grèce.
Durant la relâche à Chio, le Grand Porcon mourut de ses
blessures. Il fut enterré dans l'église des Cordeliers, à côté
du célèbre argentier de Charles VII, Jacques Cœur, mort en
exil au cours d'une Croisade qu'il dirigeait contre les Turcs.
Le 25 novembre, jour de Sainte-Catherine, le vaisseau
amiral la Lomellina était par le travers de l'île de Cytlière,
l'actuel Cérigo. Et l'imagination de ces hommes d'armes
familiarisés avec les souvenirs de l'Antiquité évoquait déjà
de riantes images, quand la tempête éclata avec violence.
Ravenstein fit jeter toutes ses ancres; en un instant, les
filins se rompirent, les mâts craquèrent et s'abattirent avec
fracas, et le bâtiment, rasé comme un ponton, alla à la
dérive. Personne n'essayait plus de lutter contre l'oura-
gan : les hommes, fatigués et désespérés, attendaient,
inertes sur leurs lits de camp, la délivrance ou la mort.
A deux heures du matin, un craquement épouvantable
retentit à l'avant; le château de proue s'écroulait dans la
mer. La Lomellina venait de toucher sur les écueils de
Cythère. Ravenstein et les gentilshommes, logés comme il
était d'usage à l'arrière et aux étages supérieurs, parvin-
rent à s'accrocher à un rocher qu'ils apercevaient au clair
de la lune. Des six cents hommes qui étaient à bord, il s'en
sauva ainsi deux cents; les autres périrent.
1) De Hammeh, Histoire de l'empire ottoman, t. I, p. 382.
LA FRAINCE EN ORIENT. 55
Les naufragés, parmi lesquels on comptait le capitaine
général de la flotte, l'infant de Foix, le duc d'Albany,
Mouy, Vivonne et d'autres gentilshommes de grandes mai-
sons, s'étaient sauves en chemise, par une nuit glaciale
d'hiver. « Ils passèrent illec, dit le chroniqueur Jean d'i\.u-
ton, toutes les heures de cette froide nuitée, sans avoir sur
eux autre couverture que le manteau des obscures nues. "
Cythère ne méritait en rien le renom d'hospitalité exces-
sive que l'Antiquité lui avait donné. « Durs, rudes,
agrestes et malsains, » selon l'expression de notre chro-
niqueur, ses insulaires se montrèrent inhumains pour les
naufragés, qu'ils laissèrent « abandonnés à tous les heurts
de perverse fortune » .
A l'aube, un grand vaisseau parut en vue, luttant contre
(i les cinglots des ondes enflées de la mer " . C'était la
Pensée, qui arrivait avec sept cents hommes à bord, parmi
lesquels de nombreux chevaliers flamands. Elle approchait
de la côte : elle n'était plus qu'à un jet de pierre de l'en-
droit où le vaisseau amiral avait sombré. Tout à coup, au
moment où le soleil jetait ses premiers rayons comme pour
éclairer ce sinistre spectacle, la Pensée, soulevée par
d'énormes vagues, retomba éventrée contre un écueil et
coula immédiatement sous les yeux terrifiés des naufragés
de la Lomellina . On ne put lui porter aucun secours : elle
périt corps et biens; il n'échappa que deux hommes, que
les vagues rejetèrent évanouis sur la plage.
Pendant vingt et un jours, Ravenstein et les siens errè-
rent dans l'île de Cythère, sans vêtements et sans vivres,
mendiant de porte en porte, mais impitoyablement re-
poussés de Cérigo et des autres villes. Plusieurs d'entre
eux moururent de froid et de faim, Aimon de Vivonne
pour n'en citer qu'un. Enfin une galère vénitienne vint à
toucher par hasard à Cythère. Le patron, messer Paolo
Galbo , homme compatissant autant que brave — il en
56 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
avait donné des preuves à la bataille navale de 1499, —
débarqua cent soldats et obligea les insulaires à héberger
les malheureux naufragés. Puis il alla prévenir à Milo la
division génoise, qui dépécha trois galères au secours du
capitaine général et des siens. Le reste de la traversée n'eut
heureusement pas de ces tragiques péripéties.
III
SIÈGE DU PORT SANTA-MAURA
Contre le départ de la flotte française, dont ils se faisaient
une excuse pour pallier leur échec, les Vénitiens ne taris-
saient pas en imprécations. Louis Xll ne les calma qu'en
envoyant Prégent de Bidoux, avec quatre galères et deux
brigantins, relever l'honneur du drapeau. Dans le golfe de
Salonique, au mont Athos, le long des côtes de Nègrepont,
notre pavillon flotta fièrement auprès de l'étendard de
Saint-Marc. Et malgré la faiblesse de ses effectifs — à
peine le douzième de la flotte coalisée de Venise et du
Saint-Siège, — Prégent de Bidoux prit une part prépondé-
rante à l'événement saillant de la campagne de 1502. En
août, le fort de Santa-Maura, dans l'ilc Leucade, repaire
de pirates turcs et poste avancé dans l'Adriatique, qui
commandait 1 entrée du golfe d'Arta, était brusquement
investi par la flotte chrétienne (l).
L'escadre pontificale de Giacopo Pesaro, en s engageant
dans le canal qui sépare l'ile du continent, et l'escadre
franco-vénitienne de Benedetto Pesaro et de Bidoux, venue
(1) Saxcto, t IV, col. 307, 314, 318. — Jean d'Auton, t. II, p. 201.
— De Hajimer, Histoire de l'empire ottoman, t. I, p. 382. — Lettre de
Giacopo Pesaro. De 1 ile Santa Maura, sur la capitanc du pape, 15 sep-
tembre 1502 (A. GrcLlELMOTTi, La guerra dei pirati e la marina pontiji-
cia, t. I, p. 43).
La France en orient. 57
par la haute mer, avaient exécuté contre la place un vaste
mouvement convergent. Douze bâtiments des pirates
avaient été surpris et capturés par la division pontificale,
dont la mission était également d'intercepter les secours
venus du continent. Quatre de ses galères sur douze tinrent
en échec par leurs salves les troupes des sandjakbegs de
Janina, Argiro-Castro et Lépante, tandis que les autres
débarquaient un millier d'hommes au sud de la place. Les
Franco-Vénitiens, en même temps, prononçaient leur
attaque par le nord avec de grosses pièces de siège. Malgré
la force de leur position, malgré les cinq énormes tours
qui flanquaient l'enceinte du château, les janissaires et
les asapes de la garnison, soit cinq cents soldats, sans
compter les pirates, furent promptement réduits à la der-
nière extrémité. Et le 30 août, au lever du soleil, ils ne
purent résister aux colonnes d'assaut. Les asapes se firent
tous tuer; les janissaires demandèrent grâce, et les pirates
furent pendus aux créneaux.
l*ostés à une portée de canon de la place, les renforts
venus d'Epire allaient nous surprendre durant le sac de la
ville, et les vainqueurs, de 1 aveu du général vénitien, cou-
raient un grand danger, quand Prégent de Bidoux, « le
magnifique capitaine " , seul de tous les commandants, eut
assez d'autorité pour rallier ses hommes et les maintenir
en bataille sur les remparts. Et la République prouva
quelle estime elle avait pour lui en lui offrant le comman-
dement de vingt galères avec une grosse pension. La
réponse de Prégent fut aussi belle que l'étaient ses exploits :
(i Je suis au roi de France, dit-il; et jamais, tant qu'il aura
mes services à gré, autre maître n'aura ma foi. » Le sur-
lendemain de la victoire, il partait, à l'annonce que la
guerre était engagée avec l'Espagne, afin de rallier le dra-
peau.
Ce fut la dernière fois que les Vénitiens combattirent à
58 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
nos côtés contre l'Islam. Le souci de leurs intérêts, qui
les avait rapprochés de nous, opéra chez eux une évolution
contraire. Menacés de ruine depuis que le voyage de Gania
aux Indes déplaçait Taxe commercial du monde, ils lièrent
partie avec le sultan, lésé lui aussi par les navigations por-
tugaises, qui dérivaient hors de ses Etats le transit des
épices. Depuis longtemps, on envisageait à Venise une
solution de nature à satisfaire la République comme la
Porte : un émissaire secret, Teldi, reçut mission, en 1504,
de l'exposer au sultan, quand la République, effrayée sans
doute d'être à la merci des Turcs, révoqua ses instructions.
Cette solution n'était autre que le percement de l'isthme
de Suez (1).
Or, de l'isthme de Suez et des pays limitrophes, nous
songeâmes à nous emparer, sous le couvert d'une Croisade.
Par des démarches répétées près du roi et du légat, notre
consul d'Alexandrie essayait de provoquer l'envoi d'une
expédition en Svrie (2) : et il fut écouté. Un gentilhomme
français qui avait voyagé en Turquie et visité le Saint-
Sépulcre, Charles de Tocque de La Motte, fut dépéché
vers le roi d'Ecosse, afin d'obtenir son concours. Jacques IV
entra si bien dans nos vues qu'il offrit de participer lui-
même à l'expédition comme lieutenant du roi de France (3).
Voici ce qui avait motivé l'émotion de notre consul
d'Alexandrie, comme aussi de notre consul de Terre-Sainte,
(1) ManfroxI, Storîa délia marina italiana dalla caduta di Costantîno-
poli alla hattarjlia di Lepanto^ p. 144.
(2) Dès 1501, Ferdinand le Catholique avait envoyé en Egypte l'iiuma-
niste Pierre Martyr, afin d'observer l'état des choses en Orient et de négo-
cier un accord avec le sultan menacé par les Turcs (MAniKJOL, Pierre Mar-
tyr d'Aiighcra. Paris, 1888, in-8°, p. 48).
(3) Instructions originales, signées de Jacques IV, à " Robert Cokbournc,
postule de Rossetausmonier de nosti'e très chier frère et cousin » Louis XII.
Edimbourg, 15 octobre (B. N., Franc. 2933, fol. 237). — C'est en 1508
que Robert Cockburn postula l'évêché de Ross, vacant depuis l'année pré-
cédente.
LA FRANCE EN ORIENT. 59
Philippe de Parées : irrité du désastre que les chevaliers
de Rhodes avaient fait subir à sa flotte dans le port de
Jaffa le 21 août 1510, le Soudan Kansou Al-Gouri avait
incarcéré tous les marchands chrétiens d'Egypte et de
Svric et mandé de démolir le Saint-Sépulcre. Mais l'éner-
gique attitude de notre consul, Philippe de Parées, amena
Al-Gouri à résipiscence : religieux et marchands furent
relâchés, le gouvernement du Saint-Sépulcre donné au roi
de France, et au lieu d'une flotte de guerre, ce fut une
pacifique ambassade que Louis XII envoya en Egypte
l'an 1511 (1). Elle était conduite par le frère même du
consul, Pierre de Parées ou de Pcretz, capitaine de la nef
aniirale de La Trémoille, Catherine. Aux diplomates, André
Le Roy, Gaspard d'Estaing, François de Bonjean, s'étaient
joints des pèlerins, des marchands, en tout, avec l'équi-
page, deux cent cinquante personnes. Et l'on se fera une
idée de l'intérêt alors porté aux affaires d'Orient, par ce
fait qu'un des voyageurs, frère Jean Thenaud, avait ordre
de pousser jusqu'en Perse, jusqu'aux Indes. Il tenait sa
mission de François d'Angouléme, l'héritier présomptif du
trône f2') .
(1) Jean Le Maire de Belges, Le tr aidé de la différence des schismes et
des conciles de l'Eqlise... et le sauf conduit que le souldan baille aux Fian-
çoys pour fréquenter en la terre saincte. Paris, 1548, in-'*"; publié à la
suite de ses Illustrations de Gaulle, cahier eee ini.
f2) Le voyage d'Outremer de Jean Thenaud, gardien du couvent des
Cordeliers d'Angouléme, publié par Ch. Schefer. Paris, Leroux, J88V,
in-S", p. LxvHi, LXix, 6, 20.
EXPEDITIONS D'ITALIE
I
CAMPAGNE DE NAPLES
A leurs compétitions pour la couronne de Naples,
Louis XII et Ferdinand le Catholique avaient cru mettre
un terme par un partage secret, dont le roi Frédéric faisait
les frais. L'un prenait l'Abruzze et le Labour, avec le titre
de roi de Naples et de Jérusalem ; Ferdinand le Catholique
se contentait du sud de la péninsule (1). La victime ne
s'avisa de son malheur qu'à l'arrivée des troupes d'occupa-
tion françaises et espagnoles : Béraud Stuart d'Aubigny
avançait à marches forcées par le nord, tandis que Gonzalo
de Cordova débarquait à Messine (2). En vain, le roi Fré-
déric, affolé, ht-il prêter serment de fidélité à ses sujets :
le 4 août 1501, Naples ouvrait ses portes aux troupes fran-
çaises : la veille, Frédéric s était retiré avec sept galères à
Ischia, tandis que la reine Jeanne emmenait le reste de la
flotte à Palerme (3) .
(1) Traité secret de Grenade, 11 novembre 1500.
(2) Le 18 juillet 1501 avec une soixantaine de bâtiments et quatre mille
liommes de troupes (Cesareo Ferkandez DuRO, Armada espafiola, t. I, p. 32,
note 1).
(3) NoTAR GiAcOMO, Cvonica di Napoli ( — 1511), p. 242.
EXPÉDITIONS D'ITALIE. 61
Les Napolitains, fort heureusement pour eux, avaient
stipulé dans l'acte de reddition de leur ville que les per-
sonnes comme les biens seraient respectés. Quelques jours
plus tard, ce n'eût plus été possible. Le 6 août, la première
escadre de l'amiral des royaumes de Naples et Jérusalem,
en route pour le Levant, alignait dans le port huit galères
et six vaisseaux génois; cinq jours après, elle était rejointe
par l'escadre de Bretagne, formée de quatorze gros bâti-
ments. Les troupes de débarquement, parties avec l'espoir
de mettre à sac la capitale, ne pouvaient se résigner à
observer les termes de la capitulation conclue avec Stuart
d'Aubigny. Il fallut, pour les contenir, que d'Aubigny les
menaçât de mettre ses soldats en bataille et de restituer
aux Napolitains leurs bastions (1). L'amiral Ravenstcin,
d'autre part, était furieux de l'armistice de six mois con-
senti par son collègue au roi Frédéric. Le roi de Naples
eût ainsi trouvé le temps de se fortifier dans l'île d'Ischia
et de correspondre avec les places de son parti (2). Pour y
parer, on décida que Frédéric irait immédiatement s'en-
tendre avec Louis XII; et le 6 septembre, escorté de huit
navires rapides, il quittait Ischia à destination de Mar-
seille (3). Ravenstein avait déjà repris la route de Mételin.
Ce fut au retour seulement de l'expédition contre les Turcs
qu'il fut possible d'organiser, sous le commandement du
capitaine général Louis de Bigars de la Londe (4) et des
lieutenants généraux Antoine de Marlay et Antoine de Con-
flans (5), une escadre (6) en état de se mesurer avec la flotte
(1) NOTAR GlACOMO, p. 243.
(2) Instruction de Louis XII à ses lieutenants à Naples. 8 août 1501
(A. M. DE BoisLiSLE, Histoire de la maison de JSicolaj. Nogent-le-Rotrou,
1875, in-4°, t. I, p. 40).
(3) Avec six galères et deux fustes (Notar Giacomo, p. 242).
(4) Nommé le 2 avril 1502.
(5) Nommés les 22 mai et 4 juin 1502 (B. N., Clairambault 825, fol. 114).
(6) 6 carraques génoises, 7 navires, 3 fustes, 5 barques, 1 galiote, 6 bri-
62 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
espagnole. Les dix navires de l'avant-garde, battant pavil-
lon français et napolitain, entrèrent dans le port de Naples
le 4 août 1502 (l). Ils venaient de Marseille, précédant de
beaucoup le gros de la flotte qui s'équipait à Gènes.
L'accord avait cessé de régner entre les co-partageants
du royaume de Naples, dès qu'il s'était agi de délimiter
leurs territoires respectifs en Capitanate. Nommé vice-roi
de Naples, Louis d'Armagnac, duc de Nemours, venait de
lancer deux colonnes d'invasion dans les provinces espa-
gnoles, en Galabre et en Fouille. Bigars devait appuyer la
seconde armée, en combinant ses efforts avec ceux de
Jacques de Ghabannes contre Barletta. Il quitta Naples le
23 septembre 1502, enleva près d'Ischia cinq bâtiments
espagnols chargés d'artillerie et de munitions, mais ne put
franchir le phare de Messine : Bernard de Villamarin et
Juan de Lezcano lui barraient la route avec des forces
supérieures. De Gênes lui furent expédiés, comme ren-
forts, la Charente, la Cordelière, la Louise, le Clermont, avec
l'ordre exprès de se porter en toute hâte au secours de
Prégent (2). a Vieux brave adventurier " ou, comme nous
disons aujourd'hui, soldat de fortune, Bigars n'était guère
préparé par le commandement de deux mille fantassins
normands à livrer une bataille navale (3). Gêné par l'insu-
bordination des capitaines des cinq galères napolitaines, il
laissa écraser son camarade.
Depuis son haut fait à Santa Maura, Prégent de Bidoux
était resté dans l'Adriatique, comptant trouver asile à Brin-
disi, Otrante ou Monopoli, dont les Vénitiens, ses obligés,
gantins, tl galères (Extrait du compte d'André Le Roy, trésorier au royaume
de Naples : B. N., Franc. 17329, fol. 183).
(1) NoïAR GiACOMO, p. 246 : il y avait 5 galères et 5 voiliers.
(2) Jean d'Auton, t. III, p. 62.
(3) Cf. la notice consacrée par R. de Maulde La Cl-WIÈre à Bigars dans
son édition des Chroniques de Louis XII, par Jean d'Alton, t. I, p. 59,
note 3.
EXPEDITIONS D'ITALIE. 6S
étaient détenteurs. Détournant des Infidèles ses coups,
il tombait sur les convois espagnols des Fouilles, coulait
une nef, en prenait deux autres et ne relâchait à Otrante,
le 10 février 1503, que pour radouber une de ses galères et
panser une blessure. Six jours après, il était cerné par
quatre galères et plusieurs bâtiments légers. « Suis-je en
sûreté dans votre port? demanda Prégent au gouverneur
Fantino Malipiero. — En aussi bonne sûreté qu'à Mar-
seille : si les Espagnols embouquent le port, je les coule à
fond. Il Nonobstant, Lezcano avançait toujours. <i Laissez-
moi me défendre, " répétait Prégent au gouverneur, qui
lui interdit, sous peine de mort, de tirer. Sur ce, les Espa-
gnols forcèrent la passe, en dépit de la chaîne qui la bar-
rait. Prégent, débarquant précipitamment son artillerie,
coula lui-même ses galères, plutôt que d'amener son pavil-
lon : puis il se retira dans la place française de Lecce.
Savez-vous comme les Vénitiens, après avoir si mal défendu
les franchises de leurs eaux territoriales, montrèrent leur
reconnaissance au héros de Santa-Maura? Malipiero s'ap-
propria la vaisselle d'argent dont on usait, de la poupe à
la proue, sur la capitane française!
Nos désastres se succédèrent avec une rapidité fou-
droyante. Jacques de Chabannes, plus connu sous le nom
de La Palisse, se laissait enlever par Gonzalo de Cordova.
Son successeur à la tête de l'armée de Pouille, le vice-roi
en personne, était écrasé et tué à Cérignoles le 28 avril.
La semaine précédente, l'armée de Calabre avait éprouvé
une semblable débâcle à Seminara; son général, Béraud
Stuart d'Aubigny, capitulait à la Rocca d'Angitola. Nos
troupes n'avaient plus de chefs, et le vainqueur précipitait
sa marche vers la capitale. Le 16 mai, il faisait son entrée
à Naples, au mépris des garnisons françaises du Castel
Nuovo et du château de l'OEuf.
L'avant-veille, les cinq galères et les onze vaisseaux de
64 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
garde, et parmi eux les splendides nefs royales Charente et
Cordelière, avaient pris le large (1), afin de conserver toute
liberté d'allures. Les galères parvinrent, dans la nuit du
21 mai, à capturer deux vaisseaux près du Carminé et à
donner, en guise de renforts à nos deux petites garnisons,
des Turcs capturés jadis par Prégent de Bidoux (2). Quel-
ques jours plus tard (3), la coopération de la flotte avec la
défense du Gastel Nuovo devenait impossible : vingt-sept
bâtiments de guerre espagnols s'embossaient dans le port.
L'un des chefs de notre escadre, Antoine de Conflans, était
allé en hâte aviser Louis XII de l'extrême gravité de la
situation.
Sans perdre un instant, le nouveau vice-roi de Naples,
François de Saluées, partit à la tète de ses quatorze galères
marseillaises et de huit carraques et galéasses, dont Pré-
gent de Bidoux venait de prendre à Gènes le commande-
ment (4). Le 17 juin, il bousculait dans le golfe de Naples
la flotte de Villamarin, délivrait à bord de ses prises cent
cinquante soldats de Stuart d'Aubigny et refoulait sur
Ischia les trente-six bâtiments espagnols. Hélas! il n'était
plus temps de sauver le Castel Nuovo. Le jour même où
ses défenseurs avaient vu poindre à l'horizon la flotte de
secours, le 14 juin (5), les remparts, minés par Navarro,
s'étaient écroulés, et les cinq cents hommes de Guérin de
Talleyrand avaient été impuissants à repousser l'assaut.
Quant au commandant de notre dernière redoute à
Naples, qu'on avait soupçonné d'entretenir des intelli-
(1) NOTAR GlACOMO, p. 253.
(2) Clirouica auoninia (1495-i519), dans Pei.liccia, Raccolta ili varie
cronichc... di ISapoH, t. I, p. 278. — Jean d'Alton, t. III, p. 181.
(3) 26 mai (NoTAR Gi.\como, p. 254).
(4) Compte de Rousselet (B. N., Franc. 17329, fol. 183). — Piuffi, His-
toire de Marseille, t. II, p. 347.
(5) Chronica rt)?o;n»irt, dans Pellioia, t. I, p. 278. — Giticiiardix, liv. VI.
— ZcniTiVj Anales de la corona d'Aragon, liv. VI, cap. 34.
EXPEDITIONS D'ITALIE.
gences avec l'ennemi, il avait vivement répliqué à Prégent
de Bidoux : « Qui entrera dans le château de TOEuf, me
passera sur le ventre. " Et de fait, le capitaine Raymonet
Pons mourut sur la brèche le 11 juillet, au moment où les
Espagnols pénétraient dans le château de l'OEuf.
Pero Navarro, dont les terribles explosions de mines
avaient eu raison de notre résistance, faillit faire coup
double. Une heure après la reddition de la place, apparurent
dans les ténèbres un grand vaisseau, deux galères et un bri-
gantin : c'était une division française qui amenait de Gaète
des renforts. Navarro espéra lui donner le change en con-
trefaisant notre signal d'accoster. Mais nos marins se tinrent
prudemment sur leurs gardes et, la situation reconnue par
leur brigantin, se retirèrent vers le Pausilippe (1).
Pendant ce temps, se livrait, à Ischia, un duel émouvant
c^-/
ISCHIA, d'après V Itinéraire de Jérôme Maurand (1544).
dont l'issue pouvait être la ruine de la domination ennemie.
Bigars, Saluées et Bidoux tenaient leurs adversaires acculés
dans le port d'Ischia (2). Villamarin avait rangé ses trente-
six bâtiments derrière deux chaînes qui barraientle chenal ;
(i) NOTAR GlACOMO, p. 258.
(2) Lettre de François de Saluées. Devant Ischia, 18 juin (B. N., Dupuy
261, fol. 119 : DE BoisLiSLK, Histoirede la maison de Nicolay,t. I, p. 66).
66 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
et contre le tir plongeant de la Charente et de la Lomellina
que montait Bidoux, Tartillerie de quatre grosses nefs joi-
gnait ses feux à ceux du chàteau-fort bâti sur un ilôt
rocheux à peu de distance de la plage. Villamarin avait un
adversaire digne de lui. Prégent avait concerté avec son
chef un plan d'attaque qui consistait à lancer au milieu de
la flotte espagnole trois brûlots. Toutefois, l'idée d'une
pareille destruction le navrait. Hâtez donc le départ des
quatre mille Gascons qui doivent s'embarquer en Langue-
doc, écrivait-il; une semaine après leur arrivée, la flotte
ennemie sera nôtre (1). Il avait lâché la proie pourrombrc...
Nos dernières forces navales se hâtaient vers Ischia : six
navires marseillais ralliaient â Fréjus, le 18 juillet, pareil
nombre de bâtiments, emportant les deu.x mille hommes
de Nicolas Grimaldi, seigneur d'Antibes, de Pierre de
Glandèves et d'Ange de Buon. Le lendemain, l'escadre
d'Aigues-Mortes, dont trois carraques formaient le novau,
prenait également la route de 1 est (2), avec les Gascons de
Casenove, tant demandés par Bidoux, leur compatriote.
Pierre de Velort, sieur de la Ghapelle-Belouin, était à la
tète des Languedociens (3); le lieutenant général Antoine
de Marlay commandait 1 escadre provençale (4).
Tous arrivèrent trop lard. Le IG juillet, Bigars, Saluées
et Bidoux, perdant avec le château de l'OEuf tout point
d'appui, avaient levé le blocus d'Ischia et s étaient repli('s
sur Gaète (5), où les débris du corps expéditionnaire, deux
(1) Lettre de Bidoux. A hord de l<i Lomelliiie, devant Ischia, 21 juin
(de Boislislk, t. I, p. 68).
(2) Histoire journalière d Honoré dk Valdelle, en provençal, B. A.,
Frani;. 5072, fol. 8. — Rl'ffi. Ilist. île Marseille, t. Il, p. 347. — CI., sur
les capitaines, B. N., Franc. 5093. fol. 106 et 245.
(3) Jean d'Auton, t. III, p. 185, 193.
(4) Qui comprenait en tout 13 navires, 3 fustes, 2 caravelles, 4 briyan-
tins, 3 galions (Compte de Rousseiet, B. N , Franc. 17329, fol. 183).
(5) NoTAR GiACOMO, p. 259. — Chronica anonima (1495-1519), dans
Pellicia, t. I, p. 279.
EXPEDITIONS D'ITALIE. 67
mille trois cents hommes, avaient trouvé refuge. Villama-
rin par mer, Gonzalo de Cordova par terre nous suivaient
<le près. Le grand capitaine, comme on appelait le vice-roi
espagnol, s'aperçut vite (l) que ses forces navales n'étaient
pas en état de bloquer le port (2); il obtint comme renfort
six galères catalanes de Ramon de Cardona (3).
Aux divisions navales de Villamarin, de Lezcano et de
Cardona, les chefs d'escadre Bigars de la Londe et Pierre
de Yelort, mouillés à deux milles au large, furent chargés
de tenir tête. Une réserve de cinq galères et huit carraques,
entre autres la Charente, la Cordelière et le Lion, restait
embossée dans le port de Gaète sous les ordres de Prégent
de Bidoux. Croisant les feux de trente pièces de canon avec
le tir des batteries du Monte-Orlando, elle enfilait les tran-
chées espagnoles établies au pied de la colline. Et quand
Gonzalo de Cordova, après neuf jours d'un bombardement
sans trêve ni répit, crut pouvoir lancer ses troupes à l'as-
saut par une brèche énorme, notre batterie navale et celles
du Monte-Orlando, foudrovant les colonnes ennemies, cou-
chèrent bas dix-sept cents hommes.
La famine, il est vrai, pouvait avoir raison du courage
des assiégés. Averti de cette conjoncture, Louis XII dépê-
cha vers Gaète le lieutenant général Antoine de Conflans
avec neuf bâtiments armés à Savone et à Gênes. Conflans,
au sortir de Port'Ercole, au début d'août, tombait au
milieu de quinze vaisseaux de guerre ennemis. C'était
l'escadre de Villamarin. Loin de se dérober devant des
forces aussi supérieures, Conflans ordonna le branle-bas
(1) LeUre du 8 août 1503 (F. Duro, Armada espanola, t. I, p. 40).
(2) 24 voiliers et 12 galères, selon Notar Giacomo : 12 grosses barges
comuiandées par Lezcano, 13 galères, commandées par Villamarin, 1 car-
raque, 3 nefs et des bâtiments légers. La flotte française aurait compté
5 carraques, 5 galères, 8 grosses barges, 4 galions, etc. (Zurita, Anales
(l'Aïaqon, t. V, fol. 274 v").
(3) F. DcBo, t. I, p. 40.
'68 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
de combat, n'oubliant point de garnir sa hune de nom-
breux projectiles. En un instant, sa galère fut enveloppée
Après un court duel d'artillerie, les Espagnols bondirent à
l'abordage. Ils furent reçus à coups de hallebarde. Une
seconde attaque réussit : déjà, plus de soixante des leurs
sautaient des agrès sur le pont en criant : « Victoria ! Vic-
toria! " quand nos gens, " durs comme lions, à coups dé-
sespérés de glaives, de caillons et de barres de fer » , les
jetèrent par-dessus bord. Et Conflans, réussissant à se
dégager, amenait à Gaète quinze cents défenseurs (I).
Bien mieux, nous reprenions l'offensive. Une armée
nouvelle (2) descendait du Dauphiné vers Naples, sous le
commandement de Louis de La Trémoille, amiral de Bre-
tagne et de Guyenne. Pour préparer les voies, Prégent de
Bidoux quittait Gaète (3) à la léte de vingt-six voiles (4);
et, le 19 octobre 1503, sa flotte entrait dans le golfe de
Naples : un moment, par un violent sirocco, la Lomellina
et unegaléasse se trouvèrent en perdition à l'îlot de INisida,
près de Pouzzoles. A la tête de cinq mille Napolitains, le
grand dépensier du royaume allait s'en emparer quand
elles se renflouèrent par leurs propres moyens : leurs équi-
pages s'emparèrent de la tour de Baia. Devant la menace
d'une attaque contre la capitale, la flotte espagnole s'était
repliée sur le golfe de Naples.
Cependant l'armée française, renforcée de la garnison
de Gaète, se trouvait arrêtée au passage du Garigliano par
Gonzalo de Gordova. C'est sur les bords de ce fleuve que se
joua la suprême partie. Prégent de Bidoux était revenu
(1) Jean D'AuTO^, t. III, p. 194-. — Saxuto, t. V, col. 62. — Villari,
t. II, p. 94. Conflans avait six carraques et quatre galères, selon une lettre
du 4 août, publiée par Sanuto, neuf bâtiments, selon Jean d'Auton.
(2) 10000 hommes de pied et 1200 hommes d'armes, selon Jean
d'Auton.
(3) Le 13 octobre 1503, Prégent écrivait de Gaète, le 28 du port de Haia
(Sanuto, t. V, col. 402).
(4) 15 voiliers, 6 galères, 1 ]>riganlin, etc. (Notar Giacomo, p. 264).
EXPÉDITIONS DITALIE. 69
seconder les troupes de terre. A proximité des retranche-
ments espagnols, sous la tour du Garigliano, il ne craignit
point de jeter un pont de bateaux, qu'un bataillon français
traversa aussitôt. Et renouvelant son exploit de Gaète,
Prégent, embossé à l'embouchure du fleuve, appuya l'at-
taque par un terrible feu d'enfilade, « que c'était horreur
à regarder v . Malheureusement, le grand capitaine parvint
à nous arrêter pendant des semaines et des mois. Notre
armée, harassée, dut battre en retraite sur Gaète, le 27 dé-
cembre. Prégent essaya de sauver les pièces de siège. Mais
la tempête coula, au sortir du Garigliano, dix des barques
(jui les contenaient; près de trois cents hommes périrent
en même temps, entre autres Pierre de Médicis (1). A
grand peine, Prégent lui-même parvint à soutenir sa barque
sur l'eau et à regagner son escadre. Notre dernier effort
pour reconquérir le royaume de Naples avait échoué. Le
1" janvier 1504, Gaète se rendait à Gonzalo de Cordova.
Et les débris de l'armée française prirent tristement la
route de Gènes à bord des vaisseaux de Prégent de Bidoux
et de Pierre de Velort. Louis XII en fut si marri qu'il ne
voulut voir ni ouïr les survivants et les interna dans le
duché de Milan. Plusieurs chefs, le vice-roi Louis de
Saluées, Pierre de Velort (2) en moururent de chagrin.
Les marins furent congédiés; seules, la Charente et neuf
galères (3), aux ordres de Bigars de La Londe, restèrent
quelque temps en croisière sur les côtes de Toscane et dans
la rivière de Gênes (4), pour s'opposer à toute tentative
d attaque ennemie ou de révolution populaire.
Louis XII avait lieu d'être découragé : il avait tout fait,
(1) Lettre de Gonzalo de Cordova. Monte-Oilando de Gaète, l" jan-
vier 1504 (Samjxo, t. V, col. 711).
(2) Jean d'Auto>, t. III, p. 306.
(3) Lettre de Philippe de Clèves, sieur de Ravenstein, au roi. Gènes,
25 janvier (B. N., Dupuy 262, fol. 79).
(4) Compte de Rousselct (B. N., Franc. 17329, fol. 183 v").
70 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
tout tenté pour dégager, par de multiples contre-attaques^
son corps expéditionnaire. Jamais nous n'avions eu tant
d'escadres en mer. En dehors des trois divisions envoyées
au secours de Naples et de Gaète, deux autres opéraient
des diversions dans les golfes de Gascogne et de Lion. Une
escadre bretonne de dix-sept navires, dont le novau était
constitué par la " bande " de croiseurs du capitaine Portz-
moguer (1), protégeait les convois du Ponant contre l'essor
des corsaires basques et l'entrée en ligne éventuelle des
Anglais, vivement sollicitée par Ferdinand le Catholique (:2j .
Simultanément, le 17 septembre 1503, une escadre mar-
seillaise de quinze bâtiments de guerre (3) et douze noies
légères (4) prenait la route de Collioure, afin de retenir de
ce côté les renforts espagnols destinés à Naples. Coordon-
nant ses mouvements avec ceux du maréchal de Rieux,
elle était venue s'embosser au grau de Leucate, sur le
flanc gauche de notre armée, qui assiégeait la place forte
de Salses. René, bâtard de Savoie, la commandait; en
dépit de son titre d'amiral de Provence, il n'entendait rien
à la marine; il eut la candeur de l'avouer à ses officiers,
en leur demandant conseil, quand il apprit que les troupes
de siège, après trente-six jours de tranchées ouvertes,
étaient forcées de se retirer devant l'armée du ixn Ferdi-
nand le Catholique. Plusieurs parlèrent de lever l'ancre
(t) Portznioguer avait cinq bâtiments et cinq cents hommes; outre les nefs
armées par chacun des ports de Saint-.VIalo, Tréguier, Quimper-Corentin.
Vannes et du Croisic, il y avait les grandes nefs de Bouvardière et Guil-
laume Finamour, de Guémadeuc et de .lehan Frôlai, fe Sénéchal et le
Chapon. On comptait 1890 hommes d'équipage. Vannes, 17 août iôO^i
(A. DE La BonDKiiiK, Hervé Portzmoquer, documents inédits (1503-1510),
extrait du Bulletin de la Société archéolo(jiqiie du Finistère (1885), p. 7j.
(2) II avait chargé son ambassadeur à Londres de demander le concours
des Anglais (^Calendar of state papers, Spaiti, t. I, p. 290).
(3) La carraque génoise Giustiniana, 3 galères, 5 galions, 1 fuste, 5 bri-
gantins (Valbelle, B. N., Franc. 5072, fol. 9 v").
(4) Jean d'Autos (t. III, p. 211) compte une galère et un galion do plus
que Valbelle : il donne, en outre, le nom de tous les patrons.
EXPEDITIONS D'ITALIE. 71
immédiatement. Mais le lieutenant général de l'escadre,
Guyon Mordret de Tours, capitaine de la Réale, déclara
énergiquement que le devoir de tous était de protéger la
retraite de l'armée, en empêchant les Espagnols de passer
le long du grau. Son avis lemporta. Aux premières lueurs
de l'aube, les ennemis, dévalant par milliers de la mon-
tagne vers la plage, furent balayés par le feu de cent vingt
pièces de marine. L'armée était sauvée. Mais quand la
flotte reprit le large, une violente tempête la malmena
fort, jetant trois galions en perdition sur les côtes de Cata-
logne, quatre autres sur la plage de Sérignan, où le bâtard
de Savoie atterrit en naufragé (1) ; trois galères se réfu-
gièrent à Agde, la Réale à Aigues-Mortes. La diversion
tentée en Jioussillon avait complètement échoué; les opéra-
tions furent suspendues pour cinq mois par l'armistice du
L"> novembre L503, qui laissa aux Espagnols le moyen de
concentrer toutes leurs forces contre nos dernières posi-
tions dans le royaume de Naples.
II
RÉVOLTE DE GÈNES
Si Louis XII avait, après son échec à Xaples, laissé des
croiseurs dans la Rivière de Gènes, c'était à bon escient.
Pour vassalle qu'elle fût de la France, Gènes avait con-
servé ses allures de libre république et ne craignait point
d'avoir, en dehors de tout contrôle roval, sa politique per-
sonnelle. Elle était intervenue dans les affaires de Pise;
elle voulut chasser de son voisinage les Grimaldi et donna
(1) lluFri, Histoire de Marseille, t. Il, p. 348. — Deu.\ galions et une
galère firent naufrage en Catalogne, selon le eouipte du trésorier Rousselet
^B. N., Franc. 17329, fol. 183 v»).
72 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
au capitaine général Tarlatino di Città di Castello, des
troupes et dix vaisseaux, avec un ingénieur et un parc de
siège, pour opérer, en novembre 1500, contre ^Icnton,
Roquebrune et Monaco (l). Or, c'était si peu dans les
idées royales que Louis XII venait de créer chambellan
Luciano Grimaldi (2) et d'affecter au port monégasque,
après la dislocation de l'expédition de Naples, deux de ses
galères (3) .
Sur ces entrefaites, une collision entre la noblesse et la
bourgeoisie, a le peuple gras " de Gènes, dégénéra en
guerre civile, malgré les tentatives de conciliation de
Louis XII. La noblesse avait fait appel à son souverain; le
peuple, s insurgeant contre la France aux cris de "Popolo!
Popolo ! " nomma pour doge le teinturier Paolo di Novl et,
le 12 mars 1507, emporta le château que défendait une
faible garnison française. Roquebertin, le lieutenant gou-
verneur, fut expulsé.
Réfugié dans le Castelleto avec deux cent cinquante
hommes, Galéas de Salazar repoussait assaut sur assaut.
Sa position devenait pourtant critique, quand une escadre
de huit galères, surgie brusquement le 13 avril, ouvrit un
feu violent sur les troupes des rebelles et fouilla le port de
Gènes, dont elle fit trois fois le tour sans cesser de tirer.
Puis elle s embossa à trois milles au large, hors de portée
des batteries du môle, mais en travers de la route que
devaient suivre et les canaques de Tarlatino di Città di
Castello, rappelé de Monaco, et les renforts promis par le
pape. Le hardi capitaine qui avait rendu l'espoir aux
assiégés, en montrant nos couleurs, était le lieutenant
général des galères Prégent de Bidoux (4). Il était allé de
(1) On trouvera tous les détails du siège de Monaco dans G. Saige, Doc.
historicjues relatifs «... Monaco, t. II, p. 59-84.
(2) Saige, p. 85, note 1.
(3) Spont, Les galères royales, p. 407.
(4) Suivant lettres patentes du 7 octobre 1506. Le capitaine général était,
EXPÉDITIONS D'ITALIE. 73
Favant, sans attendre les douze voiliers de sa flotte (l) et
les quatre galères napolitaines de Miguel Pastor (2) .
» Est cestuy Prégent, — écrivait un témoin de son haut
fait (3), — homme de si noble vertuz, de si hauit couraige,
de sens si singuUier, de bonté si plain, d'honneur si grant,
d intégrité si louable, de foy si certaine, de hardiesse si
impareille, que en chacune de ses vertuz peult estre dict
acomply et parfaict. »
De fait, son initiative avait sauvé la situation. Il avait
donné le temps à Tarmée royale de battre les rebelles dans
la montagne, et, le !28 avril, Louis XII en personne faisait
son entrée dans la ville aux salves répétées de la Hotte et
de la garnison du CastcUeto. Sa victoire atteignait par
contre-coup le pape Jules II, dont la connivence avec les
rebelles était trop patente pour ne pas causer au complice
les plus grandes craintes pour lui-même. Gomme il publiait
partout que Texpédition française était dirigée contre le
Saint-Siège, il fallut dépêcher, le 5 mai, la division napo-
litaine et deux de nos galères, afin de le rassurer. Bidoux,
de son côté, allait sans bruit, avec quatre autres galères et
les troupes de rAllemand Suffray, appréhender les meneurs
fugitifs. L'un, Demetrio Giustiniani, fut arrêté dans son
château par des soldats déguisés en paysans : le 13 mai,
sa tête roulait à Gênes sur une machine encore peu connue
et qvii devait avoir, plusievirs siècles après, une sinistre
renommée : la guillotine (4). Le 5 juin, le doge Paolo di
depuis le iO juin 1506, François de Salures (B. N., Clairanibault 825,
fol. 114).
(1) Selon les comptes de P. Roollet, sa flotte comprenait 7 galères,
4 galions et 8 autres navires (B. N., Franc. 17329, fol. 184).
(2) Jean d'Auton, t. IV, p. 164. — jNotar Giacomo, p. 298.
(3) " Cronicquex de Genuea, faictes et composéez en françoispar Alexandre
Saui.vaige [ou Salvago], de nacion gennevoise, à la rcqueste du sire de
Chanipdenier, pour lors gouverneur du dit Gennes, » publiées par G. Dj .si-
Mosi, dans les Atli délia Societâ li(^iire di storia patiia, t. XIII, p. 475.
(4) Cf. la description de la guillotine dans Jean d'Auton, t. IV, p. 280.
li HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Novi lui succédait sur Téchafaud. Il s'était caché en
Corse. Mais, trahi par un patron génois, il était tombé
dans une embuscade où les marins de Bidoux étaient
apostés.
Il n'y eut du reste pas plus de deux exécutions à Gênes.
Du Père du peuple, on ne pouvait attendre que la guillo-
tine inaugurerait le régime de la terreur. Pour comprimer
les énergies latentes de la révolte, particulièrement redou-
tables au moment où le besoin d'une base d'opérations
navales serait le plus pressant, Louis XII se contenta
d imposer aux Génois l'entretien de forces de terre et
de mer : trois galères bien armées et un château fort
construit à leurs frais les tiendraient constamment « en
bride" .
Sur le promontoire rocheux que domine le grand phare-
de Gènes, existait déjà une tour surmontée d'une lanterne,
dont la lumière servait « d'adresse », comme l'on disait,
aux vaisseaux qui venaient d'occident. C'est là que le
grand maître de 1 artillerie française, Paul de Benserade,
construisit une forteresse de soixante pas de diamètre,
flanquée de tours, que la mer enveloppa de tous côtés.
Par une large tranchée dans le roc, au-dessous de l'abbaye
de Saint-Bénigne, des urompeurs de pierre " avaient coupé
le promontoire et transformé en un îlot imprenable la
Mauvoisine de Gode/a, c'est-à-dire de la pointe du phare :
ainsi était désigné le chàteau-fort dans le style imagé de la
langue populaii-e. Ses feux battaient l'entrée du port vers
San Pier d'Arena. De la croupe d'une montagne, le Cas-
teletto dominait la ville. Louis XII crut 1 esprit de révolte
à jamais dompté (l)...
La guillotine se trouve figurée dans une miniature du xv'' siècle (B. N.,
latin 9473, fol. 13 y").
(1) Cf., sur la construction de /a Mnuvoixine, le nis. de la B. N., Nouv.
acq. franc. 159.
EXPEDITIONS D ITALIE. 7J
L'explosion n'en fut ensuite que plus violente. Mais
pour rinstant, tout était à la paix. A Savone, Louis XII et
le roi Ferdinand d'Aragon, venu de Gaète, eurent 1 en-
trevue la plus amicale et Bidoux fraternisa avec notre
vieil ennemi Villamarin (l). A cette sérénité de la poli-
tique, il n'y avait qu'un nuage. Affolé de la descente de
Louis XII en Italie, le pape avait mandé l'empereur à son
secours.
III
COMPLICATION INATTENDUE. — UN CORSAIRE TROP
CHEV.iLERESQUE.
Le cœur chez nous l'a toujours emporté sur la tète; et
comme il a ses liaisons que la raison ne connaît pas, il
nous a valu plus d'un mécompte. C'est ainsi que l'acte
chevaleresque de deux particuliers, en 1507, déchaîna
contre nous la guerre. Tandis que Louis XII châtiait les
Génois, les Flamands tombaient sur son allié, Charles
d'Egmont, duc de Gueldre (2). Émus de l'infortune du
Il pauvre prince » , deux gentilshommes de la compagnie
d'Aymar de Prie épousèrent sa cause et le lui mandèrent
par un de leurs frères d'armes, le Chevalier- Vert. Le duc
de Gueldre les agréa pour ses chevaliers. Mais u lettres
d'aveu » et messager furent interceptés en route. Nos
preux n'en tinrent compte (;i).
(1) Joan d'Atton.
(2) Dès juin 1506, l'amiral Philippe de Bourgogne, gouverneur de
(lueldre, investissait la ville de Wagheninghe, qui était le réduit du duc
(chartes de Gueldre. Le gouverneur de Brabant assemblait de son côté des
troupes pour barrer la route à tout secours qui viendrait de France. La
guerre augmenta d'acuité en 1507 (Gachard, Collection des l'ujaqes des
souvetaias des Pays-Bas. Bruxelles, 1876, in-4'\ t. I, p. 443).
(3) Jean u' Autos, t. IV, p. 388.
76 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Ce ne fut rien moins que cinq cents hommes de guerre,
nobles volontaires, soldats et marins, que mobilisèrent
Jean Ghapperon, seigneur de Oueue-de-Yache en Aunis,
et Antoine d'Auton, gentilhomme saintongeais. Avec une
nef de quatre cents tonneaux et une barque de soixante,
ils ne craignaient point de se mesurer avec l'adversaire du
duc de Gueldre, qui n'était autre que Philippe de Bour-
gogne, amiral de Flandre.
Leurs armements étaient en contravention formelle avec
les ordonnances d amirauté, que Louis de La Trémoille
avait pris soin de codifier et qui réservaient à Famiral le
droit de délivrer des congés de navigation et de munir
d'artillerie et de sa propre bannière tout navire en
bataille (1). Ces ordonnances de mer, dont nos argonautes
faisaient fi, ils entendaient en imposer le respect à autrui.
Deux bâtiments britanniques rexpérimentèrent à leurs
dépens, pour avoir voulu passer au-dessus du vent, sans
« faire révérence » . Un coup de canon et, la nuit, une
visite domiciliaire leur apprirent le savoir-vivre. Cette
visite indue eut lieu, à vrai dire, à 1 insu des capitaines,
par des damoiseaux » nouvelliers » en fait de marine,
auxquels des malelols, " après bien dringuer, » n'avaient
pas eu de peine à persuader que les Anglais étaient des
corsaires déguisés.
N'ayant presque point d'artillerie, " prêtez-nous la vôtre
ou vendez-la à crédit, " dirent nos corsaires au capitaine
d'une nef espagnole qui passait près du Chef-de-Bois.
Comme il ne voulait rien entendre, on lui donna la chasse
jusqu'à l'île d'Yen. Enveloppé et canonné pendant une
grosse heure, 1 Espagnol força de voilure, « la misaine
(i) « Ordonnances d'admiralité : extraict des registres de l'admiralité de
France à la Table de marbre du Pallaiz à Paris, » délivré par le greffier
d'amirauté Perron à la requête de l'amiral Louis de La TremoilIe. 24 dé-
cembre 1502 (B. N., Franc. 11969, fol. 187).
EXPÉDITIONS D'ITALIE. 77
SOUS l'estouin, qui est une voile, tenant à l'un des bouts
de l'entenne, pendant sur le bord du navire, mise là pour
faire hâtive fuite ou vite chasse (1). n Et de fait, la nef
nous échappa.
Pareils débuts étaient pleins de promesses en fait de
complications internationales. Ce fut bien pis, lorsque
nos corsaires impromptu se trouvèrent en présence de
bâtiments flamands. Ils eu capturèrent cinq au raz de
Saint-Mahé, et, gardant en otages les principaux officiers
ou marchands, ils renvoyèrent les équipages, avec ordre
de payer rançon au duc de Gueldre. Sur la côte anglaise,
vers la mi-août 1507, un corsaire d'Arnemuyden offrit le
combat. De force égale à la nef de Chapperon, il soutint
une lutte acharnée depuis " vêpres jusques au lendemain
midi " . Un à un, on avait vu jeter de son bord quatorze
cadavres; sa résistance fléchissait, lorsqu'une de ses pièces,
pointée à couler bas, le derrière levé, envoya un énorme
boulet dans l'étrave de Chapperon. C'en fut assez pour
nous faire lâcher prise.
Les tribulations commençaient pour nos preux. On les
traitait en pirates. Le vice-amiral de Normandie leur
interdit de stationner eu rade de Villerville, même pour
se radouber. L'amiral de PMandre, Philippe de Bourgogne,
auquel les victimes de l'affaire de Saint-Mahé étaient
venues exposer leurs doléances, cria que nous violions la
neutralité, qu'il savait nos sympathies pour le duc de
Gueldre; bref, comme réponse à l'agression de Chappe-
ron, il mit en mer six vaisseaux de guerre (2) .
Cette mobilisation donna si fort à réfléchir à nos impru-
dents, qu'ils résolurent d'aller chercher aventure au delà
du détroit de Gibraltar, n Un jour, au matin, sur l'éclaircie
(1) La définition de Jean d Auton s'applique exactement à la bonnette en
étui.
(2) Août 1507 (Gachard, t. I, p. 478).
18 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
du soleil levant, avisèrent deux gros navires flamands
équipés en manière de guerre. " Entre les éclaireurs des
deux escadrilles, le Jaulain de Flandre et la barque d'An-
toine d'Auton, un violent combat commença : Auton, qui
menait 1 attaque à l'abordage, armé de toutes pièces, la
pique au poing, eut le garde-bras emporté, et son maître
d'équipage la tète. Mais battu à ovitrance, le Jaulain eût
succombé sans l'arrivée opportune de sa conserve, l'Anne,
que Ghapperon, survenant de même, étreignit à son tour.
Il força l'entrée de l'Anne, passa quarante hommes au til
de l'épée et expédia le reste, une trentaine de marins et
trois femmes, sur un bâtiment portugais qui passait. Le
Jaulain avait fui. La prise avait une cargaison d'anneaux
de cuivre, de couteaux et de miroirs, destinés à faire la
joie des nègres d'Afrique.
L'odyssée touchait à sa fin. Il avait été décidé en conseil
qu'on hivernerait à Monaco, en pays neutre. Mais une nuit,
à l'insu des capitaines, les maîtres d'équipage de la prise
et de la barque virèrent de bord vers la France. A peine
l'Anne avait-elle jeté l'ancre à Soubise en Charente, qu'un
incendie la détruisait avec les tapisseries, draps et métaux
provenant du butin : trois prisonniers flamands s'étaient
échappés du bord, en y laissant quelque « trainée ou
amorce " . Antoine d'Anton n'était pas plus tôt de retour
en son manoir que vingt-quatre archers de la garde
venaient pour se saisir de sa personne : le malheureux
s'enfuit sous un déguisement et dans un tel état d'inquié-
tude qu'il ne dormit plus deux nuits de suite sous le
même toit.
A Marseille, Ghapperon n'avait point osé aborder sans
un sauf-conduit du parlement de Provence. Arrêté nonobs-
tant, il ne s'évada des prisons d'Aix qu'avec la connivence
du <i chartrier » , ainsi appelait-on le geôlier, qui se laissa
« adoucir i> . De retour à son bord après trois semaines de
EXPEDITIONS D'ITALIE. 79
détention, il se garda de toucher terre en France, tant que
la colère royale ne fut pas apaisée (1).
C'est que sa conduite inconsidérée nous mettait en
fâcheuse posture. Non seulement elle nous aliénait la gou-
vernante des Pays-Bas, Marguerite d'Autriche; mais encore
elle donnait au père de Marguerite, à l'empereur Maximi-
lien, l'occasion d'intervenir. « Incontinent nostre grande
armée assemblée, écrivait l'empereur, nous donrons tant
affayre et suffryr aux Françoes qu'il serunt contraint âv
abandonner lesdits Geldroes (2). »
C'est encore en Italie que devait se dérouler la guerre. A
l'appel du pape, l'empereur, en février 1508, descendait les
monts du Tyrol. Mais les Vénitiens lui refusèrent le passage
et, un moment nos alliés, lui firent subir défaite sur
défaite. Trieste, Fiume, Goritz et Gradisca tombèrent suc-
cessivement entre leurs mains (3).
Sur mer, la guerre franco-impériale n'eut point de réper-
cussion, sauf qu'elle provoqua une réfection complète de
notre flotte. Qu'il y a loin de simples radoubs (4) ou de
l'achat de quelques grands vaisseaux, comme la Charente (5i
ou la Mermande (6), à la mesure d'ordre général prise par
Louis XII! Dans l'intérêt de " la chose publicque, " le roi
(1) De l'odyssée de Chapperon et d'Antoine d'Auton, le chroniqueur Jean
d'Auton a tracé le plus pittoresque des récits.
(2) Lettre de Maximilien 1" à Marguerite d'Autriche. 17 octobre i507
(Le Glay, Correspondance de l'empereur Maximilien I" et de Marguerite
d'Autriche, sa fille, gouvernante des Pays-Bas, de 1507 à 1519. Paris,
1839, in-S", t. I, p. 15, dans les publications de la Société de l'Histoire de
France. — Ph. Van des Berghk, Correspondance de Marguerite d'Autriche
sur les affaires des Pays-Bas, de 1506 à 1528. 1845-1847, 2 vol. in-8").
(3) Just. GoBi>ER, Chronica der Kriegshandel des Kaisers Maxiniilian I
gegen die Venediger und die Franzosen 1508 gefi'thret. Francfurt, 1566,
in-fol.
(4) De la carraque d'Anne de Bretagne à Brest, pourvue de cinq nouveaux
mâts. 20 juin 1507 [Revue des sociétés savantes (1875, 2° semestre),
p. 426).
(5) 20 avril 1506 (B. IN'., Pièces orig. 2386, doss. Primaudaye, p. 12).
(6) B. N., Franc. 5093, fol. 163.
80 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
imposait à chacun de ses amiraux, à chaque province
maritime et à « aucunes bonnes villes et citez " de son
royaume, la construction d'un vaisseau de guerre (l). Il y
contribuait au besoin : c'est ainsi que La Trémoille, amiral
de Guyenne et de Bretagne, fut autorisé à prendre dans
les forêts domaniales les matériaux a d'une nef grande
et avantageuse " à équiper pour le service du roi (2).
Charles d'Amboise, promu amiral de France (3), après
entente avec Malet de Graville, son beau-père, se pourvut
d'une nef (4), an même titre que son collègue.
Le Languedoc, la Provence furent taxés à deux grosses
galères par province (5), et Gènes à quatre carraques,
équipées uniformément de cent vingt hommes (6). Les
bonnes villes du Ponant, à l'exemple des ports de Bre-
tagne (7), mirent en chantier de gros vaisseaux, qui ren-
forcèrent la division des carraques construites pour la
reine Anne el qu'on appelait les Nefs de Brest, de Morlaix,
de Bordeaux et de La Rochelle (8). Il y eut la Nef de
Dieppe (9), la Nef de Rouen (10), la Nef d'Orléans (11), le
(i) Ordonnance datée de Blois, 29 novembre 1507 (B. N., Franc. 5093,
fol. 277. — Spont, p. 411, note 3).
(2) B. N., Franc. 5093, fol. 45.
(3) 24 septembre 1507 (Archives nat., X'^ 4850, fol. 117, 120 v"j. — Il
exerça l'office d'amiral du 31 janvier 1508 au 10 novembre 1510.
(4) Montée de cent matelots (B. N., Franc. 742, fol. 16).
(5) B. N., Franc. 23268, fol. 28-36.
(6) Spo^T, p. 412.
(7) Cf. plus haut, à la date de 1496 (p. 32).
(8) La Nef de Brest, achevée le 22 décembre 1499 (Archives de la Loire-
Inférieure, E 203) ; la Grant Nef de Morlaix, dite la Maréchale ou la Cor-
delière, achevée le 30 juin 1498 {Ibidem, E 208); la Nef de La Rochelle, que
la reine Ht achever en octobre 1500 à Tonnay-Chareute [Ibidem, E 19).
(9) Ou la Dieppoixc, de 336 tonneaux.
(lOj Ou la Rouen, de 700 tonneaux. Quittance de son capitaine, Louis de
Bigars. 27 mars 1513 (Catalogue de la Bibliothèque de feu M. Charles
Lormier, de Rouen. Paris, Charavay, 1902, in-8", n" 1338).
(J 1) Ou la Françoise d'Ch-le'ans, de 453 tonneaux. Quittance de Louis de
Bigars, qui la commanda avant de recevoir le commandement de la Nef de
Rouen. 15 septembre 1512 (B. N., Franc. 26113. pièce 1121).
EXPEDHIOiNS DITALIE, 81
Saint-Sauveur de La Rochelle (1), d'un tonnage propor-
tionné à la richesse des différentes municipalités. Si, dans
la flotte des bonnes villes, la capitale n'eut point son
pavillon, c'est que son bâtiment aurait été trop mesquin.
Le roi avait demandé un vaisseau de 400 tonnes, et Paris
n'accorda de fonds que pour une nef de capacité moitié
moindre (2), à peine aussi grande que le navire auquel était
t;ixé un petit port comme Harfleur (3).
Une fois organisée, cette imposante marine de guerre
eut à agir contre un tout autre adversaire que l'empereur
et la gouvernante des Pays-Bas. La conférence internatio-
nale de Cambrai, le 10 décembre 1508, régla les litiges du
gouvernement belge avec la France et le duc Charles de
Gueldre (4j, en même temps qu'elle concertait l'abaisse-
ment de la puissance vénitienne.
IV
GUERRE CONTRE VENISE
Depuis l'affaire d'Otrante, Louis XII avait gardé une
sourde irritation contre la République de Venise. ^ Il ne
vous suffisait donc pas d avoir perdu mes galères, disait-il
à l'ambassadeur Dandolo, il fallait encore que vous con-
fisquiez mon artillerie. Est-ce là cette alliance tant vantée"?
N'en parlons plus, pe?' mio honor, et que l'on n'en parle
plus autour de moi (5). u
(1) Achevé en 1509 (Amos Bardot, Histoire de La Rochelle, t. I, p. 475).
(2) Sainte-Foix, Essai sur Paris, t. IV, p. 30, 202.
(3) 26 mars 1508 (E. de FrÉville, Mémoire sur le commerce de Rouen,
t. II, p. 414).
(4) Cf. la notice consacrée à Marguerite d'Autriche par Le Glay, Corres-
pondance de l'empereur Maximilien I"..., t. II, p. 434.
(5) Plaintes de Louis XII à l'ambassadeur de Venise, Dandolo. Lvou,
29 no>embre 1503 (Spost, p. 40(5).
82 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
On n'en parlait plus, mais on y songeait toujours, et la
moindre déconfiture des Vénitiens était, plusieurs années
plus tard, célébrée avec une joie féroce : <i Le capitaine
Prégent se rit de vostre meschief (la défaite d'Agnadel),
leur disait-on, en récompense du tour que vous luv fistes
quant il fut constrainct d affondrer ses galères (1). »
Tel était l'esprit qui dicta, contre Venise, la ligue de
Cambrai (2) : le roi de France, le pape, le roi d'Aragon, le
duc de Ferrare, s'unissaient pour combattre 1 orgueilleuse
république.
Le 7 juin I5{)î). notre première division navale. — buit
voiliers marseillais de Stuart dAlbanv, — s'ébranlait :
elle était suivie, à trois jours de distance, des huit {jalères
et brigantins de Bidoux (3). Jonction faite avec les contin-
gents espagnols de Sicile (4) et quatre galères pontificales,
notre flotte devait se diriger vers la belle colonie vénitienne
de Chypre. Mais la mésintelligence entre des alliés aussi
peu faits pour s'entendre empêcha do mener à bonne fin
l'entreprise. L'abandon spontané des dernières places que
les Vénitiens possédaient en Fouille comme garantie de
leurs prêts aux rois de Naples, l'évacuation de Trani, Mo-
nopoli, Brindisi, Otrantc et Gallipoli désarnui les Espa-
gnols. Notre flotte, trop faible désormais, fit retour en Pro-
vence, laissant deux hardis condottieri. Frères Bernardin
de Baux et Bérenger de Lionse, s aventurer jusqu'à Chypre
avec le Saint-Pierre et le Saint-François : si la destruction,
aux Salines de l'ile, de deux bâtiments sema partout la
(1) Ijvon, 12 août 1509 (Jean Le Maire de Hklges, ll/uslrallmis de
Gaule Belgique. Paris, 1512, in-fol.).
(2) 10 décembre 1508.
(3) Valrelle, B. N., Franc 5072, fol. 16 v" : Albany avait 4 carra-
ques, 3 barques et une fuste, Bidoux 4 galères. 2 jjalèrcs liâtardes et 2 bri-
gantins.
(4) 12 galères de laniiral de ISaples Bernard de Viilamarin et 10 vais-
seaux de l>iinas de Requcsens (F . Drno. Ai-mada espann/a, t. I, p. 92).
EXPEDITIONS D'ITALIE. 83
terreur (1), en fait d'opérations navales, ce fut tout.
La brillante victoire que Louis XII avait remportée le
14 mai, près d'Agnadel, n'avait point eu, sur mer, son pen-
dant.
Et pourtant, la flotte vénitienne éprouva, de notre fait,
un de ses plus sanglants revers. Elle s'était engagée dans le
P6, afin de seconder les opérations des troupes de la Répu-
blique contre le duc de Ferrare, Alphonse d'Esté, notre
allié. Le capitaine général Angelo Trevisano n'était plus
qu'à onze milles de Ferrare. A l'îlot de la Polesella,il avait
jeté un pont de bateaux, muni de redoutes, par lequel
allait déboucher 1 armée. Ferrare était en grand danger.
Ce fut un cardinal qui la sauva. Trevisano se laissa leurrer
par une furieuse attaque des troupes franco-pontificales et
ducales contre la tête de pont : il n'aperçut point les bat-
teries qui s'élevaient sourdement dans la nuit aux bords
du fleuve et que le cardinal Hippolylc d Este dissimulait
derrière des troncs d arbres. Et le lendemain, 22 décembre
1509, par un sombre jour d'hiver, Trevisano était éveillé
par un fracas épouvantable. Sous une grêle de boulets qui
s'abattait sur elle, sa capitane s'effondrait; quinze galères
sur dix-huit, trois vaisseaux sur six sombraient ou pre-
naient feu, le pont de bateaux disloqué partait à la dérive.
Il y avait deux mille morts, trois mille prisoniiiers. Une
heure de bombardement avait décidé de la guerre. Et il se
trouvait parmi les vainqueurs un grand poète pour chanter
la victoire (2j .
(1) Novembre 1509 (Sanuto, t. IX, col. 110. — Spoxï, p. 413).
(2) Lodovico Ariosto, Orlaucio ftuioso, XL, 2. — Coelius Calcagnincs,
Commentai-, de Venetae classis expuqnatione .^d^sWca, 1544, in-fol.,p. 484.
— A. GuGUELMOïïi, La (jnerra dei pirati, p. 75.
84 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
V
GUERRE CONTRE VENISE ET LE SAINT-SIÈGE
Par une de ces volte-face habituelles au pavs de Mn-
chiavel, le pape Jules II nous abandonna après la victoire
pour se joindre aux vaincus (1). Dans le moment même où
il implorait, les larmes aux yeux, le concours de nos armes
contre les pirates barbaresques f!2), son escadre, jointe à
une Hutte vénitienne, se glissait le lonjj de la Kivièrc pour
surprendre Gênes.
Prévenu à temps par notre ambassadeur à Rome, le gou-
verneur de Gènes rappela en toute hâte Prégent de Bidoux
qui avait donné dans le piège et quitté le port ligure avec
toute son escadre, pour courir sus à des Barbaresques
signalés près du Monte-Argentaro (3). Fort heureusement,
la dépêche de Rochechouart le toucha en Provence comme
il embarquait sur six galères et huit brigantins quatre cents
hommes de troupes. Et gouverneur et amiral, en neuf
jours, passèrent une rapide inspection de toute la Rivière
depuis Vintimille. ATexception de quelques meneurs, la po-
pulation leur parut calme et attachée à la France (4).
Ce fut à bord de la flotte de Bidoux qu'une révolte éclata,
le 16 juin, dans la gargate de Marseille (5). La chiourme
(1) La ligue du pape avec Venise est du 20 février 1510.
(2) Mai 1510 (B N., Dupuy, vol. 261, fol. 42 v").
(3) Lettre de Prégent de Hidoux. 17 mai (B. 'S., Dupuy, vol. 262,
fol. 137).
(4) Lettre de François Rochechouart, sieur de Champdenicrs, gouver-
neur de Gênes, à Alberto Pio, comte de Carpi, ambassadeur à Rome. Gênes,
à Alberto Pio, comte de Carpi, ambassadeur àRomc. Gènes, 14 juin (R. dk
Maulde La Clavière, La diplomatie au temps de Machiavel. Paris, 1892,
in-8», t. II, p. 462).
(5) Archives des Bouches-du-Rhône, B 1232. — Rui-ff, Histoire de Mar-
seille, t. II, p. 348. — Spont, p. 415.
X^,;>^<,i- S^C'
LA FLOTTli FRANÇAISE A GÈNES (1510)
(B N., Franc. iO.360, fol. 35 ; manuscrit t-vécutt; cette année-là pour le jjouverneur de Gènes. j
EXPEDITIONS D'ITALIE. 85
de l Anguille^ envoyée aux vivres, sauta sur le comité et les
soldats de garde et massacra soixante-dix hommes. Avec
quarante Marseillais seulement et un petit brigantin, Pré-
gent mit le cap sur V Anguille et la reprit à l'abordage. Trois
des mutins furent écartelés ou pendus pour l'exemple.
Au lieu de porter un coup droit contre Gènes, les capi-
taines généraux de la flotte alliée, Baldassare de Biassa et
Girolamo Contarini, dit Grillo, s'étaient attardés à Chia-
vari, Rapallo, Sestri. Ce fut dans la journée du 17 juillet
1510 seulement qu'ils s'avisèrent d'enlever Gènes par une
attaque nocturne. Confiants dans leurs forces navales
qu'avaient accrues sept cent douze hommes des troupes de
Marcantonio Colonna, ils ne redoutaient, à l'entrée du
port, que les feux du fort de la Lanterne. Ils comptaient
sans Prégent de Bidoux. Dans la matinée du surlendemain,
ils eurent connaissance de la flotte française, qui venait à
leur rencontre par le travers de Portofino.
Sur les conseils de Biassa, Contarini jeta l'ancre dans
une petite anse, qu'on appelait alors la fosse de Villama-
rino, à quelque distance à l'est de Gênes ; un bas-fond cou-
vrait leurs quatorze galères (1) contre le choc d'une flotte
venant du large. Prégent de Bidoux les délogea pourtant
de cette position formidable. Il avançait sur trois lignes de
cinq à six bâtiments chacune : des barques armées à l'avant
d'une pièce de trente, puis six galères, enfin les carraques
en remorque. Les barques, lancées en tirailleurs, ouvrirent
le feu par-dessus l'écueil; leur décharge faite, elles étaient
halées en arrière au moyen d'un long filin par les carra-
ques et, à l'abri, préparaient une nouvelle bordée. Conta-
rini et Biassa tentèrent contre ces moucherons, qui leur
(1) Selon la version de Francesco-Maria délia Rovere; 12 galères et deux
brigantins, suivant Girolamo Contarini, qui réduit à quinze bâtiments l'es-
cadre de Prégent, au lieu des dix-huit relevés par Francesco-Maria (Sancto,
t. XI, col. 13-14).
86 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
fracassaient apostis et palementes, une attaque de flanc.
Mais ils tombèrent alors sous le feu violent des carraques,
dont les longues coulevrines portaient plus loin que les
gros coursiers de leurs galères ; les boulets de cent livres
de nos doubles canons eurent vite fait de mettre en déroute
toute la flotte vénéto-pontificale. Prégent ne lâcha point
les vaincus ; il les pourchassa jusqu'à l'île d'Elbe, prenant
position à Porto-Ferraio tandis qu'ils s'arrêtaient à Porto-
Longone. Gontarini recula jusqu'à Civita-Vecchia, d'où il
alla quêter près du pape un réconfort, lui contant inter
pocula sa mésaventure (1).
Jules II, le pape-soldat, que l'échec n'avait point décou-
ragé, renforça l'escadre d'une galéasse pontificale, de trois
vaisseaux de Biscaie et de cinq galères vénitiennes; il la
bénit, après l'avoir passée en revue à Ostie, et l'envoya de
nouveau dans la Rivière, malgré les observations de Gon-
tarini. Il comptait que les Suisses, descendant de leurs mon-
tagnes vers Savone, prendraient Gênes entre deux feux (2).
De Porto-Venere, où il s'était mis en embuscade, Pré-
gent de Bidoux vit passer la flotte de Gontarini, en route
pour le nord. Il s'ébranla à sa suite et ne perdit plus le
contact. Selon le plan concerté avec le pape, Gontarini se
rendit aux abords de Savone, où il pensait avoir quelque
nouvelle des Suisses. Mais dès qu'il relâcha à Vado pour
faire de l'eau, Prégent l'attaqua et le mit en fuite, le 5 sep-
tembre.
Pour en finir, on résolut de masser sous les ordres de
Prégent tous les garde-côtes (3), les navires de garde que
(1) Francesco-Maria dei.la Rovere, Discorsi militari. Ferrara, 1583,
in-12, p. 30. — A. Gdglielmotti, t. I, p. 86. — Spont, p. 416. —
Sanuto, t. XI, col. 51.
(2) Bia{^io Bijonaccorsi, Diario de successi pin iinportanti segiiiti i)i
Italia et particolarmciite in Fiorcnza (1498-1512). Fiorenza, 1568, in-4°,
p. 148-149. GUGLIELMOTTI, Pliati, p. 92.
(3) Celte année-là, trente-neuf bâtiments furent armés en puerre : 6 galères.
EXPEDITIONS D'ITALIE. 87
François de Rochechouart conservait à Gênes, et les quatre
galères marseillaises de François Albertinelli (1), capitaine
garde de l'arsenal (2). La côte provençale, désormais
dégarnie de vaisseaux, fut bordée par les milices qui arri-
vaient en armes de la montagne et de la plaine, sur la
réquisition du gouverneur (3).
Rejeté vers AlPjenga, Gontarini était des plus perplexes.
Il avait appris par un prisonnier que l'arrivée des sept cents
hommes de Filippino Fieschi mettait la ville de Gènes à
labri d'un coup de main (4). D'aller ravager la Provence,
il ne pouvait être question. Le l)ruit courait à Albenga que
l'escadre française en prenait la route. En se repliant, eu
désespoir de cause, sur La Spezia, le provéditeur vénitien
se trouva nez à nez avec Prégent de Bidoux. La rencontre
eut lieu le 8 septembre, à douze milles de Gênes vers Gapo
di Monte. Gontarini lança à l'attaque son collègue Biassa
avec la galéasse pontificale, une autre galère bâtarde et les
galères Michiela, Morosina, Cornera et Ema^ bien montées
d'artillerie : à l'est, avec les dix autres galères en deux divi-
sions qui formaient le croissant, il attendait, pour nous
envelopper ou pour donner au contraire le signal de la
retraite, l'issue du duel d'artillerie.
Prégent opposa à la division Biassa Bernardin de Baux;
n'ayant pas encore été rejoint par la division Albertinelli,
lui-même se porta contre le provéditeur, les grands voiliers
à la remorque de ses six galères. Il avait l'avantage du
16 galions, 4 grosses barques et 13 navires (Compte de Moreict du Museau :
B. N., Franc. 17329, fol. 184 v°).
(1) En partance le 16 septemb'e 1510 (Archives des Bouches-du-Rliône,
B 2551, fol. 144).
(2) Ofticc qu'il résigna et dont fut pourvu, en sa place, Renaido Vento
le 23 janvier 1516 (Archives des Bouches-du-Bhône, B 26, fol. 97 v°).
(3) Archives des Bouches-du-Rhône, B2551, fol. 185.
(4) Lettre de Girolamo Gontarini. f^rès d'Albenga, 6 septembre (Sasuto,
Diaiii, t. XI, col. 427). — Lettre de Pier-Antonio Falier. Piombino.
13 septembre (Ibidem, col. 433).
88 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
nombre, vinj^i-sept bâtiments fl), mais non celui des évo-
hitions : il n'y avait pas « un poil de vent " . L'un était à la
discrétion de la brise, tandis que les autres, selon sa pitto-
resque expression, portaient " le vent en couverte. "
Il Et vous promectz ma foy, continuait Prégent, que
pour ce jour-la, ils ne monstrèrent point qu'ilz feussent
Vénisiens, car je promectz à Dieu que je ne viz jamais gens
venir en meilleur ordre, ne plus hardiment que firent
ceulx-là (2). 1) Mais sous le tir terrible des vaisseaux de
haut bord, particulièrement du galion et de la barge de
Bernardin de Baux, de la nef du grand maître et de celle
d'Yves d'Alègre, contre lesquelles les bâtardes concentraient
leurs feux, les galères ennemies n'osèrent en venir à l'abor-
dage, et après trois heures de combat, où il se tira cinq
cents coups de canon, elles battirent en retraite, la Cor-
nera et la Paiera avec des avaries. Après avoir enterré ses
morts au cap de Crau, Gontarini chercha à accoster à Porto-
Venere pour se rafraîchir; mais il fut repoussé par une
furieuse canonnade de quatre carraques qu'y avait déta-
chées Prégent (3). A Livourne, il fut accueilli pis qu'il ne
l'eût été en Turquie. Bref, mourant de soif et toujours pour-
suivis par Prégent qui captura quatre navires (4), les Véni-
tiens furent cha'ssés de la Rivière. Après une dernière et
infructueuse tentative sur Porto-Venere. ils s'en retour-
nèrent. La tempête fracassa deux de leurs galères sur les
côtes de Galabre et rasa les autres comme des pontons (5).
(i) 6 galères, 13 galions, 4 gros vaisseaux et des brigantins. Lettres du
provéditeur Contarini (Piombino, 13 septembre) et de Janus di Campo Fre-
goso (Piombino, 12 septembre) (Sanuto, t. XI, col. 428-432).
(2) Lettre de Prégent relatant la bataille. En galère, « Port-Vendres »
[Porto-Venere], le 17 septembre (Archives des Bouches-du-Rhone, B 2551,
fol. 139 : Spoxt, p. 418, note).
(3) Ibidem.
(4) Compte de Morelet du IMuscau (B. N., Franc. 17329, fol. 184 v").
(5) Gdichardin, liv. IX, chap. III — B N., Dupuy, vol. 262, fol. 21.
LA SAINTE-LIGUE
A Michel-Ange qui lui demandait comment il désirait
être représenté, Jules II avait répondu : » L'épée à la
main. " Il n'acceptait point l'échec que nous lui avions
fait subir : bientôt, par ses soins, une ligue qualifiée de
sainte unit, contre nous, pape, empereur, rois d'Espagne et
d'Angleterre, Vénitiens, Suisses, Florentins et Génois (I).
« Depuis que la France est France, écrivait un agent impé-
rial, quelque bonne mine qtie Messieurs les Français
tiennent de eulx bien deffendre, ils ne furent jamais si
étonnés qu'ils sont à présent, car ils doubtent merveil-
leusement de leur destruction complète (2). " Contre le
Milanais, les coalisés italiens vont concentrer leurs efforts,
Henri VIII débarquer à Calais , Ferdinand entrer en
Guyenne. La France semble condamnée; et partout, elle
sort victorieuse de l'épreuve, sans autre appui effectif que
l'Ecosse et la Gueldre, sans autre soutien moral que le
Danemark.
(1) La Sainte-Ligue est du V octobre 1511; HenVi VIII y entra le 13 no-
vembre.
(2) Ernest Lavisse, Histoire rie France, t. V, par M. H. Lemonmer,
p. 98.
90 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
I
LA DÉFENSE DES COTES DU PONANT
Dès 1 instanl que rAiigleterre et TEspagne entraient en
ligne, le théâtre de la guerre navale se déplaçait. C était
sur l'Océan qu'il était urgent et de » merveilleux proffit "
de se rendre " maistre de la mer (1). » Louis XII agit en
conséquence. En Bretagne, le grand maître et le capitaine
de Brest, Gilles de Tissue (2j , en Normandie, le vice-
amiral René de Glermont, en Guyenne, l'amiral Louis de
La Trémoille et le vice-amiral Regnault de Moussy eurent
ordre de tenir parés à tout événement les navires de
leurs circonscriptions et d'organiser la défense côtière (3).
Le commandement en chef des forces navales, que Louis
de la Trémoille revendiquait (4), fut dévolu au subor-
donné de l'amiral de France, René de Glermont (5).
Comme il importait de nous concerter avec notre allié,
Jacques IV d'Ecosse, et surtout de stipendier ses troupes,
on lui dépêcha une flottille de cinq bâtiments que les
Anglais coulèrent ou prirent au passage (6). Une petite
division écossaise, qvii ramenait en France notre ambassa-
(i) Lettre de l'amiral Louis de La Trémoille. Rouen, 10 juin 1512
(B. N., Franc. 3925, fol. 56 : A. Spont, The War with France (1512-
1514). London, 1897, in-8 , p. 21, publication of the Royal Navy records
Society.)
(2) B. N., Franc. 5501, fol. 106.
(3) 21 février et 9 mars 1512 (E. de FrÉville, Mémoire sur le commerce
de Rouen, t. II, p. 415. — Archives municipales de Bayonnc. Délibéra-
tions : registres gascons. Bayonnc, t. I (1896), p. 496).
(4) Lettre du 10 juin, citée.
(5) Suivant patentes du 2 juillet (B. N., Pièces Orig. 784, Glermont,
p. 49 : Spont, p. 29).
(6) Lettre de Pierre Martyr. Burgos, 20 mai (Martyr d'Anguiera, Episto-
lae, n° 486).
LA SAINTE-LIGLE. 91
(leur, Charles de Tocque de La Motte, eut le même sort :
un des bâtiments fut capturé, un autre parvint ù gagner la
Zélande, le troisième s'enfuit en Danemark avec l'ambas-
sadeur à bord (l.)
Entre les deux pays alliés, le contact fut rétabli à tra-
vers la mer d'Irlande par un Aaillant corsaire malouin,
Philippe Roussel. Sa Itarque, la Pounie, n'avait que cin-
quante tonnes; mais des formes rases et sveltes et un
accastillage intentionnellement surbaissé pour mieux tirer
à fleur d'eau, en faisaient un excellent navire de course.
Soit en Irlande, soit au large de Kirkudbright, elle n'en-
leva pas moins de douze bâtiments richement chargés, dont
la vente en Ecosse fit la fortune de l'équipage et permit au
capitaine d'habiller ses marins d'un coquet uniforme, un
peu voyant peut-être, des jaquettes rouges et bleues (2).
Dans la croyance que les escadres anglaises opéreraient
trois descentes, à Calais, à l'embouchure de la Seine et à
Fontarabie (3), la côte du nord-est était soigneusement
gardée; quatre grands vaisseaux faisaient le guet au large
de Honfleur (4) ; et un bateau blindé, acquis par Bavonnc,
servait de vigie à la frontière basque (5). La grande nef la
Coî^deliêre enfin, commandée par Portzmoguer, courait de
fructueuses bordées au large du cap Finistère, non loin
des ports de Guipuscoa, ovi une escadre achevait ses prépa-
titspour rejoindre les Anglais (6).
Le bruit courut à Marseille que les Anglais avaient noué
(t) Juillet [Letters and papers foreiqn and domestic of the reiçn of
Henry VIII, by J. S. Brewer. London, 1862 et suiv., in-8", t. I, n°' 3326,
3340, dans la Collection des Calondar of State papers).
(1) Record Oflicc, Chapter House book 83, p. 76 : Spont, p. 42, note 3,
et p. 198
(3) Lettre de La Trémoille du 10 juin, citée.
(4) British Muséum, Caligula El, fol 108 : Spoxt, p. xx, note.
(5) Archives de Bayonne, CC 340.
(6) Lettres datées de Londres, 14 juillet et 3 août (Sà>CTO, t. XIV,
col. 580, 596 : Spont, p. 38, 42).
92 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
des intelligences avec les consuls bordelais : quatre bâti-
ments étaient déjà arrivés à Bordeaux avec une cargaison
d'armes dissimulées sous du sel, quand une femme, par
basard, découvrit et révéla la supercherie: la rébellion fut
étouffée avant l'arrivée de la flotte britannique (1). Décon-
tenancés par les sévères mesures de défense que prit le duc
de Longueville, les Anglais renoncèrent à un coup de main
sur Bordeaux. Un de leurs espions les mieux informés opi-
nait pour un tout autre plan de campagne : une escadre
légère venant avec la haute mer à Honfleur, y brûlera une
centaine de bâtiments encore mal armés; sans s'attarder
dans la Haute-Normandie, trop fortement occupée par
François d'Angouléme. elle ralliera en mer le gros de la
flotte et pillera la Basse-Normandie. Une course rapide
vers La Rochelle la mettra vite en possession de ce port,
surtout si la chaîne n est pas tendue. La dernière étape
sera Fontarabie, d'où il est facile de ruiner le Labourd et
la Guyenne 2) .
Le 3 juin, l'amiral Ed\vard Howard quittait lîle de Wight
à la tête de vingt-deux vaisseaux de guerre et trois mille
deux cent quatre-vingt-cinq hommes (3).
Prenant une tout autre direction que l'itinéraire tracé
par l'espion, il mouillait dans la baie de Bertheaume; ses
colonnes pillèrent à leur aise Le Conquet, Crozon et les
villages jusqu'à Brest. De résistance, point. L'excommuni-
cation lancée par le pape Jules H contre Louis XII faisait
effet : les paysans bretons refusaient de marcher contre les
alliés du pape. " Ce n est pas de plein gré, c'est de force,
disaient-ils, que nous défendons le roi de France contre
Sa Sainteté." Ecœurés, des gentilshommes prièrent l'amiral
(1) Valbelle, B. n., Franc. 5072, fol. 27 bis.
(2) British Muséum, Caligula Ei, toi. 108 : Spont, p. xx, note.
(3) Rôle de la flotte anglaise d'Howard (Record ofHce, Chapter Honse
booli 83 : p. 3-13).
LA SAINTE-LIGUE. 93
Howard de surseoir à ses exécutions barbares : « Je suis
venu faire la guerre et non la paix, répondit l'amiral. Est-
ce à des gentilshommes de parler de paix au lieu de défendre
par les armes leurs foyers?» Et entre autres manoirs, il
incendia celui d'un capitaine qui allait bientôt se dresser
devant lui, je veux dire Hervé de Portzmoguer.
De retour à Southampton avec de nombreuses prises, il
intercepta les vaisseaux et munitions de guerre que le roi
de France envoyait à son allié, le duc de Gueldre (1), puis
vingt-six hourques bien armées qui allaient prendre une
cargaison de sel à la baie de Bourgneuf. Des Dunes,
Howard rebroussa chemin vers l'Océan (i), afin de faire sa
jonction avec l'escadre espagnole de Juan de Lezcano, qui
allait quitter le 15 août les ports du Guipuscoa, faisant
route vers la Manche («i). Mais auparavant, il se rencontra
avec la flotte française, qui achevait sa concentration à
Brest.
II
"LA CORDELIERE " ET " LE REGENT"
Dans la nuit du 9 au 10 août 1512, les postes d'observa-
tions échelonnés le long de la côte, de sept eu sept lieues,
de Dinan à Brest (4), signalèrent l'approche d'une grosse
flotte (5). a Prinsà despourveu, non sov donnant garde des
Anglois (6), 1) nos marins levèrent l'ancre avec une telle
(1) Sanlto, t. XV, col. 95 : Spost, p. 26, xvu-xix.
(2) Sanuto, t. XIV. col. 580 : Spoint, p. 37.
(3) Les 15 gros vaisseaux et 8 caravelles de Lezcano, avec 5.000 hommes,
arrivèrent à Southampton le S septembre (Sasuto, t. XV, col. 227 : Spont,
p. 41).
(4) Depuis le lOjuin (Dom Morice, Mémoires. . . île Brclacjue, t. III, 903).
\p) Sanutu, t. XV, col. 227.
(6) Alain Bouchart, Chroniqueur contemporain. Les Graiules cioniques
94 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
précipitation que Hervé de Portzmoguer, capitaine de la
Cordelière, n'eut même pas le temps de débarquer ses
invités (1), entre autres de nobles dames auxquelles les
hasards de la guerre réservaient une cruelle surprise (2).
On marchait à l'ennemi, afin de ne pas se laisser enfermer
dans la rade de Brest, où l'on pouvaitcraindrc une attaque
combinée des troupes de débarquement et de la flotte
anglaise (3).
Enfin, l'occasion s'offrait au capitaine l)reton de con-
fondre ses envieux. Ne l'avaicnt-ils point desservi auprès
de sa maîtresse au point qu'en 1506, lors du voyage d'Anne
de Bretagne à travers le duché, Portzmoguer n'avait pas
osé paraître devant elle. Tandis que la reine visitait Saint-
Pol de Léon, port d'attache habituel dvi capitaine, celui-ci
s était tenu en mer avec ses vaisseaux. Il avait fallu que la
reine prît l'initiative de le mander près d'elle, à Morlaix :
<Ie Bretalqne, éd. II. Le Meignen. !Xantcs, Soc. de» Bibliophiles bretons,
1886, in-4», fol. 274.
(1) Hervé avait comme hôtes les parents de sa femme, les Coatjunval,
Hervé son beau-père, Prégent Coatmenech et François Le Baillif, les uns
seigneurs de Coatjunval, les autres simples expectants de la seigneurie. Il y
avait là l'expectant de Quillimadec, Maurice Kérasker et Tanguy Kerlez-
roux, et d'autres noms bien bretons, Jean le Saint, Christophe de l'isle,
fiabriel Brezal, Olivier et Yvon Nez, Yvon Kerdren, Jean Bouteville, Man-
dez Quiniou, Jean Tanguy, N. Dolo, Yvon Le Digouris, Guillaume Marreo,
Jean Kermelec, trois cents gentilshommes {Bulletin de la Société archéolo-
qique du Finistère, t. VIII, p. 164). — T^es Kcrlezroux et Coatmenech
venaient de Plouvenez, au diocèse du Léon (Bèforniation de la noblesse du
diocèse de Léon, 1443 : B. N., Franc. 22320, fol. 316).
(2^ On consultera, avec fruit, sur le combat de la Cordelière et du
Réqent : Germain Brice, Chordigerae navis conflaqratio. Lutetiae, 1513,
in-4° : traduit en vers français par Pierre CnoQUP:, héraut d'Anne de Bre-
tagne. — J.\L, Etude pour une histoire de la marine française : Marie I.a
Cordelière (xvi" siècle), extrait des Annales maritimes et coloniales, dé-
cembre 1844. Paris, 1845, in-8''. — J.\l, L'JIeriwus de Germain Brice; Errata
pour Marie La Cordelière. Paris, 21 mars 1845 (Annales maritimes et colo-
niales, t. XC, p. 717). — A. Spont, The War with France (1512-1513).
London, 1897, in-8", XLVin-219 pages (Publication of the Navy records
Society).
(3) Lettre de Spinelly à Henri VIII. 17 août ^Spont, p. 48).
LA SAINTE-LIGUE. 95
dans 1 entrevue qui suivit, en présence de nombreux sei-
gneurs, Portzmoguer se justifia si bien qu'il conquit l'affec-
tion de sa maîtresse et que le commandement de la Corde-
lière et des nefs ducales lui fut donne comme à un des plus
loyaux serviteurs de son pays (1).
Howard avait louvoyé toute la nuit le long de la côte
bretonne. Vers onze heures du matin, sa galère de vigie
découvrait nos vingt et un vaisseaux de guerre mouillés en
dehors des passes du goulet de Brest, entre la pointe de
Saint-Mathieu et celle de Toulinguet, à trois milles au
large. Les deux flottes étaient sensiblement égales en
unités de combat, vingt et une contre vingt-cinq. Mais les
vaisseaux anglais, plus forts de tonnage que les nôtres,
étaient accompagnés de vingt-six hourques flamandes et
de transports à munitions, (jui dans le lointain faisaient
nombre et illusionnaient sur les forces réelles de l'en-
nemi (2) .
Jugeant la partie trop inégale, nos marins virèrent de
bord pour rentrer dans le goulet. Les Nefs de Bordeaux,
d'Orléans, de Rouen, les barques Mon'cet et Jea?i Denis, Petite
Louise, Rose, Béthune, Romaine, Sibylle, Foy, Marie de
Clermont et presque tous les bâtiments français ne prirent
aucune part à l'action. Seuls, les vaisseaux de premier
rang la Louise et la Cordelière, couvraient la retraite :
à leurs côtés, un bâtiment plus petit, la Nef de Dieppe on la
Dieppoise, de trois cent trente-six tonneaux, était resté fière-
ment à son poste de combat. La grande nef Louise battait
pavillon du vice-amiral René de Clermont.
L'ennemi n'était plus qu'à deux lieues. Par mer hou-
leuse et vent debout, deux navires, forçant de voilure pour
nous joindre, prirent une avance d'un quart de lieue sur le
reste de la flotte anglaise. L'un d'eux arriva à portée de
(i) ROUCIIART, fol. 266.
(2) Jjettres de Piero Lando et d'Antonio Bavarin (Spoxt, p. 53, 61).
96 HISTOIRE DE LA MARIISE FRAïsÇAlSE.
canon de la nef amirale de France, avant qu elle eût le
temps de lever l'ancre; et en un clin d'œil, il l'accabla
d'une grêle de boulets, lui cassa le grand mat et la força à
se sauver au milieu des roches. Les deux amiraux s'étaient
trouvés en présence : 1 amiral HoAvard n'avait qu'un bâti-
ment de cinq cents tonnes, la Mary Rose, et quatre cent
onze hommes d'équipage (Ij ; le vice-amiral de Glermont
avait six cents hommes sur la Louise (2], et c'est lui qui
avait été vaincu. Il perdit toute présence d'esprit; spec-
tateur immobile et comme désintéressé du combat furieux
que livraient ses deux derniers vaisseaux, il ne songeait
qu'à se sauver.
La Mary James, capitaine Thomas Ughtred, attaquait
la Cordelière. En cas d'engagement d un navire léger avec
de gros vaisseaux, la règle était d'éviter l'abordage et de
profiter de son agilité pour canonner les adversaires " en
tous jours toupiant autour (3j . G est ce que fit la Mary
James, qui ne jaugeait que quatre cents tonneaux. Et tout
en tournant comme une " toupie » autour de la Cordelière,
elle lui lâcha une bordée de six gros canons courts pointés
très bas, presque à fleur d'eau. La carraque bretonne
accusa le coup par des craquements sinistres (4j dans la
membrure. Que ce fut ou non le but d Ughtred, il était
parvenu à occuper son redoutable adversaire jusqu'à l'ar-
rivée du gros de la flotte anglaise, en particulier de deux
magnifiques bâtiments, le Régent et le Sonereign, frères
jumeaux, de mille tonnes chacun.
Le Sovereign, qui était au vent de la Cordelière, laissa
porter sur elle de façon à heurter de l'avant le beaupré
ennemi. C'était un rude combattant que Charles Bran-
(i) Spont, p. 4-5.
(2) Sponï, p. 48, n. 2 : la Louise avait 790 tonnes.
(3) B. N., Franc. 1244, fol. 90.
(4) Lettre du Vénitien l'iero Lando (Spom', p. (J2).
LA SAINTE-LIGUE. 97
don, plus tard duc de Suffolk, le futur époux de la veuve
de Louis XII : et il avait une troupe d'élite de soixaîite
hommes de la garde royale, commandés par Henry Guilfort.
Mais Portzrnoguer ne leur donna pas le loisir de faire leurs
preuves. Une bordée bien dirigée força le Sovereign à
laisser arriver et à quitter le champ de bataille avec un
mât cassé (l). Brandon mit cet échec sur le compte d'une
fausse manœuvre du maître d'équipage; aveuglé par la
fumée, il aurait dépassé la carraque (2).
Du Régent, Thomas Knyvet, grand écuyer d'Angleterre,
s'était aperçu, au moment où il s'apprêtait à aborder /a Nef'
de Dieppe, que le feu terrible des Bretons mettait à mal
les petits bâtiments de l'escadre (3). Knyvet vira donc de
bord pour venir à la rescousse. Tandis qu'il manœuvrait
pour gagner au vent, Portzrnoguer se jeta sur lui,
Comme le chien ensiiyt toujours le liepvre
El qu'il s'en joue quant il le tient aux clens (4).
En brusquant l'attaque, il empêchait le Régent àa quitter
sa position et le gardait à tribord sous le vent (5). Et ses
pièces recommencèrent à tonner : seize pièces de gros
calibre (6) lançaient par les sabords des pierres de cent à
cent vingt livres, tandis qu'au second et au troisième étage
du château d'arrière et à l'étage de l'avant, une nuée de
faucons, fauconneaux, scorpions, crapaudeaux, basilics,
serpentins, coulcvrines, gros vers ou autres petites pièces
(1) Polydorc Virgile (Jal, Marie la Cordelière, p. 76).
(2) HOUNSHED (SpON'T, p. XXv) .
(3) Pierre CnonrE, vers 54-56 (Jal, ibid., p. 74.)
(4) Jal, ibid., p. 32, n. 2.
(5) Lettre d'Antonio Bavarin, écrite d'après le rapport du pilote de la
Cordelière, qui fut sauvé (Spo^t, p. 55).
(6) Comme on le voit dans la miniature représentant le combat de la
Cordelière et du Régent, reproduite en chromolithographie en tête de
l'ouvrage de Spoxt et en gravure ci-contre.
98 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
crachaient la mitraille dans toutes les directions (1). La
Cordelière n'avait que 50 canonniers et 100 arquebusiers
pour tenir tête aux 100 canonniers et 400 soldats du Régent,
aux batteries de la Mary James et d'une troisième nef qui
escortait le Régent (2) .
Néanmoins, le tir des Bretons était des plus meurtriers.
Knyvet fut emporté par un boulet (3) ; John Garew, le
second capitaine, était blessé; la grande nef anglaise avait
un mât cassé ; Ughtred comptait un tiers de son équipage
hors de combat, une trentaine de tués et soixante
blessés (4).
Si l'on observait encore à bord de la Cordelière le règle-
ment qu'elle avait reçu durant la campagne de Mitylène, il
n'y eut d'engagés pendant la canonnade que les servants de
pièces. Masqués derrière des matelas et des balles de laine,
ils tiraient sous un treillis de cordages disposé en forme de
voûte au-dessus du pont, afin de parer les projectiles
lancés des hunes et des gaillards. Dans l'entrepont, marins
et soldats, près de huit cents, et trois cents gentilshommes,
rangés en qviatre compagnies d'abordage avec autant de
sections de réserve, attendaient le moment d'agir (5). Leurs
capitaines étaient « Glaricho » , Dolo, Goaljunval, beau-
père de Portzmoguer, et le sénéchal de Morlaix (6).
(i Pour l'heure présente, disait le savant stratégiste de
(i) B.N., Franc. 1244, fol. 82. La description de l'artillerie d'une grosse
nef, que donne Philippe de Ravenstein, s'applique exactement à la Corde-
lière, qui avait bien le nombre de grosses pièces indiqué par lui.
(2) Pierre Choque, vers 125; Polydore Virgile (Jal, ibid.).
(3) Lettre de Wolsey (Spost, p. 50).
(4) Spont, p. 61, n. 2, et 62.
(5) B. N., Franc. 1244, fol. 86.
(6) Lettres de Piero Lando et d'Antonio Bavarin (Spont, p. 54, 63) :
« Mgr Enores de Claricha, Mgr Simon de Loy, Mgr Vangel, » dit le second;
« El S' Gabriel de Chacho, el S' Synion de la Hay, cl S' Cornangel, le
« siniscalcho di Morles, » dit le premier. De Loy et Cornangel sont vrai-
semblablement le second, Dolo ou Dolou, et le S' de Coaljunval des docu-
ments bretons (Spoxt, p. 54, n. 5; Cuoque, vers 276).
LA SAINTE-LIGUE. 99
Louis XII, Philippe de Ravenstein, je voys plus souvent les
navires se rendre par force de balre devant que on soit
abordez (1). " C'est qu'il n'avait pas vu périr la Corde-
lière. Criblée de boulets, faisant eau, avec cela vieille et
usée, — car une quinzaine d'années (2), c'est la vieillesse
pour un vaisseau, — la Cordelière voulut en finir. Elle se
jeta sur l'ennemi. Je ne crois pas, malgré l'aflirmation
d'un contemporain, que la grande nef anglaise fuyait sous
le vent « comme désespérée et jà vaincue et mise à oul-
trance (3) » . C'est même une question de savoir laquelle
des deux nefs lança la première les grappins d'abordage.
Toujours est-il qu'une fois accrochées, elles ne se sépa-
rèrent plus, même pour mourir.
Le héraut de Bretagne prête à son compatriote Portzmo-
guer une énergique allocution, demandant à l'équipage de
se sacrifier pour le salut de la France et pour rhonncur tie
la bonne duchesse. Et l'équipage se sacrifia : le sang ruis-
selait partout, les tillacs étaient jonchés de morts et de
blessés, quand, cntin, après deux heures et demie d'une
lutte sanglante, la victoire se dessina du côté des
Anglais (4). Quatre cents hommes bondirent sur la Corde-
lière (5), ayant à leur tète Richard Gyldeford, maître
armurier du roi et bailli de Winchelsea (6).
(i) B. N., Franc. 12^, fol. 90.
(2) Construite au » cay de Morlaix » par Nicolas Coetanleiu pour
22,5t2 livres, 9 sols, 2 deniers, elle fut lancée le 30 juin 1498 (Arch. de la
Loire-Inférieure, E 208 : « Bordereau de la mise faicte pour le parachève-
ment de la grant nef de Mourlays, appelée la MarcschaUe, » ou Cordelière.
— Bulletin de la Société archéologifjue du Finistère, t. VIII, p. 170).
(3) Pierre Cuoquk, vers 150 (Jal, Marie la Cordelière, p. 34). Jal a
montré, en consultant le poème latin de Germain Brice, qui a servi de
modèle à Choque, que les feuillets de l'ouvrage de Choque ont été interver-
tis et qu'il faut placer les vers 150 à 227 après les vers 228 à 288, et les
vers 289 à 302 après la série 363 à 407 (Jal, Annales maritimes, t. XC
(1845), p. 725).
(4) Lettres de Ravarin et de Wolsey (Spont, p. 51 et 53).
(5) Lettre de Lando (Spont, p. 62).
(6) 11 avait été envoyé avec cent soldats sur le Réyent (Spoxt, p. xxi, n. 2).
100 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Voyant que ses gens commençaient à plier, Dolo, prévôt
ou second capitaine de la Cordelière, pour leur donner du
cœur, leur promit du secours. Il grimpa dans la hune de
misaine, en se hissant à la force du poignet aux manœuvres
courantes, car les agrès étaient rompus (1), et fit pleuvoir
sur l'ennemi une grêle de projectiles; Portzmoguer montait
en même temps dans la grande hune. De là, il put se con-
vaincre que son pauvre navire, environné de toutes parts,
était à la merci des Anglais. Dans le lointain, la flotte
française restait immohile. Seule, la Dieppoise, capitaine
Rigault de Berquetot, essayait de porter secours au » vail-
lant et vertueulx " Breton. Mais cernée par cinq navires
anglais, dont elle soutint l'attaque durant sept heures
entières, elle ne devait se dégager qu'à la nuit, avec le
concours de quatre navires du Croisic, ayant son château
d'avant emporté, son gaillard haché, trente-deux tués et de
nombreux blessés (2).
Tout à coup, une détonation épouvantable retentit; la
Cordelière s'ouvrit comme un volcan, en lançant sur le
Régent des torrents de flammes. La sainte-barbe venait de
sauter. Un marin français venait d'y mettre le feu, aimant
mieux sauter que se rendre (3) . Des douze cent cin-
quante hommes qui étaient à bord, le feu n'épargna qu'une
vingtaine de personnes, le pilote entre autres, qui furent
faits prisonniers (4). Martyrs de leur dévouement, Hervé de
Portzmoguer et tous les siens, son beau-père, ses parents,
ses officiers, le maître d'équipage Martin le Nault (5)
avaient péri par le feu le jour de saint Laurent, comme
(1) l^ierre Choque, vers 276, 284.
(2) Accusation portée par Rigault de Berquetot contre le vice-aniiral de
Clermont. 29 décembre 1515 (Spont, p. 66; cf. aussi p. 54).
(3) Lettre de Wolsey (Spont, p. 58).
(4) Spont, p. 55. Ce furent ces gens-là qui donnèrent le relevé de l'équi-
page, en l'exagérant, semble-t-il.
(5) Spont, p. 54, n. 5 : » Il en mourut de Bretons envuon 500. n
La Cordelière et le Régent
(B. N., Franc. 1672, fol. 9 \" : l'uiiiie de Diicc un la Cordeliè>,
LA SAINTE-LIGUE. 101
avait péri, martyr de la foi, saint Laurent, le diacre de
l'Eglise romaine. II n est point démontré, en effet, quoi
qvi'en dise le chroniqueur breton Alain Bouchart, que l'in-
trépide capitaine Portzmoguer, voyant la situation déses-
pérée, se jeta à la mer tout armé et coula entraîné par le
poids de son armure (1 ).
« Potins niori (jiiani fœdari! » Plutôt la mort que la
soudlure! Les Bretons étaient restés fidèles à leur devise, à
l'hermine sans tache de leur pavillon : ils s'ensevelissaient
dans les fleurs de lis et dans les blanches hermines. Et ils
mouraient vengés. Le Régent, accroché à l'épave incandes-
cente, léché par des tourltillons de flammes, brûlait comme
un fétu. C'est à peine si une soi.xantaine d hommes, sur les
sept cents de l'équipage, purent se sauver à la nage dans
les deu.x navires les plus proches (2). Trois canonniers sur
cent échappèrent fîV). Par là, jugez du reste. Quand la
flamme cessa de grésiller, les carcasses des deux vaisseaux
descendirent ensemble dans l'abîme, côte à côte.
L'amiral Howard jura de ne pas se présenter devant le
roi avant d'avoir vengé la mort du vaillant chevalier
Thomas Knyvet (4). Le 13 aoiit, il débarquait à terre et
réussissait à incendier vingt-sept petits bâtiments : il en
emmenait cinq autres avec huit cents prisonniers (5). Il
avait tenu son serment.
Le vice-amiral Picné de Glermont n'était pas de même
(1) Jal, Marie la Cordelière, p. 78, et Dictionn. critique, art. Portzmo-
guer. — Alain Bouchart, fol. 274. — Spont, p. xxv, n. 2. — L'un des
rares survivants, Olivier le Mercier; de Brest, obtint franchise d'impôts et
de charges publiques. La pension, il faut l'avouer, était maigre pour vingt
années de nobles et loyaux services et pour action d'éclat sur la Cordelière.
Amljoise, juin iôlô [Catalogue des actes de François I", t. I, p. 51).
(2) 60 d'après Woisey (Spot, p. 58), 120 d'après Bavarin (ihid., p. 53),
180 suivant Lando (ihid., p. 62).
(3) Spot, p. 63, n. 2.
(4) Lettre de Woisey (Spoxt, p. 50).
(5) Spont, p 63.
102 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
trempe. Il n'avait que trop montré sa pusillanimité (1).
Le capitaine Rigault de Bei'quetot accusa formellement
son chef de s'être enfui lâchement et d'avoir par là causé
la défaite; il offrit de faire la preuve tant par les marins
et les gens de la côte que » par les adversaires et ennemis
qui y estoient », au besoin par un duel judiciaire (2).
L'enquête eut lieu, et si Rigault fut révoqué pour son acte
d'indiscipline (3), le vice-amiral fut destitué (4) : tous les
capitaines avaient déposé contre lui.
Mais qu'était-il besoin d'offrir à l'étranger le moven de
s'immiscer dans nos affaires privées et de perpétuer ies
dissensions intestines? Sollicitée par Rigault, l'intervention
étrangère eut lieu, mais non toutefois sur le lerrain où on
la conviait. Elle resta dans le domaine littéraire, et un litté-
rateur servit déjuge en dernier ressort. Voici comment.
Dans l'entourage de la reine Anne, on s'occupait d'élever
des autels à la n vertu " du vaillant Breton. Le secrétaire
de la reine, Germain Brice, écrivit un poème latin, Cliordi-
gerae novis conflagralio, farci de prosopopées mythologiques
et de boursouflures emphatiques : c'est là tout son mérite.
Un pensionnaire du roi, plus tard légat pontifical,
Jérôme Aléandre, en écrivit la préface f5) ; et le héraut de
Bretagne Pierre Choque, qui avait jadis fait la campagne
de Mitylcne sur la Cordelière, mit le poème en vers fran-
çais (6) .
(1) A. BoucuAP.T, fol. 274.
(2) 29 décembre 1512 (Spont, p. 66).
(3) La Dieppoise fut confiée à Chanoy, qui couiinandait, durant la
bataille, la ISef de Bordeaux (Archives de Nantes, EE 222). Clermont
rentra toutefois en grâce : il exerçait les fonctions de vice-aniiral à l'avène-
ment de François 1" (B. N.,P'ranç. 5500, fol. 270). Quant à Tligaultde Ber-
quetot, il continua d'armer pour son compte. Le 18 août 1517, il vendait
au roi sa nef l'Henniiie, de 500 tonneaux, pour la somme de 15000 livres
(B. N., Pièces orig., vol. 307, doss. Berquetot, p. 2).
(4) 29 mai 1514 (Spont, p. 67, n. 1).
(5) Sous forme de lettre à Germain Brice.
(6) Publié par Jal dans Marie la Cordelière, tirage à part, p. 24.
LA SAINTE-LIGUE. 103
Il s'y trouvait certaines appréciations un peu vives contre
la politique anglaise, entre autres le reproche de félonie.
Le chancelier de TÉchiquier en prit ombrage. C'était Tho-
mas Morus. Il riposta par quelques épigrammes, flèches
inoffensives, qui blessèrent pourtant l'amour-propre du
latiniste. Germain Brice exhala sa fureur dans l'Aiiti-Morus,
lourde compilation de toutes les fautes contre la prosodie
et le goût qui avaient pu échapper au chancelier (l). Les
humanistes, à cette époque, n'entendaient pas raillerie sur
le chapitre du style. Morus quitta donc les graves affaires
de l'État pour écraser son adversaire d'une verve hautaine
autant que pédante (^) . Et comme il n'y avait pas de raison
pour que le litige prit fin, le chancelier anglais soumit à
l'arbitrage d'un neutre, Erasme (3), l'objet de la scanda-
leuse querelle. On ne dit pas que Brice accepta l'arbi-
trage : toutefois il cessa ses invectives. Voilà comment des
écrivains férus damour-propre crurent honorer des héros.
« Lovai Breton! que nul son nom s'efface (-4) ! » Le cri du
héraut de Bretagne a traversé les temps. iVujourd'hui, un
de nos croiseurs porte le nom de l'héroïque capitaine de
la Cordelière; mais pourquoi l'a-t-on défiguré en Primau-
guet? De Portzmogucr (en breton « la porte de la
muraille») en Plouarzel, au haut d'un petit plateau qui
domine l'anse du même nom, on voit au large jusqu'à
Molène. C'est là que fut le berceau du capitaine.
La forme Primauguet, à la vérité, est des plus anciennes,
puisque, quelques mois après le glorieux combat, on le
trouve sous la plume du grand marin qui allait venger les
(1) L'ouvrage parut en 1519.
(2) Thomas Morus, Genncmo Brixio salutem, 1520. Cf., sur toute cette
querelle, Jal, l'Heiveiis de Germain Briee [Annales maritimes, t. XC, p. 278
et suiv ).
(3) Thomas Morus D. Erasmo, dans les Œuvres de Thomas MoRus,
Bâle, 1563, in-V, p. 429; J.a, l'Herveus, p. 729.
(4) Jal, Marie la Cordelière, p. 49.
104 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Bretons sur le lieu même de la bataille, aux u croyx Pri-
moguet " (1), sans doute près des croix qui rappelaient sur
la plage les héroïques trépas.
III
COMBAT NAVAL DES BLANCS-S ABLON S
AUX " CROYX PRIMOGCET »
Ce grand marin n'était pas René de Clermont. Sorti un
moment de Brest avec quarante-sept navires pour courir
des bordées contre la flotte anglaise, il avait promptement
regagné son refuge, en apprenant sans doute la jonction de
Lezcano et d'Howard {"2) . Le vengeur attendu était Prégent
de Bidoux, qui arrivait du Levant avec six galères (3).
Au printemps de 1513, quand les opérations navales
recommencèrent, la situation politique était complètement
modifiée en notre faveur. Les traités des 23 mars et 1" avril
1513 nous débarrassaient de deux redoutables adversaires,
Venise et l'Espagne, tandis que l'Ecosse nous promettait
une vigoureuse diversion- en Angleterre et l'envoi de sa
flotte (4). Exclusivement dirigés contre l'xVngleteri'c, nos
armements purent donc être des plus imposants. Un espion
anglais, qui parcourut nos cotes au mois de mars, compta
(i) I^cttre de Prégent de Bidoux. Le Conquet, 28 avril 1513 (Spoxt,
(2) Lettre de W. Kiiiglit à Wolsey. — Saint-Sébastien, 4 octobre 1512
(Ellis, Original Lettcrs, 2'' séries, t. I, p. 202). Notre Hotte désarma à
cette époque. Le 13 octobre, le Saint-Sauveur était remis à la ville de La
Rochelle ; la ville avait refusé de prêter ses canons pour remplacer l'artille-
rie perdue dans la Curdelicre (Anios IUrbot, Histoire de La Rochelle^ t. I,
p. 475).
(3) Lettre de P. IMaityr. Logrono, 28 scplendjre 1512 (Epislolue, n" 500 :
Spoxt, p, 58).
(4) Lettres de Spinelly à Henri VIII. Blois, 25 février 15 13 (Spont,
p. 75).
LA SAINTE-LIGUE. 105
vingt-neuf vaisseaux de guerre en Normandie, trente-trois
autres et dix galères à Brest, où l'on attendait encore une
vingtaine de navires de guerre (1), précisément les bâti-
ments normands.
Ceux-ci s'ébranlèrent sous le commandement du vice-
amiral de Bretagne, Guyon le Roi, sieur Du Ghillou, preuve
évidente que les marins normands n'avaient plus confiance
dans leur vice-amiral, Clermont. Forte de quinze ou seize
voiles, elle jeta l'ancre, le 2G mars, près de Guernesey, où
elle devait être rejointe par la flotte bretonne, qui avait
appareillé à Bi-est ce jour-là (i2) . Bon et compatissant pour
les insulaires de Guernesey etd'Aurigny, auxquels il donna
des lettres de sauvegarde, Du Ghillou répondit fièrement
au capitaine du châleau de Guernesey qui l'avait envoyé
menacer : » 8i j'avoye le temps de povoir demourer, . . . vous
m auriez si près de vous que vous n v auriez nul prof-
fict (3) . ).
L'objectif de l'expédition française n'était point en effet
la conquête des îles anglo-normandes, mais la prise dun port
anglais, Plymoutli ou Falmouth (i). Dès le 13 mars, Pré-
gent de Bidoux, (juittaut a la Ghamljre de Brest " à la
tète de six galères et quatre briganlins, était parti recon-
naître la cote anglaise (5). Sa réputation l'avait précédé. A
l'ambassadeur d'Angleterre, qui déclarait sans appel les
sentences d'excommunication pontificales : « Moi, j'en
appellerai à Pierre-Jean, pirate et apostat, capitaine des
(1) Lettre de Spinelly. Malincs, 21 mars (Spom', p. 90).
(2) I^ettrede l^ierrede llohan. Brest, 26 mars (B. N., Dupiiy 261, fol. 16 :
Spost, p. 98). — Le 27 mars, l'escadre normande arrivait à Brest et lyouis
de Bigars remettait la Rouen au.v officiers de la reine {Catalotpie. . Lormicr.
Paris, Charavay, 1902, n» 1338).
(3) 26 mars (British Muséum, Caligula E t, fui. 131. — B. N., ms. lat.
ITOO'*., fol. 254. — Si'ONT, p. 99).
(4) Lettre de Middelbourg. 20 niixvs (Lettos and papcrs. . . of Henry VIII,
éd. Brkwer, t. 1, 3814. — Spost, p. xxxii, n. 2).
(5) B. N., Dupuy 261, fol. 16.
106 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
galères de France, » avait répliqué le roi d'Ecosse (1).
Nos projets d'attaque se trouvèrent ruinés par la brusque
arrivée de la flotte de l'amiral l£dA\ard Howard à Ply-
mouth dans les premiers d'avril (:2) . Howard avait vingt-
quatre vaisseaux de guerre et six mille quatre cent quatre-
vingts hommes, chaque vaisseau llanqué d'un transport
de vivres (3).
Prégent était de retour dans la rivière de Portrieux,
quand une lettre du vice-amiral Du Ghillou, qui s'était
replié sur Brest, lui aj)prit l'approche de la flotte ennemie.
Il relïroussa aussitôt chemin vers Brest. Mais déjà les An-
glais, embossés devant Saint-Mathieu depuis le 1 1 avril, lui
barraient la route. Laissant à l'Aber-vrac'h son escadre,
Prégent monta à cheval et se rendit à Berlheaulmc trouver
le grand maître de Bretagne. Il avait besoin de rameurs de
rechange et de « gens de cap " . Des marins bretons, au
nombre de deux cents, et des soldais tirés de l'escadre du
vice-amiral comblèrent ses vides. Avec ces renforts, il
reprit la mer à l'Aber-vrac'h, afin de pénétrer dans le gou-
let en forçant le blocus.
Découvert par six navires éclaireurs (il, qui donnèrent
l'alarme, il était le 22 avril a au Croyx Primoguet » , dans la
baie des Blancs-Sablons, quand une cinquantaine de bâti-
ments apparurent au vent. Il dut à une saute de brise de
n'être pas enveloppé par eux. Bien mieux, aux rares navires
qui passèrent à portée de pique, il envoya bordées sur bor-
dées, et sans subir d'autre perte que celle d un petit
(i) Lettre d'Henri VIII. Londres, 2 avril (Sam;to, t. XVI, col. 199 :
Spo>t, p. 125).
(2) Howard date une de ses lettres de Plvniouth. 5 avril (Ei.i.is, 3'' séries,
t. I, p. 196 : Spoxj, p. 103).
(3) Liste de la Hotte d'Howard en mars 1513 (Spont, p. 79-88).
(4) Le liaptlsle d'Harwich (62 lioiiuiies d'équijjagc), le l'Itonias de Hull
(76 hommes), la barque de la Gabiiclle (68 hommes), la barque amirale
(68 hommes), 2 ou 3 bateaux. Lettre d'Edward Howard à Henri Vlll.
Saint-Mathieu, 17 avril (Spont, p. 127).
LA SAINTE-LIOUE. 107
brigantin, il coula un vaisseau, deux bateaux chargés
d'hommes et força la Lesse Barke de Stephen Bull à laisser
arriver, avec sept boulets dans ses œuvres vives (1).
Howard se trouvait entre deux feux . Il avait essaye
auparavant d'attaquer la Hotte du vice- amiral Du Chllloii
sous les murs de Brest. Mais comme il s'avançait en ordre
de bataille dans le goulet, le vaisseau du prince Arlhur
Plantagenct s'était échoue sur un écucil, et lIo^\ard, faute
depilote, avaitdù regagner la baie de Bertheaulme. Du Cliil-
lou s'était fortifié à la hâte sous le château de Brest, en pla-
çant en avant de sa flotte vingt-quatre grandes hourques
qui devaient, avec le flol, dériver tout en flammes sur la
flotte anglaise en cas d'une nouvelle attaque (2).
En présence de cette résistance, 1 amiral Howard décida
de débarquer plusieurs milliers d'hommes dans la presqu'île
de Kcrmorvan, entre les Blancs-Sablons et Le C()n(|uct,
pour prendre à revers les galères de Prégent. Le 21 avril,
les troupes de débarquement étaient déjà transbordées sur
les légers transports à munitions, quand on leur donna
contre-ordre. Un autre plan, proposé par l'Espagnol Alonso
Cdiarran, capitaine d'une carraquc, avait prévalu. II consis-
tait à attaquer directement les galères provençales, pendant
que les grands vaisseaux, retournant mouiller à quatre
milles de là, devant Saint-ÎNIathieu, s'opposeraient à toute
tentative de sortie de la flotte du vice-amiral Du Chillou.
Et par un vrai coup de tête, l'amiral Howard se plaça lui-
même, avec ses principaux capitaines de vaisseau, Ferrers,
Sherborne, Gheyney, Wallop, Wiseman,Brown etToley (3),
(1) Lettre de l"'régent de Ridoux. Le Conquet, 28 avril (SpOnt, p. 134 et
p. xxxii, n. 2). — Rapport d'Echyngham à Wolsey. Ilaiiiplon, 5 mai
(Spom', p. 146). — Lettre d'Acciajuoli, 30 avril (Stont, p 140)
(2) HoLixsuED, cité par Spokj', p. xxxv.
(3) Capitaines des grands vaisseaux Sorcrcùjii, Grcat Jja?-/,, Crjsl, Suiiclio
de Garra, Ciistofer Davy, Peler Pomcqarnet, Sivcpstake (Cf. Spont, p. 87,
note 1). — Alain Bouciiart, foi. 274.
108 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
à la télé des navires légers désifjués pourl attaque des galères.
Mais que ne peut faire le dépit? Howard, après avoir réussi à
bloquer notre flotte, aurait, dit-on, écritau roi d'Angleterre
de venir cueillir lui-même le triomphe. En cette journée
du 24 avril, Echyngham, qui amenait à la flotte anglaise
un convoi de neuf crayers chargés de vivres, lui aurait rap-
porté cette sèche réponse d Henri VHI : a Faites votre
métier (l). » Les Anglais, parait-il (2), s'étaient moqués
des galères de Bidou.v : u Ca, des araignées! » disaient-ils
en haussant les épaules. Les " araignées " n'avaient point
que de longues pattes; 1 ennemi allait faire connaissance
avec leur venin.
Prégent de Bidoux, aidé par le grand maître, par M. de
Tavarant et par Du Chastel, avait hâtivement élevé sur les
rocs les plus avancés de la côte quelques u repères " garnis
de quatre pièces de canon. Et l'on sait quelle forteresse natu-
relle constitue, à l'extrémité de l'anse des Blancs-Sablons,
la pointe de Kermorvan. Aussi, le 25 avril, la roberge la
Rose, qui arrivait en tête de l'escadrille ennemie, filant à
grande allure vent arrière, fut-elle accueillie par le feu
croisé des galères et des batteries de terre, de trois magni-
fiques l)asilics entre autres, enlevés aux Vénitiens à Agna-
del, dont un seul coup suffisaità couler un navire (3). En
un instant, la /îo^e perdit cent dix-neuf hommes sur cent
soixante-quinze. L'amiral Howard était néanmoins parvenu
à sauter sur la rambade de Prégent avec dix-sept de ses
hommes, quand 1 amarre enroulée autour du cabestan de la
capitane se défit, et la Rose déborda. « lletournez à 1 al)or-
dage ! à l'abordage! » criait Howard; mais les piques de
nos marins le clouaient déjà contre le garde-fou. Et on vit
(1) IloLiNSiiEi), reproduit dans Si'ont, p. xxxmii.
(2) Yai.iîelle, B. ^" , Franc. 5072, fol. 30.
(3) Prégent les avait à son bord (l^. M.vrtyr, Epislola 498, 3 sept. 1512).
— Prégent était énergiquement secondé par le patron Dominique Séguier,
de Marseille (Ruffi, Hist. de Marseille, t. II, p. 349).
LA SAINTE-LIGUE. 109
le malheureux tomber par-dessus bord, après avoirdétaché
de son cou son sifflet d'honneur, qu'il jeta à la mer.
En vain, la roberge le Henry, conduite par le capitaine
du Sovereign, Ferrcrs, avait-elle essavé de dégager l'ami-
ral; elle avait dû reculer à son tour, avec quarante-cinq
hommes hors de combat. Trois autres bâtiments chargèrent
désespérément notre capitane : mais Sherborne et Sidnev
perdirent dix hommes en cherchant à en briser les rames,
Tolly eut trente-deux tués et blessés, Wiseman n'avait plus
un seul des siens sain et sauf, sans que pourtant aucun
d'eux, non plus que les capitaines de la Jenett Purwyn, de
l'Elisabeth de Newcastle qI des autres l)ateaux, parvint à jeter
le grappin sur nos galères.
Les assaillants battirent en retraite confus et, après un
court conciliabule, rallièrent leur flotte devant Saint-
Mathieu. Le soir même, tous les navires ennemis dispa-
raissaient au large. Le lendemain 26 avril, comme Prégent,
doublant la pointe de Kermorvan, jetait l'ancre au Con-
quet, on vit paraître un bâtiment portant le pavillon à
croix blanche des parlementaires (1). Les capitaines Ghevne,
GoriiAvall et Wallop venaient s'enquérir du sort de leur
amiral.
« Je ne 1 ai pas parmi mes prisonniers, répondit Pré-
gent, mais un des hommes qui ont envahi ma galère avait
un écu doré : ce serait, si j'en crois mes prisonniers, votre
amiral; il fut précipité par-dessus bord à coups de pique. "
Pour s'assurer du fait, Prégent donna ordre de " pescher
les mors » . Le i8, on lui apporta le cadavre de l'amiral
Howard. Après l'avoir fait embaumer, Prégent demanda
au roi l'autorisation d'en garder le cœur comme trophée (2) .
(1) Ainsi, l'année suivante, la Rochclaise, commandée par Philippe
Roussel, arbore en approchant du Port-Blanc un étendard carré, marqué
d'une croix blanche, >' que signitie asseurance » (Spost, p. 198, note),
(2) Prégent de Bidoux nous a laissé un récit très vivant de 1 action, dans
110 HISTOIRE DE LA MARINE ERANÇAISE.
A la reine Anne, il envoya le sifflet de commandement du
vainqueur de Porlzmoguer, en retour du sifflet qu'il avait
reçu d'elle. ^ladame Claude, fille du roi, eut en présent la
dépouille » dudit millort » , probablement l'uniforme de
damas vert et blanc qu'Henri VIII donnait à ses capi-
taines (1). Enfin, pour Louis XII, Prégent fit exécuter un
tal)lcau représentant le lieu du combat. J'espère, ajou-
tait-il, que « le bon recueil qu'on leur a fait les gardera
que une auUre fois ne seront point si oulUecuidéz (2) n .
Il ne se trompait pas. La flolle anglaise était retournée
à Plvmouth complètement démoralisée. L'amiral Thomas
HoAvard, qui avait succédé à son frère, disait de ses
hommes : « Jamais on no vit gens plus terrorisés par les
galères que ne le sont tous les maîtres et mariniers ; ils
aimeraient mieux aller en purgatoire que de retourner à
leur métier i>\) . " Aussi Thomas Howard n'cssava-l-il point
de réparer l'échec sul)i en Bretagne (4).
Pourqnoi nous ne profitâmes point de cette inaction
pour prendre l'offensive, la raison en était dans notre
infériorité numérique sur mer, que d'activés négociations
tendaient à faire disparaître. Charles de Tocquc de La
Motte, notre ambassadeur à Edimbourg, navait cessé de
faire le va-et-vient entre la France et la Calédonie. L'année
précédente, il avait coulé en roule trois vaisseaux anglais
et amené sept prises à Leilb. A peine de retour en Norman-
une lettre adressée du Conquet, le 28 avril, à Floriinond Robcrtet. Elle fut
aussitôt iinpriuu'c et répauduc partout sous le titre : Le double des lettres
envoyées en coml jjki- Précjcnt, cupitaine des ^allées du Hoy nostre sire en
sou armée de la mer. l\ouen [1513], petit in-^-" : réimprimée dans SrojiT,
p. i34-i;39.
(1) T.cttre d'Antonio Bavarin. Londres, 9 avril i513 (Spoxt, p. 109).
(2) Lettre de l^régent de Bidoux à Florimond Robertet. Le Conquet,
28 avril 1513 (Spont, p. 137). — llapports d'Echyngham et de Thomas
Howard (Spoîst, p. 148 et 156).
(3) Lettre de Thomas Howard. J^lymouth, 7 mai (Spo^T, p. 159).
(4) Lettre de Thomas Howard à Wolsey. Hampton, 5 juin (Spont,
p. 167).
LA SAINTE-LIGUE. 111
die, cet homme énergique reprenait la mer par un temps
des plus rudes, le 12 novembre, et avec un seul bâtiment,
la Petite-Louise d'Adenet Legendre. Et sans doute, les mu-
nitions qu'il apportait aux Écossais, des centaines de bou-
lets de fer et quinze milliers de poudre, sans parler des
u poinçons de vin de Beaune » (l), ne furent-elles point
sans influence sur le renouvellement du pacte d'alliance,
le 29 novembre (2).
C'est de ce pacte que La Motte vint réclamer l'exécution,
en mai 1513, à la tête d'une escadrille, ta Petite-Louise, le
Sacre et la Lévriève, qui partirent de Brest et passèrent par
la mer d'Irlande {}i). Simultanément, tant il était urgent
de presser le départ de la flotte écossaise, le corsaire calé-
donien Robert Barton quittait Ilarfleur pour aller la quérir.
C'était un redoutable marin que Barton. Pour se venger
de la prise injuste de ses bâtiments par l'amiral Edward
Howard, il avait pris fait et cause pour nous, avant même
que le roi Jacques IV se fût déclaré notre allié, et après
avoir capturé treize bâtiments britanniques, il était A^enu
se faire construire à Harfleur un superbe vaisseau, le Lion,
que montaient trois cents hommes (4).
Prié de tenir ses engagements, Jacques IV s'en acquitta
royalement. Tandis qu'il envahissait l'x^ngleterre à la tête
d'une grosse armée, toute sa flotte appareillait le 26 juillet
pour nous porter secours. Les amiraux comte d'Arran et
James Gordon de Lettcrfury, pilotés par le Malouin Rouxel,
amenèrent à Brest trois mille hommes et vingt-cinq bàti-
(1) Contrat passé avec Lcgendrc pour le passage de La Motte. Rouen,
1" novembre 1512 (B. N,, Franc. 20977, fol. 206 : Spont, p. 68, 70).
(2) John Lesi.ey, De origine, nioribns et rébus qestis Scotorum libri
(leticm. liomae, 1578, petit in-V, p. 358.
(3) Déposition du pilote de la Petite-Louise, llouxel (llecoid OfHce,
Chapter hanse book 83, p. 67 : Spoxt, p. 169, note 2). — I.a Motte arriva
le 14 mai en Ecosse et repartit le 29 (Lesley, p. 358).
(k) Spo.nt, p. 93 : Lesley, p. 355, 357.
112 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
ments, dont trois vaisseaux de premier rang, le Great-Mi-
chael, la Margaret et le James (1). Vainement, dans la
croyance qu ils franchiraient le pas de Calais, l'amiral
Thomas Howard les avait guettés du côté des Dunes avec
une flotte bien supérieure, cinquante-quatre vaisseaux et
dix mille hommes (2). Il n'intercepta que deux grands bâti-
ments, l'un danois, l'autre écossais, envoyés à notre se-
cours (3).
Jacques IV nous rendait un double service. Par sa diver-
sion en Angleterre, il enrayait l'invasion de la France, que
dirigeait en personne Henri VIII. Et l'appoint de sa flotte
nous permettait de prendre l'offensive. Rejointe à Brest
par sept vaisseaux bretons (4), l'escadre écossaise rallia
en rade de Villerville, près Ilonfleur, l'escadre normande
du vice-amiral Du Ghillou (5). Toutes les divisions navales
eurent leurs équipages renforcés; Bidoux reçut cent arque-
busiers gascons (6) ; James Gordon, bien monté pourtant
en équipages (7), se vit allouer en supplément quatre
(i) Lesley, p. 359. — Epistolae Jacobi Qiiarti, t. I, p. 214. — Exche-
nuer Rolls of Scotland, t. XIV, p. lxxvii. — Francisque Michel, les Fran-
çais enÉcosse, t. I, p. 328. — Saxuto, t. XVI, col. 585. — Spo>t, p. 176.
(2) Cf. la liste de la flotte en juillet 1513, publiée par Spoxt, p. 171.
(3) Lettre de Bavarin. Londres, 3 septembre (Sanuto, t. XVII, col. 188).
Lettre de Pierre Martyr d'Angiiikra. Valladolid, 25 octobre {Epistnlae,
n" 529).
(4) Les Nefs de Brest, La finclielle et Bordeaux, et quatre sur huit des
bâtiments bretons armés l'année précédente. Lettres de Louis XII au grand
maître de Bretagne. Août (Spoxt, p. 175). — Le capitaine de la Nef de
Bordeaux, Pierre Moraud de Trébilieuc, reçoit en surcroit 7 pièces de
canon et 9 hacquebutes de fonte pour servir à l'armée de mer. Oitobre
(De La Nicollikre, La marine bretonne an wi'' siècle, p. 105).
(5) Xa L.ouise, navire amiral dont le capitaine de pavillon était Louis Le
Brun de Sallenelles, la Trinité d'Antoine de Conflans (200 hommes), le
Tyran d'Artus de Fatonville (90 hommes), la Françoise de Jacques d'Esti-
mauville (90 hommes), etc. (B. N., Franc. 26114, p. 46 : Spont, p. 177).
(6) Lettre de Joubert, lieutenant de l'amiral de Guyenne, au roi. La
Bochelle, 20 juillet (Spoxt, p. 172).
(7) Bobert Barton, gentilhomme écossais, capitaine du LJon, avait
260 hommes; Guillaume Brochel , gentilhomme écossais, capitaine de
la Juliane, barque de 120 tonneaux, avait 120 Écossais, etc. Honfleur,
LOUIS DE ROU AILLE
(B. N., Estampes Oa 16, fol. 4i.)
LA SAINTE-LIGUE. 113
cents Normands (l) ; Du Ghillou enfin accrut son escadre
d'un contingent dieppois (2).
De l'avis du vieil amiral de Graville, Irop impotent pour
prendre la mer, le commandement en chef de la Hotte fut
confié au grand veneur Louis de Rouville f3). C'était bien
de chasse en effet qu'il s'agissait, d'un laisser-courre sur le
roi Henri \ III, tandis qu'il repasserait le pas de Calais,
après sa brillante expédition contre Thérouanne et Tour-
nai (4). Mais le grand veneur eut mauvais temps; le len-
demain de l'appareillage, un ouragan terrible dispersa ses
vaisseaux, en fracassa plusieurs et força les autres à rega-
gner l'aljn des ports (5). Quelques semaines plus tard, en
novembre, l'amiral comte d'iVrran regagnait l'Ecosse, nous
laissant ses trois vaisseaux de ligne (G).
C'est qu'un terrible malheur venait d'atteindre nos alliés.
Le 9 septembre, à Flo^vden, l'armée écossaise avait été
écrasée par le comte de Surrey. Dix mille hommes, l'c'dite
des clans, étaient restés sur le champ de bataille : le roi
Jacques IV avait disparu dans la mêlée, et jamais plus
on ne le revit. De ce sanglant désastre, nous ressen-
tîmes le contre-coup sous forme d'un retour offensif des
Anglais,
A peine notre flotte avait-elle désarmé, à peine l'arrière-
ban avait-il reçu congé, qu'un signal d'alarme parut au
24 août et 11 octobre (Spoxt, p. 178. — Rorély, Histoire du Havre, t. I,
p. 136).
(1) Lettres de Louis XII. Amiens, 23 septembre (Spont, p. 185).
(2) Composé tics nefs Rose, Françoise, Sacre et Levrière, manœnvrées
par 180 matelots. Mandement du grand sénéclial de Normandie, Louis de
Brézé. HonHeur, 7 septembre (Spoxt, p. 180).
(3) 17 septembre (Archives nat., K 79, n" 13 : Spoxt, p. 183).
(4) Nous avions perdu la bataille de Guinegate le 16 août, la ville de
Tournai le 24 septembre.
(5) Alain Bouchart, Chroniques de Bretagne, fol. 274. — Lettre de Ba-
varin. Londres, 6 décembre (Saxuto, t. XVII, col. 445).
(6) Lettre de Dacre à Henri VIII. Harbotill, 13 novembre (Ellis, Lel-
ters... 1" séries, t. I, p. 73. — Spoxt, p. 188).
114 HISTOIRE DF. LA MARINK FRANÇAISE.
foyer de guerre du Chef-de-Caux. Des vaisseaux ennemis
étaient en vue. Incontinent, le lieutenant-général Louis de
Rouville monta à cheval pour repousser toute velléité de
débarquement. Ses guetteurs, aux ordres du ])àtard de
Brézé, garnirent le rempart de la Hève auprès de la tour de
Grâce, « le rempare de la descente, " tandis que la popula-
tion accourait de toutes parts au son du tocsin. A dix heures
du soir, sept mille hommes étaient prêts à rejeter l'ennemi
à la mer; le cas échéant, leur nombre, si le tocsin avait
partout retenti, aurait pu être porté à vingt mille. Mais
Fennemi, devant noire déploiement de forces, tourna court
et regagna la haute mer (l).
Le printemps venu, Prégent de Bidoux, quiavait hiverné
à Dieppe, rendit aux Anglais leur politesse. On lui prêtait
rintention de brûler les bâtiments ennemis en pleine rade
de Calais. Il fut plus modeste. Une nuit d'avril 1514, il
rangea les côtes du Sussex et jeta une colonne d'attaque
contre Brighton. Mais les guetteurs anglais faisaient aussi
bonne garde que les nôtres. Prégent dut battre en retraite
sous une nuée de flèches, dont l'une lui troua la face. Il
tint pour un miracle d'avoir échappé à la mort et offrit au
retour, comme ex-voto, à Notre-Dame de Boulogne, le
masque de sa figure avec la flèche qui l'avait frappé {'-2).
11 n'échappait à un danger que pour retomber dans un
autre. Le vice-amiral Thomas Wyndham, depuis Douvres,
le suivait. Comme Prégent s'avançait avec ses dix légers
navires sur Calais, Wyndham chargea Stephen Bull de se
glisser derrière lui avec cinq bâtiments et de lui couper
la retraite vers Boulogne : le reste de l'escadre anglaise,
tenue jusque-là hors de vue, surgirait tout à coup. Mais
(1) Lettre de Louis de l\ouville au grand sénéclial. Ilartlcur, 21 noveuibie
[1513] (B. N., Franc. 2963, fol. 117). — Cf. la liste des dix-sept vaisseaux
anglais qui restèrent en croisière de novembre 1513 à avril 1514 (Spont,
p. 185, note 1).
(2) SpONT, p. XLV.
LA SAINTE-LIGUE. 115
le vieux routier, flairant le stratagème, se retira aussitôt
sous les remparts de Boulogne, t]ue défendait La Fayette.
L'amiral Thomas IloAvard, qui arriva sur ces entrefaites
de la Tamise, approuva le projet de son vice-amiral; et,
formant deux détachements de dix bâtiments chacun aux
ordres de Henry Sherborne et de Wiseman, il les envoya
l'un à Touest, l'autre à l'est de Boulogne, pour cerner nos
galères ^lais il jugeait impossible de s'en emparer de vive
force, si on ne lui prêtait six mille soldats (l).
Prégent était dans cette position critique, quand des
pourparlers de paix s'engagèrent entre la France et l'An-
pleterre. Ils devaient aboutir au traité de Londres, le
7 août 1514. Inutile désormais, la division écossaise qui
avait ét('' affectée, sous le commandement de Christophe le
Mignon, dit Ghanoy (^), à la garde des côtes de Bretagne,
s'apprêtait à regagner l'Ecosse, quand Louis XII, lui don-
nant contre-ordre, la retint à sa disposition {■\).
xVclielé pour la somme de quarante mille francs fi), le
Great-Michel ou Saint-Michel, bâtiment splendide de six
grosses pièces par bande, deux basilics en poupe et un en
proue, sans compter trois cents petites pièces tournantes
on en l)atterie, que servaient cent vingt artilleurs et cent
matelots (5), remplaça la Cordelière comme navire amiral
de la Hotte bretonne. A la guerre contre l'i^ngleterre, nous
avions gagné de cimenter avec lEcosse une amitié sécu-
laire. Lorsque nos alliés curent besoin d'un régent comme
mentor du jeune Jacques Y, ce fut en France qu'ils vinrent
(1) Lettre de l'aïuiral Thomas Howard écrite à bord de la Mary Ro.te,
en rade de Douvres le 27 mai, à sept heures de nuit (Spom', p. 205).
(2) Par commission du 9 août 1514 (Archives de Nantes, EE 222).
Clianoy commandait la Marqueiile d'Ecosse, la Bieppoise, la Petite-Louisr
et le St-Michel d'Ecosse.
(3) Septembre (B. IS., Franc. 25720, p. 34.).
(4.) 2 avril 1514 (Eplstolae Jacohi Quarti, t. I, p. 214).
(5) J. Leyoex, Preliniinarj publication à la Complaynl of Scollaml,
p. 119 : reproduit par Jai., Archéologie navale, t. II, p. 287.
116 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
chercher John Stuart d'Albany (1); et plus d'une fois
encore, leurs corsaires nous empruntèrent, pour courir sus
aux Anglais, des hommes et notre pavillon (2) .
Durant les règnes de Charles YIII et Louis XII, nos des-
tinées maritimes avaient dépendu d'un homme que son
mauvais état de santé avait éloigné de l'action et qui pour-
tant mérite de passer à l'histoire. L'amiral Malet de Gra-
ville avait eu la fermeté, bien rare, de tenir tête aux caliales
de la Cour, qu'il fût question des projets d'expédition en
Italie ou de la réintégration du vice-amiral Louis de Cler-
mont, destitué comme indigne. Il avait avancé les frais
d'armement de ses deux vaisseaux en 1494. Et en juillet
1512, en mai 1513, il prêta de quoi armer deux flottes
contre l'invasion anglaise. A l'heure même où il aidicvait
de verser au roi l'avance, énorme pour l'époque, de
80,000 livres, l'amiral, aussi scrupuleux que patriote, ins-
crivait dans son testament qu'il en faisait donation à l'État
pour il le soulaigement du povre peuple " . Et ce n'est que
justice, ajoutait Graville, tant « a esté la chose publique
chargée de mes gros estas, grands dons et profis (3) d .
IV
UN SIEGE DE DEUX ANS. — LA DEFENSE DE LA MAUVOISINE
De l'autre côlé de la Erance, une poignée d'hommes
avaient immol)ilisé pendant plus de deux ans la flotte des
(1) Qui aborda le 18 mai 1515 à Duinbarton avec une escadre de huit
bâtiments et une escorte française (Francisque Michkl, Les Ecossais en
France, t. I, p. 340).
(2) Janvier 1516 [Letters and papers... of Henry VIII, t. Il, n" 22).
(3) p. -M. Pkrrkï, Notice hioqrapliique sur Louis Malet île Graville,
amiral de France [144 ?-l 516). Paris, 1889, in-8", p. 17T; cf. aussi
p. 164, 204, 210).
LA SAINTE-LIGUE, 117
coalisés et ajouté à notre histoire une page épique (I).-
Avant que la guerre éclatât, avec ce sens de la stratégie
qu'on retrouve dans ses moindres campagnes, Prégent de
Bidoux exposait à la Cour un plan audacieux, qu'il appelait
la politique de la « porte ouverte en Italie (2) " . Par l'occu-
pation de Piombino, qui commande le canal de l'île d'Elbe,
il pensait jeter le désarroi parmi les coalisés du midi, quand
Inisurrection soudaine de Gènes ruina ses projets. Le
23 juin 1512, les troupes de la garnison française, pour-
chassées dans les rues par les partisans de Janus de Campo
Fregoso, gagnaient péniblement l'abri du Castclctto et de
la Mauvoisine. En vain Grussol, le nouveau gouverneur,
tenta-l-il une immédiate l'épression en quittant Marseille
avec une escadre de six galères. Force lui fut de recon-
naître le fait accompli et de virer de bord. Le drapeau
fleurdelisé ne flottait plus que sur deux forts.
Puis il disparut du Gasteletto. Le capitaine d'une escadre
de secours partie le 28 juillet de Marseille le chercha
vainement des yeux. La place venait d'être livrée, et par
qui, grand Dieu! par un parent de Bidoux! Treize mille
ducats avaient été le denier de Judas. Quelques mois plus
tard, la hache du bourreau s'abattait sur le traître, auquel
un homme costumé en Génois tendait par dérision une
bourse.
Restait la Mauvoisine de Godefa, Elle avait pour gou-
(1) " Registre des lettres escriptes au Roy par Mons. de Hodetot, con-
seiller et cluuiibellan duclit s''', ayant pour luy la charge de son chasteau-
neuf de Godefa lez Genncs " (1507-1514), B. N., Nouv. acq. franc. 159.
— « Histoire journalière d'Honoré de Valbelle, » en provençal (1423-
1539), B. N., Franc. 5072, fol. 58-41. — Bartholomaeus Senarega, De
rébus Genuensibiis comme ntaria (1488-1514), dans Mcratori, Scriptores
rcrum italicarum, t. XXIV, col. 616-634. — Agostino Giustimano, Cas-
tr(jatissbin nuiiali... di Genova, Qeno\A, 1537, in-fol., fol. 268-272. —
Uberto Folieta, Hisloriae Genuensis libri XII ( — 1528). Genuae, 1585,
in-fol., fol. 293-296.
(2) Prégent à Robertet. Gènes, 25 janvier 1512 (B. N., Dupuy261, fol. 11).
lis Histoire de la marine FRANÇAlsti.
verneur Guillaume de Houdetot (1), un descendant du
héros normand qui ramassait les débris de la floLte échappés
au désastre de l'Ecluse ponr les ramener au feu. Bon sang
ne ment point. Houdetot jura de conserver la place ou de
s'ensevelir sous les ruines. Il s'était ravitaillé tout d'abord
en arrêtant, avec les deux barques attachées à la forteresse,
les transports des insurgés. Mais à peine l'escadre de Ber-
nardin de Baux avait-elle disparu que pointèrent à l'ho-
rizon, le 19 août, des galères de blocus détachées des Hottes
vénitienne, pontificale et napolitaine (^) .
En France, on jugea la situation désespérée; Louis XII
ne songeait plus qu'à sauver les ballots d'armures mila-
naises déposés dans la tour. Par surcroit, Prégcut de
Bidoux avait quitté les eaux méditerranéennes, et le grand
homme de mer était remplacé par un corsaire, incapable
de diriger les évolutions d'une grosse flotte et de livrer
une bataille rangée. Avec ce dédain que l'on a pour les
causes perdues, Bcrnardni de Baux ne laissa plus s'aven-
turer jusqu'à la forteresse de Godcfa qu'un seul de ses
vaisseaux.
Ah! le magnihquo fait d aiiucs (jui fut alors accompli!
Sous le feu meurtrier des batteries de San-Pier d'Arena et
du môle, à travers l'escadre de Itlocus qui n'avait pas
encore pris ses quartiers d'hiver, intrépide, Janot le Mar-
seillais passa. Et, les assiégés ravitaillés le 10 novembre, il
força de nouveau le blocus, grâce aux munitions que Guil-
laume de Houdetot avait généreusement partagées avec
lui. On sut ainsi qu il manquait cinquante-neuf pièces
(1) Nous possédons encore des revues de la garnison de la Mauvoisine de
Godefa pour les années 1510 cl 1511. Plus d'un Normand tijjure parmi les
50 hommes d'armes cl les 100 archers (H. N., Franc. 25784, fol. 129,
145).
(2) Trois galères vénitiennes de Bragadin, deux galères pontificales, et,
un peu plus lard, sept galères de Villamarin (vS.\NrTO, t. XIV, col. 594, 636,
et t. XV, col. 135, 382).
•a =
LA SAINTE-LÎGUË, 119
légères pour gg^rnir les murailles de la Mauvoisine. Mais de
cette détresse, personne n'eut cure.
Les Marseillais étaient trop occupés des attraits et des
profits de la course pour jouer le rôle ingrat de forceurs
de blocus. Ils préféraient de riches aubaines, comme ce
Joannes Richaut qui ne craignait pas de se glisser, avec un
seul vaisseau, au milieu de vingt gros navires marchands
mouillés sous une escorte à Porto-Ferraio : ses batteries
soudain démasquées jetaient l'effroi parmi les équipages, et
il amarinait sans coup férir les trois plus grands bâtiments
chargés de butin (l).
Nous possédons encore comme journal du siège la cor-
respondance du gouverneur : dans cette œuvre d'une gran-
deur tragique, on ne relève ni lassitude ni découragement.
Et pourtant!... Les provisions vite s'épuisèrent : le lard
venu en été s'était corrompu. La carne maigre et dure,
apportée par le capitaine Janot, vers la Chandeleur, tira
à sa fin. La maladie s'abattit sur la garnison et en coucha
bas un tiers, une centaine d'hommes : maladie étrange, à
forme cpidémique, bien qu'elle eût des allures de néphrite
et qui, en trois mois, conduisait au tombeau. Lancées par
deux trébuchets dans 1 enceinte, des charognes, des déchets
infects pouvaient provoquer une autre épidémie. Et un
blocus étroit ("2) empêchait d'introduire dans la place tout
vivre frais, tout remède, même un médecin.
Depuis trois mois sans nouvelles, le Père du peuple s'in-
quiéta et, malgré de multiples préoccupations, ce fut le roi
qui, le premier, songea aux valeureux assiégés. Ordre fut
donné à Bernardin de Baux de leur porter secours.
(1) Valrellk, fol. 3i v". — Deu.v autres escadrilles de quatre bâtiments
chacune faisaient des prises dans le golfe du Lion (Sanuto, t. XIV, col. 580,
597).
(2) Les croiseurs génois surveillaient nos armements, à tel point que
Pierre de Laval fut chargé de défendre avec un galion le littoral d'Aiguës»
Mortes. Mars 1513 (B. N., Franc. 29255, dossier Saint-Paulet, p. 2).
120 IIISTOIRF, DE LA ÏMARINE FRANÇAISE.
Le 16 mars 1513, un navire solitaire jelail lancrc à une
portée d'arbalète de (iodefa, après éehan^e de vigoureuses
bordées avec la Hotte en croisière. Du rivap^e, le doye cons-
terné contemplait le va-et-vient du ravitaillement qui
détruisait tous les fruils il un lonjj sièjjje, quand se ilctiiclia
du rivage une des quatre grosses nefs du blocus. Un jeune
homme venait de demander la permission d'attaquer, à la
tète d'un groupe de volontaires. .La popidation se précipita
dans les églises, et des prières publiques se dirent partout
pour le succès de Manuele Cavallo. Sous une grêle de pro-
jectiles qui frappa nombre de ses marins, entre autres
André Doria, Cavallo se jeta, avec vent en poupe, entre la
barge et la forteresse, brisant la remorque qui les i^eliait.
Cristol Esclavon, capitaine de la barge française, avait
cent soi.xante hommes à bord, les quarante autres avaient
gagné la forteresse. 11 soutint un corps à corps désespéré
contre les volontaires de Cavallo, jusqu'à ce qu il n'eût plus
que trente-deu.\ hommes debout ; alors, Ksclavon. se jetant
par-dessus bord, tenta de gagner à la juige la Mauvoisine,
mais il fut saisi par le jeune l»enedello Giustiniano. et le
brave soldat vaincu prit, menottes au.\ inams, le chemin du
palais ducal, où on l'e-N-hiba comme un trophée (1)-..
lirusqucment, la situation se modilia, l*"l le renforcement
de lescadre de blocus, d abord de six galions, puis d'autres
bâtiments qui la portèrent au chiffre formidable de qua-
rante-cinq voiles, trahit l'anxiété des Génois.
JjOuis XII avait promis à Guillaume de lloudctot de le
dégager. Une armée et une flotte accouraicntà son secours.
Trivulze et La TréinolUe franchissaient les monts. Sans
les attendre, nos partisans, les Adorno, dévalant par la val-
lée de la Polcevera, tombaient sur les assiégeants retran-
chés dans l'abbaye de Saint-Bénigne, enlevaient les battc-
(1) GiusTiMANo, pi. 268. — Sknarkca, col. G20. — Foi.iicta, fol. 294. —
V.\LBELLE, fol. 32. — B. N., Nouv. acq. franr. 159, fol. 38,
LA SAINTE-LIGUE. 121
ries et balayaient les troupes du doge accourues à la
rescousse. Antoniotto Adorno, sans désemparer, se faisait
proclamer gouverneur de Gênes au nom du roi de France.
La veille, le 2:5 mai 15i:î, la flotte française, partie de
Marseille, avait été signalée du côté de Final. Le lieutenant
de Provence, Claude Durre, sieur du Puy-Saint-Martin,
amenait toutes les forces navales de la province (1), les
divisions Bernardin de Bau.\, Charles de Forbin et Servicn,
jusqu au contingent du seigneur de Monaco (2). Il n avait
pourtant que trente-trois bâtiments à opposer aux qua-
rante-cinq de Niccolo Doria. Les deux flottes coururent un
moment à contrebord à portée de canon, avant que Doria
se résignât à battre en retraite vers La Spczia. Pressé de
pourvoir au besoin des assiégés, Saint-Martin se dirigea en
droite ligne, le 23 mai, vers Godefa.
Il ne se décida à donner la chasse à son adversaire qu'a-
près Féchcc d une tentative de conciliation. Les messagers
envoyés aux marins de Doria pour leur conseiller de se sou-
mettre furent éconduits sans même être écoutés. G est que
le chef des insurgés, le doge Janus de Campo Frcgoso, était
sur la flotte, où il avait mis ses derniers espoirs. Et il ne fut
pas déçu. Deux de nos galères, la Sainte-Claire et la Sainte-
Lucie, imprudemment lancées à lapoursuited'un brigantm,
tombèrent le 3 juin dans une embuscade (3) : l'une, armée
par la ville de Fréjus, fut réduite à séchouer; l'autre, sous
Ténergiquc direction du châtelain de La Napoule, soutint
un violent combatcontre les galèi'es génoises, qui l'avaient
cernée, et perdit la plus grande partie de ses gens avant
de succomber; il n'échappa, de tout l'équipage, que trois
hommes. Démuni de deux de ses meilleurs vaisseaux, Saint-
(1) 9 galères, k galions et 20 autres navires, armés à Marseille et à Ville-
franche (Extrait du compte de PhilbertBabou, B. N., Franc. 17329, fol. 185).
(2) Un galion, trois caravelles et quelques hrigantins. Valbelle (fol. 33)
donne une liste détaillée de l'escadre.
(3j Archives des Bouchcs-du-llhône, B 1232, fol. 11 v», 23.
122 HISTOIRE DE LA MARINE FRAiXÇAlSE.
Martin se replia piteusement sous les murs de la Mauvoi-
sine de Godcfa. Il suffît de l'apparition do vingt-huit bâti-
ments ennemis à l'autre extrémité du port de Gênes, à
l'embouchure du Bisagno, pour précipiter sa retraite vers
Marseille. Aussi triomphant avait été le départ, aussi
lamentable fut le retour, sous les huées de la populace et
les malédictions des veuves et des orphelins.
Jamais l'influence de la suprématie navale sur la marche
des événements ne fut plus saisissante. Notre escadre dis-
parue, le K) juin, lesAdorno s enfuirent de Gènes; un nou-
veau doge y fit son entrée; Trivulze était défait dans le
nord, son armée en pleine déroute. Après une éphémère
délivrance, les assiégés de Godcfa vovaicnt s effondrer leurs
espoirs, et le cercle de fer du blocus de nouveau se refer-
mait sur eu.x.
E.vaspérés d'une résistance qui ne leur laissait ni sécurité
ni repos, les Génois s'acharnèrent contre la forteresse. Un
architecte proposa de la faire sauter. Un de ces pontons
qu'on employait au transport des énormes blocs du môle
fut transformé en machine infernale, garni de biarres de fer,
matelassé et blindé à l'épreuve des boulets. Dans la nuit
du 27 septembre, son constructeur, des officiers de marine,
une centaine de soldats d'élite, embarqués à bord, appro-
chèrent silencieusement de Godefa. Quelques brasses
encore, et les mines seraient sous les remparts, quand le
canon tonna. Nos sentinelles avaient donné 1 alarme; cl,
malgré son blindage, la machine infernale, éventrée, s'en-
fonça dans 1 abime (1).
Les assiégeants dressèrent de nouvelles batteries à la
gorge du promontoire, renforcèrent de cent cavaliers les
troupes de siège et de nouveaux croiseurs la flotte de blo-
cus, afin d'intercepter les moindres communications de la
(i) Sexarega, col. 627. — B. ]S., Nouv. acq. fram;. 159, fol. 14, 15.
f LA SAIME-LIGUE. 123
garnison avec Le dehors. Du poste d'observation du cap de
Monte, à quinze milles dans Test, des j^alères étaient prêtes
à fondre sur tout navire suspect (Ij .
Guillaume de Houdetot connut ce supplice nouveau et
intolérable de l'absence de nouvelles. Des mois passèrent.
De France, il ne voyait rien venir : trois paires de lettres
royales à son adresse étaient tombées entre les mains de
rennemi. Le -4 décembre, dans une touchante épître, le
gouverneur suppliait la reine d'exposer à son auguste épou.v
la situation navrante des assiégés. Par une dernière fata-
lité, quand la supplique parvint à la Cour, Anne de Bre-
tagne était à l'agonie. Deux galions sous pavillon français,
ceux de François Albertinelli et Raphaël Rostan (2),
avaient un instant voltigé à Ihorizon; mais ils s'étaient
évanouis, dès que l'escadre de blocus les eut découverts.
Et l'héroïque Houdetot de railler l'excessive prudence du
capitaine Bernardin : " Espère-t-il donc arriver invisible :
qu il quitte ce souci! »
Une lettre royale du 2 mars lôl^ parvint pourtant à
Godefa. Elle demandait confidentiellement combien de
temps la place pourrait encore tenir, en poussant les choses
a à l'extrémité " . Le nombre de mois et de jours devait
être indiqué par cette phrase conventionnelle : <; Sire, il v
a aujourduy ( ) ans et ( ) mois (3j que me promistes
ung office. " — « Sire, il y a deux ans et demy qu'il vous
pleut me promettre ung office, » répondit, le 19 mars, Guil-
laume de Houdetot. Deux mois et demi ! telle était donc la
limite suprême qu'il crovait pouvoir assigner à la résis-
tance. Louis XH le pria de lui accorder un mois de plus,
un mois de grâce. Le gouverneur assembla ses hommes qui
(i) S^;^AH^;GA, col. 632.
(2) Que faisait armer Claude Durrc à ^Marseille, le 6 février 1514 (Archives
des Bouches-du-Rhône, B 2551, fol. 326).
(3) Les ans devaient indiquer les mois, et les mois les jours (B. N., Nouv.
acq. franc. 159, fol. 40 v°).
124 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
tous, d Une comniuiie voix, accédèrent au désir royal. Ils
prolongeraient la lutte jusqu'à la fin de juillet.
Cette belle réponse fut expédiée dans le langage conven-
tionnel précédemment adopté et non suivant le chiffre con-
tenu dans la missive royale du 20 avril. La missive était
parvenue à destina lion dans un tel état qu'il y avait lieu de
craindre que rennemi n'en eût pris connaissance. On com-
prendra par un simple fait la grandeur du sacrifice con-
senti par les assiégés : la misère les contraignait à vivre
dans le costume d'Adam, u tous nuds (1). "
Grâce à l'énergie d'un patron de Villefranchc, ils purent
tenir, et au delà, leur promesse. Le -4 mai 1514, une bar-
que filait droit sur l'entrée du port de Gênes. Aux brigan-
tins de garde, Paul Corse répondit qu'il portait en ville du
blé : on l'escorta jusqu'au môle... Soudain, sous une brise
légère, Corse, faisant une embardée à bâbord, se jetait à la
côte sous les canons de la Mauvoisiiie. Aux vaillants défen-
seurs, il apportait de la poudre et des balles, deux cents
émines de blé et, comme bois de chauffage, la carcasse
même de son bateau.
Pour l'adroit forccur de blocus, Houdetot réclama une
éclatante récompense, afin de lui susciter des émules. Il en
était besoin : les audaces, à la longue, s'usaient. Un disait
couramment en Provence que la Mauvoisine justifiait son
nom tant pour les Français que pour les Génois. Le
sophisme dont se couvrait alors la peur était le respect
du principe des nationalités : « Gênes aux Génois, l'Italie
aux Italiens, la France aux Français; les monts fout les
nations, » tel était le dicton populaire recueilli par le
chroniqueur contemporain Valbelle. Axiome respectable,
certes, mais non quand il masque une lâcheté.
A l'aide des Provençaux, Louis XII manda des Nor-
(i) Lettre de Houdetot, 7 mai i5i4(B. N., Nouv. acq. franc. 159, fol. 43).
LA SAIiNTE-LIGUE. 125
mands. Loin des regards inquisiteurs des espions génois,
dans un petit port à Tcmbouchure de la Seine, un navire
de 1-40 tonnes embarquait vivres et munitions; et, le
20 avril, la Trinité de Honfleur appareillait pour la forte-
resse de Godefa (1). Mais l'aventure de Paul Corse avait eu
le fâcheux résultat de provoquer un redoublement de sur-
veillance des Génois : dix-neuf vaisseaux de guerre, sans
compter les avisos, ne laissaient entrer au port aiu-un
bâtiment, si minuscule fût-il, sans lui faire subir plusieurs
visites. Et la Trinité, impuissante à forcer le blocus, dut
rebrousser chemin vers Aigues-Mortcs.
Les assiégés étaient à la dernière limite de la soufirance.
Au roi, au grand sénéchal de Normandie, au général du
Languedoc, Guillaume de Houdetot réclamait d'urgence
l'envoi d'une flotte de secours. Le seul intérêt de la patrie
le guidait, et il le disait en de beaux termes, qui furent
prophétiques : " Si vous aviez veu la place, je ne croy pas
que vous fussiez d'oppinion que ledit seigneur roi la lais-
sast perdre. Par le moyen d'icelle, ledit seigneur peult
tenir toute l'Ytallie en sujection. Et s il advient qu'il la
perde, je ne crovs pas que jamaiz la recoeuvre {"!). »
L'appel fut vain. Bernardin de Baux ne s'ébranla pas.
Pour recommencer le grand effort naval de l'année précé-
dente, il attendait quelqu'un.
La famine n'attendit plus. Une femme, longtemps leur
compagne d'infortune, porta aux assiégés le rameau d'oli-
vier. Ils quitteraient la place, vies et bagues sauves, que
dis-je? En Normand habile, Houdetot fit supporter à l'en-
nemi tous les frais du siège : il exigea de la banque de
(i) Récit de sa navigation, du 20 avril à décembre t5iV, dans la quit-
tance délivrée par Jean I^e Danois et Jean de I^a Chesnaie, ses proprié-
taires. 12 septembre 1515 (B. N., Pièce:! Orig., vol. 737, doss, de La Ches-
naye 16852, n° 3).
(2) Lettres de Houdetot, 7 mai 1514 (B. N., Nouv. acq. franc. 159,
fol. 43 v").
1-26 IIISTOIRF- DK LA INIARINE FRANÇAISE.
SaiiiL-Gcoi-gcs 23,000 écus, arréi^ages de la solde que ses
soldats ne touchaient plus depviis longtemps de la France.
Pour lui, il refusa noblement de rien prendre : a Le roi
de France est assez riche pour me récompenser. " La capi-
tulation portait que la forteresse serait rendue le 2G août,
si d'ici là aucun secours n'avait paru.
Le IH août, le drapeau français se déploya à l'horizon.
Bernardin de Baux élait au large avec deux galères, dont il
avait dissimulé au\ espions .génois la deslmalion, par une
feinte du coté du Languedoc. L'Anguille, lancée de l'avant,
approcha de Godefa : mais à la vue des nombreux bâti-
ments de blocus, le patron Julien Ycart, sentant défaillir
son courage, liattitcn rctraile.
Dès lors, les destinées s'accomplirent. Le 26 août, au
matin, après deux ans et sept jours de siège, la garnison
évacua la forteresse ; et soldats, marins, hommes d'armes,
deux cents hommes environ, furent transportés à Nice.
Quelques jours après, sous les ordres des deux frères de
Houdetot, Guillaume et Robert, ils défdaiont triomphale-
ment dans les rues de Marseille (I).
Déjà, la tour Mauvoisine, la forteresse de Godefa, n'exis-
tait plus. Elle avait été rasée do fond en coml)le. Gènes res-
pirait enfin. Les citoyens se croyaient libres. Jamais ils
n'avaient élé plus proches d'un nouveau vasselage.
Iloudolot avait succombé : et voici que le sauveur
attendu arrivail du Ponant, après avoir vengé Portzmo-
guer et ht Cordelière. Pour délivrer la tour de Godefa,
Louis XII avait mobilisé toute la flotte du Levant, dix-huit
galères et galions, avec Préj;ent et Bernardin, que devaient
appuver j>ar terre liuil mille lans(|ucnels (2). Le 17 août,
(i) Vai.iiki.lk.
(2) I^cttres de PandolHni, ambassadeur de Toscane en France. Poissy,
21l- juillet et 9 août (Abel DES.TAni)iNS, Néfjoci niions (lipl<rinali</iies de la
Fiaiict' Kvcc 1(1 Toscane, t. II, p. 6V7, 653, dans la (k)llection des docu-
ments inéditsj.
f LA SAINTK-LIUUE. 127
Prégeiit de Bidoux signalait son passage à Valence par la
capture d'une carraquc génoise, l<i Cattanea ou la Negro-
nasso, \\\n des plus grands vaisseaux du temps. André
Doria, pensant lui couper la route, vint embosser aux
îles, en vue de Marseille, des forces doubles des nôtres. Il
eut avis que la carraquc, encadrée des barges marseillaises
de François Albertinelli et Raphaël Roslan, était non loin
de là. vers le grau dAigues-Mortes. Comme il prononçait
une attaque enveloppante à la tète de treize galères et bri-
gantins, une fuste légère se jeta intrépidement à travers
ses lignes, et, non sans perdre plusieurs hommes, se rangea
aux cotés de nos trois vaisseaux. Le brave qui s'était ainsi
troué un passajje était le héros de (^odefa, le capitaine
Janot (1). Le combat, si inégal qu'il fût, dura une demi-
journée et se termina par la déroute de la Hotte génoise,
dont la moitié alla se fracasser, par la tempête, en Cata-
logne.
Le 21 septembre, l'escadrille victorieuse, qu'avaient ral-
liée les quatre galères de Bidoux, entrait dans le port de
Marseille au bruit des salves d'artillerie et des vivats (2).
La division de Frère Bernardin, qui s'y trouvait déjà,
venait d'échapper à un désastre. On avait démasqué à
temps un agent du doge de Gènes, matelot sur la barge la
Messlnoise, avant (ju'il eut fait usage dune poudre diabo-
lique qui brillait sur l'eau. Contre une promesse de
mille ducats, le traître avait promis au doge d'Incendier
toute la division (3) .
L'avortement de cette criminelle entreprise fut suivi de
(1) VALnp:LLK, fol. 38 v". — Archives des Rouches-du-Ilhône, V> J232,
fol. 43. _ GiusïiNiANO, fol. 27t. — Selon Sasiio (t. XIX, col. 195, 225),
la flotte génoise aurait même été plus forte : elle aurait compris 9 {jalùres,
3 fustcs et 7 brigantins.
(2) Vai.beli.k, fol. 38 v".
(3) Archives des Bouches-du-lUiûne, H 1232, fol. 39. — Le traître fut
e-\écuté le 28 septembre (Ruffi, Histoire de Maiseil/e, t. II, p. 350).
1-28 HISTOIRE UE LA MARINE FRANÇAISE.
récrasement de la flotte génoise, épuisée par le blocus. A
peine eut-il pris quelque repos, que Présent remit à la
voile, le 27 septembre, à la tête de douze bâtiments légers.
Non loin de Gènes, il cerna huit galions réfugiés dans le
port de Varrazzc. Débarquant une colonne (ralta([uo, il
investit la ville, que l'artillerie de la flotte bombarda vigou-
reusement; les galions génois ne tardèrent pas à prendre
feu; mais telle fut la fureur des halîitants à ce spectacle,
qu'ils jetèrent dans les épaves incandescentes ceux de nos
soldats isolés qu'ils purent prendre. Leur cruauté n'empê-
cha pas leur défaite.
Faute de la suprématie navale, nous avions perdu la
Mauvoisine ; faute de cette même suprématie, (Jênes perdit
à nouveau l'indépendance, etle doge du! s iiuniilier devant
le roi.
LE NOUVEAU MONDE
LE VOYAGE DE " L'ESPOIR » ES INDES MÉRIDIONALES
ET OCCIDENTALES
Quelle impression produisit en France la découverte
sensationnelle de Christophe Colomb? Aucune chronique
ne nous l'apprend. Mais quoi de plus éloquent que cet
incident de roule, relevé par Las Cases? Lors de son troi-
sième voyage en Amérique, en mai LiOT, Colomb dut cher-
cher à Madère un abri contre des corsaires français agui-
chés par les richesses des Terres Nouvelles.
Les plus habiles de nos pilotes — c'est le cosmographe
Garcie-Ferrande qui décerne aux Honfleurais ce titre —
se procurèrent un manuscrit de Marco Polo (1), et en con-
fièrent la garde à Téchevin de leur confrérie (2). L'échevin
(1) Le propre manuscrit du roi Charles V. Maintenant à Stockholm, le
manuscrit porte la signature de Symon du Solier, de Honfleur (L. Delisle,
compte rendu du Livre île Ma?To Polo. Fac-similé' d'un manuscrit du
xiv'' siècle. Stockholm, 1882, in-V", dans la Bihliothérine de l'Ecole des
chartes, t. XLIII, p. 228).
(2) Svmon du Solier était échevin en 1489 (Cli. et P. hnv.knD, Documents
relatifs a la marine normande et à ses armements aux xvi* et xviii^ siècles
pour le Canada, l'Afrique, les Antilles, le Brésil et les Indes. Rouen, 1889,
in-8", p. kk).
m. 9
130 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
était Fami de Malet de Graville, dont il hébergeait l'artil-
lerie navale (1) .
Du manuscrit corporatif, l'amiral de Graville se hâta de
tirer copie (2), tant les récits du îameux Million sur TEx-
tréme-Orient redevenaient d'actualité. N'était-ce point à
la lecture de Marco Polo que Colomh devait les illusions
de son premier voyage, quand il prit Cuba pour la terre de
Quinsay, résidence du grand Khan, et les Azitillcs pour les
îles des Épiées, dont l'une, entre sept mille autres, était
habitée par des Amazones (3).
Et voici justement qu'il en était question dans un conte
fantastique adressé à l'un des capitaines inscrits sur les
listes de la confrérie honfleuraise, Jean de Porcon (4).
Par leurs allusions à l'île des Amazones et aux îles innom-
brables avoisinant le royaume du Prêtre-Jehan, n les Nou-
vel/es admirables, lesquelles ont envoyées les patrons des
gallées transportées du vent es parties des Indes (5), »
semblent un écho de la découverte colombienne, dont elles
seraient contemporaines (<)) . L'écho ne retentit point dana
le vide.
Honfleur fut alors pour nos marins ce que fut Lisbonne,
(t) Symon du Solier logeait dans son cellier l'artillerie de Ift nef amirale
Louise (Archives du Havre, EE 79),
(2) Actuellement B. N., JMouv. acq. franc. J880.
(3) Navarrete, Coleccion de viajes y desciihrimientos que liifieron pov
mar lo.i Espaùoles desde fuies del sifjlo XV. Madrid, 1825-1837, in-4", t. II,
p. 58.
(4) Depuis 1494. En J501, après la mort de Porcon, durant la campagne
de Mitylène, sa veuve, Cardine, le remplaça sur les rôles de la Confrérie
(Registre de la Confrérie Notre-Dame, ù Honfleur).
(5) Musée Condé à Chantilly, Imprimé IV B. 60 : cf. suprù, t. II,
p. 396.
(6) Un exemplaire des JSntii'el/cs (tdmirablcs est en effet conservé à la
bibliothèque publique de Nantes, dans un lot d'opuscules de la fin du
xv'^ siècle. Et l'estampe gravée au verso du titre est la même que celle des
Bulletins de l'Armée d'Italie, en 1494 (Cf. Rhuset, Manuel du libraire,
t. IV, col. 118). — Cf. également Ferdinand Dems, Le monde enchanté,
cosmographie et histoire naturelle du moyen âge. Pai'is, 1843, in-32.
LE NOUVEAU MONDE. 131
ce que fut Séville pour les conquistadors, le port d'où Ton
cherchait à gagner les Indes par TOrient et TOccident. Le
Honfleurais Jean Denys (1), en 1506, piloté par Gamart de
Rouen, donnait son nom au havre de Terre-Neuve qu'on
a depuis appelé Rognouse (:2). Et en 1508, un transfuge de
la confrérie Notre-Dame (3), Jean Ango, le père, envoyait
dans les parages américains lo Pensée du capitaine Thomas
Aubert (4) .
L'un et l'autre n'avaient fait que suivre les traces de
Gortc-Real. Mais leurs compatriotes devancèrent sans doute
Cabrai. Quand les Portugais arrivèrent au Brésil en 1500,
les indigènes leur firent comprendre que d'autres étrangers,
habillés de même, étaient déjà venus, mais qu'ils avaient
généralement la barbe rousse. Les Portugais en conclurent
que c'étaient des Français (5). Ils ne se trompaient point.
Tous les témoignages concordent à cet égard : des arma-
teurs de Sain t-Pol -de-Léon revendiquent énergiquement,
en 1528, leur titre de premiers occupants dans la partie
nord du Brésil (G). Au même titre que les Bretons, les Nor-
mands «maintiennent avoir premiers descouvert ces terres
et d'ancienneté trafiqué avec les sauvages du Brésil contre
(i) Dont l'un des vaisseaux revenait, en 1492, richement chargé de
Messine et de Naples (B. N., Franc. 15540, fol. 132 : Spo:^t, [m marine
française sous Charles VIII (1483-1493), tirage à part, n. 43).
(2) Un armateur rouennais, en 1544, laissa des barques « en la terre
neufvc au havre de Jehan Denys, dicte Rongnouse « (B. N., Franc. 24269,
fol. 55). — G.-B. PiAMU.sio, Eaceolta délie nnvigatinni et i'ia(/f/i. Venezia,
1565, t. III, fol. 423. — II. II.XRiiissE, Jean et. Sébastien Cabot. Paris,
1882, in-8", p. 249, 273.
(3) Ango, inscrit sur les registres de la confrc'rie de Ilondeur jusqu'en
1506, cessa, cette année-là, de payer sa cotisation : en 1518, on le men-
tionnait comme absent depuis douze ans (« Registre des deniers deubz à la
confrairie fondée on l'église Notre-Dame de HonHeur» : Cf. BnK.\RD, p. 44).
(4) Ramusio, passage cité.
(5) Copia des Neweii Zeytung auss Pressilig land, à Dresde : Relation
allemande des débuts du xvi" siècle (P. Gaffarel, Histoire du Brésil fran-
çais au xvi° siècle. Paris, 1878, in-8% p. 25).
(6) Lisbonne, Archives de la Torre do Tombo, Corpo chronolor'im p. I,
liasse 41, doc. 80.
J32 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
la rivière de Saint-François, au lieu qu'on a depuis appelé
Fort Real. » S'ils n'eurent, comme le leur reproche l'histo-
rien des Tî-ois Mondes, « ny l'esprit, ny discrétion de laisser
un seul escrit public pour asseurance de leurs desseins (l) " ,
c'est quils étaient évincés d'avance. Le monde à découvrir
avait été partagé entre Espagnols et Portugais, au lende-
main de la découverte de Colomb, et à empiéter sur les
co-partageants, on s'exposait aux foudres pontificales. En
traçant la fameuse ligne de démarcation qui passait à cent
lieues à l'ouest des Açores, Alexandre VI avait frappé d'ex-
communication, le 6 mai 1 493, tout étranger qui s'aventu-
rait dans les concessions hispano-lusitaniennes.
Un hasard seul nous a conservé la preuve que " Diep-
pois, Malouinois et autres Normands et Bretons " allaient
au Brésil " d'empuis aucunes années " avant 1503. Pour
échapper aux droits d'aubaine dont on prétendait la frapper
comme issue d'un étranger, une famille Paulmier allégua
que cet ancêtre, un sauvage, n'était point un oubain, mais
un otage gardé contre la foi des engagements. Et elle pro-
duisit, à l'appui de son assertion, la relation de voyage du
vaisseau [Espoir...
Les denrées exotiques rapportées des Indes Orientales
par Vasco de Gama, Cabrai et Nova (2) avaient allumé les
convoitises de commerçants honfleurais de passage à Lis-
bonne. Une mûre enquête leur apprit quelle large marge
de bénéfices laissait la vente du poivre, de la cannelle, de
la noix muscade, du camphre et de l'indigo, quand on
allait s'approvisionner à Cochin (3). De retour à Honfleur,
(1)La PopeliniÈre, Les trois Mondes. Paris, 1582, in-8", livre III, p. 21.
(2) De retour à Lisbonne les 29 août 1499, 23 juin 1501 et 11 sep-
tembre 1502.
(3) Cf. la liste des denrées achetées à Cochin par un facteur italien, lors
du second voyage de Gama. 30 mars 1503 (D' Franz Hummerich, Vasco da
Gama nnd die Entdedaing des Seewegs nach Ostindien. Munchen, 1898,
in-8», p. 200).
LE NOUVEAU MONDE. 133
Binot Paulmierdc Gonneville (1) et ses compagnons n'eurent
pas de peine à trouver des commanditaires disposés à tenter
eux aussi la fortune (2). Le petit bâtiment de cent vingt
tonneaux qu'ils équipèrent pour l'Inde avait comme Dieu-
conduit VEspoir.
Dans un bâtiment aussi faible, comment put-on embar-
quer soixante hommes, des vivres pour deux ans, des objets
de troc par milliers, des verroteries par quintaux, des toiles,
des pièces de drap et de velours par centaines? Mystère de
l'arrimage! L'Espoir appareilla le 24 juin 1503, après une
communion générale de l'équipage dans l'église de Hon-
lleur. Pour une traversée aussi nouvelle et aussi longue,
deux des armateurs, Andrieu de La Marc et Antoine Thiéry,
avaient été adjoints comme conseils au capitaine de Gon-
neville; et deux Portugais, qui avaient été à Calicul, Bas-
liao Moura et Diogo Gohinto, aidaient de leurs souvenirs
le " bon vieux routier » de mer Colin Vasseur (3).
La route relevée dans les instructions nautiques de
Yasco de Gama, était de gouverner au sud à partir de San-
tiago du Cap Vert, en prenant, à la rencontre des vents
alises, la bordée du sud-ouest pour courir bàbord-amures,
tant que le vent refuserait; on tombait alors dans la région
où le bâtiment avait en plein le cap de Bonne-Espérance
(1) BnK.vno, Notes sur la famille du capitaine Goitiierille. Rouen,
1885, in-8".
(2) Etienne et Antoine dits Ttiiéry, Andrieu de La Mare, Batiste Bour-
geoz, Thomas Athinai, Jean Carrey, de Honfleur.
(3) Nous connaissons l'expédition de l'Espoir : i" par la " Déclaration du
voyage du capitaine Gonneville et ses compagnons es Indes » devant « les
gens tenants l'admirauté... à Rouen » (Bibl. de l'Arsenal, manuscrit H. F.
24 ter, publié par M. d'Avezac, Relation authentique du voyage du capi'
taine de Gonneville. Paris, t869, in-8"); — 2" par une relation abrégée
servant de rapport de nier, conservée au xviii"= siècle encore dans les archives
du baron de Gonneville (publiée par Margry, Les navigations françaises et
la révolution maritime du xi\^ siècle. Paris, 1867, in-8", p. 159-162). Cette
relation abrégée fut envoyée, dès 1659, à André Du Chesne, historiographe
du roi, par l'abbé Pauluiicr, descendant du sauvage Essomericq (B. N.,
Collection De Camps 124, fol. 109-114).
124 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
et chances de vent pour le doubler. C'est ainsi que Pedral-
varez Cabrai avait rencontré fortuitement le Brésil, c'est
ainsi que l'Espoir doubla le cap Saint-Au{^ustin. La ligne
coupée le 12 septembre, V Espoir tira pendant deux mois
vers le sud. Le 9 novembre, la rencontre de longs roseaux
flottants semblait annoncer le voisinage du cap de Bonne-
Espérance, lorsqu'une tempête d'une extrême violence
emporta le bâtiment à la dérive. A l'ouragan, succédèrent
les calmes meurtriers, aux pluies fétides, de la région si
connue de nos marins sous le nom de Pot-au-Noir.
Des oiseaux venaient du sud et y retournaient, indice
d'une terre prochaine. Tournant le dos à 1 Inde orientale,
on parvint en effet, le 5 janvier ISO^, en vue d un conti-
nent; le lendemain, l'Espoir s engageait dans une rivière
(i quasiment comme » 1 Orne. La terre était habitée. On
apercevait des hameaux d'une cinquantaine de cabanes et
plus; fermées, comme les étables normandes, d'un loquet
de bois sur une porte en treillis, ces cabanes, en tissu
d'herbes, avaient comme mobilier des nattes et de la vais-
selle en bois enduit d'argile. Les indigènes, uniformément
vêtus de manteaux courts en peaux ou plumasseries,
comme les Bohèmes, et d un tablier descendant jusqu à
mi-jambe chez les femmes, portaient de longs cheveux
ballants, sous des tortils d herbes ou de plumes aux cou-
leurs vives. Des flèches dont un os aiguisé formait la pointe,
et des épieus en bois dur constituaient tout leur arsenal.
C étaient de bons vivants et une race hospitalière que
les Carijos du rio San-Francisco-do-Sul, les Indiens de la
partie méridionale du Brésil avec lesquels on a identifié
les hôtes de l'Espoir (1). a Quand les chrestiens eussent
esté anges descenduz du ciel, ils n'eussent pu estre mieux
chéris par ces pauvres Indiens. » Nos Normands restèrent
(J) iJ'AvEZAC, p. 72-77.
LE NOUVEAU MONDE. 135
six mois dans ces u Indes méridionalles " , tant pour se
refaire que pour radouber leur Ijàtinient. Le jour de
Pâques, ils plantèrent solennellement une croix de trente-
cinq pieds de haut, où étaient gravés les noms du pape,
du roi, de l'amiral de Graville et de tout l'équipage, jus-
qu'au dernier des pages. Au revers, un distique latin, " un
deuzain numbral, n renfermait sous forme de chrono-
gramme la date de 1 érection :
hIG saCba paLMarIVs posVIt gokIVILLa bInotVs
greX soCIVs parIter nkVstraqVe progekIes (1).
L'auteur de ce rébus, le docte Nicolle Le Febvre, dressa
la cartographie de la région, en l'agrémentant d'une
foule de dessins, tandis que l'équipage recueillait des
pelleteries, des racines à teindre et autres curiosités du
pavs. Emerveillé de nos miroirs, plus ébahi encore que le
papier pût parler et le boulet voler, le roi Arosca voulut
que son fils fût initié aux mystères de la civilisation ; le
jeune Essomericq, accompagné de Namoa comme mentor,
devint un passager de VEspoir^ sous la promesse qu'on le
ramènerait au bout de vingt lunes. Et le 3 juillet, comblé
de présents, salué dun « grand cry d par les sauvages,
Gonneville prit congé de son hôte.
Le voyage de retour, car les matelots refusèrent d'aller
plus loin, fut lamentable. « Entachez de fièvre maligne » ,
le chirurgien du bord, l'Indien Namoa et deux autres per-
sonnes moururent. Essomericq tomba gravement malade,
au point que le capitaine, le jugeant perdu, le baptisa et
lui donna son nom. La maladie provenait des eaux
puantes, qui servaient de boisson. Il fallait à tout prix
trouver une aiguade. " Or, passez le Tropique Capricorne,
(i) u II y a, de compte fait, dans ces deux vers, un M, trois C, trois L, un
X, sept V et neuf I, soit 1000 -\- 300 + 150 -f 10 + 35 -|- 9 = 1504 »
(D'AvEZAc, p. 79).
136 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
hauteur prise, trouvoieat estre plus éloignez de l'Affrique
que du pays des Indes occidcntallcs, oii, d empuis aucunes
années en çà, les Dicppois et les Maloùinois et autres Nor-
mands et Bretons vont quérir du bois à teindre en rouge,
cotons, guenons et perroquets. Si que, le vent d'est, qu'ils
ont remerché régné coustumièrenient entre ledit Tropicque
et cil du Cancre, les y poussant, fut d'unanimité délibéré
d'aller quérir cettuy pays, affin estout de se charger des
susdites marchandises, pour rescaper les frays et voyage. »
Les Indes occidentales, où ils touchèrent le 10 octobre,
étaient encore le Brésil, mais une région toute différente
de la première tant par la latitude, tout à fait septentrio-
nale, que par le caractère des habitants. " Nuds comme
venants du ventre de la mère, ébarbéz, my-tondus, " tatoués
de noir, les lèvres trouées et garnies de pierres de jade,
et, pour tout dire, anthropophages, les ïupinambas (1)
tuèrent ou blessèrent tous les hommes envoyés à Taiguade,
entre autres » M. Nicole Le Febvre, le plus clerc de la
navire, qui, par curiosité dont il estoit plein, s'estoit des-
cendu à terre. »
On atterrit cent lieues plus loin, à Bahia, où une relâche
de trois mois permit d'embarquer une riche cargaison.
(i Huit jours après le débouc|uement » du départ, le
1" janvier 1505, on avait en vue « un islct inhabité, cou-
vert de bois verdoyants, d'où sortoient des milliasses
d'oiseau.Y, gros en plumes » , pour venir se percher sur les
agrès. L'islet, si bien caractérisé par ses innombrables
vols de caracuras, avait depuis un an un propriétaire, qui
lui avait donné son nom : c'était l'ile Fernam de
Noronha (2).
Cinq semaines plus tard, nos voyageurs revoyaient
l'étoile du nord, mais pour retomber bientôt dans l'im-
(i) Selon l'identification de d'Avezac, p. 83.
(2) D'AvKZAG, p. 83.
LE NOUVEAtJ MONDE. 137
meiise prairie de varechs glauques à vésicules rondes,
qu'on appelle la mer des Sargasses. Le 9 mars, ils se ravi-
taillaient à Fayal, dans les Açores; ils se radoubaient en
Irlande ; et, près de toucher au port, » au seuil de Thoslel " ,
le 7 mai 1505, ils faisaient la fâcheuse rencontre du pirate
EdAvard Blounl, de Plymouth. Ils se défendaient vaillam-
ment, lorsque surgit un autre forban, le Breton Maurice
Fortin, jusque-là masqué ilcrrière Jersey ou Guernesey.
Gonneville prit le parti de jeter l Espoir à la côte, ayant
perdu seize hommes dans l'engagement. Trente et un sur-
vivants, dont le jeune Indien, gagnèrent cnlin, le !20 mai,
Honfleur. Et c'esl par une [)lainte en forme, baillée en jus-
tice, que nous connaissons leur aventureuse entreprise et
leur déconvenue.
La campagne de l'Espoir n'eut pas de lendemain. Son
désastre découragea nos marchands. Vers l'Inde orientale,
ne s'aventurèrent plus (juc des corsaires hardis, loi Mon-
dragon, ce brave sans doute qui se si.;;iuilait sur Li Réale
au.K cotés du vaillant Mordret (l).
Au moment où Tristan da Gunha ralliait, dans le canal
de Mozambique, les seize vaisseaux emmenés le G mars
150G de Lisbonne, surgit comme un démon Pierre de
Mondragon, dont le bâtiment de Job Queimado en un ins-
tant devint la proie. Au retour de Mondragon en Europe,
les coups de main succèdent aux coups de main. Une sur-
prise nocturne, en novembre 1508, le rend maître du plus
beau des bâtiments à l'ancre dans la baie de Cadix : un
peu plus tard, au cap Saint-Vincent, une carraque portu-
gaise lui livre la riche cargaison d'épices et de soies qu'elle
rapporte de Calicut. Le roi de Portugal, le roi d'Espagne
(1) En 1503 (Jean d'AuTON, Cluoniquea, éd. de Maulde La Clavière,
t. III, p. 238). — Gonneville continua pourtant à s'intéresser aux décou-
vertes géographiques, si c'est bien lui le propriétaire d'une Gcofjraphia de
SiHABO?;. éditée à Paris en 1512 (Catalogue de la hihlioflièatie. . . Jérôme
Pichon. Paris, 1898, in-8°, 3" part., p. 1).
138 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
s'émeuvent. L'un lui fail clonnci" la chasse (1), l'autre le
poursuit de ses mandats d'arrêt jusque dans les ports de
Bayonnc el Saint-Jean-de-Luz (2), cependant que l'heu-
reux capteur écoule son hutln à Pampelune (3).
Où la probité commerciale échouait, le vol triomphait
impuni : Gonneville ruiné et Mondragon enrichi, c'était
une leçon d'une moralité fâcheuse pour nos armateurs, au
début de nos navigations au long cours.
II
TERRE-NEUVE
Vers l'Amérique du Nord au contraire, s'établit, dès les
premières années du xvi' siècle, un courant de navigations
qui devait résister à toutes les vicissitudes de la politique
et à l'action des siècles. On ne sait point exactement de
quelle année datent nos premiers voyages à Terre-Neuve.
Ramusio nous a conservé deux dates, 150G et 1508, pour
les voyages de Denys et d'Aubert (4). ^Fais quelle perspec-
tive autrement séduisante nous ouvre cette déposition des
pécheurs de Bréhat et de Paimpol, en 1514, qu'ils payaient
depuis soixante ans la dime sur les poissons péchés « tant
en la coste de Bretaigne, la Terre-Neufvc, Islande que
ailleurs (5). » Les Bi'etons furent si bien les premiers dé-
(ij Instructions du roi de Portugal D. Manuel à Joao Serrao pour s'em-
parer des navires capturés par Mondragon. 14 décembre 1508 (Alguiis
(locumentos do aicliivo nacional da Torie do Tombo. Lisboa, 1892, in-fol.,
p. 206).
(2) Cédulcs de Ferdinand le Catholique, 29 décembre 1508 et 5 février
1509 (F. DuRO, Armada espafwla, t. I, p. 59, 399).
(3) Cédule de Ferdinand, 11 mai 1509 (F. Duno, t. I, p. 400).
(4) Cf. le paragraphe ci-dessus.
(5) Cf. suprh, t. II, p. 399.
LE NOUVEAU MONDE. 130
lenteurs du « secret de Terre-Neuve » , que la mère de
Charles-Quint, en 1511, ne permetlaità l'explorateur Agra-
monte d'aller vers l'île des Morues que sovis la conduite de
deux pilotes Armoricains (1), et que les premières caries du
xvr siècle donnent aux régions septentrionales de l'i^mè-
rique le nom de Terre des Bretons. Nous ne connaissons,
pour l'instant, aucun voyage de lerreneuviers bretons qui
soit antérieur à 1510 : cette année-là (2j, la Jaajuette^ du
petit port de Dahouët dans la baie de Saint-Brieuc, venait
écouler à Rouen le poisson péché " es parties de la Terre-
Neufve " .
Dans cette même ville de Rouen, elle avait été précédée,
peu de mois auparavant, par des indigènes américains, dont
la singulière odyssée donne à penser qu'ils se préoccupaient
de savoir d'où venaient les Faces Pâles. Au large de l'An-
gleterre, un de nos bâtiments fit la rencontre d'un canot
d'osier couvert d'écorce, que montaient sept hommes aux
faces larges et bronzées, couturées de stigmates, comme si
des veines livides eussent dessiné leurs mâchoires. Des
vêlements bariolés en cuir de phoque, une coiffure multi-
colore de paille qu on eût dite formée de sept oreilles,
achevaient de donner un aspect effravant à ces sauvages
qui se nourrissaient de chair crue et qui buvaient du sang
en guise de boisson. vSix d'entre eux succombèrent dès leur
arrivée en Normandie; le septième fut envoyé à la Cour de
Louis XII comme objet de curiosité (3).
Que. Tean Cabot ait arboré, dès 1497, le drapeau britannique
(i) Navaurkte, Coleccion de uiajes, t. III, doc. 31, 32.
(2) A. DE La Borderie, Les Bretons u Terre Neiifve en 1510, clans les
Annales de Bretagne, t. IX, p. 436.
(3) La Cour était alors à « Aulereos » = Orléans ? (Pietro Bejiro,
Hisloria Veneziana, cap. t:LXV; passage publié dans la Raccolta di do-
eumenti e studi pubblicati dalla II. commissione Colombiana. Roma, 18!)3,
in-4", part. III, vol. II, p. 377. — Euserii Caesariessis, Chronicon eum
additionibus Prosperi et Mathiae Palmerii. Parisiis, 1518 : Gakfarei-, His-
toire du Brésil français, p. 58).
140 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
à Terre-Neuve, ou que 1 Azorëen Gaspar Gorte-Real en ait
été le premier explorateur (l), prise de possession et explo-
ration furent si illusoires que le souvenir de l'une s effaça
presque complètement en Angleterre et que l'on ne trouve
trace de l'autre que dans la nomenclature portugaise de la
presqu'île d'Avallon, partie infime de Terre-Neuve. Vers
1517, l'auteur d'un intermède anglais, d'un Interlude, gé-
missait sur l'indifférence de ses compatriotes devant l'acti-
vité de nos pécheurs, dont la moisson faisait annuellement
la charge pleine de phis de cent navires (2). Dans le seul
port de Saint-Jean, un autre Anglais avait le chagrin de con-
stater, dès 15iî7, la présence de onze navires normands (3j .
C'est dire que les pêcheries de Terre-Neuve devinrent,
dès le déhut, une industrie nationale et d'un si gros profit
que les moines de Beauport, en 1514, le curé de La
Hougue (4), en 15:20, prenaient soin de spécifier à leurs
ouailles que les morues d'outre-mer étaient soumises à la
dime. Jaloux du développement de cette hranche de notre
commerce maritime, Anglais et Espagnols à l'envi s'effor-
cèrent de la détruire. Ils n'y parvinrent jamais. Et telle
escadre britannique apprit à ses dépens combien il était
dangereux de se heurter à nos terreneuviers honfleurais et
dieppois (5) ou à nos terre-neuvas bretons.
(1) «Sur ces découvertes, voyez les ouvrages de Henry HAnnissK, Jean et
Sébastien Cahot. l'aris, 1882, in-8" ; — Les Corle-Real et leurs voyaqes au
nouveau monde. Paris, 1883, in-8"; — The Discovery of Noith America.
Paris, 1892, in-4".
(2) Henry Harrisse, Décourcrte et évolution <-artofpt/plu/pte de Terre-
Neuve et des pays circoiivoisins [1 197-1501-1769). Paris-London, 1900,
in-4°, p. IV.
(3) Pdrchas, His Pilqriniaqc. London, 1625, in-fol., t. V, p. 822 : le
voyageur Anglais était John Rut.
(4) Bibliothèque du ministère de la marine, Recueil des Ordonnances,
édits, etc., formé par le bureau des Classes, t. I.
(5) En 1523 (Letters and papers... of Henry VIII, éd. Hrkwkr, t. IV,
1'' partie, n'" 83, 091).
FRANÇOIS P''
LA FRANGE CONTRE L'ISLAM
De la conllagration générale entre les nations chrétiennes,
l'Islam avait profité pour gagner du terrain. Ce n'était plus
au seuil de l'Adriatique qu'il était besoin d'enrayer ses
progrès. Sous l'énergique impulsion du sultan Sélim, la
domination turque s'étendait le long des côtes de Syrie,
atteignait 1 Egypte et, par ses postes avancés dans les Etats
barbaresques, s'installait dans le bassin occidental de la
mer Intérieure (1).
Contre cette invasion effrayante, une coalition des nations
chrétiennes s'imposait, une croisade nouvelle était néces-
saire. Le vainqueur de ^larignan (2) y vit l'occasion de
glaner d'autres lauriers : a Ma vraye et naturelle inclina-
cion, disait-il, est, sans fiction ne dissimulacion, d'em-
ployer ma force et jeunesse à faire la guerre pour l'onneur
et révérence de Dieu nostre Saulveur contre les ennemys
de sa foy. " Et, après entente avec la papauté (3), Fran-
çois I" se fit le promoteur d'une paix universelle, qui serait
le prélude de la croisade (4).
(1) J. DE tlAMiMEn, Histoire de l'einpiio ottoman, trad. ttellcrt, t. IV,
j». 177.
(2) François I^venait de battre les Suisses à Marignan, le 14 septembre 1515.
(3) A l'entrevue de Bologne, décembre 1515.
(4) Lettre de François I" au roi de Navarre. Bologne, 14 décembre 1515
14t> HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Quelques jours après son entrevue avec le pape, en jan-
vier 1516, il était à Marseille. Après les joyeux ébats d'une
naumachie où personne n'excellait comme lui à lancer des
oranges, il passa soigneusement en revue ses arsenaux,
vieux et neufs, et sa flotte de guerre, en prévision des cam-
pagnes prochaines : il n'avait pas voulu d'autre guide,
durant toute sa visite, que Prégent de Bidoux (1), bien que
chacun des arsenaux eût été pourvu par lui d un capitaine-
gardien (:2), et que Bidoux ne fût que le lieutenant-général
de l'amiral René de Savoie (3). Chacun fut récompensé
selon ses mérites, et frère Bernardin de Baux reçut en don,
à Marseille, le Jardin du roi (à).
BARBEROUSSE
Un redoutable adversaire ne nous laissa point le loisir
de dresser nos plans d'attaque. Il prenait l'offensive. Cons-
cient, comme Prégent de Bidoux, de l'importance straté-
gique de Piombino, le fils d'un renégat albanais et de la
veuve d'un prêtre grec postait près de là ses trente navires
de guerre; et, au printemps de 1516, les Génois avaient à
déplorer la perte de dix gros vaisseaux, les autres nations
une foule de petits bâtiments (5).
Les aventures d'Haroudj, dit Barberousse, tenaient du
(CiiARRiKRE, Négociations fie la France dans le Levant (Collection îles
docunients inédits). Paris, i848, in-8", t. I, p. cxxix).
(1) V.VLDELi.K, B. N., Franc. 5072, fol. 47 v°.
(2) Jeannot de Fieux pour l'arsenal neuf (6 février 15i5). Renaldo Vento
pour le vieil arsenal (23 janvier 1516) (Archives des Bouches-du-lUiône,
H 25, fol. 271, et B 26. fol. 97 v").
(3) Provisions du 20 février 1515 (B. N.. Clairandjault 825, fol. 114 v").
(4) 2t octobre J515 (Archives des Bouches-du-Rhône, B 25, fol. 314).
(5) V.\I.REI.LK, fol. 48.
T,A FRANGE CONTRE L'ISLAM U3
prodige. Forçat sur une galère des chevaliers de Rhodes,
il s'évade à la nage : timonier d'un corsaire turc, il s'empare
du commandement, après avoir ahattu le capitaine d'un
coup de hache ; prisonnier de Vettori, commandant deux
galères pontificales qui ont enveloppé son petit hrigantin,
il éventre un officier, ameute ses hommes déjà captifs et
massacre les vainqueurs. Son hôte, le roi de Tunis, con-
voitait Bougie, occupée depuis 1510 par une garnison espa-
gnole. Une première attaque d'Haroudj, avec cinq vais-
seaux, échoua et coûta au corsaire un hras, qu'il remplaça
par un hras d'argent. Une seconde expédition, en 1515,
avec des forces douhles et le concours du cheik arabe Ben-
cl-Cadi, eût peut-être réussi, sans la brusque arrivée de
l'escadre de Machin de Rcnteria; Haroudj n'eut d'autre
ressource, pour échapper aux Espagnols, que de fuir en
brûlant ses vaisseaux. A quelques mois de là, il était ins-
tallé à Alger à la place du cheik Eutemv, et, sa flotte
reconstituée, il s'emparait de Cherchell (1).
Dès l'annonce que le redoutable manchot était dans le
canal de Piombino, Prégent de Bidoux s'était mis en
chasse (!2j. Aux instances du pape (3), le glorieux amiral
du Levant avait dû céder le commandement suprême à un
Génois, l'archevêque de Salerne, Federigo Fregoso, qui ame-
nait un contingent double du nôtre (4), y compris les galères
(i) Cii. nK RoïAUER, Ifistoilc d Alger cl de la piraterie des Turcs dans
la Méditerranée a dater du \\i' siècle. Paris, 1841, in-S", t. I, p. 50.
(2) Il quitta Marseille le 12 juin J516 avec ses 4 jjaières, les 2 et le
{jalion de Bernardin de Baux, les 2 galions de Scrvien et la fuste de Janot
(Vamielle, B. N., Franc. 5072, fol. 49 v").
(3) Lettre de Léon X à Présent. 25 juin 1516 (A. Gcclielmotti. La
querra dei pirati, t. I, p. J 46. — Archives de Gênes, Jtieersorum, 2 juil-
let 1516). — A. Spont, Les galères royales dans la Méditerranée de 1496
à 1518, dans la Revue des i/uestions historiques, t. LVIII (1895), p. 427.
— ZuniT.\, t. VI, lib. 8 del Rey D. Fernando. — De rehus Francisci
Ximenei, lib. VI, fol. 182.
(4) 24 navires, selon Agostino Giu.stim.\xo (Annali di Genoa, fol, 272),
15 galères et 12 brigantins, selon Valbelle (B. N., Franc. 5072, fol. 50).
144 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
pontificales de Vettori et de Biassa. Signalés du côté de la
Sicile par Tenlèvement d'un convoi, les Turcs furent suivis
à la piste et surpris à l'ancre dans la magnifique rade de
Bizerte, appelée, en raison de sa forme, la rade de la Cou^
pôle (1). Sans Tesprit de rapine des équipages qui s'achar-
nèrent au pillage des bâtiments à demi désarmés et des
magasins, c'en était fait des pirates : quinze galères et
autant de fustes étaient détruites. Les Turcs eurent le temps
de se ressaisir : et nos marins, menacés à leur tour dans
l'étroit goulet, durent se replier rapidement en emmenant
les captifs délivrés, mais en laissant deux fustes et trois
brigantins, avec une perte de deux cents hommes. La
reprise, sous la Goulette, d'une galère génoise précédem-
ment perdue, fut une maigre compensation à un échec dont
on faisait retomber tout le poids sur l'archevêque Fregoso.
Le plus affecté fut néanmoins Prégent de Bidoux, qui
revint à Marseille malade de chagrin (2) et faillit mourir de
mélancolie. Les forces d'Haroudj Barberousse restaient
intactes : bien mieux, le 30 septembre, il couchait bas la
moitié d'un corps d'armée espagnol qui venait le déloger
d'Alger : Diego de Vera perdit ce jour-là trois mille quatre
cents hommes (3).
La veille, une autre escadre avait quitté Marseille à des-
tination des côtes barbaresques. Le Basque espagnol Pedro
de Roncal, plus connu sous le nom de Pero Navarro, rele-
vait le gant que Prégent laissait tomber de décourage-
ment.
Ingénieur, général, marin, vainqueur à Géphalonie de
la garnison turque, à Gérignoles de l'armée française, à
iNaples de nos garnisons du Gastel Nuovo et du château de
rOEuf, dont il avait fait sauter les remparts, Navarro avait
(i) I,Éo>- l'Africain, éd. Schefer, t. III, p. 125, note.
(2) 8 septembre (Vai.bki.lk, B. N., Franc. 5072, fol. 50).
(3) Cn. DE ROTALIKR, t. I, p. 50.
P E R O N A \' A l\ Il O
^r. DuRi). Armada esimnota, t. I. p. 90.)
LA FRANCE CONTRE L'ISLAM. 145
mis le sceau à sa réputation par ses campagnes d'Afrique.
Aux pirates mauresques chassés de Grenade il avait donné
le coup de grâce par la prise d'Oran, en 1508, et, en 1510,
de Bougie, ville semi-orientale, semi-italienne, suzeraine
d'Alger. Il matait les Algériens par la construction du
Penon de Vêlez sur une roche voisine de leur côte. Tripoli,
la même année, était enlevé d'assaut. Et Navarro n'eût
compté que d'éclatants succès, s'il n'avait eu le malheur
de tomber dans un repaire de pirates, à l'île de Djcrbah.
C'était en aoiit; ses troupes, mourant de soif, furent mas-
sacrées. L'an d'après, en 151 1, il laissait cinq cents hommes
et dix vaisseaux dans une attaque contre les îles Kerkennah.
Prisonniers de nos troupes à la bataille de Ravenne, il ne
dut sa délivrance qu'à la générosit('' de François P"", et la
reconnaissance l'attacha à son libérateur.
Trois ans de prison n'avaient qu'avivé son désir d'une
revanche contre les pirates de la côte tunisienne, sauf à
reprendre, avec des aventuriers gascons et génois, la cam-
pagne inaugurée sous le pavillon espagnol. Aux dix bâti-
ments de guerre (l) emmenés de Marseille le il) septembre
1516, Navarro joignit, en cours de route, un galion cons-
truit pour son compte à Toulon et des navires de Savone et
de Gènes. Mais la saison trop tardive le contraignit à se
défaire des galères de frère Bernardin, incapables d'af-
fronter les rigueurs des tempêtes automnales. L'une d'elles
ne revint point au port : la chiourme révoltée, après mas-
sacre des hoîievogli de l'équipage, était partie à l'aventure.
Un avitre bâtiment léger, la fuste de Narbonnc, sombra
corps et biens; et le reste de la flotte poussé par les vents
sur l'îlot désert de Lampedouse, à l'ouest de Malte, ne put
parvenir à destination. Les équipages grelottaient, les sol-
dats mouraient de faim. Force fut d'abandonner l'entre-
(l) 5 vaisseaux, 2 galères de Frère Bernardin, 2 galions, 1 fuste et des
brigantins.
m. 10
146 HISTOIIIK DE LA MARINE FRANÇAISE,
prise : aux alentours du l" janvier, l'expédition décimée
sans combat al)ordait à Nice (1).
Navarro s'associa, pour une campagne nouvelle, un com-
pagnon d'infortune, Diego de Vera, mais sans parvenir à
entraîner l'amiral du Levant. Prégent de Bidoux préféra
renoncer au voyage (2) plutôt que de partager avec Na-
varro (3) le commandement.
Le plan de campagne était de déloger les Turcs d'une
ville forte de la côte tunisienne, dont l'arsenal aux longues
galeries voûtées était jadis assez vaste pour contenir deux
cents bâtiments. En septembre 1517, Navarro parut devant
El-Mehdiah à la tète de vingt-trois vaisseaux (4), et, après
un vigoureux bombardement, lança deux mille cinq cents
hommes à l'assaut. Mais Français et Espagnols se battirent
à qui hisserait son drapeau au lieu de la bannière pontifi-
cale cjui couvrait l'entreprise. A la faveur de ce désarroi,
les Turcs ouvraient sur la flotte un feu violent, coulaient
un de nos bâtiments, en démâtaient un second, si bien que
Navarro dut battre en retraite pour aller se réparer à Keli-
bia, au sud du cap Bon (5).
La discorde croissante qui se manifestait entre Français
et Espagnols amena, de part et d'autre, en isolant leurs
attaques contre les infidèles, de retentissants échecs ; ces
gens, que le drapeau du Christ avait un moment réunis,
s'observaient avec défiance. Sur Navarro planait le soupçon
(1) Valhelle, B. N., Franc. 5072, fol. 51.
(2) British Muséum, Caligula E I, fol. 113; Archives de Montpellier,
EE 1503-1527, à la date du 2 juin 1517 : Spo>t, p. 427.
(3) Auquel François I" avait alloué 4000 livres pour aller « à l'en-
contre des Infidèles » {^Catalogue de M. de Courcellea, vente par Leblanc,
1834, p. 60).
(4) 11 vaisseaux de Navarro, 2 de Centurione, 1 galion et 1 caravelle
avec 1500 soldats, 4 barges espagnoles de Diego de Vera avec 1000 hommes.
Août 1517 (Sanuto, t. XXV, col. 18, 109). — Navarro avait quitté Mar-
seille le 29 juin (B. N., Franc. 5072, fol. 53 v").
(5) Sanuto, t. XXV, col. 109. — Léon l'Africain, éd. Schefer, t. III,
p. 160.
LA FRANGE CONTRE L'ISLAM. 147
de machiner quelque insurrection en Sicile (1) ; le vice-roi
de Sardaigne avait ordre de ne lui fournir des vivres que
contre paiement et encore si nos gens ne commettaient
aucun dommage (2). Bref, en 1518, chacun opéra à part.
Navarro, avec quinze voiles seulement, deux mille fantas-
sins et une centaine de bourgeois de Trapani qu'il avait
embarqués en route, gouverna droit sur Monastir, à quelque
distance d'El-Mehdiah (3). Mais les musulmans, accourus
en foule, bordaient la côte. Et force fut à Navarro de virer
de bord sans avoir rien fait, sans avoir même saisi les
bâtiments chrétiens qui faisaient la contrebande de guerre
avec les infidèles. Dépité par son échec, il refusa de se
joindre à re.vpédition que Ugo de Moncada préparait en
Sicile (4) : et Moncada, à son tour, malgré ses trente-huit
galères et vaisseaux de ligne, malgré ses cinq mille hommes
de troupes, éprouvait, le 2i août, devant Alger, un désastre
épouvantable : vingt-six de ses bâtiments, par l'ouragan, se
brisèrent comme du verre sur le cap Caxine. Un millier
d'hommes à peine échappèrent (5).
Ces désastres eurent la plus fâcheuse répercussion. En
1519, les corsaires algériens et tunisiens, enhardis par nos
échecs, vinrent croiser aux îles d'Hyères avec vingt-cinq
bâtiments. Trois vaisseaux bien armés, qui arrivaient du
Ponant, furent enveloppés par eux et, après une résistance
acharnée, après l'extermination presque entière des équi-
pages, ils furent amarinés. Une grosse carraque génoise
seule parvint à échapper et à se replier, non sans pertes et
avaries, sur Marseille. Pour terroriser les populations, les
pirates débarquèrent deux des rares survivants de leurs
(1) De rehits Franciaci Ximenii, lib. VI, fol. J82.
(2) Lettre de Charles, roi d'Espagne. 6 janvier 1518 (Coleccion de doc.
ined. para la hist. de Espana, t. XXVI, p. 35).
(3) Mai 1518 (Sanuto, t. XXV, col. 211, 443, 466, 522, 571).
(4) De HiMMER, t. IV, p. 355.
(5) Ch. DE RoTALiER, Histoire d'Ah/er, t. I, p. 130.
148 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
prises, le poing coupé, les oreilles arrachées, une croix
sanglante tracée sur la tête, en répétant aux victimes :
(i Allez vers vos rois chrétiens, et dites-leur : voici la croi-
sade que vous avez; fait crier (l)- »
II
LES DERNIERS JOURS DE RHODES
C'était en effet l'instant où le projet d'une croisade géné-
rale prenait corps. Le traité de Camhrai du 11 mars 1517
entre le roi de France, l'empereur et le roi d'Espagne, la
proclamation d'une trêve quinquennale entre tous les
princes chrétiens, en avaient été le prélude.
Le roi de France comptait frapper droit au cœur l'em-
pire turc : par Brindes, il passerait en Grèce avec une
armée franco-italienne de soixante-deux mille hommes, et,
de concert avec les trouj)es impériales, hongroises et polo-
naises, refoulerait les Turcs vers la mer; là, les flottes des
États maritimes, Portugal, Espagne, Angleterre, leur cou-
peraient la retraite (2j . Le plan de campagne de l'empe-
reur Maximilien, — car tous les princes chrétiens avaient
été appelés à donner leur avis, — différait peu du nôtre. Il
précisait le point de jonction de l'armée française avec
l'armée impériale, qui, toutes deux réunies en 1520, vien-
draient bloquer Gonstantinople, cernée d'autre part parles
flottes chrétiennes. L'empereur conseillait, comme action
préliminaire, de chasser les Turcs de leurs repaires des côtes
barba resqu es en sou tenant contre eux les princes maures (3).
(1) Valbelle, B. N., Franc; 5072, fol. 56 v°.
(2) Ainboise, 16 décembre 15J7 (Ch.\rrière, Néijociations de la Fiance
dans le Levant, t. I, p. 44).
(3) Cet avis consultatif fut transmis, le 4 mars 1518, par le pape Léon X
à François I" (CiiARniÈRE, t. I, p. 47).
LA FRANCE CONTRE L'ISLaM. Î4Ï}
C'est à quoi précisément s'employait Navarro. Un autre
de nos capitaines, Christophe Le Mignon, dit Chanoy, eut
ordre d'aller en éclaireur étudier les armements des Turcs,
tandis que Prégent de Bidoux, réclamé par le grand maître
de Rhodes Carreto (l), recevait congé de mettre au service
de l'ordre sa " bonne pratique et sçavoir » , et quelques
bâtiments de guerre. Contre les infidèles, " baillcroy tout
ce que ay sur la mer Méditerranée (2),» avait déclaré Fran-
çois I". Il tenait parole. Défrayé de tout (3), l'illustre Pré-
gent de Bidoux partit avec les divisions Servien (4) et Mi-
gnon (5), en tout si.x bâtiments (6), qui appareillèrent le
17 avril 1518 (7). Dès son arrivée à Rhodes, il fut chargé,
avec le titre de bailli des îles de Cos, Saria et Calymno (8),
de la défense des avant-postes ; bientôt, on apprenait que
Bidoux avait surpris, à la tête de la division Servien et des
galères de l'Ordre, un port de Grèce où les Turcs fabri-
quaient les apparaux de leur flotte ; il avait culbuté la
garde, forte de deux mille janissaires, et détruit l'ar-
senal (9).
L'ancien commandant de l'escadre de Bretagne (10), Cha-
noy, cherchait de son côté, selon les instructions royales, à
(i) Lettre de Carreto à François I". 17 mai 1517 [Revue des documents
historitjuex, t. IV (1876), p. 1).
(2) Ainboisc, 16 décembre 1517 (CnAiiniKnE, t. I, p. 44l.
(3) Prégent de Bidoux reçoit 6000 livres pour frais de voyajje avec plu-
sieurs galions et un briganlin. 22 janvier 1518 (Arch. nat., K 81, n. 25).
(4) Deux galions et un brigantin de Servien (Valbellk, B. N., Franc,
5072, fol. 54 v").
(5) La Bonne-AveiUnre, appartenant à Laurent de ^lédicis, duc d'Urbin
(B. N., Nouv. acq. franc. 6658, fol. 3), navire de deux cents tonneaux
(B. N., Clairambault 326, fol. 555), et le Jésus-Maria (B. N., Franc.
19882, fol. 178).
(6) (Jui passent le 2 juin à Syracuse (Sanlto, t. XXV, col. 465, 472).
(7) Vai.belle, b. in., Franc. 5072, fol. 54 v".
(8) A. Spont, Les çjalèrcs royales dans la Mc'dilerranrc de 1496 à 1518,
dans la Revue des questions historiques, t. LVIII (1895), p. 427.
(9) Valbellk, B. N., Franc. 5072, fol. 56.
(10) Le 2 janvier 1518, il commandait encore dans le Ponant la Diep-
poise (B. IS., Pièces orig., vol. 669, doss. Chaaoy, p. 4).
150 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
« entendre des affaires du Turc, luy faire la guerre et tout
Tennuy et dommaige » possibles. Il battit TArchipel ; mais
faute d'action mémorable à signaler, durant dix mois, il
jugea superflu de donner au roi de ses nouvelles. En jan-
vier 151Î), il était posté au cap Salamone, à l'extrémité
orientale de la Crète, et guettait les convois qui allaient de
Gonstantinople en Egvpte, quand furent signalés dans le
sud de gros vaisseaux de guerre, u quatre des plus braves
navires qu on ayt guères veu de Turquie; " il lit immédia-
tement sonner le branle-bas et alla jeter 1 ancre à une
demi-lieue de l'escadre ennemie, qui arrivait d'Alexandrie.
Il n'avait qu'un bâtiment de deux cents tonnes, là Bonne-
Aventure, et la nef Jésus-Maria.
Les Turcs, au nombre de sept à buit cents, étaient deux
fois plus nombreux que nos gens ; ils avaient des vaisseaux
d'un tonnage double ou triple, sortis depuis peu des chan-
tiers de Gallipoli, sauf leur navire amiral, que le sultan
venait d'acheter aux constructeurs si renommés de Ra-
gusc (1); enfin, comme Cbanoy le reconnut vite, leurs
pièces étaient admirablement servies : « Il n y a navires au
monde, disait-il, qui voysent myeulx en ordre d'artillerie
que ceux du Turc. »
Leur escadre fonçait sur nous, l'amiral en tète, ouvrant
un feu violent de ses espingoles. Plusieurs hommes furent
atteints à bord de la Bonn e- Aventure ; mais Chanoy ripos-
tait à son tour avec vigueur. Après sept heures d'une lutte
acharnée, il finit par remporter une victoire complète.
L amirale ennemie était coulée à fond, corps et biens, à
part vingt-cinq hommes qui se sauvèrent sur lune des bar-
ques du bord. Dans les flancs de lépave, il y avait malheu-
(i) JjC» Ragusaint., I année s-uivanle, furenl les premier» a féliciter .Soli-
man de son avènement, et, pour obtenir la confirmation de leurs privi-
lèges, ils lui offrirent de riches tissus d oi' et d argent (De Hammer, llisloire
de l'empire ottoman, t. V, p. 10).
LA FRANCE CONTRE LISLAM. 151
reusement un trésor considérable, le tribut de l'Egypte que
quatre notables du Caire portaient à Constantinople. Le
second vaisseau turc était la proie des flammes ; du troi-
sième, le capitaine Vidal s'était rendu maiti'e; quant au
quatrième bâtiment, une fort belle galéasse, il fut amariné
par Ghanov. La victoire ne nous coûtait que douze tués et
un certain nombre de blessés.
Pour laisser reposer son monde, Chanoy vint relâcher au
port d Agosta, en Sicile, d'où il adressa, le G février 1519,
une relation du combat au duc d'Urbin, propriétaire de la
Bonne-Aventure, avec prière d en aviser le roi et l'amiral.
Puis il s acquittait de sa mission en révélant l'importance
des armements qui s effectuaient sur l'ordre du sultan
Sélim. Depuis Ibivcr, une quantité de munitions cl d ap-
paraux s'amassaient à Chio, Nègrepont et Mitylène. En
dehors de ces avant-postes, on formait au port de la Valona,
en Epire, un grand camp retranché pour abriter la plus
grosse flotte turque qu on eût jamais vue : cent cinquante
galères subtiles et légères, quatre-vingts galères plus
lourdes, dites bâtardes, cinquante galéasses, cent palan-
dres de transport et trente nefs de guerre (1), dotées d'une
artillerie bien supérieure à celle des marines chrétiennes.
Tous les bâtiments latins qui se dirigeaient vers Constanti-
nople étaient arrêtés, parce que le sultan avait besoin de
leurs marins^, surtout de leurs pilotes. Les pilotes turcs,
pour la plupart originaires de la mer Noire, connaissaient
mal le bassin de la Méditerranée, on peut s en convaincre
par la carte marine exécutée cette année-là à Gallipoli par
un capitaine de la marine ottomane (2).
(i) Cent galères, "Mnjjt iustes, Aingt et une barge*, trois autre» plus
grandes, six à sept brigantins et cent galères en achèvement, selon l'estime
de l'ambassadeur vénitien à Constantinople, 18 avril 1519 (Dk liA.MMKi!,
Histoire de l'empire ottoman, t. IV, p. 354, n. 1),
(2) B. N., Suppl. turc 220, œuvre du raïs Piri-ibn-el-Hadjdj Moha-
med (Blochex, Contribution à l'étude de la cartographie chez les Mu-
l52 HISTOIRE DE LÀ MARÏNE FRANÇAISE.
Chanoy ne parlait point du but de ces armements ; mais
on savait qu'ils étaient dirigés contre les chevaliers de
Rhodes.
La lettre du capitaine Chanoy (1), avec le gentilhomme
qui en devait faire le commentaire, arrivait à destination
un mois après, soit le 0 mars 1519, juste à point pour
donner une base solide à la candidature de François T"" à
la pourpre impériale. L'empereur Maximilien venait de
mourir (:2), et le roi de France briguait sa succession. Il
s'était fait duprojet de croisade contre les Turcs une plate-
forme électorale; il écrivait au pape, le 11 février, qu'il
se chargeait d'enrayer leui'S incursions maritimes; il avait
mandé Pero Navarro à Paris (3), et les électeurs étaient
avertis, au moment où de leurs votes allait sortir un empe-
reur, que la flotte française, forte de vingt galères, de plu-
sieurs vaisseaux et de quatre mille hommes, commençait à
purger le littoral de la mer Tyrrhénienne des pirates bar-
baresques (4). A vrai dire, Navarro avait l'ordre secret de
se tenir à la disposition de Lautrec, gouverneur du Mila-
nais, pour parer aux » entreprises qui se dressaient delà
les monts » (5).
En même temps, François 1" répandait le bruit que son
compétiteur traitait avec les Turcs, à l'insu du pape (G).
Malgré ces insinuations et ces promesses, Charles, roi d'Es-
mihnaiis : Exilait du Bulletin de i Académie d'Uippoiie, n. 29. Bône,
1898, gr. in-8", p. 20).
(1) » Escript en la Bonne Adventure vostre nef, à Augouste en Cecille, le
sixième jour de febvrier. A Mgr le duc d Urbin " (B. N., Nouv. acq. franc.
6658, fol. 3).
(2) 11 janvier 1519.
{?)) En janvier (Sam ro, t. XKVl, col. o(i5). *
(4) Belcarils, Berum Gallicarmn conunenlaria, lib. XVI, p. 47-V; Char-
niKRK, t. 1, p. 79.
(5) Instructions secrètes du roi à Navarro. 7 mai (B. N., Franc. 3021,
fol. 76).
(6) Lettre de François I" à Bonnivet, 25 avril 1519 (Spont, p. 478, n. 4,
et B. N., Franc. 5761, fol. 83).
LA FRANCE CONTRE L'ISLaM. 153
pagne, qui se gardait d'user près des électeurs d'arguments
aussi spéculatifs, fut proclamé empereur.
Au lieu de se croire dégagé de ses promesses électorales
par le fait même de son échec, le prétendant malheureux
à l'empire fut le seul prince à s'émouvoir du danger couru
par les Hospitaliers (Ij. Dès qu'il appi'it que l'attaque de
Rhodes était imminente f2), il arma en toute diligence une
forte escadre, dont il remit » la superintendence ",1e
20 juin 152t), au capitaine Chanoy, avec ordre de protéger
l'île contre toute insulte (3j. Le nouveau lieutenant géné-
ral disposait, selon l'expression d'un contemporain, d'un
vrai a trésor » , neuf vaisseaux de ligne, encadrés par une
division légère de quatre galères et de brigantins (4) . En
fait de marins, il avait la fine "fleur" des Marseillais, le
héros de Godefa, Janol, auquel fut confiée la Bonne-Aven-
ture, et son compagnon d'armes au glorieux combat naval
d'Aigues-Mortes, Raphaël Rostan, qui s'était révélé ingé-
nieur en transformant en jjaléasses deux galères (5). A eux
s'était joint le fameux Chapperon, sire de Queue-de-Vache,
brave et chevalei'esque, mais superstitieux au point de
pi'cndre pour la tête blonde d'un camarade défunt les
algues qui flottaient dans le sillage de sa nef (6).
La division des galères avait un nouveau chef : Chanoy
(1) Lettre de François 1^'' au grand maître de l'ordre. Blois, 18 no-
vembre i5t9 (B. ]\\, Franc. 5761. fol. 210).
(2) Abbé DK Vemot, t. III, p. 189.
(3) Lettres de provision de Chanoy (B. IN., Frane. 5500, fol. 30V. —
Rui-Fi, Histoire de Marseille, nouv. éd., t. II, p. 361).
(4) Vaisseaux : deu.x: galions de Servien, nef de Saint-Trognon, nef et
caravelle du lieutenant-général, bargot, gros galion napolitain, nefs Grande-
Maistresse de 700 tonnes et Bonne- Aventure. Galères : Sainte-Marie, capi-
tanc, Cnlhcrinetlc, deux autres galères et deux brigantins. Le départ eut
lieu le 24 août 1520 de Marseille (Valdkllk, B. N,, Franc. 5072, fol. 61.
— B. N., Franc. 5086, fol. 161. — Samto, t. XXIX, col. 486 : police de
la Hotte française. — B. N., Clairambault 326, fol. 555).
(5) Selon contrat du 13 juin 1519 avec le roi [Catalogue des actes de
François I", t. I, p. 187).
(6) Jean d'Auton, éd. de Maulde, t. IV. p. 389, 411.
154 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
avait destitué de son comniandcment F'rère Bernardin de
Baux (Ij, pour en investir Bertrand d'Ornesan, baron de
Saint-Blancard. Saint-Blancard avait une fonction de
second d'autant plus importante que chacune de ses ga-
lères avait embarqué une centaine d'hommes des capi-
taines de Saint-Privas, Gascon, «de Otombre, Beligorgno"
et Yillebon qui devait s illustrer, trois ans plus tard, près
de Thérouanne, dans un combat de cavalerie contre les
Impériaux (2). La mésintelligence qui ne tarda point à
éclater entre les deux chefs de la flotte causa le plus grave
préjudice au succès de l'expédition.
Au début de septembre, Chanovse trouvait au mouillage
de l'ile de la Favignana. Après avoir attendu un moment
iSavarro, qui s'obstinait dans ses attaques infructueuses
contre les ports barbaresques, Ghanoy fit route vers le
Levant. On avait agité la question de savoir s'il ne ferait
pas, au cours de la traversée, quelque démonstration contre
Alexandrie, Tripoli et Beyrouth (3j. En vain, les Vénitiens
avaient-ils supplié François I" de ne pas déchaîner une
guerre maritime contre les Turcs (4j. Le roi avait passé
outre.
Mais à peine Ghanov se trouvait-il dans les eaux de
llhodes que la mort de Sélim, le :22 septembre 1520, sembla
écarter pour un temps l'orage prêt à fondre sur l'île. La
mission de nos marins devenait inutile. Toutefois, par
amour-propre, Chanoy ne voulut point s'en retourner sans
avoir accompli quelque exploit.
Le 9 octobre, à l'aube, le capitaine des galères vénitiennes
({ui faisaient annuellement le voyage de Beyrouth était à
l'ancre dans ce port, quand on signala quinze voiles de
(1) VALiiKLLh. B. 1\., Fran.;. 5072, fol. 60.
(2) Martin Du Bellat, Mémoires, éd. Michauil et Poujoulat, 1" série,
t. V, p. 170.
(3) Sam-ïo, t. XXIX, col. 206, 2J3, 283.
(4) Ibidem, col. 320.
LA FRANCE CONTRE L'ISLAM. 155
nationalité suspecte. Une {jondole, envoyée à la décou-
verte, fit brusquement demi-tour; les matelots vénitiens
revinrent, pâles d'épouvante, en disant que Tescadre était
turque et qu'elle avait détaché un brigantin à leur pour-
suite. Antonio Marzello prit immédiatement ses dispositions
de combat pour vendre chèrement sa vie, car son escadrille
était trop faible pour remporter la victoire. Sur ces entre-
faites, le brigantin arriva à portée de la voix; les Vénitiens
apprirent avec stupéfaction que l'escadre était fran(;aisc et
qu'elle venait saccager Beyrouth. « Vous n'avez rien à
craindre pour les effets de vos compatriotes, ajoutait le
commandantfrançais, mais vous aurez à seconder l'attaque.»
Avec leur duplicité habiluclle, les Vénitiens, loin de
souscrire à ces propositions, s'empressèrent de mander à
terre que la flotte en vue était française, qu'elle venait
livrer bataille, qu'on eut à se mettre en défense, que l'es-
cadre vénitienne ferait de son mieux pour seconder les
habitants. « Chiens, vous êtes tous d'accord, répliquèrent
les musulmans, vous avez voulu nous tromper en disant
que c'étaient des vaisseaux turcs. " Mais, grâce à l'avis
des Vénitiens, ils eurent le temps de faire leurs préparatifs.
Une trahison semblable avait failliamener, un siècleaupa-
ravant, l'échec de Boucicaut devant cette même ville (1).
Beyrouth était ou allait être occupée par les troupes du
gouverneur de Syrie, Ghazali, qui refusait de reconnaître
le nouveau sultan. Il avait levé des troupes et cherchait à
secouer le joug des Turcs (2j. C'était donc une maladresse
de l'affaiblir. Au lieu de faire valoir cette raison politique,
Marzello envoya supplier le capitaine de la flotte française,
dont le pavillon battait à la corne d'un des galions, de dif-
férer l'attaque jusqu'au lendemain; la relâche de Tesca-
(i) Cil. UE La Roncikre, HisLoire de la marine française, t. II, p. V^i.
(2) Dk Hammer, t. V, p. 11. Il fui écrase sous les murs de Damas par
l'armée ottouiaue le 27 janvier 1521.
156 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
drille vénitienne n'expirait que ce jour-là, et nombre de
ses gens, encore à terre, seraient massacrés en cas d'at-
taque. Chanoy était en train de s'armer, quand les envoyés
de Marzello lui exposèrent cette requête : « Quoi qu'il
arrive, répondit-il, je prendrai terre, j'entends déjeuner à
Beyrouth; sur ma tête, soyez sûrs que tous les vôtres, ainsi
que leurs biens, seront sauvegardés; si les Maures et les
Turcs leur faisaient le moindre outrage, ils seraient cruel-
lement châtiés; qu'on ne me parle plus d autre chose;
mandez-le à votre patron. » Et déjà l'escadre française,
remorquée par ses galères subtiles, s'approchait de terre
en ordre de bataille; sous la protection d'une violente
canonnade qui sifflait par dessus les poupes de l'escadre
vénitienne, les barques des navires commencèrent à mettre
du monde à terre. Pour accélérer le débarquement, Chanoy
envoya demandera Marzello les chaloupes des galères et de
la nave vénitiennes : Marzello refusa encore. Heureusement,
le tir des défenseurs de la tour du port, très défectueux, n'at-
teignait pas nos gens. Près de huit cents hommes d'armes
avaient débarqué sur une petite plage, sans attendre les
arquebusiers, sous le commandement de Chanoy et des
deux frères de Saint-Privas (1). Ils se mirent à courir vers
Beyrouth à la débandade, se disputant tous 1 honneur d'être
les premiers à entrer dans la place. La route qui y menait
était fort étroite. Les INIaures, bien qu'au nombre de plu-
sieurs milliers, laissaient les nôtres s'y engager à fond; ils
feignaient même de fuir pour les attirer plus loin, en se
dispersant parmi les oliviers pour échapper au feu des
galères.
Ils avaient préalablement masqué une partie de leurs
forces derrière la colline qui domine à l'ouest la place, en
particulier une centaine d excellents archers druses, venus
(i) Rapport de Raphaël Rostan (6 janvier 1521) dans Valiilllk, B. N.,
Franc. 5072, fol. 61 v°.
LA FRANCE CON-TRE L'ISLAM. 157
avec leur aga visiter, comme il était de coutume, l'escadre
vénitienne. Les Français, soudain pris à revers et accaltlés
de flèches, commencèrent à battre en retraite; puis la
retraite se changea en déroute. D'énormes blocs de pierre
roulaient sur eux du haut de la colline; les malheureux,
aveuglés par le soleil, n'avaient d'autre espoir que du côté
de la mer; ils s'y jetaient avec leurs pesantes armures,
cherchant à gagner le brigantin et trois barques demeurés
près du rivage. Saint-Blancard, que le patron de galéasse
Rostan accuse formellement de ne pas avoir fait son devoir,
et qui était en dissentiment avec son chef, aggrava le dé-
sastre en se tenant au large avec ses galères. En une heure
et demie, tout était fini : nous avions perdu cjuatre cent
quatre-vingt-quatre hommes. Le capitaine général Ghanoy
était du nombre. Trois cent trois des nôtres furent déca-
pités, et leurs têtes, promenées au bout des lances, avec tle
grands cris, par les vainqueurs, furent ensuite fichées aux
créneaux des remparts de Beyrouth qui regardaient la mer.
Si Ghanoy avait eu seulement cent escopettes, disait un
témoin du combat, il aurait remporté la victoire, mais il
les avait laissées à bord. Son lieutenant, le baron de Saint-
Blancard, prit aussitôt le commandement, et le soir même,
à onze heures, dans les ténèbres, nos marins levèrent l'an-
cre dans le plus grand silence, " tels que des chartreux,»
afin d'aller se réparer aux salines de Chypre (1).
Avisé du désastre par le retour de llostan et des voi-
liers (2), François I'' dépécha un neveu de Prégent de
Bidoux, Lartigue, pour ramener les galères (3). Saint-
(i) Lettres d'Antonio Marzello, capitaine des galères de Beyroutli (Bey-
routh, 13 octobre 1520), de Zuan Nadal, patron d'une des galères, et de
Zacaria Loredan, provéditeur de (Chypre (Faniagouste, 15 octobre) Sa:suto,
Diarii, t. XXIX, col. 427, 432, 483).
(2) Qui étaient à Marseille le 6 janvier 1521 (Valbkllk, B. N., Franc,
5072, fol. 61 v").
(3) SANno, t. XXIX, col. 514.
158 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Blancard, en effet, n'avait point voulu revenir sous la honte
d'un échec. Après un hivernage à Rhodes, ses quatre
galères et ses deux brigantins radoubés, il se mit en cam-
pagne le dimanche de Pâques fleuries (24 mars 1521) : à
Kos ou Lango, il prit langue avec Bidoux et rallia à Calymno
trois galères de la Religion. Des escadres turques revenaient
avec les troupes qui avaient dompté les insurgés de Syrie;
et un corsaire redoutable, Kara-Mahmoud, l'incendiaire
de Pouzzoles et de Reggio, battait l'Archipel avec trois
galères et onze fustes; Saint-Blancard s'attacha à sa pour-
suite. Un mois et demi durant, par la tempête, de nuit,
masquant les feux, il le chercha. Kara-Mahmoud, apprit-on
d'un grip, avait gagné Constantinople avec deux prises
espagnoles. En tirant d'Andria vers Schyros, nos marins
aperçurent pourtant sept des meilleurs bâtiments du cor-
saire ; aussitôt, d'attaquer. Une galère et les deux plus
grosses fustes, après une lutte meurtrière où il ne resta
debout que quatre-vingt-dix Turcs, tombèrent entre les
mains de Saint-Blancard (1). Mais Kara-Mahmoud échappa;
l'an d'après, il prenait sa revanche en embarquant, après
le siège de Rhodes, le sultan victorieux (2).
Après la victoire, Saint-Blancard prit congé de l'amiral
de Rhodes, qui lui fit présent, pour ses chiourmcs, de tous
les prisonniers turcs. Cependant, un courrier du roi, Filippo
Pallavicini, battait aussi l'Archipel, à la recherche de l'es-
cadre française, afin de presser son retour en Provence :
en passant à Kos, il avait remis à Bidoux une dépêche le
mandantégalementen France. Saint-Blancard ne fut atteint
(1) Lettre de Prégent de Bidoux à François I". Narangier en l'isle de
Lango (Kos), 7 et 8 mai 1521 (B. N., Franc. 2963, fol. 38; Clairauibault,
318, fol. 58). — Lettre de [Saint-Blancard] à l'ambassadeur de France à
Venise. Corfou, 22 mai (B. N., Franc. 3087, fol. 42). — Avis de Milan,
22 janvier, et Palerme, 6 mars 1521 (S.otto, t. XXIX, col. 596 : et
t. XXX, col. 36).
(2) De Hammei», t. V, p. 42.
LA FRANCE CONTRE L'ISLAM. 159
qu'à Ghio par les lettres royales; il obéit aussitôt (l).
Mais, inquiet de l'accueil qui lui serait réservé, il s'arrêta
à Villefranche, dans le territoire du duc de Savoie, atten-
dant de la Cour des lettres de sûreté. Ses craintes étaient
sans fondement : si le roi rappelait son escadre, c'est qu'il
était urgent de parer à la défense de nos côtes; la guerre
avec Charles-Quint venait d'éclater. Une grande nef napo-
litaine, appartenant au vice-roi Ranionde Cardona, passait
au large; Saint-Blancard l'enleva. Ce fut, devant l'opinion
publique, sa rançon, que dis-je! l'occasion d'une entrée
triomphale dans le port de Marseille, le :2i août 1521 (2).
Le désastre de Beyrouth ne lui était plus compté, et comme
Saint-Blancard avait eu l'indélicatesse de vider le coffre-
fort de son chef, ce fut une pauvre orpheline, la fille de
Chanoy, qui paya de sa fortune le déficit relevé dans le bud-
get de l'expédition (3).
Dans la situation critique que nous créait la guerre avec
l'Empereur, plus n'était question de porter secours à la
petite phalange perdue au milieu de l'Islam, ni de donner
au nouveau grand maître Philippe de Villiers de l'Isle-
Adam (4) l'escorte promise, onze vaisseaux de Pero
Navarro (5) ou même les belles barges de Frère Bernardin
de Baux, la Bravouse et la Messinoise, qui pouvaient porter
chacune quatre cents combattants (6). Quand Frère Bernar-
din reçut, le 24 juillet, ordre de ne point appareiller pour
Rhodes, mais d'aller « endommaiger » les ennemis du roi,
une violente lutte s'éleva dans l'àme du chevalier de Rhodes
(1) Lettres de Bidoux et Saint-Blancard citées. Dès le 18 novembre 1519,
par une lettre adressée au grand maître, François I"^ réclamait Bidoux
(B. N., Franc. 5761, fol. 210).
(2) Valbklle, B. N., Franc. 5072, fol. 65.
(3) Elle avait vu vendre tous les biens paternels en Provence, quand le
roi se décida à lui faire grâce (B. N., Franc. 5080, fol. 161).
(4) Nommé grand maître le 12 janvier 1521.
(5) S.\MiTo, t. XXVI, col. 459, et t. XXXIV, col. 250.
(6) B. N., Clairambault, vol. 326, fol. 555.
KiO HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
entre ses devoirs de religieux et ceux de patriote; le roi
son souverain, le grand maître son supérieur se dispu-
taient ses services. « Si m'en failloit aller sans luy et me
survenoit quelque inconvénient, que Dieu ne vuelhe, écri-
vait L'Isle-x\dam à François h'% chasctin diroit que c'est
pour estre pnrty mal accompaigné de France (1) . " Il partit
pourtant seul, avec sa carraque et quelques petits hrigan-
tins. " Et vous promectz ma foy, soupirait Bernardin, que
suis esté mal contant que je ne l'ay accompaigné jusques en
Rt)ddes; et n'a tenu à mov, et av faict ce que l'on m'a com-
mandé (2). » Savait-il que le grand-maitre était guetté par
un corsaire fameux, Curtogli, qui allait recevoir, l'année
même, le bâton d'amiral de la flotte turque.
Villiers de L'Isle-Adam parvint pourtant à bon port; on
l'apprit par une lettre de détresse, adressée au roi comme
à II celluy en qui est toute nostre espérance (3) » . Bientôt,
arriva une dépêche plus pressante encore, apportée par
Frère Claude Villiers d'Ancienville : elle demandait d'ur-
j'jCnce des secours. Le brigantin de Villiers avait quitté
Rhodes le 18 juin 152:2 (4). Le 20, paraissait la flotte de
Curtogli. Curtogli avait dix mille soldats de marine, le
double de la {jarnison de Rhodes (5). Il attendit néanmoins,
pour ouvrir le siège, l'arrivée de Soliman II et d'une cen-
taine de mille hommes, qui s'acheminaient vers la vaste
(i) Marseille, 30 juillet (CiiAnniÈiiK, t. I, p. 87).
(2) Lettre de Bernardin de Baux à Bobcrtet. Lyon, 27 di'ccnihre (R. N.,
Franc. 3050, fol. 100). — Bernardin avait cinq cents hoiuuics de guerre à
bord de son galion, de sa barge et de son brigantin. Lettre de B. de Baux
au roi. Marseille, 3i juillet (B. N., Franc. 2933, fol. 133).
(3) 28 octobre 1521 (CuAnRiKn>:, t. I, p. 89).
(4) « Journal du siège de la noble cité de Rodes,... escrit pai* Frère
Jacques, bastard dk Botinnox. 1523 « (B. N., Franc. 16165, fol. 35 v" ;
imprimé dans l'édition in-4" de l'abbé dk Vkrtot, Histoire de Malte, t. II,
p. 626).
(5) ÏEnciKn, Mémoire sur la prise de la ville et de l'ile de Rhodes,
eu 1522, pur Soliman II, dans les Mémoires de l'Académie des inscrip-
tions, t. XXV, p. 733.
RHODES
(B. N., Latin 0067, fol. 18 ; manuscrit offert à l>ienf d'Aubusson.)
LA FRANCE EN ORIENT 161
baie de Marmarls, dont lamphithéàtre de hautes mon-
tagnes s'ouvre presque en face de Rhodes (1).
Je n'ai pas à relater ce siège mémorable si souvent décrit,
mais à montrer comment les héroïques défenseurs mou-
raient, les regards tournés vers la France. Pi'égent de Bidoux
était des leurs. Après avoir repoussé de l'ile de Lango
l'avant-garde de la flotte turque, il s'était fait jour au tra-
vers des vaisseaux ennemis, pour venir se jeter, le 10 juil-
let, dans la ville de Rhodes. L'allégresse avait été géné-
rale de voir apparaître ainsi un » homme de sa nature des
plus vigilans qvi'on face (2). i» Toujours aux postes les plus
exposés, notrevaillant amiral du Levant conduisitla défense
avec une extrême bravoure, jusqu'à se faire blesser eu
repoussant un assaut (3).
En dépit du blocus, le grand maître dépêchait vers Fran-
çois I'' exprès sur exprès, son secrétaire Nicolas Husson,
puis Jean de Bresolz, pour presser l'envoi de renforts (4).
Il y comptait. Le roi avait donné pouvoir au chevalier
Claude d'Ancienville de réquisitionner tous les vaisseaux
de Provence. Mais l'amiral-gouverneur René de Savoie
refusa de laisser dégarnir la côte (5), au moment où il avait
à faire face à la flotte impériale (0).
Le 13 novembre, le grand maître de Villiers tenta une
suprême démarche (7). Résumant en quelques mots les
péripéties du siège, neuf assauts, cinquante mille Turcs
(1) Soliman débarque le 28 juillet à Rhodes (De Hasimï;r, t. V, p. 29).
(2) Jacques DE Bourbon (B. N., Franc. 16165, fol. 42 v»).
(3) Veivtot, t. III, p. 254-.
(4) Nicolas Husson partit le 28 août; la fuste de Jean de Bresolz, de
retour dans la nuit du 6 octobre, repartit le 10 pour presser l'arrivée des
renforts (Jacques de Bourdon, fol. 57, 81).
(5) Ibidem, fol. 36.
(6) Cf. plus bas le chapitre : Rivalité de François I" et de Charles-Quint.
— Sanuto, t. XXXIII, col. 280. — F. Ddro, Armada cspanola, t. I,
p. 132.
(7) Lettre à son neveu La Rochepot-Montmorency. Rhodes, 13 no-
vembre 1522 (CHARRIÈRK, t. I, p. cxxxi).
m. II
J62 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
hors de combat, rëncrgique Aucillard concluait : " Si peu
de secours qui vînt donner sur eulx, seroient tanstost tous
desconfiz. Somme contrainctz envoyer derechef devers le
roy, principal protecteur de la foy- Toute nostre espérance
est audit seigneur, et sans son avde, somme en évident
péril. »
Le faible secours demandé était déjà parti de France,
quand la lettre de L'Isle-Adam arriva. Deux grandes car-
raques avaient quitté Marseille avec une cargaison consi-
dérable de munitions à destination de lihodes. Par malheur,
les Génois mirent l'embargo sur elles, en nantissement de
leur grosse nef Negrona, capturée par la flotte fi-an-
çaise (1). Quand on obtint main-levée de l'embargo, la
saison était fort avancée, et, des deux carraques battues
par la tempête, l'une sombra à la hauteur de Monaco,
l'autre échoua en Sardaigne. Le grand maître n'avait plus
aucun secours à attendre.
Rhodes succomba dans la matinée de Noël, au moment
où le pape Adrien IV célébrait la messe dans l'église Saint-
Pierre (2). Après que la voix du muezzin eût retenti du
haut du clocher de l'église Saint-Jean, Philippe de Villiers
de L'Isle-Adam s embarqua, avec ses derniers chevaliers,
pour la Crète et l'Europe (3). Les expéditions françaises
envoyées pour la défense de l'île étaient si bien oubliées,
que, dans une lettre au |)ape Adrien VI, François I" se vit
obligé de remettre les choses au point. Rappelant que ses
«1 services, depuis quelque temps en çà, ont esté mal
reconnuz » , que la France a été le seul pays à persévérer
dans ses projets de croisade, le roi engageait l'ancien pré-
cepteur de Charles-Quint à se souvenir que le Saint-Siège
s'était toujours fait de la maison de France un « bouclier »
(1) Calendar of State papers.. . Spaiii, t. H, p. 507.
(2) Vertot, t. III, p. 276.
(3) De Hammer, t. V, p. 42.
LA FRANCE EN ORIENT H!3
contre Tempire (1) . Il était bon prophète. Moins de quatre ans
après, le pape était assiégé dans Rome par les troupes impé-
riales. Mais non plus que pour sauver Rhodes, Fintervention
de François I"" ne se trouva efficace pour sauver Rome.
Des moindres détails du mémorable siège, le roi fut
informé par Prégent de Bidoux, messager du grand maître
et porteur d importantes dépêches (2). L'Isle-Adam cher-
chait pour son Ordre un asile. Il est fâcheux de dire que
ce fut à Tempereur qu'il dut Malte. Fidèle à l'infortune,
Prégent suivit dans l'exil le grand maître, dont il comman-
dait les derniers vaisseau.x. Moins de deux ans après,
c'était à un autre exilé, à François l" emmené prisonnier
en Espagne, qu'il portait des paroles de consolation. Puis
ce fut le pape qui fit appel à son dévouement. Pour
échapper au.x brutales atteintes des Impériaux et parer à
un nouveau sac de Rome, Clément YIl songeait à gagner
Nice sur les galères des Hospitaliers f3).
Prégent de Bidou.x quitta Marseille pour le quérir : ce
fut sa dernière croisière; il allait mourir en preux cheva-
lier, face à l'ennemi, face au croissant. En août 1528, il
rencontrait par le travers des îles de Marseille une galiote
turque, qu il n'hésita point à attaquer. Après un Combal
acharné, la victoire tourna de son coté. Les raïs furent
pendus et quatre-vingt-seize Turcs mis à la chaîne, au lieu
et place de cent cinquante esclaves chrétiens, qui furent
délivrés. Mais Prégent avait été frappé à mort durant le
combat : il exhala, en débarquant à Nice, le dernier soupir,
avec la joie suprême d'avoir sacrifié pour ses frères sa vie (4).
(i) Lettre de François I" au pape Adrien VI. Mai 1523 (Cabinet histc
ricjue, t. XIII, 1"^" part., p. 62).
(2) Lettre du grand inaitre L'IsIe-Adam. Civita-Vecchia, août 152l>
(B. N., Franc. 3012, fol. 51).
(3) Juin 1528 (Vauîelle, B. N., Franc. 5072, fol. 122 v").
(k) Août 1528 (Valbeli.k, fol. 124. — Ruffi, Histoire de Marseille, t. Il,
p. 350).
RIVALITE
DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT
PREMIÈRE GUERRE
I
EIN QUÊTE D'ALLIANCES
Lors de sa candidature à FEmpire, François I" avait été
traité par d'aucuns comme un vulgaire intrigant, dont la
politique donnait prise aux plus désobligeants commen-
taires. C'est un prince si avide de gloire, déclarait un des
électeurs, qu'il va chercher dans les glaces du nord de
stériles lauriei'S (Ij. Or, loin d'y aller de son propre mou-
vement, il avait cédé à un sentiment désintéresse. Chris-
tiern II avait fait appel à notre amitié séculaire pour le
Danemark et demandé notre appui contre Steen Sture, qui
le tenait en échec dans ses Etats de Suède. Le plénipoten-
tiaire chai'gé de la réponse trouva Christiern en partance
pour la Suède à la tète d'une flotte puissante, bien montée
et bien armée, telle qu'on devait l'attendre d'un souverain
entendu en fait de marine. Si la marine était bonne,
l'armée manquait de discipline; autant l'une pouvait nous
(i) Discours de l'archevêque de Mayence à la diète de Francfort. Juin
15i9 (Gaillard, Histoire de François I". Paris, 18i9, in-8», t. I, p. 283).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CH ARLESQ U l N T. 163
rendre des services, autant la seconde avait besoin des
nôtres, et, dans l'espèce, des quatre mille fantassins dont
nous offrions le concours. Pour sceller ce bon échange de
procédés, un projet d'alliance offensive et défensive fut
présenté au roi de Danemark. Curieux de savoir quel
ennemi nous visions, — les Anjjlais sans doute? — Chris-
tiern hocha la tête en apprenant que nous n'avions avec
eux que trêve ou « paix gardée " . — " En telle paix, dit-il,
il n'y a guère d'amour (1). » Elle subsista néanmoins. Tant
par suite de l'intervention de l'empereur Maximilien que
par une orientation nouvelle de notre politique avec l'An-
gleterre, le traité d'alliance (2) ne fut pas signé. Mais,
pour le Danemark, il porta ses fruits : le corps expédition-
naire de Suède, fixé d'abord à quatre mille hommes (3),
fut seulement réduit à un régiment de mille soldats
d'élite, commandés par le Picard Saint-Blimont, le Gascon
Arnaud de Pardaillan, baron de Gondrin, les capitaines
La Lande, Piéfou, Cosseins. Ils quittèrent les côtes nor-
mandes à bord de l'escadre du prince Gaston de Bré/.é, fils
du grand sénéchal (4), dont le pavillon flottait sur la
Princesse, magnifique nef capable de porter sept cents
hommes (5) .
Les troupes débarquées en Suède dans l'été de 1519,
nos marins (6) reprirent sans congé la route de France et
se crurent autorisés à dévaliser les navires de Lubeck, par
(1) Relation de François de Bordeaux adressée à François \". Copenhague,
24 juin [t518] (B. N., Franc. 15966, fol. 208).
(2) En date du 20 novembre 1518 {Ordonnances des rois de France.
Rèqne de François I", t. II, n° 158).
(3) Lettres de François I" (B. N., Franc. 5500, fol. 316).
(4) Martin Dtr Bellay, Mémoires, dans la collection Michaud et Pou-
joulat, 1"= série, t. V, p. 130.
(5) R. N., Clairambault 326, fol. 555.
(6) Les capitaines de navires Janot de Salingand, Antoine Dumisnil, de
Hontleur, etc. (Stephano de Merval, Documents relatifs à la fondation du
Havre. Rouen, 1875, in-8", p. 175. — Arctiives nat., K 82, n" 4).
166 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
le fait que les Hanséates soutenaient les rebelles (l). Que
dis-je? Ils pillèrent même les Danois, si bien que Brézé,
leur chef, fut retenu comme caution à Copenhague jusqu'à
plein clddommaffement des parties lésées. François I",
indigné de ces pirateries, manda au vice-amiral d'en faire
prompte justice (i2) .
Mais la brillante conduite de nos troupes effaça cette
fâcheuse impression. Elle valut, le 19 janvier 1520, au
général Otto Krumpen,la victoire de Bogesund, qui décida
du sort de la Suède et amena, le 7 mars, la soumission des
dissidents. Dans une autre rencontre, à Zyveden, nos
soldats, cernés sur un lac glacé par les Suédois qui se
jouèrent d'inexpérimentés patineurs, furent taillés en
pièces. Les Danois n'avaient pas soutenu, cette fois, leurs
alliés. Bref, c'est à peine si la moitié du corps expédition-
naire regagna la France par la voie de l'Ecosse (3).
En paix gai^dée, il n'y a guère d'amour, observait fine-
ment Ghristiern de nos relations avec l'Angleterre. Pour-
tant, notre politique, tout d'abord anglophobe, changea à
l'apparition d'un nouvel adversaire, et François I" fit tout
pour améliorer nos rapports avec nos voisins. A la pirate-
rie, cause de froissements perpétuels entre les deux pays,
il mit un frein en défendant à tout autre officier que l'ami-
ral de s'occuper des armements (4), en exigeant le dépôt
par l'armaleur d'une caution préalable et en rendant res-
ponsables le maître d'équipage et ses « compagnons de quar-
tier (5) i> . L'entente du 4 octobre 1518 avec l'Angleterre,
(1) I.,cttiede François I" à Du Cliillou. 28 septembre 1519 (S. de Merval,
p. 179).
(2) Lettre de Ghristiern II à François l". Copenhague, 6 février 1520
(B. N., Franc. 15966, fol. 224).
(3) Martin nr Bei.l.w, Mémoires.
(4) B. N., Franc. 5500. fol. 163.
(5) Ordonnances pour les amirautés de Guyenne et de France. Juillet
1517 (B.J\., Franc. 2832, fol. 266; Franc. 11969, fol. 187). L'ordon-
RIVALITÉ DIÎ FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 1G7
donnant à cette réglementation un caractère international,
fixa la caution à la valeur du navire équipé en guerre (l).
Ces préliminaires posés, François I" tâcha de se faire
un ami et allié du roi d'Angleterre. Ce fut l'objet de
l'entrevue à laquelle il convia Henri VIII en juin 1520-
EUe eut lieu entre Calais et Guines, au camp du Drap
d'Or. Henry YIII arriva en France sur t Henry-Grâce-à-
Dieu, escorté des Great-bark^ Less-Bark, Kateryne-Plesaiince
et Mary-and-John (2) . De la magnificence de ces vaisseaux
aux lourdes voiles de drap d'or ou de toile peinte chargée
d arabesques, aux flammes d'or, aux pavesadcs multico-
lores, un tableau d Holbein nous a conservé le souvenir
précis (3). Une chaude réception attendait les Anglais-
François I" crut gagner ainsi l'affection de Henri Vllf : il
le blessa dans son amour-propre, soit aux joutes, où il fut
vainqueur, soit par le déploiement d un faste inouï. L'al-
liance qu'il pensait tenir s'évanouit le 10 juillet suivant;
l'entrevue de Gravelines avec Charles-Quint fit pendant au
camp du Drap d'Or. Entre les deux rivaux, entre le roi et
l'empereur, Henri YIII prétendit s ériger en arbitre et,
dans la lutte qui se préparait sourdement, se prononcer
contre 1 agresseur.
D'être agresseur, dès lors, chacune des parties en pré-
nance pour l'amirauté de France est accompagnée du commentaire du par-
lement de Rouen. C'était, à vrai dire, un renouvellement et une extension
de l'accord conclu avec 1 Angleterre les 2V mai 1497 et lli- juillet 1498
{Ordonnances, t. XXI, p. 58).
(1) « Tractatus pro depredationibus marltiuiis restituendis. » Londres,
4 octobre 1518 (Archives nat., J 920, p. 18). — Édit notifiant le dispositif
du traité. Janvier 1519, n. st. (Librairie Clouzot à Niort. Catalogue de 1903).
(2) Oppexukim, a History of the Administration of thc Royal Navy
and marchant shippinq in relation to thc Navy. London, 1896, in-8",
t. I (1509-1660), p. 57!
(3) De ce tableau, le musée de Versailles possède une copie. La gravure,
qu'en a faite Bazire, a été souvent reproduite (Jal, Glossaire nautique,
p. 1055. — Harris Nicholas, History of the Royal Navy, t. IL gravure en
tête du volume, etc. — J. Guauxock, History of marine architecture.
London, 1801, in-4% t. II, p. 32).
168 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
sencc s'évcrlua à écarter le soupçon, tout en poussant ses
préparatifs. « M. du Ghillou, écrivait François I" à un
vice-amiral, je désire bien entendre quels navires il y a en
Normandie, en sorte que nos voisins entendent que vous ne
dormez point et que vous ne serez pris au despouiveu (1). »
Et un recensement général des navires de gvierre normands
et bretons, au cas où n il plairoit au Roy très chrestien de
faire une armée royalle pour aller contre ses ennemys " ,
permit de constater la présence de vingt-six vaisseaux
ronds, capables de porter plus de dix mille hommes (4).
Il ne manquait, pour constituer l'armée navale, qu'une
demi-douzaine de ces galions propres à tout faire, battre
à fleur d'eau, raser la côte ennemie, remorquer les grosses
nefs pour doubler une pointe; de ces canonnières, éclai-
reurs et remorqueurs tout à la fois, qu'il était si facile de
se procurer dans le Levant (3).
Au lieu de s'aborder à visage découvert, les deux adver-
saires masquèrent leur mutuelle agression, l'un en prê-
tant appui aux bannis génois et lombards, l'autre en
secondant les prétentions de Henri d'Albret sur la Navarre
espagnole et en lançant dans les Pays-Bas Robert de La
Marck. Leur échec fut égal. En juin 15!21, André de Foix,
seigneur de Lesparre, un instant maître de Pampelune,
était battu et rejeté en France. Bonnivet, il est vrai, répa-
rait cette défaite en investissant tout à coup Fontarabie,
(1) Lettre de François I'"' à Du Chillou. 12 décembre 1520 (Stcphano de
Merval, Documents relatifs a la fondation du Havre, p. 199).
(2) Nefs Grande-Françoise (1500 tonneaux de port, autant d'houimes),
Grande nef d'Ecosse (1000 t.), Grant-Lojse (800), Princesse (700), Xefs
de Rouen (700), La Rochelle (600) et Orléans (500), Marquerile d'Ecosse
(450), Hermine (400), Jacques d'Ecosse (350), Pensée (140), nef de Parent
(300), Christophe (160), barques Daulphine (140), vice-atnirale (90), trois
nefs de Groix (300 tonneaux chacune), Petite-Lojse (150), nef de Mailly
(150), trois nefs de Penmarch et Pouldavid (240 tonneaux chacune), Bonnc-
Adventiire « qui fut au capitaine Chavouay » , sic pour Chanoy (200).
(3) Inventaire de peu postérieur à la mort de Chanoy, soit à 1520
(B. N., Clalrambaull 326, fol. 555).
RIVALITE DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 169
que sa forte assiette entre la mer, la rivière d'Hendaye et
les montagnes faisait passer pour imprenable (1). L'escadre
de Bretagne, dont le pavillon amiral flottait sur la Grande
nef d Ecosse, devait seconder les travaux du siège, en inter-
ceptant toutes relations des assiégés avec Pasage et Saint-
Sébastien. Las d'attendre le vice-amiral Lartigue (2), Bon-
nivet donna l'assaut et emporta la place (3).
Les impériaux, de leur côté, s'étaient flattés d'enlever
Gènes par escalade, avec le concours des bannis génois du
parti des Adorno et de huit cents hommes embarqués à
Gaète. Mais dès que parurent à l'entrée du môle, comme
naissait l'aube du 28 juin, les sept galères et les quatre
brigantins de Paolo Vcttori, la carraque de garde ouvrit
sur eux un feu si vif qu'il leur fallut battre en retraite
dans la direction de Recco (4). Nous restions maîtres de
Gênes, dans l'instant où Lcscun repoussait sur les terres
de l'Eglise les partisans de Francesco Sforza.
Le malheureux roi de France, dans l'alliance contractée
avec Léon X, s'était laissé duper. Le pape avait prêté aux
exilés lombards de l'argent et ses galères aux bannis génois.
Il signait un traité secret d'alliance avec l'empereur (5) , qui
recevait l'investiture du royaume de Naples. Par la faute
du pape, la flotte que François I" destinait à la défense de
Rhodes (6) était retenue pour la garde de nos côtes; et
(1) Lettre de Bonnivet. Camp devant Fontarabie, 9 octobre 1521 (B. N.,
Clairainbault 321, fol. 153).
(2j Qui avait, dès le mois de juillet, armé quatre grands vaisseaux du roi
à Brest (B. N., Franc. 3050, fol. 102). — Lartigue fut rejoint par six vais-
seaux et six barques que le gouverneur, Guy de Laval, avait armés au
Blavet, et par un contingent de l'amirauté de Guyenne. Lettre de Guy de
Laval. Au Blavet, 26 août (B. N., Franc. 2971, fol. 134).
(3) Belcariu.s, liv. XVI, c. 37.
(4) Lettre de Battista Fregoso au roi. 28 juin (B. N., Franc. 2961, fol. 12).
— Lettre d'Ottaviano Fregoso à Robertet. Gênes, 28juin(B.N., Franc. 2933,
fol. 178).
(5) 8 mai 1521.
(6) Les onze vaisseaux de Navarro (S.\xrTO, t. XXXIV, col. 250).
170 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
après une croisière fructueuse aux Baléares (Ij, Frère Ber-
nardin de Baux massait ses dix-neuf bâtiments dans le
golfe de La Spezia. tant pour couvrir Gênes que pour
menacer Gaète et Naples (:2) .
Tour à tour allaient tomber devant la froide réalité les
illusions généreuses du roi-chevalier. Crédule, il eut con-
fiance dans les négociations qui s'ouvrirent à Calais, le
4 août 1521, sous le patronage de l'Angleterre; il eut foi
dans le rôle d'arbitre et de justicier que s'attribuait
Henri YIII ; la partialité du cardinal Wolsey, qui repré-
sentait son maître, éclata pourtant dès le début, quoi que
fît le chancelier Duprat pour éviter de donner prise à la
malveillance britannique. Dès l'annonce que l'embargo
avait été mis sur les navires normands pour passer d'ur-
gence en Ecosse le régent Stuart dAlbany (3), Duprat
n'envoyait-il pas au roi cette remontrance sévère : Quelle
imprudence! Si les Anglais viennent à le savoir, ils se
déclareront contre nous (4).
L'opinion britannique, hélas! était faite. Sept jours avant
l'ouverture de la conférence de la paix, Henri YHI parlait
d'aviser avec l'empereur « aux moyens de détruire la flotte
du roi très chrétien " par une de ces surprises perfides qui
trouvent l'adversaire désarmé (5). François I" eut vent que
(1) Le 25 août, Bernardin de Baux croisait dans les mers de Majorque et
Iviça et faisait des prises qu il ramenait à Toulon pour ravitailler les quatre
galères de Doria. Lettre de Bernardin de Baux à Robertet. Lyon, 27 dé-
cembre (B. N., Franc. 3050, fol. 100).
(2) Lettre de Naples, 2 novembre (Saxt-to, t. XXXII, col. 151).
(3) Lettre de François I''' au vice-amiral Du Chillou. 16 juillet 1521 (Sté-
phane DE Merval, Documents relatifs a la fondation du Havre, p. 200).
— Le duc d'Albanv arriva en Ecosse le 30 octobre sur trois vaisseaux,
normands (Lctters and papers... of Heniy VIII, éd. Brewer, t. IV.
n° 1595)
(4) B. N., Clairambault 318, p. 36.
(5) Lettre de Richard Paco à Wolsey (28 juillet) et de Wolsey à
Henry VIII (4 août). {^State papers during the reiqn of Henry the Eighth.
London, 1830, in-8% t. I, p. 23, 31).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS i" ET DE CHARLES-QUINT. 171
le coup ctait dirigé contre le Havre-de-Grâce et contre l'es-
cadre qui v stationnait. Il y fit mener des canons de Rouen (1),
tandis que le vice-amiral Du Ghillou organisait un service
de navires éclaireurs pour prévenir à temps les cinq cents
cavaliers et les quatre mille piétons de la garde-côte lo-
cale (2). La surprise n'eut pas lieu. Ré, Belle-Isle, le Croi-
sic, Ouessant échappèrent également à l'attaque d'un an-
cien dominicain, qui avait un moment commandé les galères
pontificales, Pedro de Bobadilla (3). Une tempête jeta ses
vaisseaux sur les côtes de fer de la presqu'île armoricaine :
du sien, personne n échappa à la mort (4).
La conférence de Calais se dénoua sans amener la paix,
tout au contraire. Au lendemain de son échec, l'empereur,
le pape, le roi d'Angleterre s'unissaient contre la France et
s'engageaient, par le traité secret du 24 novembre, à nous
attaquer simultanément par les Pyrénées, les Alpes et la
Picardie. La curée de la France était fixée au mois de mars
L523 (5). Le 29 mai L")22, Henri YIII nous déclarait la
guerre, à la suite d'une entrevue avec Charles-Quint, qui
avait passé de sa personne à Douvres sur la flotte de l'ami-
ral Ugo de Moncada et du rentmaître de Zélande Adolf
Harduick (6).
(i) Lettres de François I" aux échevins de Rouen. 15 septembre (BorÉly,
Histoire du Havre. Le Havre, 1880, in-8", t. I, p. 474).
(2) Haifleur, 3 octobre (B. N., Franc. 3050, fol. 74).
(3) Avis d'Espagne (B. IN., Franc. 3897, fol. 217) : l'escadre, armée à
Pasages, comprenait neuf grosses nefs, dix pinasses et 1500 hommes de
guerre.
(4) P, Martir de Asgleri.\, Opus Episfolannu, epist. 758.
(5) Lk Glay, Négociations (liptoinatif/nes entre la France et l'Autriche.
Paris, 1845, in-4° (Coll. des doc. inédits) t. II, p. 585.
(6) Mai 1522. Les comptes d'armement de cette flotte se trouvent à la
B. N,, Franc. 2809.
172 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
II
LA PATRIE EN DANGER
La patrie était en danger! Aux bonnes villes, le roi
demanda des volontaires (I), au cierge des subsides (2),
aux armateurs leurs bâtiments prêts à tout effort qu'il
serait besoin : » Le temps est tel qu'il faut pour que cha-
cun s'esvertue à faire service et garder son pavs : quand
Dieu nous aura donne une bonne paix, le roy n'oul)licra
ses bons serviteurs (3) " .
Ah! l'admirable pays que la France! Dès qu'eut retenti
aux frontières maritimes le tocsin d'alarme, tous se levèrent.
A Dieppe, un armateur dont j'aurai l'occasion de retracer
l'histoire, Ango, et son gendre, de Bures, firent des prépa-
ratifs si grands, que la princesse Marguerite de Navarre
les félicitait avec chaleur de servir « merveilleusement fort
le roy sur le faict de la marine et guerre de mer, le tout à
leurs propres coûts et despens » (4). Pareillement agirent
les armateurs roucnnais; sous la direction du vicomte mu-
nicipal, Alonce de Giville, ils équipèrent pour la défense
du rovaume (5) toute une escadre, où l'un d'eux, Jacques
(1) 1500 volontaires à Paris, 1000 à Rouen, d'autres à Bayonne, que
sais-je. Lettre du roi aux Bayonnais. 3 février 1522 (^Archives municipales
de Bayonne, Registres gascons, t. I, p. 341).
(2) Douze cent mille livres. 24 juillet 1523 (B. N., Franc. 25720,
fol. 235). — Une aide avait été déjà levée sur le clergé breton pour la mise
en état de défense des ports de Bretagne. 14 janvier 1523 (Archives nal.,
J. 939, n'Ô).
(3) Lettre chiffrée adressée au roi (B. N., Clairainbault 322, fol. 317).
(4) 1526 (GÉxiN, Recueil de lettres inédites de Marguerite dWngoulènie,
j-eine de Navarre. Paris, 1841, in-8').
(5) François l" fait verser 20000 livres à Alonce de Giville et à ses
co-armateurs pour les navires équipés en 1524, afin de défendre le royaume
(Catalogue des actes de François I", t. VIT, p. 745).
RIVALITÉ DE FRAINÇOIS 1" ET DE CHARLES-QUINT. 173
de Civille, s'illustra (Ij. Au Havre-de-Grâce, directement
menacé par les croisières ennemies, tous s'étaient mués en
corsaires, depuis le vice-amiral Du Ghillou, jusqu'à « Tar-
chitecteur " du port, Michel Féré, jusqu'à des gentils-
hommes, comme d'Estimauville et Cardin d'Esqueville-
Bléville (2), et nous verrons ailleurs quels furent leurs
exploits sous le commandement du capitaine Jean
Fleury (3) .
Car c'était par escadrilles légères qu'opéraient nos cor-
saires. Avec sept petits bâtiments seulement, caravelles ou
chaloupes, les marins Du Croisic, commandés par Guil-
laume Le Béquet, n'avaient pas craint de stationner au
large du cap Finisterre, où leurs attaques à l'abordage,
poignard à la main, étaient irrésistibles, mais effroyables :
de leurs prisonniers, « ils pendaient les aucuns par les gé-
nitoires, baillaient ribaudes par la teste aux autres, leur
faisant sortir par les bouches et oreilles grant effusion de
sang (4) 1) . Terrible façon d'agir qu'un amiral appelait
galamment une manière de « gaigner son advovne » (5).
Pour diriger le magnifique élan patriotique de nos
marins, un chef manquait. L'amiral Gouffier de Bonnivet
n'était qu'un courtisan, le vice-amiral de Bretagne un spé-
cimen du népotisme, qui a toujours sévi en France. Cons-
cient de son insuffisance, Pierre de Bidoux, sieur de Lar-
tigue, réclamait instamment le rappel de son oncle, le
fameux Prégent (0), qui eût sans doute sauvé la situation,
(i) GossELix, Documents autheiitir/ues et inédits pour servir à l' histoire
lie la marine normande et du commerce rouennais pendant les xvi° et
wn" siè<-les. Rouen, 1876, in-S", p. 74.
(2) Ibidem, p. 71.
(3) Cf. le chapitre Anijo et la liberté des mers.
(4) Lettres patentes de François I" (B. N., Franc. 5086, fol. 143).
(5) Lettre de l'amiral Chabot à Alain de Guengat. 12 juin 1527 (Du
CnKST LE Villeneuve, Alain de Guenqat, vice-amiral de Bretagne, dans le
Bull- de la Soc. archéol. du Finistère (1897) p. 173).
(6)LeUre de Larti<;ue. Brest, 16juiilct 1521] (B. N., Franc. 3050, fol. 102).
174 HISTOIRE UE LA MARINE FRANÇAISE.
mais que retenait à la défense de Rhodes son devoir de
chevalier. Vainement, François I" Tavait réclamé au grand
maître de l'Ordre, en ajoutant galamment toutefois cette
clause, " si vous et vostre dite religion se povoient passer «
de lui (Ij. Plus capable que son collègue, sans avoir Ten-
vergure d'un grand homme de guerre, le vicc-amiral Guyon
Le Roy, sieur Du Chillou et ancien capitaine du Groisic (2),
nous avait dotés, sur la Manche, d'une base d'opérations
navales, conçue selon les derniers perfectionnements des
ports méditeri'anéens (3).
Le 1" mars 1517, un rassemblement insolite avait eu
lieu dans un terrain marécageux voisin du Chef de C-aux.
Tout ce que la région comptait d'officiers royaux ou muni-
cipaux, de capitaines de navires et de maîtres-maçons
avait répondu à la convocation du vice-amiral Du Chillou.
Le baptême auquel ils étaient conviés était celui d'un nou-
veau port, depuis longtemps réclamé par nos marins (4),
dans la patte d'oie que forment, à travers les atterrisse-
ments de la mer, les méandres de la Seine. Sous les yeux,
et avec l'avis des assistants, fut tracé et jalonné par des
pieux le périmètre du port, ainsi que le canal qui devait y
déverser les eaux de la rivière de Harfleur fa). Les travaux
de maçonnerie, mis le surlendemain en adjudication, de-
vaient être achevés en cinq mois. Ils durèrent six ans. La
construction d'un port de guerre revenait alors à quatre
(i) Lettre au grand mailic. 18 novembre 1519 (B. JN., Franc. 5761,
fol. 210).
(2) Il était capitaine du Croisic en 1496 (B. IN., Franc. 8310,
fol. 235 V").
(3) Nommé, le 7 février 1517, commissaire général pour la construction
du nouveau port, l'amiral Bonnivet avait passé la main, dès le 12, à son
vice-amiral.
(4) Déclaration de maître iSicole Karadas aux Etats de Normandie,
9 mai 1515 (Ed. BorÉly, Oriqinc et fondation de la ville du Havre, dans
la Revue historique, t. XIV (1880), p. 299).
(5) Stephano de Merval, Bocunicnts relatifs à la fondation du Havre,
p. 25.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 175
cent mille francs : encore le vice-amiral de Bretagne offrait-
il de prouver qu'on en avait volé cent mille (1). De
Franciscopolis, l'usage ne retint point le nom de baptême
— bien que le parrain fût le roi — mais consacra le nom
populaire de Havre-de-Gràce, tiré du vocable d'une cha-
pelle voisine. Avant même que « l'architecteur » Michel
Féré, de Honfleur, eût achevé avec une a ingénieuse
solercie (2) » les deux môles et leurs bastions, les jetées
intérieures, les bassins et les épis sur la mer, le Havre-de-
Grâce abrita tel quel notre escadre de la Manche (3).
Ancrés jusque-là dans la rade de Villerville près de Hon-
fleur, nos grands vaisseaux y fatiguaient tellement par la
tourmente que la Louise, bâtiment amiral, abordée succes-
sivement par la Nef de Bordeaux et par La Grande Nef
d'Ecosse, avait eu quatre de ses canons d'avant brisés (4).
Les vaisseaux continuèrent à être entretenus par leurs capi-
taines, moyennant une indemnité annuelle de trente-cinq
sols par tonneau (5). Mais plusieurs capitaines s'étant
plaints d'être lésés dans leurs gages, parce que le tonnage
de leurs bâtiments était supérieur à l'estimation des comp-
tables, l'amiral Gouffier de Bonnivet fit procéder à une
revision de la jauge pour toute la flotte royale (6).
(1) Ernest DE FrÉville, Mémoire sur le commerce maritime de Rouen,
t. II, p. 408.
(2) B. N., Franc. 5692, fol. 5, 138. — Henri Steix, Michel Féré, créa-
teur du port du Havre. Paris, 1905, iu-8", extrait de la Revue des études
historicjues.
(3) Estimation de la dépense à faire pour amener la Granl-Loyse et la
ne( Princesse au Havre-de-Gràce (Archives du Havre, EE 79).
(4) « L'inventère... de lagrant nef nommée la Lojse. » 18 novembre 1516
(Archives du Havre, EE 79).
(5) Louis de Bigars, capitaine et garde de la nef royale Françoise d'Or-
léans, de 450 tonneaux de port, reçoit 792 livres, 15 sols, pour ses gages
Il au feur de xxxv sols tournois pour chascun tonneau, dont ladite nef a
esté trouvée de port. » 2 janvier 1518 (B. N., Pièces orig. 340, doss. Bigars,
P- 38).
(6) Lettre de l'amiral au vice-amiral Guvon Le Hoy. seigneur Du Chillou.
8 mai 1518 (Archives du Havre, EE 78).
176 HISTOIRE DE LA MARINE FRAXÇAISE.
L'escadre du Havre s'était accrue de plusieurs vaisseaux
nevifs, achetés par le roi, l'amiral et le vice-amiral (l) ; et
dans le chantier tout proche de Leure (2), s'achevait le
plus fort bâtiment que notre marine de guerre eût encore
possédé, " la plus triomphante chose que jamaiz marinier
vit (3),» la grande neî Françoise, de quinze cents tonneaux
de port et deux mille hommes de contenance (4).
Une aussi belle proie ne tenta point les Anglais. Sur
une dépêche du gouverneur de Guernesey, que les îles
anglo-normandes étaient sous le coup d'une attaque du
vice-amiral Lartigue, l'amiral Thomas Howard quitta pré-
cipitamment les Dunes à la tête d'une division anglo-espa-
gnole et prit la direction de l'archipel. Une tentative contre
Cherbourg (5), après débarquement devant Urville-Hague,
n'eut aucun succès. En Bretagne, l'attaque fut plus heu-
reuse : Saint-Pol-de-Léon fut insulté, quatorze vaisseaux
et de nombreux bateaux brûlés (6j, Morlaix surpris et
incendié le 1" juillet, comme la population était à la foire
de Noyai. Mais partout, après un moment d'une surprise
bien naturelle devant l'apparition de deux cents voiles, le
peuple se reprenait et faisait " si grande et vertueuse résis-
(i) L'amiral avait acheté la nef Saiiit-Françoii et le vice-amiral la nef
Saint-Laurent, toutes deux à Michel Féré. 19 mars et 20 octobre 1517
(Stephano de Mkrval, p. 8, note 1.) — Le roi avait acheté la nef l'Her-
mine, payée 15000 livres à Rij^ault de Berquetot. Rouen, 18 août 1517
(B. N., Pièces orig.,vol. 307, dossier Berquetot, p. 2), et /a fiarie (Archives
du Havre, EE 78).
(2) 2875 livres sont versés pour le parachèvement de la Françoise,
28 février 1521 (B. N., Franc. 25720, fol. 167).
(3) B. N., Franc. 3050, fol. 76.
(4) B. IS., Clairambault 326, fol. 555. — Cf. supra (t. II, p. 473) la
description de la Grande-Françoise d'après Guillaume de Marceilles.
[h) Letters and papers... of Henry VIII, éd. Brewer, t. III, n" 2296,
2329, 2357. — G. Dupokt, Histoire du Cotenlin et de ses îles, t. III,
p. 230.
(6) Lettre de Marguerite de Navarre. 23 juin 1522 [Calendar of letters,
despatches and State papers relatin q la the ncgotiations between En gland
and Spain, prescrved at Simancas, éd. Bergenrotu and Gavaxgos. Londres,
1868, in-8", t. II, p. 466).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT, ni
tance » que jamais les ennemys « n'eurent la hardiesse de
demeurer (1) ».
Force dintcrrompre sa croisière pour aller reconduire à
Santander l'empereur Charles-Quint, l'amiral anglais laissa
en observation devant Dieppe et le Havre lescadre de Lezr
cano. Il était persuadé que deux mille aventuriers, en
partie écossais, qui s'étaient embarqués dans ces deux
ports sur une vingtaine de bâtiments, allaient se jeter sur
Jersey et Guernesey (2). Leur destination était tout autre.
En Ecosse, la guerre était engagée (3). Placé dans l'al-
ternative d'entraîner son pays dans les périls d'un conflit
ou d'abandonner la France, le régent John d'Albany n'avait
point hésité, malgré les murmures de son peuple, qui se
plaignait de ne se battre que pour autrui (4). Il nous
demandait seulement, aux termes du traité de Rouen, l'ap-
point de deux mille deux cents hommes (5).
Le duc d'Albany avait la foi robuste des utopistes. Il
voyait l'Angleterre en feu; notre hôte, Richard de La Pôle,
duc de Suffolk, relèverait l'étendard de la Rose-Blanche, et
deux ennemis, le Danemark et la Hanse, feraient la paix
pour unir leurs forces navales sous le drapeau du prétenr
dant britannique (6). Séduite par un programme basé sur
la mobilité humaine, notre diplomatie agit en ce sens,
(1) Lettres de François I" relatant la campagne navale des Anglais
(B. N., Franc. 25720, fol. 2i3).
(2) Calend'ar... Henry VIII, t. III, n° 2434 : il août. — Clowks, The
royal Navy, t. I, p. 458. — Les vaisseaux royaux, alors stationnés à
Dieppe et au Havre, étaient les nefs Grande-Louise, Princesse, Nef d'Or-
léans, Ermine, Pensée, Barbe et la barque Dauphine (Stepliano de Mkrval,
p. 205).
(3) Lettre de John d'Albany à François I". 5 février 1522 (Alexandre
Teuleï, Relations polilic/ues de la France et de l'Espagne avec l'Ecosse au
XVI' siècle. Paris, 1863, in-8°, t. I, p. 29).
(4) Lettre du même. 17 avril (Ibidem, p. 33).
(5) Traité de Rouen entre la France et l'Ecosse. 26 août 1517 [Ibidem,
p. 5).
(6) Lettre du duc d'Albany. 17 avril [Ibidem, p. 34). .
in. 12
nS HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
mais en vain. Le Danemark ne nous montrait aucune
reconnaissance, la Hanse aucun désir de se faire rembourser
de créances anglaises. Le duc Frédéric de Schleswig-Hol-
stein lui-même, prié de faire honneur au traité d'alliance
qui le liait à nous fl), ne mit à la disposition du duc de
Suffolk ni ports ni flotte de guerre (2).
Il n'était pas jusqu'aux Ecossais qui menaçaient de nous
lâcher. Les secours promis de France n'arrivaient pas.
Leur retard, motivé par les croisières britanniques, inquiéta
tellement le régent, qu'il n'hésita point à s'embarquer le
L4 octobre 1522 pour venir les quérir.
L'escadre normande était pai'alysée par la croisière de
Lezcano. L'escadre bretonne chargée de pourvoir au ravi-
taillement de Fontarabie était en panne à La Rochelle.
Pour faire déloger de là le vice-amiral Lartigue (3), le roi
dut envoyer en diligence son valet de chambre, avec ordre
de ne point quitter la ville que l'escadre ne fut en mer (4).
El comme Lartigue ne se sentait pas en forces pour aller de
l'avant, il fallut que les capitaines de vaisseau Antoine de
Conflans et Bertrand de Thillv, dit Lespargne, vinssent le
renforcer avec une cinquantaine de pinasses de Guyenne (5).
(1) Traité du 19 mai 1518 (Arcliivcs nat. J, Qdô^, n° 2, publié dans le
Recueil des actes de François I" , t. II, n" 158).
(2) Instructions de François \" à Thierry van Rend, envoyé en Hol-
tein (23 juin 1522). Le Ilolstein aurait servi à Richard de La Pôle de base
d'opérations navales (Archives nat., J 995'').
(3) Capitaine de la Grande nef d'Ecosse, il avait reçu charge de con-
duire les navires armés en Bretagne, dont les capitaines lui devaient obéis-
sance comme aux amirau.v de France et de Bretagne. Fontainebleau,
14 mars 1522 (^Catalogue de livres, pièces historiques... vendus le
31 mais 1884, par A. Voisin. Paris, n° 201.) Entre autres navires, la
Bonne-Aventure et le Jésus-Maria étaient sous ses ordres (B. N., Franc.
19822, fol. 178).
(4) Mémoire de François I" à son valet de chambre Feau. 30 novembre
(B. N., Clairambault 323, fol. 145).
(5) Mandement du roi aux deux capitaines d'arrêter à La Rochelle, aux
Sables d'Olonne, etc., 40 ou 50 pinasses du port de 50 tonneaux. 20 dé-
cembre (Dépôt des cartes et plans de la marine 87^, t. 1, n. 16).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE C H AR LESQ U I NT. 179
"Toute l'Europe se ligue contre moi, disait fièrement le
vainqueur de Marignan (l) ; eh bien! je ferai face à toute
l'Europe. Je ne crains point l'empereur : il n'a pas d'ar-
gent; — ni le roi d'Angleterre : ma frontière de Picardie
est fortifiée; — ni les Flamands : ce sont de mauvaises
troupes. — Pourritalie, c'est mon affaire, et je m'en charge
moi-même. "
De tous ses adversaires, le plus redoutable était
Henri VIII; mais Henri YIII le redoutait. Le long des côtes
méridionales de l'Angleterre, un cordon de vingt-cinq mille
soldats, éclairés par la flotte de l'amiral Howard, se tenait
prêt à repousser l'attaque de Richard de La Foie et des
derniers partisans de la Rose-Blanche; une autre armée,
dirigée contre l'Ecosse, repousserait l'agression du duc
d'Albany et, conjointement avec une escadre de quatre
mille combattants, envelopperait Edimbourg. Henri VIII
ne comptait envahir la France qu'après s'être mis lui-
même à l'abri de nos coups (2).
Il avait percé à jour notre plan de campagne, qui était,
avec le concours de Richard de La Foie (3) et du duc d'Al-
bany, de tenter la conquête de l'Angleterre par trois points
à la fois, sans parler des iles anglo-normandes (4). Et nous
étions en mesure de la mener à bien. Fasses en revue par
l'amiral de Bonnivet, les gens des côtes, de Dieppe au
Havre seulement, pouvaient fournir seize mille combat-
tants (5) ; et déjà le vice-amiral, le capitaine de Conflans
et le contrôleur de la marine dressaient un devis des
(1) Registres du Parlement cités par Mignet, t. I, p. 360-361.
(2) Dépêche de Louis de Praet à Cliarles-Quint. 20 janvier 1523
(Archives impériales de Vienne : Mignkt, t. I, p. 388).
(3) Mandement de François I". 11 juillet 1523 (B. N, Franc. 25720,
fol. 233).
(4) Lettre du bailli de Jersev, Lemprière. 1" février 1523 (Dupont His-
toire (la Cotentin, t. III, p. 234).
(5) Lettre de Bonnivet à Alontmorency. Dieppie, 16 février 1523 (B. N.,
Clairambault 323, fol. 243).
180 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
vivres à embarquer pour vingt mille hommes (1). Comme
tous les devis d'entrepreneurs, il péchait par l'exagération.
IjC corps expéditionnaire d'Ecosse, rassemblé à Brest,
comprit cinq mille fantassins, cent gens d'armes et six
cents chevaux, avec un parc d'artillerie. Dirigé par le duc
d'Albany en personne, que Jean de Langeac accompagnait
à titre de commissaire royal (2), il prit passage à bord de
quatre-vingt-sept bâtiments, commandés par le vice-amiral
Lartigue : Lartigue avait pour second Vidal de Plantade,
ancien receveur de Pézenas (3), qui avait mué sa recette
pour la capitainerie générale des galions d'Ecosse (4). La
traversée par le canal de Saint-Georges se fit sans encombre,
le capitaine Anthony Poyntz n'ayant qu'une faible escadre
à nous opposer. On débarqua, le 24 septembre, à Dumbar-
ton, près d'un roc escarpé assez semblable au mont Saint-
Michel, où les sauvages highlanders ralliaient d habitude
les clans de la plaine. On les trouva un peu plus loin, à
GlascoAv. Escorté par eux, notre vice-amiral conduisit jus-
qu'à Edimbourg la colonne française donnée au duc d'Al-
bany; puis il reprit la route de la Bretagne (5).
Dès le printemps, nous avions tenté de faire passer en
Ecosse des secours et de&nouvclles. Mais le grand vaisseau
qui les portait se heurta, le 11 juin, à l'escadre du vice-
amiral Henry Sherborne, en croisière dans la mer du Nord.
Il se défendit vaillamment et ne se rendit qu'après avoir
perdu trois cents hommes. Il avait infligé à l'ennemi de
(1) Le Havre, 3 avril (Borély, Histoire du Havre, t. I. p. 475).
(2) B. N., Dupuy 486, fol. 191. — Franc 5500, fol. 17() v°.
(3) En 1520 (H. iN., Pièces orig., vol. 2296, dossier Plantade, pièce 2).
(4) Certificat de chargement de divers navires menés à Brest pour le
ravitaillement de la liotte du duc d'Albany. Le Havre, 27 août 1523 (Ste-
pliano i)K Meuval, p. 214).
(5) Mémoire de l'ancien vice-amiral Lartigue, relatant ses campagnes.
1543 (Letters and Papers... of Henry VIII, éd. Brkwer, t. XVIII,
2" partie, n° 541. — Francisque Miguel, Les licossais en France : les
Français en Ecosse, t. I, p. 377).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 181
sanglantes pertes; durant l'action, Sherborne ayant été
emporté par un boulet, le capitaine Christofer Coo avait
dû le remplacera la tète de l'escadre (1). En août, douze
autres de nos bâtiments, au moment de franchir le pas de
Calais avec l'archevêque de Glascow et lavant-garde du
duc d'Albany, furent rejetés sur Dieppe et Boulogne par
une escadre triple, aux ordres du vice-amiral William
Fitzwilliam. Une colonne de débarquement de quinze
cents hommes, aux ordres des capitaines Brian, Hopton et
et Cary, marcha sur le Tréport, que la flotte investit.
Repoussée, elle réussit à incendier les faubourgs et la flot-
tille en rade, ainsi que trois vaisseaux de guerre (2) .
Fitzwilliam balayait ainsi le détroit, afin de permettre
à l'armée de Brandon, duc de Suffolk et l)eau-frère de
Henri VIII, de traverser en toute sécurité le pas de Calais.
Nous inquiétions si bien jusque-là les communications de
l'ennemi, que les bateaux porteurs de dépêches n'échap-
paient à nos perquisitions qu'en immergeant, au bout d'un
fila plomb, leurs plis (3). Pour entraver la descente des An-
glais, François I" avait tenté d'obstruer le chenal de Calais
>en y faisant couler une grosse nef chargée de pierres (4).
Suffolk n'en réussit pas moins à débarquer ses quinze mille
soldats et ses gens d'armes, que rejoignit, le 4 septembre,
la cavalerie impériale de Florent dEgmont, comte de Buren.
Le programme de la coalition s'accomplissait de point
en point. La France était envahie, submergée par toutes
ses frontières, la Picardie, la Bresse, les Pyrénées. Al'inté-
(i) Lettre du cardinal Wolsey à Sampson. 31 août 1523 (Slate papen;
durinq the reign of Henry the Eiqhlk. London, t. VI (1849), in-4",
p. 172). — Coo succéda le 11 juin à Sherborne [Lctlers and Papers... of
Henry Mil, t. IV, 1^"^ partie, n°* 83, 691).
(2) Lettre de Wolsty du 31 août, citée. — Leslik, De rebns festis Sco-
torum, t. IX, p. 406. — Clowes, The royal Navy, t. I, p. 459
(3) B. N., DHpuy484, foL 107.
(4) En mai (Journal d'un bourgeois de Paris sous François I", éd. La-
lanne, p. 167j.
1X2 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
rieur, éclatai L la trahison du chef de Tarmce; le connétable
Charles de Bourbon passait à l'ennemi. La capitale, faute
de troupes de couverture, était à la merci d'un coup de
main. Tout semblait perdu... Tout fut sauvé. L'armée
anglaise, attardée devant les lignes de la Somme, dut réin-
tégrer Calais à la fin de novembre (1). Bayonne brisa le
torrent de l'invasion espagnole, grâce à la résistance
acharnée de Lautrec {2). Le connétable félon était en fuite,
les coalisés partout en retraite.
En Ecosse, l'armée indigène, secondée par notre contin-
gent, avaitpassc la Tweed; nos troupes avaient déjà donné
l'assaut à la forteresse de Wark, quand l'inondation et
l'arrivée des Anglais, le 4 novembre, les obligèrent à rétro-
grader. Sur l'ordre du parlement d'Edimbourg, qui crai-
gnait la dépense, elles durent se rembarquer au plus rude
de l'hiver. Quatre ou cinq cents hommes allèrent échouer
et périr aux Hébrides (3j, Langeac et Richard de Pellevé
rapatrièrent le reste (4).
La campagne de 1523 avait usé les efforts des Anglais.
Elle avait été stérile; la guerre était ruineuse; Henri VHI
s en désintéressa. Aux grandes opérations navales succéda
la guerre de course, dans laquelle nos marins excellaient.
Tel, Jean Leduc, capitaine de la Pensée de Dieppe, enlevait
après un sanglant combat le navire flamand Saint-Jacques,
dont la cargaison de boulets et de canons servit à compléter
les défenses de Rouen (5). Tel autre, Jeannot de Salingand,
un des capitaines de l'expédition de Suède, s'illustrait par
(1) State pajjers, t. VI, p. 201.
(2) Dd Bellat.
(3) Thorpe, Caleudars of State papers, t. I, p. 15, n° -36. — Francisque
Michel, Les Écossais en France, t. I, p. 377, 382.
(4) Commission à Richard de Pellevé de ramener en France trois cents
hommes de guerre envoyés pour la protection de l'Ecosse. 21 novembre
1523 {Cat. fies actes de François I", t. VII, p. 117).
(5) GossEUK, Documents... sur la marine normande, p. 74.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 1 8S
certain exploit «au droit deCallaysi) , où il perdait son vais-
seau, mais gagnait l'admiration du roi (l). Des combats
acharnés se livraient dans le Pas-de-Calais entre les Diep-
pois et Tescadre anglaise du Nord, dont le commandant,
Christofer Coo, essayait de couper nos communications
avec TEcosse. Attaqués par lui, deux croiseurs, la Galère
de Dieppe et la Alarie de Honfleur, succombèrent sous le
nombre. Une escadrille de terreneuviers, au contraire, lui
échappa, à quatre bâtiments près : c'était encore un vais-
seau dieppois, le Gynffon, qui s'était sacrifié pour sauverle
convoi; il avait broyé l'avant du navire amiral le William
d York, qui coula aussitôt; et avant de se rendre, il avait
semé la mort dans les rangs anglais par vine pluie de feux
d'artifices (2j.
L'heureuse époque pour les corsaires! Une proclamation
de l'amiral leur apprit qu ils pouvaient courir sus aux
u Vénitiens, Romains, Espaignols, Flamens et autres sub-
jetz du roi catholicque, Millanoys, Genevoys, Florentins,
Siennoys et Pisans, et pareillement aux Anglex (3) » .
Il y avait tant d'adversaires et si peu de neutres que nos
corsaires commirent plus d'une fois des méprises. C'est
ainsi qu Edouard, u comte de Frise en Orient, » s'adressait
« à la cité, justice et peuple de Dieppe " pour réclamer la
restitution de deux bâtiments capturés dans la merde Hol-
lande (4).
Le vice-amiral Du Chillou, à bord de la Grande-Louise,
surveillait la sortie des trois galéasses vénitiennes de
(1) Mandement de François I", 25 mars 1524 (Catalogue des actes de
François 1% t. VII, p. 120).
(2) Lettcrs and papers... of Henry VIII, t. IV, 1"^" p., n" 691 et 83.
L'escadre anglaise du nord comprenait seize bâtiments.
(3) Lettre de l'amiral de Bonnivet au vice-amiral Du Chillou. Lyon,
8 août 1524 (Stephano de Merval, Documents relatif s à l'histoire du Havre,
p. 230).
(4) Par Guillaume PoUet, maitre de la Michclle de Dieppe. 1526 (B. N.,
Moreau 736, fol. 104).
184 IIISTOIIIE DE LA MAIIINE FRANÇAISE.
Flandre, que le roi crAnjjletcrrc avait relcnucs raiinée pré-
cédente à Porlsmoulh, pour les incorporer dans sa Hotte. Il
ne put les atteindre et sa nef ellc-mcrne, au retour au Havre,
périt, incendiée, sur le poulier du sud (1) . La car jjaison des
galéasscs, (|ue les Vénitiens avaient transbordée à bord du
vaisseau anglais Tous-les-Saints, tomba toutefois entre nos
mains : elle fut capturée par les marins du Croisic (2).
L'activité déployée par les corsaires normands pour pro-
téger nos côtes donna le loisir au capitaine Bertrand de
Thilly et au mailre charpentierGuyon Goborel de radouber
l'escadre royale du Havre, fort éprouvée par la précédente
campagne (3). Cette activité ne se bornait j)oint à des croi-
sières dans la Manche ou dans la mer du Nord, à des
courses fructueuses sur les côtes du Norfolk et du Suffolk (4) ;
elle s'étendait à l'Océan, où les Normands retrouvaient
comme compagnons d'armes les liayonnais Jean de llau-
lanne, Pés de la Lande, etc. (5), sans parler des Bretons.
Une escadre, dont le navire amiral, le Lc'nti, appartenait à
Jean Ango, enlevait, dans les pjirages de lielle-lslc, une
carraque espagnole, qui fut remorquée, coulant bas, dans
la baie de Noirmoutiers.
Quelques mois plus tard, en décembre L525, trcnte-ciiKj
bâtiments qui allaient charger du sel à Brouage étaient
attaqués, sur les côtes de Bretagne, par treize vaisseaux de
(1) BonÉLY, Histoire du Havre, t. 1, p. 477. — B. N., l'^aiu;. 21513, p. 1097.
(2) MandciiK-nl <lc François V' aux conseillers de Urclagnc (13. N.,
Franc,:. 5500, fol. 330 v").
(3) Allocation de 15000 livres pour le radoub de la Grande-Françoise,
la Princesse, l'Hermine, la Barbe, la Grande-Normande, la l'ctilc-Nor-
mande au llavrc-de-(îrâce. Camp devant Pavic, 23 novend>re 1524 (H. N.,
rièces orig., vol, 2845, doss. Tilly, p. 23-27. — PVanc. 21513, p. 1097).
(4) Six ou sept de nos petits bâtiments, d'une soixantaine de tonnes au
plus, enlevaient des navires sur la côte du Norfolk et du Suffolk. 4 avril
1525 {Letlers... of Henry VJJf, t. IV, 1'" p., n" 1241),
(5) Armement en course de la Marie de liayonne et autres vaisseaux.
Bayonne, 29 avril, 11 juillet 1524 (.■l?'(7i('('r,9 (/f /tajonne, lie<iislres qaseons,
t. II, p. 396, 400).
RIVALITE DE FBANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 1S5
guerre espagnols. Le navire d'escorte était un léger bâti-
ment de quatre-vingt-dix tonneaux, la Pensée, commandé
par les Dieppois Pierre Durand et Guilbert Guérey. Huit
heures durant, il tint Tennemi en échec, et, par son sacri-
fice, permit à la flottille de gagner Tabri du golfe du Mor-
bihan. Encore n'aurait-il pas succombé sans la lâche défec-
tion de la Pie et de la Catherine, commandées parles frères
Ghefdostel ; elles se dérobèrent sans combattre. Ango dépê-
cha au secours de la flotte en détresse la Salamandre, le
Sacre, le Dragon et la Dauphinc, qui mirent l'ennemi en
fuite, en lui enlevant deux bâtiments (11.
L'initiative privée tenait lieu de la prévoyance gouverne-
mentale dans un des moments les plus tragiques de notre
histoire. La France n'avait plus son roi, la marine plus
d'amiraux. Le connétable avait passé à l'ennemi : et le
bruit courait que les gouverneurs de Normandie et de Bre-
tagne feraient de même, en remettant Rouen et Brest à la
flotte anglaise (2).
III
l'invasion de la PROVENCE
Dans le sud, la situation s'était aggravée d'année en
année, de mois en mois, d'heure en heure. Un moment,
nous avions songé à l'invasion de la Toscane, avec le con-
cours des Soderini de Florence, des Baglioni de Pérouse et
du duc d'Urbin. Et Renzo da Ceri aurait vu ouvrir devant
nos troupes les portes de Florence, si la conspiration n'avait
échoué (3). Non seulement la Toscane nous demeurait
(1) Parlement de Rouen, 17 juillet 1526 (Gosskun, p. 74).
(2) Lettre de Martelli, 14 octobre 1524 [Gioruale storico tlcqli archivi
toscani, t. III, p. 232).
(3) H. Hacvette, Lui^i Alanuuini. Paris, 1903, in-8», p. 33.
186 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
close; mais la défaite de Lautrec à la Bicocca, le 27 avril
152:2, nous coûtait le Milanais.
Le contre-coup s'en fit ressentir sur la côte ligurienne.
L'armée victorieuse de Prospero Colonna descendit vers
Gênes, que la flotte napolitaine de Hernando de Andrada,
Requesens et Icart investit par mer (1). Deux jours avant
le blocus, un vaisseau marchand de Rouen, l'un des meil-
leurs voiliers de l'époque, alors mouillé à Savone, avait été
mandé d'urgence par Des Forges, capitaine de la petite
garnison du Castelleto : il avait à bord une cargaison con-
sidérable de fer et de plomb (2) ; et facteurs, matelots,
serviteurs, débarquant leur artillerie et leurs munitions,
patriotiquement s'improvisèrent soldats (3).
De Marseille, une grosse flotte (4) arrivait au secours de
la place, sous les ordres de l'amiral comte de Tende et de
Pero Navarro, lieutenant général de l'armée de mer (5).
L'avant-garde, forte de quatre galères, pénétra, le 29 mai
1522, dans le port de Gênes; elle amenait, avec Pero Na-
varro et André Doria, huit cents hommes. Le lendemain,
avant que le gros de notre escadre, retardé à Ville-
franche par un ouragan, fut en vue (0), Golonna fit donner
l'assaut au cri de "Empire et doge Adorno! " Les lans-
quenets entrent par la brèche : en vain, Navarro, sur la
(1) Martin Garcia Ckrkckda, Tratado de las campanas del Emperador,
publié en 1873 par la Societlad de bibliôtilos espajjnoles. — F. Ddro, t. I,
p. 131.
(2) 60000 livres de fer, 12000 de plomb. Il appartenait au Rouennais
Bonshons et avait été affrété pour la Savoie par le bâtard de Savoie (Gos-
SELIN, p. 71).
(3) B, N., Franc. 5086, fol. 143.
(4) 10 galères, 4 galions, 14 navires et 13 barques (Compte de Ragueneau,
trésorier de la marine : B. N., Franc. 17329, fol. 186). — La nef Sainte-
Catherine était armée en hâte à Toulon (Abbé Albaxès, dans la Revue des
Sociétés savantes, 6" série, t. VII, p. 433).
(5) Suivant commission du 19 juin 1521 (Ministère de la guerre, vieilles
archives, vol. 12, pièce 5).
(6) B. N., Franc. 17329, fol. 186.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 187
place d'armes, essaie-t-il de les contenir : il est pris et se
rend à Juan de Urbino, qui jadis servit sous ses ordres.
Fregoso est saisi dans son lit. La ville est à Tennemi. Sous
le feu du môle et de la lanterne, les galères de Doria appa-
reillent pour ne pas subir le même sort et se fraient un
passage à travers Tescadre espagnole, accrue de neuf
galères génoises! Une seule succomba. L'amiral de Tende
n'était plus qu à une dislance de quarante milles! (1).
La perte de Gênes acheva de ruiner notre influence en
Italie. Successivement, le duc Francesco Sforza, la répu-
blique de Venise (2), le nouveau pape Adrien VII (3) nous
abandonnent pour entrer dans la coalition. Gênes, Flo-
rence, Sienne, Lucques suivent et forment une confédéra-
tion, dont le but est d'empêcher le retour de l'étranger en
Lombardie (ij. Aux portes même de la Provence s'ourdit
une intrigue pour placer Monaco sous le protectorat impé-
rial, quand le rival héréditaire des Grimaldi, André Doria,
en a connaissance, au retour d'une croisière, où il a tenté
d'enlever le marquis de Pescara, envoyé comme lieutenant-
général à INaples (5). Il appareille le 22 août 1523 et va se
poster à La Turbie. Longtemps, il attend. Le prince
Luciano Grimaldi a été frappé par ses affidés; mais les
assassins ont pris la fuite en oubliant d'allumer les signaux
convenus avec l'escadre; et c'est ce qui empêcha Doria de
planter sur Monaco notre pavillon (Gj .
On avait proposé au roi de faire passer dans la Méditer-
ranée la Grande-Fra?içoise et la demi-douzaine de barges
(i) Lettre de Gènes, 30 mai 1522 (Sancto, t. XXXIII, col. 280).
(2) 28 juin 1523.
(3) 3 août 1523.
(4) Migsp:t, Rivalilé de François I" et de Cliailes-Qiiint, t. I, p. 359,
478 n. 1 : chiffres de la contribution que devait payer chaque coalisé.
(5) Lettre de Lyon, 28 juillet {^Gioruale stoiico degli archivi toscani,
t. III, p. 186).
(6) Gustave Saige, Le protectorat espa(jnol à Monaco. Monaco, 1885,
p. 81. — Edouard Petit, André Doria. Paris, 1887, in-8", p. 48.
188 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
royales qui stationnaient au Havre et à Dieppe. « Elles
feront plus d'ennuy aux ennemys, disait-on, que quatre
cens hommes d'armes et six mil hommes de pied. Ladite
grantnef tiendra toute la mer méditeranne en subgection.
Il n'y aura carracques, bai'ches ne autres vaisseaulx des
ennemys qui ne se treuvent bien empeschez d'aller par
mer; et en ce temps d'esté, en ung mois de beau temps, on
peult tournoyer la Cicille, venir devant Naples et resjouyr
les amys de France. Ladite grant nef sera ung boullevert
flottant qui gardera Nysse et saulvera la Prouvence (1). »
L'avis donné au roi ne fut point entendu. Et pourtant, il y
allait du salut de la Provence !
Dès le mois de septembre 1523, les Génois projetaient
de s'emparer de Marseille, dont ils expédiaient un plan à
l'empereur (2). Mandé d'urgence, le capitaine général de
la flotte napolitaine, Ugo de Moncada, vint leur apporter
le renfort de la division Portondo et, avec dix-sept galères,
s'embusqua aux Pomègues. Il pensait anéantir d'un seul
coup nos forces navales, tout au moins nos dix galères.
Mais les intempéries du mois de décembre déjouèrent son
dessein et le forcèrent à regagner Gênes (3), non sans
subir, devant Toulon, l'attaque victorieuse du baron de
Saint-Blancard, qui lui enleva quatre voiliers et une
fuste (A). Cette reconnaissance dans les eaux de Marseille
fut le signe avant-coureur de l'invasion.
Avec l'esprit de rage qui caractérise les traîtres et les
renégats, le connétable Charles de Bourbon s'acharnait
(1) B. N., Franc. 2963, fol. iti.
(2) Lettre de Lope de Soria à Charles-Quint. Gênes, 11 septembre 1523
(Coleccion de doctimentos incditos para la lustoiia de Espana. Madrid,
1854, in-8", t. XXIV, p. 321 : Appendice à la Vida de el famoso caballero
Don Hugo de Moncada, por Gaspard de Bak(;.\).
(3) Lettres de Lope de Soria à l'empereur. Gênes, 16 décembre 1523 et
8 janvier 1524 (Ibidem, p. 336-338).
(4) Compte de Ragueneau (B. N., Franc. 17329, fol. 186).
RIVALITE DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 189
contre la mère patrie. Refoulant Tamiral de Bonnivet du
Milanais, après l'avoir l)attu à Biagrasso et au passage de
la Scsia, il franchit les Alpes. En juin 1524, il entrait en
Provence à la tête de vingt-cinq mille Impériaux, que sou-
tenaient di.x-sept galères et trois carraques de Moncada.
Le plan de ^loncada, à son départ de Gênes, le 16 juin,
était de se saisir, à Yillefranche, des deux grandes nefs
des Hospitaliers et d'un galion de Pei^o Navarro, car sa
flotte manquait de vaisseaux de ligne (1).
Il fut dérouté par l'offensive d'un adversaire résolu,
Antoine de La Fayette. Nommé lieutenant-général de notre
armée de mer (2), au vif mécontentement du baron de
Saint-Blancard (3), La Fayette n'était point un marin
novice (4), non plus que ses lieutenants, Saint-Blancard,
Doria et de Baux. S'il n'avait que dix galères contre les dix-
sept de Moncada, il avait plus de voiliers (5), et un glorieux
fait d'armes accompli quelques semaines auparavant en
Sicile les avait dotés d'une nombreuse artillerie. Quatre de
nos galions avaient surpris à Sciarra, près des ruines de Séli-
nonte, tout un convoi et l'avaient délesté de tous ses canons,
ramenant de plus comme trophée à Marseille une superbe
carraque génoise ((>) . La Favette avait appareillé presque
en même temps que Moncada pour lui barrer la route.
(1) Lettre de Lope de Soria à Gharlcs-Quint. Gènes, 15 juin (^Colcc-
cion... de Espaiïa, t. XXIV, p. 371).
(2) Le 4 juin (B. N., Franc. 17329, fol. 187).
(3) Avis du marquis de Pescara. 19 juillet (^Coleccioii... de Espafia,
t. XXIV, p. 385).
(V) Il était lieutenant-général de l'arnice de mer sous René de Savoie dès
le 20 février 1515 (B. N., Clairambault 825, fol. 114 v").
(5) 10 galères, 6 galiottes, le grand galion Braue, 4 carraques et 12 autres
navires, commandés par Jean de Cépède ou Lacépède, Raphaël Rostan,
Michel de Pontevès, Léonard Vento, Ogier Bouquin, Claude Monelli, Adam
Rondolin, lliérosme Conté, Jean de Careto, Jacques David (Ruffi, Histoire
de Marseille, éd. de 1642, p. 205).
(6) Lettres de Moncada et Lope de Soria. 8 et 6 avril 1524 [Colcccion...
de Espana, t. XXIV, p. 348, 350, 359). L'un des quatre galions était lui-
même une prise : il avait appartenu au vice-roi Ramon de Gardona.
190 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Le 4 juillet, vin brigantin apparut en vue de Monaco,
fuyant à toute vitesse devant les galères d'André Doria. La
flotte impériale se tint coi au mouillage, dans Tignorance
que l'un des partisans les plus dévoués de l'empereur, Phi-
libert de Ghalon, prince d'Orange, était à bord avec une
suite de gentilshommes espagnols et franc-comtois (1).
Avant de tomber au pouvoir de son adversaire, le prince
eut le temps de jeter à la mer, lestées d'un boulet, les
instructions qvi'il apportait d'Espagne (2).
Charles de Bourbon, après avoir franchi le Var, s'établit
au camp de Saint-Laurent, sur le bord de la mer, afin
d'attendre le parc de siège que transportait sa flotte. Au
moment où les dix-sept galères et les carra(jucs de Ugo de
Moncada procédaient au déchargement, le 7 juillet, la
flotte française fondit sur elles et les mit en déroute dans
la direction de Nice. Trois des galères impériales se virent
couper la retraite et, au moment d'être enveloppées, se
jetèrent à la côte, où les équipages s'enfuirent. « Sauvons
l'honneur du camp et de l'empereur, " cria Bourbon, en
montant avec ses arquebusiers dans l'une d'elles : le capi-
taine général marquis de Pescara et Beaurain, le familier
de Charles-Quint, imitèrent son exemple (3) ; et sous la
canonnade intense de notre flotte, qui coucha bas deux
cents soldats espagnols et tua le cheval du connétable (4,
ils parvinrent à sauver la cargaison des navires échoués,
mais non les galères elles-mêmes, qui furent coulées
à fond. Le lendemain, comme Moncada renouvelait sur la
plage de Nice la tentative de déchargement manquée à
(1) Ulysse Robert, Pliilibert de Clialon, prince d'Orange, vice-roi de
Naples (18 mars 1502-3 août 1530). Paris, 1902, in-8", p. 54.
(2) Juan DE Ozs.vYO, Batalla de Pavia dans la Coleccion de docianentos
ineditos para la historia de Espana, t. IX, p. 415.
(3) Lettres de Bourbon et Beaurain. 10 juillet (Archives impériales de
Vienne : extrait dans Mignkx, t. I, p. 518, note 1).
(4) Y.\LBELLE, dans B. N., Franc. 5072, fol. 76.
RIVALITE DE FRANÇOIS 1" ET DE CHARLES-QUINT. 191
Antibes, La Fayette accourut encore sur lui et le força de
rétrograder sur Monaco (1).
Que nous eûmes alors à nous repentir de l'cchec subi
l'année précédente devant cette place ! Moncada y trouva
le salut, car, de son aveu, nous étions maîtres de la mer et
nous aurions changé sa retraite en déroute. La Fayette
avait pris position à Villefranche : de sa nef amirale,
Sainte-Marie-Bonavenlure, dite communément la Grande-
Maîtresse i'!2), il envova sommer Agostino Grimaldi de se
déclarer ami ou ennemi. « Tout navire dans mes eaux est
sous ma protection, » répondit évasivement le régent de la
seigneurie monégasque. Le 1;2 juillet, les deux flottes fail-
lirent en venir aux mains : l'escadre ennemie sortit au-devant
d'un grand vaisseau qui amenait d'Espagne deux cent cin-
quante soldats; si nos galères n'avaient perdu du temps
à remorquer nos galions, le vaisseau était enlevé.
Dans la nuit du 14 au 15 juillet, Moncada s'esquiva
sourdement, en laissant trois vaisseaux et deux cents
hommes à la garde de Monaco, et rentra en communica-
tion avec le connétable de Bourbon. Il intercepta près des
îles d'Hyères la Petite-Maîtresse, détachée en estafette par
notre lieutenant-amiral; mais l'apparition de La Fayette,
qui le serrait de près, ne lui laissa le temps que de brûler
sa prise (3) et le força ensuite à regagner Monaco (4). Si la
flotte ennemie était tenue en échec, l'armée d'invasion
poursuivait sans répit sa marche. Antibes, Fréjus, Hyères
(i) Rapport de Moncada à Charles-Quint. Monaco, 14 juillet (Coleccion
fie docinncntos ineditos para la historia de Espana, t. XXIV, p. 389).
(2) Elle jaugeait 700 tonnes et fut prisée 20609 livres, 6 sols. 26 no-
vembre 1525 (B. N., Clairambault 325, fol. 9397. — J.4L, Glossaire nau-
tique, p. 1318, art. Sarsie). Elle fut achetée 30,000 livres (Archives Nat.,
X" 8621, fol. 208).
(3) Lettre de Moncada à Charles-Quint. Iles d'Hyères, 18 juillet (^Colec-
cion... de Espana, t. XXIV, p. 383j.
(4) D'où Moncada dépeignait à l'empereur sa détresse et réclamait
d'urgence l'envoi de vaisseaux de ligne. 29 juillet [Ibidem, p. 395).
19-2 HISTOIRE DE LA MARINE FRAIKÇAISE.
avalent succombe tour à tour. La Fayette espérait sauver
Toulon, en s'embossant dans le port. Il lui fallut bientôt
rétrograder sur Marseille, menacée désormais. Le 5 août,
ses galères venaient coopérer à la défense, en prenant leur
poste de combat sous la tour Saint-Jean (1) : les quatorze
voiliers, en grande rade, restaient parés à secourir le port
de Toulon (2), dont devix capitaines de vaisseau, Jean de
Lacépède et Bonlface de Pontevès, avaient mission de
défendre la tour (3j. Mais cette ville n'opposa point de
résistance aux Impériaux : elle se rendit, le 20 août, à la
première sommation d Adrien de Croy, commandant de
corps d'armée (4). De l'artillerie de forteresse qu'elle con-
tenait, l'ennemi allait se servir contre Marseille.
Le 13 août, lavant-garde espagnole avait paru devant la
vieille cité pbocéenne; le 19, le connétable de Bourbon en
commençait les approches. Contre un Français, la France
était défendue par l'Italie : par mer Doria, par terre
Renzo Orsini da Cerl. Quatre mille hommes de Renzo et
Philippe Chabot étaient venus se joindre aux neuf mille
volontaires marseillais, et trente et un bâtiments de guerre,
que Moncada n'osait affronter (5), en assurant le ravitail-
lement de Marseille, rendaient l'investissement illusoire.
Ils coopérèrent activement, du reste, à la défense. Le
14 août, quatre cenls hommes de troupes de débarque-
ment avaient tenté d'entraver le passage de l'artillerie
(1) Vai.rklli:, B. N., Franc;. 5072, fol. 78 v». — S.isuTO, t. XXXVI,
col. 540, 608.
(2^ En particulier, la carraque Sainte-Catherine , commandée par Michel
Chausscblanche, qui croisait depuis six mois entre Toulon et Pomègue
(Quittance du 16 juillet : Archives de la Côte-d'Or, B. 1833, fol. 99), et la
division de Barthélémy Dupuis, dit Servien, deux galions, une barque et un
brigantin (Archives INat., J 961*, n" 61).
(3) Lettre de La Fayette aux Toulonnais. 1" août (Archives de Toulon,
BB 46, fol. 146).
(4) MiGNET, t. I, p. 529 : Crov avait un détachement de 4200 hommes.
(5) Sasuïo, t. XXXVI, col. 557.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 193
ennemie : mais leur généreux dessein échoua, par suite
du mistral qui les priva de l'appui des galères (1). Plus
tard, le connétable dut installer une batterie sur une hau-
teur pour couvrir son flanc que, de la plage d'Arenc, nos
bâtiments prenaient d'enfilade ["2). Le 17 septembre, ils
amenaient aux assiégés quinze cents hommes de Martigues
et d'Arles (3). Nos marins avaient même formé le projet de
tenter une diversion, en tombant à l'improviste sur Gênes;
d'une ville dégarnie de troupes, ils se seraient vite empa-
rés avec le concours des Fregoso et du marquis de Sa-
luées (4).
Mais il ne fut point besoin de cette contre-attaque pour
dégager Marseille. Menacé par les troupes que le roi ame-
nait, Charles de Bourbon leva honteusement le siège de
cette ville le 2-4 septembre (5), sans attendre les renforts
mandés de Catalogne (6).
Le 30 septembre, quand la retraite de l'armée espagnole
ne fit plus de doute, une division de neuf galères et galions,
avec d'autres légers navires, fut dépêchée du côté de Tou-
lon pour tomber sur l'ennemi qui embarquait en hâte son
parc de siège et son butin. Pourchassé par terre et par mer,
il fut mené, l'épée dans les reins, jusqu'à Monaco, dont le
seigneur l'accueillit et le protégea contre l'attaque de nos
galères (7).
(1) Valbelle, fol. 79.
(2) Lettre de R. Pace à Wolsey. 31 août (Migxet, t. I, p. 527).
(3) Lettre de Robert Stuart. La tour du Guet, 19 septeiubre (Aiiné-
Champollion-Figeac, Captivité du roi François I", p. 10, note 1. — Val
BELLE, fol. 84- v°. — RuFFi, éd. 1642, p. 205. — Lettre de Charles de
Lanoy. Ostie, 11 septembre (Caleudar of State papcrs : Spain, t. II,
p. 657).
(4) Des prisonniers français révélèrent ce dessein au vice- roi de Naples.
Lettre de Marco-Antonio Venier. Pizzighetone, 14 septembre (Saxuto,
t. XXXVI, col. 608).
(5) B. N., Franc. 14368, fol. 97.
(6) MiGXET, t. I, p. 543.
(7) Valbelle, p. 90, 92. — Archives de Toulon, BB 46, fol. 153 : le
"I. 13
194 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Quelques bâtiments à peine étaient restés garder la côte
provençale. Gomme iine grande carraque génoise passait en
vue de Marseille le jour de la Toussaint, ce fut un corsaire
normand, Cardin d'Esqueville-Bléville, un des rudes com-
pagnons de Jean Fleury, qui l'attaqua à la tête de deux
bâtiments. Le combat fut terrible : la carraque fut incen-
diée; le vaisseau de Bléville périt également dans les
flammes; une dizaine d'hommes — pas davantage — échap-
pèrent à la mort (1).
Sur la flotte de La Fayette, avaient embarqué l'un des
défenseurs de Marseille, Renzo da Ceri (2), et les Fregoso,
Nicolo et Federico, archevêque de Salerne. Le 8 décembre,
une partie des réfugiés génois rentraient dans leurs foyers;
notre flotte s'emparait sans combat de Savone, les huit cents
hommes de la garnison avaient fui (3); Moncada, rompant
sans cesse devant La Fayette, s'était replié sur Gènes, tandis
que le connétable fuyait, avec trois bâtiments, devant
quatre vaisseaux marseillais (4).
Renforcé par les voiliers de Bartolomeo Fieschi délie
Jndie, Moncada reprenait la supériorité numérique sur son
adversaire, qu'il pensait écraser sous l'attaque de vingt-cinq
vaisseaux de ligne et de vingt et une galères ou brigautins,
La Fayette l'attendait, retranché dans le port de Vado, à
portée de Savone. Une chaîne flottante, formée d'antennes
et de poutres, barrait l'entrée du port, que balayait le feu
de bastions hâtivement construits et de vingt-trois ])âti-
ments ronds rangés en ordre de bataille (5).
14 octobre, des vivres sont envoyés de Toulon, que l'ennemi avait évacuée,
à Villefranche,.où l'escadre française était au mouillage.
(1) Cal. of State papers, Lettcrs... of Henry VIII, t. IV, i'' part., n° 789.
(2) Déposition de Guillaume du Bellay au procès du connétable.
(3) Sakuto, t. XXXVII, col. 298, 326.
(4) Partis de Marseille le 17 janvier. Lettre de Buondclmonti et Ala-
manni. Marseille, 20 janvier 1525 (Gininale stnrico cleç/li archivi tosraiii,
t. III, p. 213).
(5) Lettres de Lope de Soria et de Moncada à Charles-Quint. Gênes,
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 195
Dans la nuit du 28 janvier 1525, Moncada s'ébranla avec
tous ses bâtiments à rames et trois mille hommes de troupes :
il leur avait consenti une avance de quinze jours de solde,
à la condition de livrer combat à la flotte française. Son
plan était de recouvrer Varazze, puis Savone, d'écraser nos
forces navales à Vado et de nous chasser de la Rivière (1).
Nous venions de jeter quinze cents hommes à Varazze,
lorsque la flotte de Moncada, le 29 janvier, commença à
l)ombarder la ville que nos trois mille soldats, préalable-
ment débarqués, isolaient de Savone. Au bruit du canon,
les bâtiments de La Fayette et Doria accoururent de Vado
et, par un feu très vif, jetèrent la panique parmi les assié-
geants. Le chef d'escadre Portondo, en tenant un moment
tête à notre flotte, parvint à sauver une partie des fuyards;
le reste, Génois et Espagnols, foudrovés par nos vaisseaux,
sabrés par la garnison que commandait Giocante di Gasa-
bianca, gagnaient en pleine déroute la montagne. Mais si.x
cents hommes, le capitaine général Ugo de Moncada, le
colonel génois Gesare Gaetano, Cesare Golonna, Barto-
lomeo Spinola, les deux Adorno, Donato di Sarzana et
sept autres capitaines, demeuraient prisonniers (2). Mon-
cada fut transporté sans aucune blessure à bord des galères
de Saint-Blancard.
Sans désemparer, La Fayette et Doria tentèrent un coup
de main sur Gênes, que la flotte espagnole, privée de chef,
ne couvrait plus. Tandis qu'un trompette du marquis de
Saluées sommait le doge de rendre la place (3), tous les
15 et 27 janvier 1525 {Coleccion... de Espana, t. XXIV, p. 419, 421).
(1) Lettre de Lope de Soria. Gênes, 28 janvier [Ibidem, p. 435).
(2) Gaspar de Baeça, Vida de Don Hugo de Moncada, dans la Coleccion
de docinnentos.. . de Espana, t. XXIV, p. 56. — Lettres de Lope de Soria
à Charles-Quint. Gênes, 30 janvier et 13 février (Ibidem, p. 435, 440). - — •
Antonio Doni.\, Compendio délie cose di sua notitia et memotie occorse al
mondo nel tempo deli iniperatore Carlo Quinto. Genova, 1571, in-4°,
p. 16.
(3) Lettre de Lope de Soria. 2 février (Coleccion..., t. XXIV, p. 438).
19G HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
vaisseaux de guerre en rade, la capitane génoise, de vingt-
six pièces de canon, deux carraques et deux fustes, étaient
capturés (1). Un seul parvint à s'échapper. Canonnée pen-
dant toute la journée du 30 janvier, la ville, dans Faffole-
ment de cette surprise, faillit se rendre. La crainte seule
d'être attaqués à revers par la flotte vaincue, plus forte
malgré tout que la leur, décida Doria et son chef à
reprendre, le 3 février, la route de Savone (:2).
IV
APRES PAVIE
«Au prix d'un peu de fatigue, affermissons à jamais le
repos de la France " (3), disait François I" en franchissant
les monts pour achever la déroute de l'armée impériale (4).
Mais Pavie brisa le flot de l'invasion française, comme
Marseille avait arrêté net le torrent espagnol. Seulement,
le roi de France, en laissant échapper l'occasion d'écraser
sous les murs de Marseille les débris de l'armée impériale,
avait donné à l'ennemi une leçon qui ne fut pas perdue :
pris lui-même à revers, il fut taillé en pièces sous les murs
de Pavie. La journée du 24 février 1525 fut un des plus
grands désastres de notre histoire : l'armée perdit ses chefs,
la marine ses deux amiraux, Bounivet et La Trémoille,
touchés par le vent de la mort. François I", malgré des pro-
(1) Compte de Ragucneau (B. N., Franc. 17329, fol. 187).
(2) Sanuto, t. XXXVII, col. 523, 526, 539, 557, 574. — Agostino Gius-
TisiANO, Annali di Genou. Genoa, 1537, in-fol., fol. 278. — Lettre du
neveu d'André Doria au roi de France (Modènc, Scliede INeri, Cartei/(/io
deqli ambasciatori ducali, Venczia, 5 febbraio 1525).
(3) Captivité du roi François I", p. 117,
(4) Octobre 1524.
RIVALITE DE FRA>ÇOIS I" ET DE CH ARLES-QUIXT. 107
diges de valeur, tomba prisonnier : « Tout est perdu, fors
l'honneur! » écrivait-il à sa mère.
Tout? Le royal prisonnier se prenait pourtant à espérer
encore. Deux mois auparavant, un de ses corps d'armée,
cinq mille fantassins et cinq cents hommes d'armes, avait
pris la route de Naplcs, par Sienne et Lucques : et il espé-
rait pour leurs chefs, John Stuart d'Albany et Renzo da
Geri, un retour de la fortune. A la nouvelle que l'expédi-
tion retournait en France : «Est-il possible?" gémit-il avec
accablement (1). Il était, non point possible, mais inéluc-
table, que la défaite de Pavie entraînât la retraite de notre
avant-garde.
En allant la quérir avec toute leur flotte (2) à Livourne et
Porto San-Stcfano, La Fayette et le vice-amiral de Saint-
Blancard trouvèrent 1 occasion de battre une escadre bar-
baresquc. qui perdit neuf bàlimcnts coulés ou capturés '3).
Le 1"' avril, Stuart d'Albany était de retour à Toulon avec
la cavalerie et une partie des troupes. Une deuxième divi-
sion navale, à quelques jours de là, ramenait Renzo da
Geri et l'arrière-garde.
Nos troupes évanouies, disparues du territoire italien,
restait notre marine, devant laquelle tremblait le vain-
queur (4). Des cachots de Pizzighetone, François I" trouva
le moyen de mander que sa dernière chance de salut repo-
sait en elle :
(i Madame, écrivait-il à sa mère (5), je m'an irois lendy
pour m'en aler à Naples. Et pour tant, s'yl est posyble,
(1) MiGNET, t. II, p. 93.
(2) 14 galères, 10 navires et 10 galions, selon Saxuto : ce qui corres-
pond assez au chiffre des armements relevés dans le compte du trésorier
Ragueneau, 16 galères, 4 brigantins, 15 navires, 8 galions et 2 barques
(B. N., Franc., 17329, fol. 187).
(3) Saxdto, t. XXXVIII, col. 99, 105, 135, 155, 168. — Valbelle, p. 95.
— I)es.Jardiks, Nécjociatious de la France avec la Toscane, t. II, p. 800.
(4) Sanuïo, t. XXXVin, col. 374.
(5) Aimé CnàMPOi.Liox-FiGEAC, Captivité du roi François F", p. 180.
198 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
pourvoyessy par mer; car nous n'arons que quatorze ga-
lères pour nous mener, et myle et houygt sans Espagnoys
pour les fournir: mèz se seront tous Icus aquehcutyers. An
tout, il n'y a que dylygense. Car, si elle est fête, j'é espé-
rance que bientoust pourcs revoyr votre très humble et
très obéyssant fylz.
François. »
Ce suprême appel fut entendu : une grosse flotte s'ap-
prêta à prendre le large. Et, comme, à la suite de sa rude
campagne, l'énergique La Fayette venait d'amener son
pavillon (1), le soin d'enlever le royal prisonnier fut confié
à un de ses compagnons d'enfance et d'infortune, le grand
maître Anne de Montmorency (2), qui avait été échangé
contre le capitaine général Ugo de Moncada. On ne savait
si François I" serait dirigé de Gênes sur Naples ou sur
l'Espagne (3). Trois de nos navires éclaireurs, pour le
savoir, un soir de mai, se glissèrent jusqu'au fort de la Lan-
terne, dans le port de Gênes, puis disparurent, sans que la
galère de garde pût les saisir. Puis Montmorency partit
lui-même en reconnaissance depuis Bordighera, où deux
galères du vice-amiral de Saint-Blancard l'avaient déposé.
André Dorla restait en ol)servation par le travers de Sa-
vone, attendantque Saint-Blancard vînt le rallier le l"juin
avec tous les ])âtiments en rade de Marseille (4).
Ce jour-là, le 1" juin, les galères et les troupes d'Alarcon
quittèrent Gênes, emmenant le roval captif et son geôlier.
(1) Le 30 avril (Archives nat., X'» 8621, fol. 199 v").
(2) vSuivant commission de la rdj^jentc ilatéc de Ijyon, 23 mai (Dccuesne,
Histoire cjénéalociiquc de la inaison de Monlinorenvy. Preuves, t. II,
p. 276). — Francis Dkcrue, Anne de Montmorency, grand inaîlre et con-
netahle de France. Paris, 1885, in-8", p. 55.
(3) Lettre de l'un des partants, le poète florentin Luigi Alainanni, Tou-
lon, 18 mai (H. IIauvktte, Luiiji Alamanni, p. 57).
(4) De plus, trente bâtiments barbarcsqucs attendaient an passage le
royal prisonnier (Sajjuto, 1. XXXVIII, col. 374, 375. — Champoluon-
FlCEAC, p. 18J).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 190
Elles faisaient escale le 2 à Poiiofiiio el là s'attardaient en
une longue relâche. Le jour même de leur arrivée dans ce
petit port, le maréchal de Montmorency était parti pour la
Provence, avec un sauf-conduit de Lanoy (1). Un coup
de théâtre venait de se produire. François I" avait écarté
lui-même sa dernière chance de salut. Au lieu de courir
l'aventure d'une 8an{j;lante mêlée qui l'eut délivré, il
affranchissait son geôlier de toute crainte (2), en livrant
six de ses galères comme otages durant la traversée. Dès
que le maréchal les eut ramenées, le 8 juin, avec le concours
de Filippino Doria, Saint-Blancard et Bernardin de Baux,
elles furent occupées par les troupes espagnoles, sous
condition d'être relâchées dès l'arrivée en Espagne (3).
Car c'est là qu'on se rendait : le vaincu, aussi chevale-
resque qu'imprévoyant, « mesurant le cœur de rempereur
comme le sien (i) » , espérait en la miséricorde impériale,
autant qu'il redoutait pour sa santé le climat napolitain (5).
« Sur l'cure, fut tourné le nez des gallères '' vers le
nord-ouest. On fit escale non loin de Monaco (6). Puis, les
lignes montueuses de la Provence s'estompèrent à l'horizon,
et le 19 juin au crépuscule, le royal prisonnier mettait le
pied sur le déharcadère préparé pour le recevoir dans le
port de Barcelone. Derrière les galères espagnoles sous
grand pavois et en ordre triomphal, aux yeux étonnés
d'une population fiévreuse d'enthousiasme, parurent dans
(1) Sauf-conduit également valable pour les six galères qu'il devait
ramener de Marseille ou Toulon. Portotino, 2 juin 1525 (B. N., Franc.
3037, fol. 45).
(2) Lettre de Lanoy à l'empereur, 10 juin (Migxkt, t. II, p. 107).
(3) Accord entre Lanoy et Montmorency. Portofino, 8 juin (Ciiampol-
tiox-FicEAC, p. 212.) — " Les gestes de... Anne de Montmorency »
(B. N., Dupuy 80, fol. 29).
(4) Créance du trésorier Babou (B. N., Franc. 16590, fol. 372 v").
(5) Lettre de John Russel, 16 mai (Mioeï, t. II, p. 105).
(6) Lettre de La Barre à la duchesse d'Angoulême. "< De devant Tage,
près Monègue » , 10 juin (CuAMPor.i.iox-FiGKAC, p. 214).
203 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
une morne attitude nos six galères : en grand deuil depuis
la mort de la reine Claude, pavillon en berne, tendelet,
bannières et palementes en noir, elles s'éloignèrent triste-
ment vers la France, dès que leur maîti'e eût débarqué sur
la terre d'exil (1). La vengeance leur était interdite, l'ar-
mistice sur mer étant prolongé (2).
Que dis-je! nos adversaires, loin 'de les craindre, comp-
taient les asservir. Pour préserver sa flotte des convoitises
impériales, le royal prisonnier déploya de vrais talents de
diplomate, tel d'imaginer, à l'heure de quitter ses galères,
une campagne urgente contre les Turcs, dont serait chargé,
en qualité de lieutenant-général, Pero Navarro (3). Et l'on
vit ce spectacle extraordinaire, un souverain déprécier
devant l'ennemi sa propre marine, à seule lin, ajoutons-le,
de ne point en prêter le concours. — Mes galères? en
mauvais état, déclarait François I" aux Espagnols. Les
autres navires? ils appartiennent à un chevalier de Rhodes,
Bernardin de Baux. Les galéasses et autres fustes de
Doria, voilà « ma plus grosse force (4) » . L'aveu était
dépouillé d artifice; il ne tomba point dans l'oreille d'un
sourd. Mais quelles touchantes marques de sollicitude
pour sa flotte n'avait pas ce roi, dont la liberté n'était
plus, dont la couronne elle-même était en péril!
Bourbon, le traître connétable, avait offert à Henri VIII
la couronne de France; l'Anglais avait accepté; il la cein-
drait à Paris, avant d accompagner l'empereur à Rome (5).
(1) Archives d'Aragon, Dielarîî triciuii, journal catalan écrit à Barce-
lone (Extrait fait par Tastu, imprimé par A. Jal, Arc.héolo(]ie navale, t. I,
p. 4-81.) — Les galères étaient de retour le 21 juin à Toulon (Valbelle,
R. N., Franc. 5072, fol. 95 v").
(2) Du 14 juillet au 15 septembre (B. N., Clairambanlt 324, fol, 314).
(3) Provisions du 19 juin 1525 (R. N., Moreau 1340. fol. 333).
(4) Instructions à Philippe de Chabot, son plénipotentiaire. Juillet 1525
(CuAMPOLLIOX-FlGEAC, p. 246).
(5) Instructions de Henri VIII à ses ambassadeurs près de l'empereur.
26 mars 1525 (Mignet, t. II, p. 75).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 201
V
LA LIGUE DE COGNAC
Une femme jadis s était dressée en face de l'Anglais
triomphant : une femme fut encore la libératrice du terri-
toire, dont elle sauva rinté.;;rité par une énergique résis-
tance aux impérieuses demandes des vainqueurs. Par vin
traité habile, elle désarma Henri VIII (1) ; et des liens
formés par une ingénieuse diplomatie paralysèrent bientôt
Tempereur. Non contente d'assurer la défense du royaume,
de pourvoir à la protection des frontières, de solliciter de
Soliman II une diversion en Autriche, la régente Louise
de Savoie préparait à son fils une éclatante revanche.
La même ardeur patriotique qui avait jeté nos corsaires
du Ponant contre les Anglais et les Espagnols, avait fait
des prodiges sur les bords de la Méditerranée. Elle avait
improvisé des chantiers à Marseille pour fabriquer les
galères que jadis Ton commandait à Gênes (;2). Yice-amiral
et capitaines, Saint-Blancard, Doria, Rostan et Baux,
avaient construit chacun une division (3), si bien qu'au
lendemain du bilan pessimiste dressé par François L",
notre flotte du Levant s'était accrue de quatorze galères
neuves (4), que renforcèrent l'escadre du vice-amiral de
Bretagne Lartigue (5) et les corsaires normands du fameux
Jean Fleury (G).
(i) 30 août 1525.
(2) VALiiELLE, B. N., Franc. 5072, fol. 99 v".
(3) Les premiers construisirent quatre galères chacun, le dernier tteux.
(4) Dont les nouveaux chefs de division furent Antoine Doria, Magdalon
d'Ornesan, frère de Saint-Blancard, et Maurice de .lonas (B. N., Franc.
5502, fol. 5 v", 31 v°; Nouv. acq. franc. 1483, p. 49).
(5) Trois galions et les nefs Jacfjucs et linnaveutxire (B. N., Franc.
14368, fol. 72 V", 107 v". 182 — Saxcïo, t. XLI, col. 184).
(6) B. N., Clairambaull 1225, fol. 143.
■201 histoiiîp: de la maium: française.
Quand François I", libéré par le traité de Madrid (1),
eut repassé la Bidassoa, Tobjet de cette concentration de
nos forces navales apparut soudain. Par une étroite alliance
signée à Cognac (:2), le roi, le pape, le duc de Milan,
Venise et Florence s'engageaient à délivrer l'Italie de l'op-
pression impériale. Douze de nos galères devaient être
prêtes à porter secours aux confédérés sur quelque point
que ce fût de la cote italienne. Une armée française de
douze mille hommes pénétrerait par les montajjnes dans le
Milanais, que les troupes pontificales du duc de La Rovère
prendraient à revers par lAdda. Aux escadres alliées, était
réservé le soin de chasser de Gênes et Naples les garnisons
espagnoles.
Une diversion iiuitlenduc faillit bouleverser ces combi-
naisons. Au début de jnin 1526, trente-six bâtiments bar-
baresqucs arrivaient aux iles d Hvères et pénétraient dans
la gargate de Marseille, où ils causaient beaucoup de
dégâts. Repoussés d'Aigues-Mortes par le capitaine Palais,
de Maguelonne par les bour^^eois de Montpellier, les cor-
saires de Sinan le Juif l'cfoulèrent jusqu'aux portes d'Agde
la petite troupe qui défendait la côte. Ce jour-là, le 20 juin,
leurs trois colonnes d'attaque, fortes chacune de cinq cents
hommes, eussent remporté un succès, sans l'arrivée oppor-
tune du lieutenant royal Pierre de Clermont, qui les rejeta
à la mer (3). Quelques jours plus tard, Sinan le Juif man-
quait de peu un audacieux coup de main sur Barcelone.
Ce fut André Doria qui châtia le lieutenant de Barbe-
rousse. N'ayant cjue onze galères et deux brigantins, il
(1) 14 janvier t526.
(2) 22 mai 1526 : la lijjuo fut publiée le 8 juillet. — Cf. G. JACorKTù?;,
La politique extérieure de Louise de Savoie (1525-1526 .) Paris, 1892,
in-S", dans la Bibliothèque de l'école des Hautes-Etudes.
(3) Lettres de Pierre de Cleraiont. 8 juin, 22 juin, il juillet (B. N.,
Frane. 3073, fol. 49 v" : Clairambault 326, fol. 201"% 207, 215. — V.u.-
BKI.I.K, fol. 104 v").
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 203
n'hésiî.a pas à lui livrer combat dans le canal de Piombmo.
Dans une furieuse attaque où il ne s'épargna point, non
plus que ses neveux Lazarino et Filippino, qui furent
comme lui blessés, André Doria détruisit ou captura onze
bâtiments ennemis et mit les autres en fuite. Lui-même
n'avait perdu que la Donzella et une galère de Rhodes,
coulées toutes deux (1). 11 était alors au service du pape,
qui avait pris à la solde du trésor pontifical les huit
galères et les deux brigantins du hardi condottiere (2).
A quel sentiment avait-il obéi en abandonnant notre
drapeau, sinon au dépit de passer en sous-ordre de Pcro
INavarro (3)? C'est au transfuge espagnol, relaxé des
cachots du Castel Nuovo à la suite du traite de Madrid (-4),
que François I" avait confié le commandement en chef de
la flotte confédérée (5). Non plus qu André Doria, son com-
patriote Fregoso n'entendait relever d'un chef hiérarchique
autre que le roi : et alléguant les grands souvenirs laissés à
Gènes par une longue série d'aïeux, il eût voulu prendre la
direction des opérations navales; en cela, il n'avait d'autre
mobile que l'honneur, protestait-il, et non son intérêt (6).
Pareilles dissensions intestines, non moins que les
divergences de vues entre les alliés, expliquent les vicissi-
tudes fcâcheuses de la campagne. Avec une partie seule-
ment de nos forces navales (7), seize galères, deux galions
et quatre brigantins, Navarro avait occupé Savone sans
(i) Valrkli.e, fol. 104 V».
(2) GcGUELMOTTi, Gucna (Ici pirati, t. I, p. 243, 276.
(3) Sanuto, Biarii, t. XLII, col. 109.
(4) Coleccion de documentos inedilos parala hixloria de Espana, t. XXV,
p. 343.
(5) 9 juin 1526 (R. N., Clairambault, vol. 825, fol. 114).
(6) Lettres de Fregoso. Lyon, 25 et 31 juillet; Marseille, 8 août 1526
(H. N., Franc. 3012, fol. 92, 121, 125).
(7) Cette année-là, nous n'eûmes pas moins de 52 vaisseaux armés dans
la Méditerranée : 14 navires, 8 galions, 4 carraques, 17 galères, 3 fustes,
2 grosses barques, 4 brigantins (Extrait du compte de Ragueneau, R. IN.,
Franc. 17329, fol. 188).
'204 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
coup férir, le IG août (1). D'autre part, treize galères du
provcditeur vénitien Luigi Armer et huit autres du capi-
taine pontifical André Doria n'eurent point de peine à
prendre les forteresses de La Spezia, Porto-Venere et Por-
tofino : pour ce faire, elles avaient à bord quatre mille
fantassins de Médicis. Toutes les escadres réunies tirèrent
vers Gènes, au nombre de cinquante-six bâtiments : mais
faute de ces vaisseaux fortement accastillés, qu'on appelait
des galères bâtardes, elles ne purent riposter, le 2 sep-
tembre, aux grosses pièces du môle. Une seconde démons-
tration, le 9, eut le même insuccès. Les chefs d'escadre et
Frcgoso convinrent unanimement que, sans l'appoint de
quatre mille fantassins de l'armée de la Ligue, il serait
impossible d'enlever les fortifications toutes nouvelles du
célèbre Martinengo (2).
Le blocus à distance fut décidé : les Français l'exerce-
raient de Savone, les Italiens de Portofino. En peu de
temps, les assiégés éprouvèrent pour un million de dom-
mage et se virent enlever deux convois de ravitaillement ;
l'un arrivait de Sicile sous escorte d'un vaisseau de
guerre (3) ; l'autre, formé des cuvraques Ferrara et Boscaina
et de quatre transports, fut enlevé en Corse, près de Saint-
Florent, par un détachement de huit galères (4). Navrés
de la ruine de leurs compatriotes, ni Fregoso ni Doria n'en
voulaient plus être témoins : l'un parlait de se retirer à
(i) Lettre de l'abbé de Nagera à Charles-Quint. Milan, 27 août (Coleccioii
de ilocinncntos incditos paia la historia de Eapana, t. XXVI, p. 62).
(2) Lettres d'Armer et Navarro (Saxito, t. XLII, col. 556, 566, 580,
586, 624). — Lettre de Fregoso. Savone, 18 septembre (B. N., Franc.
3038, fol. 89). — Valiîellk, fol. 105 v". — Manfroxi, Sloria délia marina
italiaiia, p. 268.
(3) Coleccion de dociiiticitlos iiiedilos para la historia de Espafia,
t. XXVI, p. 59, 63.
(4) Compte de Ragucneau (R. N., Franc. 17329, fol. 188). — A. Grsn-
NiANO, Annali di Geiion, fol. 288 v". . — P. Jovk, trad. Sauvage (1570)
t. II, p. 67.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 205
Nice (1) ; l'autre se fit rappeler par le pape, qui venait de
signer une courte trêve avec l'empereur (2). Atterre des
succès des Impériaux à Gênes et devant Sienne, désap-
pointé par la mollesse de nos opérations et par le refus de
Henri VIII d'adhérer à la ligue, Clément VII avait écouté
les propositions de Moncada (3).
Les Génois profitèrent de cette défection pour prendre l'of-
fensive contre Portofino. Mais leurs troupes, malgré l'habi-
leté de Martinengo, leurchef, durent battre en retraite avec
de loui'des pertes (-4). Il était même question de reprendre
contre Gênes une attaque combinée de la flotte et d'un corps
d'armée du provéditeur Pesaro (5), quand une grave nou-
velle vint jeter le désarroi parmi les chefs. Une flotte espa-
gnole s'armait à Carthagène pour secourir les Génois.
Navarro proposa d'aller la brûler. Armer, par une saison
aussi avancée, jugea le projet impraticable. André Doria,
après une courte absence, sembla revenir tout exprès pour
appuyerson collègue. En dépit deleurs remontrances contre
un émiettement de la flotte, qui compromettait l'issue de
la campagne, Navarro ne laissa en croisière de blocus que
la division d'Armeretparlit pour Marseille avec son escadre,
accrue de quatre galères (G) . Cette fugue parut aux alliés
une façon d'abandonner la guerre, alors qu'en réalité
Navarro avait reçu de François I" l'ordre formel de barrer,
coûte que coûte, le passage aux Espagnols (7).
(1) B. N., Franc. 3038, fol. 89.
(2) 21 septembre (Sanuïo, t. XLIII, col. 15, 31).
(3) Sur les négociations diplomatiques qui furent engagées soit entre les
divers alliés, soit avec l'empereur, on lira avec fruit V.-L. BocnniLLY,
Giiillauiite Du Bellay, seigneur de Lanqey (1491-1543). Paris, 1905,
in-S", p. 26; et la première défection de Clément VII, dans le Bulletin
italien (1901), p. 213.
(4) Lettre d'Armer. 4 octobre (SixuïO, t. XLIII, col. 65).
(5) Sancto, t. XLIII, col. 193.
(6) Ibidem, col. 143. — Masfrom, p. 269.
(7) Lettre de François I" à' Antoine de Villiers. 25 octobre (B.N., Coll.
206 HISTOIRE I)K LA MARINE FRANÇAISE.
Il venait quérir, avant de se porter contre Garthagène,
un renfort de douze gros voiliers, qu'il était «merveilleuse-
ment marry " de n'avoir pas depuis longtemps reçu (1). Et
pourtant le commandant de la nouvelle escadre, Antoine
de Villiers, sieur d'Ancienville, non plus que le lieutenant-
amiral Claude Durrc, n'avaient plaint leur peine (2). Mais
comment armer promptemenl une flotte, quand il fallait
emprunter une douzaine de grosses pièces aux châteaux
royaux, d'autres canons aux municipalités de Lyon, de
i\îarseillo, d'Aix et au corsaire Jean Fleury, des canon-
niers au maître de l'artillerie, des vaisseaux aux particu-
liers (3) ! Faute de trouver prêts ces renforts indispensables,
Navarro dut renoncer à l'attaque de Garthagène et, le 3 no-
vembre, retourner au blocus de Gènes (i).
Sur ces entrefaites, arriva la nouvelle que l'escadre espa-
gnole tant redoutée avait relâché, le 11 novembre, dans le
golfe de Saint-Florent en Gorse pour se refaire d'une rude
traversée. Sur trente-deux vaisseaux, deux avaient sombré
dans une tempête et cinq avaient été perdus de vue. A la
tête du corps expéditionnaire, qui ne comptait pas moins
de quatre mille fantassins, trois cents cavaliers et de nom-
breux canons, étaient placés Hernando de Alarcon et le
vice-roi de Naples en personne, Carlos de Lanoy.
Clairambault 1225, fol. 14'i'), — Instruction à La Ponimeraye de ce qu'il
aura à dire de la part du roi à Pcro jNavarro. 3 octobre (B. N., Franc. 5123,
fol. 2. — BocnniLLY, p. 32).
(1) Lettre de Navarro à Montmorency. En galère, Savone, 28 septembre
(B. N., Clairambault 326, fol. 581).
(2) Claude Durre, sieur du t'uy-Saint-Martin, et Villiers avaient commis-
sion d'ordonner les dépenses de l'armée de mer en l'absence de Navarro.
26 septembre (x\rcliivcs de la marine, B**2, fol. 1).
(3) L'escadre comprenait, entre autres vaisseau.x, la Grande-Maîtresse,
la Brave, la nef des trois hunes, et la Jhichesse, achetée à Doria. Lettre de
François I" à Villiers. 26 septembre (B. N., Clairandiault 1225, fol. 141.
— Valbp;llk, fol. 107).
(4) Lettre de Bertran Laurens, garde des munitions du roi. Marseille,
^ novembre (Archives des Bouches-du-llhône, B 1260, fol. 78).
RIVALITE DE FRANÇOIS I" ET DE G M ARLES-Q U I N T. 207
Navarro dépêcha message sur message à ses collègues
demeures à leur poste de IjIocus à Portofino. Mais il ne
s'ébranla, pour les rejoindre, qu'après l'arrivée à Savone de
l'escadre de relève marseillaise. Laissant aux voiliers de
Villiers le soin de continuer le blocus, il n'emmena que les
galères, ce qui porta la flotte de choc à trente-cinq voiles.
Par malheur, plus de la moitié d'entre elles étaient déta-
chées au.x vivres à Porto- Vcnere avec Armer, quand Navarro
eut avis, par un brigantin capturé au large de Portofino,
que la flotte espagnole suivait. Presque aussitôt, dans la
matinée du 22 novembre, trente gros vaisseau.x parurent à la
hauteur de Sestri-Levantc , faisant route vers Gènes.
Navarro n'avait que seize galères, dont si.\ françaises, les
autres vénitiennes et pontificales par moitié. Malgré son
énorme infériorité, malgré le mauvais temps, il donna
l'ordre d'attaquer, et gagnant le vent une heure avant le
coucher du soleil, il entama une violente canonnade qui
dura jusqu'à neuf heures. Armer, qui observait de loin l'en-
gagement, ne s'y mêla point, dans le but, il le dit lui-même,
de ne point compromettre son escadre.
La victoire pourtant se dessinait du côté des alliés (l). Un
vaisseau espagnol, criblé de boulets, sombra avec son équi-
page et les trois ou quatre cents soldats du capitaine 8aa-
vedra;des galères françaises et vénitiennes qui l'avaient
cerné, compagnons de guerre et soldats sautaient à la mer
pour ramasser le Jïutin qui surnageait sur le lieu du sinistre.
Trois autres grands vaisseaux soutenaient le choc de Navarro
et de Doria, pour couvrir la retraite de leurs conserves.
Dans la nuit noire, la Portonda, qui battait pavillon de
(i) Sur la bataille de Sestri ou Capo di Monte, consulter : Saxuto,
t. XLIII, col. 354, 382, 410, 426. — Agostino Giustixiaxo, Annali di
Genoa, fol. 278. — Ubertus Folikïa, Genueiisiiim Hisloriae, lib. 12. —
Belcarius, Ilerinn Gallicarum commentarius, lib. 19. — F. DuBo,
Armada Espanola, t. I, p. 142. — Don Martin de los Héros, Historia del
condc Pedro Navarro, p. 348. — Mankrom, p. 270. — Bourrilly, p. 34.
208 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
l'amiral d'Alarcon, était le point de mire de nos coups.
L'étendard emporté par un boulet de la Réale, les agrès
hachés, à demi démâtée, les canons hors d'usage et trente
boulets dans la carcasse, la Portonda finit par s'échapper
vers Calvi ; Villiers, prévenu peu après, dépécha de Savone
deux vaisseaux pour lui donner le coup de grâce (1). Les
autres bâtiments espagnols s'étaient éparpillés dans toutes
les directions. Deux d'entre eux, des navires basques,
étaient tombés entre nos mains (2) : un troisième s'échoua
à Monaco; et les cinq cents hommes qui le montaient,
furent anéantis ou capturés jusqu'au dernier par la garni-
son française de Savone, tandisqu'ils essayaientde se frayer
lui chemin vers le Milanais.
Mais qu'était ce léger succès à coté de la réussite du plan
espagnol? Lanoy était parvenu à prendre pied en territoire
italien. En dépit de la poursuite de la flotte alliée, qui dut
chercher à Civita-Vecchia un abri contre la tempête, vingt
vaisseaux espagnols débarquaient quatre mille hommes
environ à San-Stefano dans le Siennois, cinq autres por-
taient leurs renforts dans le royaume de Naples, à Gaète.
« Chose de peu de compte, si l'on avait icy affaire à gens
qui eussent cueur et gentil et hardy, — écrivait de Rome
Renzo da Ceri. — Mais sont presbtres et Florentins pour
tous potaiges (3).» Le pape éperdu donna ordre, en effet,
de diriger immédiatement une partie de la flotte sur l'Arno
pour protéger Florence, et il manda à son secours le reste
des navires, galères et gros vaisseaux. Laissant au provédi-
teur vénitien et à Saint-Blancard le soin d'accomplir, avec
seize galères, la première de ces missions, Navarro alla
quérir à Savone les dix-huit voiliers de Villiers, qui venaient
de charger cinq mille hommes. Villiers prit la mer; mais
(1) S\NUTO, t. XLIII, col. 496. — Decruï:, Anne de Montmorency, p. 89.
(2) Extrait du compte de Ragueneau (B. N., Franc. i7329, fol. 188).
(3) Rome, 29 novembre (B. N., Franc. 3009, fol. 48).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 209
la tempête avait dispersé ses vaisseaux, les matelots s'étaient
mutinés : bref, Navarro dut s'occuper en personne de trans-
porter à Livourne les troupes commandées par Renzo da
Geri (1).
Les craintes de Clément VII n'étaient que trop fon-
dées (2). Du nord, l'armée du connétable de Bourbon et
de Frvindsberg, du sud, les troupes de Moncada et des
Colonna convergeaient vers la Ville Eternelle. Navarro, qui
s'obstinait au blocus de Gênes, reçut du pape l'ordre pres-
sant de relourner protéger les Florentins contre les bandes
féroces de Frundsberg (;î). Tout l'espoir du Saint-Siège
reposait dans l'armée navale. Et le capitaine général,
n'ayant pas d'argent, n'avait ni ses vaisseaux en état, ni
ses équipages au complet (4). Il ne quitta point Savone (5),
Seules, deux de nos galères et la division d'André
Doria (6) prirent la route du royaume de Naplcs, oîi les
troupes de Rcnzo da Geri tenaient tête au vice-roi espagnol
et le mettaient en pleine déroute non loin de Gaète. Gette
victoire rendit qucl(|uc courage au pape, déjà tout prêt à
traiter avec l'ennemi : il manda incontinent à André Doria
de barrer aux fuyards le chemin de la retraite (7).
A Doria s'attacha un prétendant au trône de Naples,
(1) Lettre de Saint-BIancard. Savone, 23 décembre (B. N., Clairauibault,
vol. 327, fol 98). — Lettre de Ferez. Rome, 15 décembre (Cnleccion de
docinncntox inedîtos. . . de Eapana, t. XXVI, 66).
(2) Sur les alternatives de crainte et d'espoir du pape, et ses résolutions
sans cesse changeantes, lire Boueuilly, p. 33.
(3) Lettre de Navarro au roi pour lui soumettre la demande du pape.
Savone, 18 janvier 1527 (B. N., Clairauibault, vol. 326, fol. 42, copie;
Franc. 3037, fol. 15, orig).
(4) Lettre de Renzo à Montmorency. Rome, 17 février (B. N., Clairaui-
bault, vol. 326, fol. 67).
(5) François \" lui mande de relever l'escadre des voiliers en blocus.
11 mai (B. N., Clairauibault, vol. 1225, fol. 145).
(6) Sasuto, t. XLIV, col. 294.
(7) Lettre datée de Rome, 6 février (B. N., Franc. 20487, fol. 10). Selon
cette lettre, le pape était prêt à livrer aux Espagnols le comte de Vaudémont
et tous les Français alors à Rome.
210 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Louis de Lorraine, comte de Yaudcmont, qui tenait ses
droits de la maison de Lorraine-Anjou. Avec eux, s'embar-
quèrent les fameuses bandes noires de Jean de Médicis,
dont le commandement avait passé au Pérugin Orazio
Baglionc.
Contre Pouzzoles, leur attaque écboua. Elle réussit
contre Gastellamare, de l'autre côté du golfe, parce qu'ils
avaient été rejoints dans l'intervalle par le pi^ovéditeur
vénitien da ^lula, successeur d'Armer. Cinq cents Napoli-
tains arrivés la veille, le 27 février L527, pour défendre
Gastellamare, ne purent tenir contre le bombardement de
la flotte et le mouvement tournant des troupes de débai^-
quement qu'Orazio Baglionc amenait par la montagne. La
conquête fit tache d'huile. Sorrente, Vico, Torre del Grèce
envoyèrent leurs clefs.
Le 6 mars 1527, une colonne de dix-sept cents hommes,
soutenue par la flotte, marchait sur Naples; après une
escarmouche au passage du rio Sebeto contre Moncada (1),
elle délogeait les Espagnols du faubourg de la Maddalena
et avançait jusqu'à la porte du Carminé. Par un trompette,
Yaudémont envoya sommer la garnison de capituler. Mille
hommes de plus, et il était maître de la ville. La popula-
tion resta coi. Le canon du Castel Nuovo tenait en respect
nos galères. Un ouragan s'annonçait. Bref, il fallut pour la
flotte chercher ailleurs un abri, après avoir rembarqué les
troupes.
A Salerne, Yaudémont prit sa revanche, le 17 mars, en
s'emparant de la ville sans coup férir. Le lendemain, Orazio
Baglionc, laissé à la garde de Salerne avec quatre galères
et six cents fantassins, foudroyait les trois têtes de colonne
d'une armée de quinze cents hommes, que ^îoncada et le
(i) Baeça, Vida de don Hugo de Moncada, p. 61. — Lettre de Vaudé-
mont au roi après la prise de Gastellamare (B. N., Clairanibault 326,
fol. 5).
RIVALITE DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 211
prince de Salerne amenaient de Naples. Deux cent cin-
quante soldats restèrent sur le terrain. Le reste battit en
retraite (1).
Aux rêves ambitieux de Vaudémont, le pape mit un
terme, en signant la trêve du 25 mars avec le vice-roi
espagnol et en rappelant l'escadre de Doria. Epouvanté de
la marclie sur Rome de l'armée de Bourbon, il s'était pré-
cipitamment dégagé de la ligue, sans pouvoir se soustraire
pour autant au ressentiment des Espagnols. Le connétable
félon refusa de reconnaître le pacte signé par Lanoy. Et
le 0 mai, à deux heures du matin, il donnait l'assaut à la
Ville Eternelle. En vain, les arquebusiers français de Renzo
da Ceri et Guillaume Du Bellay, les soldats de Baglione oppo-
sèrent-ils une vive résistance. Le pape Clément VII tom-
bait prisonnier, Rome était mise à sac, et un poète data
son œuvre : « Ex Urbis cadavere (2). " André Doria,
qui avait inutilement tenté de forcer le cordon des assié-
geants (3), reçut, par surcroit, l'ordre de consigner aux
vainqueurs le port de Civita-Vecchia (4). Au lieu de s'y
soumellrc, il prit la route de la France : le Li juillet, ses
huit galères et ses deux brigantins entraient à la solde du
roi (5). Et tout de suite, Doria se signalait par une action
d'éclat d'une portée considérable.
A la prise de Rome, les Français répondirent par un
coup de tonnerre. Gênes, la place forte des Impériaux en
(1) Sasuto, t. XLIV, col. 143, 188, 234, 283. - Man-kront, p. 273.
(2j Cf., sur le sac de Rome, la liste des sources dans Gughkl.'MOTti, La
Guerra dci piiatl, t. I, p. 287, et Léon Dokez, Le sac de Rome (1527).
Relation inédite de Jean Cave, Orléanais. Rome, 1896, in-8°, cf. p. 74.
(3) Elocjio htorico d'Andréa Doria. Parme, 1781, p. 245 : E. Pktit,
André Doria, p. 60. — Bourrilly, p. 44.
(4) Sascto, t. XLV, col. 218. — GuGUKLMOTTr, t. I, p. 289. — Man-
FROxi, p. 274.
(5) Ce jour-là, Doria toucliait une avance de 18450 livres (B. N., Franc.
5502, fol. 93). — Il devait recevoir 38000 ducats par an (Ma>-fro>i,
p. 274).
212 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Italie, fui en un instant cernée. Lauti^ec, avec un corps
mixte de Français, de Vénitiens et de bannis génois; André
Doria, avec vingt-quatre galères; Charles Du Solier de
jVIorette, qui succéda comme capitaine général des vingt-
gcpt vaisseaux ronds (1) au sieur de Villiers (2), combi-
nèrent contre elle leurs efforts. Un blocus rigoureux
réduisit promptement à la famine les assiégés (^^).
Sous la protection de trois galères espagnoles et de cinq
galères génoises qu'vin bastion élevé à l'entrée du port épau-
lait, un important convoi de blé de Sicile attendait à Por-
tofîno un instant propice pour passer. Doria ne lui en laissa
pas le loisir. Douze cents hommes de Filippino et Antonio
Doria barrèrent, près du village de San-Michelc, la route
qui venait de Gènes et que la compagnie d'escopettiers de
l'enseigne Cicala, postée derrière les roches, prenait d'cn-
fdade, A l'aube, parurent huit cents hommes, expédiés par
le doge au secours de Portofino. Le capitaine de la garde
palatine, Agostino Doria, et Agostino Spinola, qui les com-
mandaient, délogent les escopettiers de Cicala, les rejettent
en désordre sur le bataillon des Doria, capturent Filippino,
mais, au moment de recueillir les fruils de leur victoire,
se voient subitement rappelés à la défense de Gènes. Cette
ville était serrée de près par les troupes de Ccsare Fregoso,
détachées de l'armée de Lautrec.
Avant de partir, Spinola avait engagé les patrons de l'es-
cadre bloquée à prendre l'offensive contre une flotte démo-
ralisée, pensait-il, par l'échec des compagnies de débar-
quement (4). La brusque attaque d'André Doria, le 15 août,
(ï) 12 navires, 3 carraqucs, 2 fastes, 6 barques provençales et 4 yalions
normands, selon lettres de provision du 30 mai (B. N., Franc. 17329,
fol. 188 y").
(2) Lettre de François I"' à Villiers, alors à Savone. 11 mai (B, N., Clai-
rambault 1225, fol. 145).
(3) 1>. JovE, trad. Sauvage (1570), t. II, p. 68.
(4) GcicnARDiN, liv. IV, chap. iv.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS 1" ET DE G H AR LES-Q UI NT. 213
déjoua ce projet. Les galères adverses cherchent à s'enfuir
dans la direction de Ropallo ; mais, au bout de deux milles
les forçats jettent leurs rames en criant : » Liberté! " La
galère de Giuliano de La Riva, familier du doge, une
seconde galère génoise, sept autres de Sicile, de Gènes et
d'Espagne, la grande carraque de Giustiniano, avec une
riche cargaison en provenance de Chio et du Levant, tout
le convoi, trente-deux bâtiments tombaient au pouvoir de
Doria. Seul, le bossu Giustiniano, l'un des meilleurs marins
de la République, avait échappé avec sa Gobha (1).
La victoire de Portofino eut un effet moral immense. Le
19 août, Gènes était attaquée du côté de vSan-Pier d'Arena
par Fregoso et Laulrec. De la grande nef Grimalda encore
en chantier et transformée en bastion de fortune, les esco-
pettiers de Gesare Fregoso foudroyent les troupes de Marti-
nengo. Le grand ingénieur tombe prisonnier. Le doge, le
podagre Adorno, à cette nouvelle, s'affole, relâche Filip-
pino Doria et capitule, alors qu'une flotte espagnole arrive
de Valence à son secours (2). Il fut remplacé par un gou-
verneur français, par Trivulce.
VI
L'EXPÉDITION DE SARDAIGNE
Une action d'éclat aussi retentissante valut à André
Doria le commandement en chef de la flotte du Levant (3),
(1) P. Jovt, trad. Sauvage, t II, p. 69. Les prises comprenaient une
carraque, 8 navires, 2 fastes, 12 barques et 9 galères (Compte de Rague-
neau : B. N., Franc. 17329, fol. 188 v°. — Clairambault 326, fol. 7).
(2) Lettre de Clermont-Castelnau (B. N., Clairambault 326, fol. 423).
(3) Par une commission royale, en date du 7 septembre 1527, qui lui
adjoignait Antoine de La Rochefoucauld, sieur de Barbesieu.\, pour lieute-
nant général (B. iS., Moreau 1340, fol. 335. — Clairambault 825,
fol. 114 V").
214 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
juste compensation des offres magnifiques que lui avait
faites l'empereur (l). Et comme il célébrait son mariage
avec Peretla Uso di Mare en l'église San-Matteo de Gènes,
un envové du roi lui remit, en guise de cadeau de noces,
le collier de Saint-Michel (2).
La position d'un étranger à la tête de la flotte française
froissa des susceptibilités que Doria n'essaya point du reste
de ménager. Pour un refus d'embarquer des troupes sur
ses deux galères, Frère Bernardin de Baux fut relevé de
son commandement et remplacé par Guillaume Du BcUav,
le porteur du collier de Saint-Michel. Bernardin alla mourir
de chagrin à Marseille (3), léguant au grand maître Anne
de Montmorency (4) ses vaisseaux et sa vengeance. Le grand
maître eut, pour correspondant attitré sur la flotte, un
détracteur acharné de Doria, Jacques Colin l'humaniste,
le lecteur du roi.
Gènes enlevée, François I" voulait précipiter les coups.
Renzo da Ceri, rappelé des Etats pontificaux, eut ordre de
prendre à Gènes le commandement d'un corps expédition-
naire de six mille hommes à destination du royaume de
Naples (5). Il irait par mer, débarquerait au choix dans le
rovaume napolitain, en Sicileouen Sardaigne. lierait même
partie avec le bey de Tunis, qui avait jadis promis le con-
cours de sa flotte; mais surtout, il empêcherait que le pape
ne fut traîné par ses geôliers de Gaète en Espagne, tant
on redoutait de voir céder aux exigences impériales la
faiblesse accoutumée du pauvre captif.
(1) Et que Guillaume du Bellay avait combattues (V.-L. Bourrilly,
Guillaume du Bellay, seifj7ieur de Langey (1491-1543), p. 46).
(2) 13 octobre (Lettre de Jacques Colin à Montuiorency. 12 octobre :
Chantilly, Musée Condé, série L, vol. V, fol. 288 : BounniLLY, p. 50j.
(3) Agostino GirsTisiAso, Aiinali dclla republica di Genoa, fol. 279 v".
(4) Et à Claude Durre, sieur du Puy-Saint-Martin. Le legs fut confirmé
par le roi en mars 1528 (Archives nat., K 1219).
(5) Minute des instructions de Renzo. Compiègnc, septembre 1527
(B. iS\, Collection Dupuy 040, fol. 171).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS 1" ET DE CH aRLES-Q U I N T, 215
Des instriiclions aussi élastiques ne constituaient point
un plan de campagne. C'était à Renzo de le dresser, mais
sans rien empiéter sur les pouvoirs du chef de Tarmée
navale, André Doria (1), et après entente préalable avec le
général de l'armée de Lombardic, Laulrec. Odet de Foix,
sieur de Lautrec, devait s'enfoncer dans la Romagne, en
faisant courir le bruit qu'il allait droit à Rome délivrer le
Saint-Père (2j . Pas de plan; pas d'unité de commande-
ment, et avec cela, pas d'argent : le corps de Renzo serait
entretenu pour moitié par des prêts consentis par les capi-
taines de la flotte sur la valeur de leurs prises; Lautrec
vivrait sur le pays, à la mode tudcsque, qui arrivait mieux
à ses fins par la rudesse que nous par notre » bénignité » .
L'accueil fait par Lautrec aux instructions rovalcs fut
des plus froids. Il y a quarante jours que l'expédition aurait
dû partir, écrivait-il au roi : en jetant le trouble dans l'Italie
méridionale, elle eût forcé l'armée impériale à se replier
de la Romagne sur Naples, et rendu la couHance aux Flo-
rentins et au pape. La saison est maintenant bien avancée
pour le départ des galères, dont les prises, du reste, ne
pourraient couvrir l'entretien des troupes embarquées (3).
On s arrêta en délinitive à un projet de conquête de la
Sicile. Selon les devis de Pero Navarro, cinq à six mille
hommes suffisaient, avec quelque cavalerie et un parc de
siège. Navarro conseillait l'emploi de grands transports,
capables de passer chacun sur le corps d'une douzaine de
navires et de se défendre dans un port par leurs propres
movens (4) .
(1) Instructions à Doria, 12 septembre (B. N., Franc. 17329, fol. 188 v").
(2) Minute des instructions de Lautrec. Couipiégne, 26 septembre (//;<>/.,
fol. 176).
(3) Lettre de Lautrec au roi. Camp devant Pavie, 10 octobre 1527
(A. Cu.\MPOLLiox-FiGEAi:, Captivité de François I", p. 25] .
(4) « Emprise de Cccille selon l'advis et oppinion du conte Pedro
Navarro » (B. N., Franc. 3050. fol. 58).
216 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Le rccrutenieiit du corps expéditionnaire ne se fit pas
sans peine. Renzo alla jusqu'en Toscane quémander des
volontaires, Guillaume Du Bellay jusqu'à 1 armée de Lau-
trec devant Pavie. A eux seuls, Guillaume et ses frères
Jacques et Nicolas Icvcrcnl une compagnie de marins et
gcnlilshommes, qu'ils équipèrent à leurs frais (1). Bref,
quatre mille trois cents hommes de troupes furent rassem-
blés, partie à Gênes, partie à Livourne, rendez-vous général
des escadres, partie à Piombino. La flotte d'André Doria
et du provéditeur Giovanni Moro, — vingt galères de
France et dix-huit de Venise, — s'était ébranlée les 1:2 et
14 novembre et descendait vers le sud, quand la tempête
la força à rétrograder vers Livourne et à y stationner une
douzaine de jours.
Alarmés des avaries, des maladies, de la diminution des
vivres, les commandants en chef et leurs lieutenants tinrent
conseil (2). Doria opina pour une descente en Sardaigne,
d'une conquête plus facile que la Sicile et presque aussi
utile qu elle pour couper les communications de l'empereur
avec le sud de l'Italie : la mauvaise saison, la disette de
vivres étaient des raisons majeures pour ne pas s'aventurer
plus loin. En vain Renzo da Ceri, soutenu par les réfugiés
siciliens Gesare Imperatori, (jirolamo di Lcofantc, Pietro
Spalafuora et autres, voiihut-il conlmuer vers la Sicile.
Appuyé par son collègue vénitien, André Doria ne tint pas
compte de leurs désirs.
Après escale en Corse, à Porto-Vecchio et Bonifacio, le
8 décembre, il débarqua à Castel-Sardo, dans le golfe de
lAsinara, les troupes de son neveu. Filippino Doria marcha
aussitôt sur la forteresse de Castel-Genovese. Repoussé
(1) B. N., Franc. 3076, fol. 28. — Bourrilly, p. 51.
(2) Lettres de Guillaume du Bellay (Livourne, 12 novembre 1527) et
Jacques Colin (Savone, 30 janvier 1528) à 3Iontmorencv (B. N., Franc.
3079, fol. 109 : Musée Condé. série L, vol. V, foi. 174. ) — Saxvto,
t. XLYI, col. 360, 54'1. — Bounnii-LY, p. 52.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE Cil ARLES-QUI N T. 217
malgré l'appui de Rcnzo, qui avait fait sa jonction avec lui,
malgré le dévouement de Jacques Du Bellay, colonel de
deux mille hommes, qvii se fit tuer, malgré le concours de
la flotte qui secondait l'assaut par un vigoureux bombar-
dement, Filippino Doria s enfonça dans les terres. A Sorso,
il enleva sans coup férir de grands approvisionnements de
blé, sauvant ainsi de la famine les équipages etles troupes;
mais le blé cuil en guise de pain provoqua parmi les malheu-
reux une épidémie de scorbul. Et le gouverneur de la pro-
vince venait à notre rencontre avec une petite armée; Filip-
pino le culbuta et entra dans Sassari. Son objectif était
évidemment Alghero, port fortifié sis de l'autre côté de la
presqu ile de l'Asinara, devant lequel la flotte d André
Doria parut subitement après avoir contourné la pénin-
sule. La ville était trop forte pour être enlevée d'un coup
de main, et la mortalité parmi les marins devenait
effravante (l). A Porto-del-Gonte, l'escadre vénitienne
avait une moyenne de dix décès par jour. Les troupes de
Renzo à Porto-Torrès dans le golfe du débarquement, et la
flotte de Doria, qui s était retirée à l'ilc de 1 Asinara,
n'étaient pas moins éprouvées malgré le soin qu'on avait
pris d'isoler les divers contingents, tant à cause de la con-
tagion de la peslc (pie pour les facilités du ravitaille-
ment (2). Le mécontentement grandissait parmi les soldats,
la mésintelligence entre les chefs.
Sur la menace des deux amiraux d'abandonner l'entre-
prise, Renzo et Guillaume Du Bellay décidèrent de con-
server seize galères seulement pour la garde de leurs con-
quêtes. Puis, devant la recrudescence de la peste, il fallut
songer à la retraite. Renzo eût voulu gagner la Sicile après
(1) Compendio d'A'S'ïoyiO Doi\ia dcllc cose di sua notitia, p. 34-35. —
Vamîelle, fol. lit v", 118. — Agoslino Giustima>o, fol. 279 v". — Lettre
de Guillaume Du Bellay. De l'Asinara, 13 janvier 1528 (B. N., Franc.
3079, fol. 59).
(2j SA>t-TO, t. XI.VI, col, Ô39.
218 IllSTOIRK DK LA MARII\E FRANÇAISK.
5 être ravitaille à Tunis, où Du Bellay, trois ans auparavant,
avait noué des intelligences fl). Mais André Doria, plutôt
que de se confier à la foi punique des nouveaux maîtres de
Cartilage, préféra virer de liord vers Livourne, où s'opéra,
dans les premiers jours de février 15;28, la dislocation des
flottes. Tandis qu'il gagnait Gênes, Moro l'Adriatique et Du
Bellay le camp de Lautrcc, à la frontière du royaume de
INaples (2j, le baron de Saint-Blancard ramenait à Mar-
seille nos quatorze galères (3), au moment même où une
escadre de renfort, commandée par le lieutenant du grand
maître, Christophe de Lubiano, allait partir pour la
Sicile [A).
Les navires étaient délalirés, Renzo furieux de son échec,
les exilés siciliens déçus dans leurs espérances de rapatrie-
ment. De tout, Doria fut le bouc émissaire. Et comme il
était absent, il fut chargé en Cour par ses subordonnés, par
le capitaine Jonas, entre autres, porteur du rapport officiel,
et par les correspondants du grand maître de Montmorency :
Impériale? un incapable, disait Doria ; Jacques Colin? «un
coquin écervelé » ; Maurice de Jonas? u un présomptueux
qui jamais n'a voulu obéir (5) » . De fait, comme pour jus-
tifier l'appréciation du grand homme de mer, Jonas fut,
par la suite, privé du commandement de ses galères et jeté
à la Bastille, une prison qui avait déjà jiiscpi à Marseille la
(1) Suivant une IcUie de ikui tle Franeois 1"', Du liellay avait été depèclië
Il en Thunis et Sicile, ou temps qu'estions ou camp devant l'avie » (Boun-
niLLY, p. 14, note 1).
(2) Lettres de Guillaume Du Bellay et Renzo à Moolnioreney. Livourne,
6 et 8 février (B. N., Franc. 20504, fol. 86; Franc. 3013, fol. 146. — Borr,-
niLLv, p. 53).
(3) A la mi-février (Valbelli;, fol. J18).
(4) Il complétait ses chiourmes le 9 février en vue de 1 e.vpédition de
iSicile (Archives municipales de Toulouse, ms. 153, p. 275).
(5) Lettre de Doria au grand maître. Gènes, 24 mars 1528 (B. N., Franc.
3106, fol. 68, orig. : Clairambault 327, fol. 251; publiée par le marquis
Masslmiliano Spinola, Alli délia Sociela ligure di storia patria, t. IV,
fasc. IV (1867), p. 426).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS 1" ET DE CHARLES-QUINT. '210
réputation sinistre de ne plus rendre ses prisonniers (1).
Doria n'était plus obéi des capitaines français. Huit
lettres de lui restèrent sans réponse. Au lieu de s'adresser
à son chef, Saint-Blancaixl affecta de ne soumettre qu'au
grand maître un nouveau plan de campagne, qui consis-
tait à surprendre dans le port de Garthagènc la flotte espa-
gnole. Les quinze galères royales rejoindraient ensuite à
Naples les flottes d'André Doria et des Vénitiens (i). Un
renseignement que lui fit passer le lieutenant du roi en
Languedoc, fortifia Saint-Blancard dans la résolution de
faire d'al)ord campagne en Espagne. Plusieurs galères se
trouvaient, désarmées encore, à Palamos, à l'abri d'un
mauvais château ; Saint-Blancard , estimant aisé de les
détruire (3), obtint directement de la Cour l'autorisation
d'exéculer son coup de main.
Ce plan était trop logique pour ne pas avoir l'approbation
d'André Doria. Mais le général des galèi'cs, ulcéré déjà à
l'idée que bes détracteurs seuls étaient écoutés du roi (4),
fut révolté, quand il apprit que, sans le consulter, lui, un
vieillard à barbe blanche, lui, le chef de 1 armée navale,
on avait chargé autrui d'agir.
a Sire, écrivait-il en offrant sa démission, il vous a pieu
me establir vostrc lieutenant général en vostre armée de
mer... Et mainlenant, sire, dictes par vostre lettre que ne me
pourroys trouver en ladite emprise de Gathalongne pour la
distance d'icy en Prouvence. Je n'ay jamais trouvé aucun
voiage difficile, quant y a eu apparence de quelque bon
(1) 1534 (Valbelle, fol. 177.) — Les Marseillais avaient, du reste,
envoyé une plainte formelle au roi contre les attentats commis dans leur
ville par les gens de Jonas (B. N., Franc. 3096, fol. 35).
(2) Lettre de Saint-Blancard au grand maître. Marseille, 5 mars (B. N.,
Clairambault 326, p. 87).
(3) Lettre de Clemiont-Lodève au grand maitre, 24 mars (B. N., Clai-
rambault 327, fol. 252).
(4) Lettre de Doria au grand maitre. Gènes, 24 mars : citée.
220 KISTOlllE DE LA MARINE FRANÇAISE.
effect. .. Encorcs, quant cestuy me seroit impossible pour
aucune péremptoire raison, à cause de l'auctorité qu'il vous
a pieu me donner sur voslre armée, povoys avoir notice de
cclluv qui auroit charge de la conduite (1) » . Une autre (2)
lettre, adressée à François I" à quelques jours de là, récla-
mait instamment la liquidation de ses gages et créances —
car il était las de u crier comme un bélistrc" pour les avoir
— et la nomination d'un nouveau général — puisqu'on le
tenait pour «vieil et ancien" et son service pour suspect.
Son plan eût été de punir le seigneur de Monaco de ses
H méchants tours, " puis de tomber sur la Hotte espagnole
à destination de Naples. A défaut de l'escadre entière, il
avait réclamé vainement de quatre à six galères pour ren-
forcer P'ilippino Doria dans les eaux de Naples, avant la
jonction de quatre galères espagnoles de Sicile avec les six
de garde à Naples (3) .
VII
BATAILLE DU CAP D'ORSO
Au retour de Sardaigne, Filippino Doria avait remporté
succès sur succès. 11 était resté croiser sur les côtes des
États pontificaux avec sept galères de son oncle et une
galère d'Antonio Doria, afin de seconder la marche et les
opérations de Lautrec. Le 16 février 1528, au large d'Ostie,
une douzaine de barques, chargées de soieries, de draps et
de linge en cent cinquante caisses, vinrent donner au mi-
lieu de son escadre : c étaient les dépouilles de la Ville
Éternelle que les Impériaux évacuaient à Naples : ils en
(1) Lettre de Doria au roi. 7 avril (H. N., Dupuy, vol. 453, fol. 141, orig.).
(2) Lettre de Doria au roi 13 avril (B. N., Franc. 3005, fol. 32 : publiée
par le marquis Spinola, Alti délia Societa tifjuie (1867j, p. 432).
(3) Lettres des 24 mars et 7 avril citées.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 221
furent dépouillés eux-mêmes. Le lendemain, Franciotto
Orsini faisait son entrée à Rome, libre désormais, aux cris
de « Franza, Orso, Chiesa!» Et le mois d'après, à l'an-
nonce de la vicloire de Laulrec à Troia, les Romains par-
laient de lui élever une statue et un arc de triomphe au
Capitole (1). Encore tout meurtri de sa captivité. Clé-
ment YII se montra beaucoup plus rései'vé qu'eux, atten-
dant, pour rentrer dans la ligue, que la victoire se tût net-
tement dessinée en notre faveur (2). Filippino Doria ne le
fit point languir.
En dépit des stationnaires espagnols, il semait partout
la terreur. Au gouverneur de Procida,il imposait un tribut
en nature, aux villes de Gastellamare et de Sorrente, à l'ile
de Gapri, une capitulation à Icrmo; il inspirait aux habi-
tants de Pouzzoles une telle épouvante qu'on s'attendait
d'heure en heure à les voir capituler. Dans la capitale,
affamée par sa croisière, les mutineries succédaient aux
mutineries; aucune des troupes de la {jarnison. Allemands,
Espagnols et Italiens, n'en était indemne (îi) .
Dans le golfe de Salerne, station excellente pour exercer
à distance le blocus de Naples, Filippino Doria l)arrait la
route aux convois de Galabre et de Sicile et guettait le
retour de l'escadre vénitienne, dont l'entrée en ligne per-
mettrait à Lautrec de serrer de plus près la capitale. Le
vice-roi Ugo de Moncada et Philibert de Ghalon, chef
de l'armée espagnole, reconnurent urgent de prévenir
cette jonction. L'un et l'autre auraient voulu commander
(i) H. Omont, Les suites du sac de Borne par les Inipe'riaux et la cam-
paqne de Lautrec en Ltalie : Journal d'un scrittore de la pénilencerie apos-
tolifiue [César Grolier], extrait des Mélanges de iEcole de Rome. Rome,
1896, in-8", p. 31.
(2) BOURRILLY, p. 54.
(3) Lettre de Miguel de Aguoretta à Charles-Quint. Château de l'OEuf à
Naples, 22 juillet 1528 (Colcccion de documentos incditos para In hisloria
de Espana, t. XXIV, p. 502).
222 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
rexpédition, qui fut confiée, pour éviter toute rivalité, au
marquis del Vasto et au {jobbo Giustiniano. Le vice-roi
s'embarqua néanmoins avec eux. Un millier de vétérans
espagnols prirent passage, au Pausilippe, sur les galères
Capitana, Gohha, Villamarina^ Perpignana^ Calahresa et
Secama, quatre fustes et autant de brigantins, que le capi-
taine Giustiniano encadra d'vme vingtaine de frégates et
de barques de pécbe cbargées de soldats : véritable tour de
bossu, de gobl)o, qui donnait le cliaujje sur la force de
l'armée navale. Durant un moment de relàcbe à Gapri, un
ermite portugais harangua les soldats dans un discours
enflammé (1) : mais pour qui veut surprendre son adver-
saire, tout retard est une faute. Et Moncada escomptait le
succès d'une surprise contre une escadre, dont les soldats
allaient coucher chaque nuit à terre.
Filippino Doria, averti soit par la felouque du napolitain
Agnese, soit par une galère qui revenait de la corvée des
vivres (2), eut le temps de rassembler presque tous les élé-
ments de sa flotte (3) et d'embarfjuer trois ou quatre cents
arquebusiers du capitaine gascon (yilbert du Groq, écuyer
d'écurie du roi, que lui dépêcha Lautrcc. Une heure après,
dans la journée du 28 avril 1528, l'ennemi était en vue.
Filippino réunit hâtivement ses oflicicrs à bord de son
bâtiment : après une énergique exhortation à comljattre
comme si André Doria était témoin de leurs prouesses, il
assigna à chacun d'eux son rôle... Le spectacle qui s'offrit
soudain à Moncada était étrange. Cinq galères et deux
brigantins, jusque-là masqués parla pointe deConca,dans
la baie dont Amalfi occupe le fond et une montagne
abrupte les bords, se présentaient en ordre de bataille,
(1) Ulysse lloiîEnx, PliUibrrt de Clialon, prince irOraïK/c, p. 188.
(2) Gapei.lont, Vita del principe Andréa Doria, p. hk. — Baeca, Vida de
don IIiKjo de Moncada, p. 67.
(3) Qui comprenait, selon le compte du trésorier Ragueneau, 8 galères,
4 galions, 2 fustes et quelques brigantins (B. N., Franc. 17329, fol. 189).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 223
cependant que trois antres fuyaient à toutes rames au large
du capd'Orso, à rextrcnutc sud de la baie (1).
Les cinq galères qui venaient au combat, étaient la
capitane de Filippino, l(i Pellegrina, la Donzella, la Sirena
et la Fortiina. Avant que les canonniers d'Alonso d'Avalos,
marquis del Vaste, eussent le temps de pointer leur gros
canon de coursie et de s'envelopper d'un nuage de fumée,
la décbarge de Filippino enfila leur galère. Dans les rangs
pressés des Espagnols, lénornic boulet du basilic de la
proue faucba trente-deux bommes, après avoir fracassé la
ram])adc : à l'arrière, le vice-roi et le marquis del Vasto
furent couverts de débris humains et souillés du sang de
Pietro de Cardona, gentilbomnie Sicilien, et de l'Espagnol
Gusman, fort plaisant musicien qui s était cmljarqué sur la
capitane pour son ébat. La riposte du vice-roi n'eut pas le
même succès. Aveuglés par la fumée, les canonniers làcbèrcnt
leur bordée par-dessus nos arquebusiers, que Filippino
avait eu la précaution de poster derrière les pavesades des
apostis, d'où ils tiraient aussi siii-ement que derrière les
créneaux d'une forteresse.
(i) Sur la bataille du cap d'Orso, de la Gava ou d'Amalfi, voyez comme
sources : la relation d'un des acteurs (Mémoires de la vie du inaresclial de
VieilleviUe, par Cauloix, liv. I, chap. ix) ; la lettre de Lautrec au roi.
30 avril (B. N., Franc. 2993, fol. ii5, copiée dans Clairambault 327,
fol. liiO); — les relations de Aguorretta et Perez. 30 avril, etc. (Coleccioii
de dociunentos inedilos... de E.ipana, t. XXIV, p. 496 et 502); — des
lettres écrites de Florence et Naplcs au duc de Modène. li et 23 mai
(Archivio di Modena, Schedc Neri; B. X., Italien 300, fol. 5) ; — la rela-
tion de P. JovE (trad. Sauvage (1570), t. II, p. 47, liv. 25), lequel en tenait
les détails de Filippino Doria : cf. sa lettre du l'^'' mai au pape (Sanuto,
t. XLVI, col. (364); — (7IUSTIMAN0, fol. 280: — Mémoires historiques de
Patrizio de Rossi sur les événements politinues d'Italie (1523-1 530)
[d'après P. Jove, etc.] traduits par Puy de Laiiastie. Lvon, 1867, in-8",
p. 202; — les deux Vida de don Hugo de Moncada, par VAncAS Poxce et
Baeça; — GuiciiAnDis, lib. XIX, fol. 331. — Comme historiens, voyez F. Duro,
t. I, p. 143; — JuiiiE^i de La GraviÈre, Doria et Barberousse, p. 162; —
M. RoRERT, p. 188; — G, Gavotti, Baltaqlie navali délia ftepublica di
Gcnova. Appendice alla l'attira nelle grandi Battaglie navali. lloma,
J900, in-8", p. 127.
224 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Tout différent était le sort de nos deux autres galères.
La Pellegrina et la Donzella. enveloppées par le gobbo
Giustiniano, par Secames et Bernard Villamarin (l), suc-
combaient sous les efforts combinés des soldats espagnols
que Cesare Fieramosca, Garcia ^lanrique, gouverneur de
Gaète, et Francesco de Soria menaient à Tabordage. La
Sirena et la Fortima élaient mises à mal par la Perpignana
et par /a Calahj^esa Oriana (:2), dirigée par un descendant
du fameux Roger de Loria, quand se produisit un coup de
théâtre.
Les trois galères fugitives, dont le soleil faisait miroiter
les Dieu-conduits des poupes, un Neptune tout doré, un
jNIaure et une dame en grands atours, vrais rébus de leurs
noms, viraient de bord et chargeaient en flanc les Espa-
gnols. C'était la division de son lieulcnant Nicolo Lomcl-
lino que Filippino Doria avait eu l'ingéniosité de tenir en
réserve, par l'un de ces stratagèmes familiers à ses ancêtres
et bien connu depuis qu'il avait donné à Uberto Doria la
victoire de la Meloria.
L'attaque de Lomellino fut irrésistible. Prise par le
travers, la capitane espagnole eut le gouvernail broyé par
la bordée de la Mora, la proue balayée par les projectiles
de la Signora, le mat abattu par le violent choc de la Net-
tiina, galère patronne de Lomellino. Le bras fracassé, deux
balles dans le corps, Moncada tombe pour ne plus se
relever, a Combattez, frères, la victoire est vôtre " , furent
ses dernières paroles (;i). Le chef des bombardiers, Giro-
lamo de Trani, gît à ses côtés; l'étendard, sept fois, change
de mains; les Espagnols résistent encore, lorsque Filippino
(1) C'est-à-dire par la Gobba, la Seraïua ou Saiita-Iiarbara et la Villa-
mariua ou Santa-Andrca (llelation d'Aguoretta, dans la Coleccioii... de
Espann, t. XXIV, p. 506).
(2) Miguel de Aguorctta attribue pourtant la défaite à l'inaction de ces
deux galères.
(3) Ibidem.
RIVALITE DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 225
Doria, pour combler les vides que la mort creuse parmi ses
soldats, aux forçats de ses chiourmes promet la liberté.
Dès lors, ce fut pour les Espagnols la débâcle. Assaillis
furieusement à l'abordage par un flot de Barbaresques
mêlés aux soldats français, les derniers survivants de la
capitane se rendent.
Dégagées par une nouvelle charge de la division Lomel-
lino, la Pellegrina et la Donzella se tournent furieusement
contre la Go^^a de Giustiniano, que /a Mora accable «d'une
tempestede boulets, en forme de gresle (1) ; » Giustiniano le
Gobbo s'affaisse, grièvement blessé à la cuisse; un boulet
précipite par-dessus bord Gesare Fieramosca, qui commande
les soldats; Baredo, le capitaine des arquebusiers, reçoit
trois blessures. La Gohha était prise.
Soutenus par deux brigantins et par deux bateaux
basques, deux galères luttaient encore. Sur la Villamarina
et la Sicama, le connétable Ascanio Colonna et son frère
Camillo se battaient au milieu d'un monceau de cadavres,
les bâtiments coulant bas, les rames brisées, le feu à bord.
Enfin, après quatre heures de combat, ils durent se rendre
à Lomellino. Les deux galères sombrèrent presque aussitôt
après. Le vice-roi était mort, les capitaines généraux étaient
prisonniers, et avec eux le connétable du royaume de
Naples, les princes de Salerne et de Santa-Groce, le com-
mandeur Ricardo, le patron de galère Francès Icart, les
capitaines Marin Daia, du régiment de Navarre, Zambrone,
Baredo, Gaëtano, Saluées, Regnard de Montaves, Serone,
chancelier du sénat napolitain et secrétaire du vice-roi,
une vingtaine de condottieri (2).
L'historien Paul Jove, envoyé en parlementaire par les
(i) P. Jove, trad. Sauvage (éd. 1570).
(2) Selon l'un des témoins du combat, " la bastonnade» coûta à i'ennemi
sept ou huit cents arquebusiers tués, outre les prisonniers. Lettre de Louis
de Lorraine, camp devant Naples, 5 mai (B. N., Franc. 30J0, fol. 46).
m. 1 -,
226 HISTOIRE DE LA iMARINE FRANÇAISE.
dames napolitaines, inquiètes du sort de leurs maris, put
■constater l'étendue du désastre : quatre galères, deux bri-
pantins pris ou coulés et quatorze cents hommes hors de
combat, alors que le vainqueur n en avait pas perdu cinq
cents. Les arquebusiers gascons de Gilbert du Croq avaient
supporté presque tout le faix de la bataille : de quatre cents,
il en restait debout cinquante. Des cinquante qu'on lui
avait impartis à bord de la galère du Corse Napoleone (1),
le capitaine François de Scépeauxde Vieilleville n'en avait
plus que douze autour de lui. Avec cette poignée d'hommes,
il grimpa par les palementes de la vogue sur la Calahresa^
l'une des deux galères espagnoles qui n'avaient point encore
succombé. Il refoulait vers la poupe les lansquenets de
Conradino Glornio, lorsque la chiourme de la Calahresa
parvint à couper les grappins d'abordage et à prendre le
large, de concert avec la Perpignana. Les vaincus emme-
naient prisonniers Vieilleville et ses derniers compagnons.
Ce ne fut point pour longtemps.
Les officiers de la Calahresa 2), arrivés les premiers
à Naples, le capitaine Francès de Loria, entre autres,
furent pendus sur-le-champ par ordre du général Philibert
de Ghalon. Cette vue donna à réfléchir au capitaine de la
Perpignana, Orazio de Barletta. Il s'ouvrit à Yieilleville
de ses inquiétvides et la crainte de Philibert de Chalon le
rangea sous notre pavillon. Il avait déchiré les banderoles et
les croix rouges de ses soldats, effacé les aigles et la devise
impériale dont était parsemée la Perpignana ou Nimpha-
rella, et il se dirigeait vers le camp français, lorsque parui,
le 29 avril, une galère sous pavillon fleurdelisé. Inquiet du
sort de Vieilleville, son ami de jeunesse comme page à la
(1) Et que Vieilleville appelle In Re'(/ciite dans ses Me'moires. Je ne sais
avec laquelle des galères de Filippino il faut lidcntifier.
(2) Et que Vieilleville nomme la Moncadiitc, comme il appelle Nint-
phaiella la Perpignana.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS V ET DE CHARLES-QUINT. -22-
Gour, Filippino Doria envoyait à Naples quérir de ses nou-
velles, après l'avoir cherché vainement parmi les cadavres
flottant sur l'eau.
Le Corse Napoleone arrivait svir la Perpignana vent
arrière et le branle-bas à bord, lorsqu'il aperçut avec stupé-
faction la bannière blanche des parlementaires à la cime
du mât et, au trinquet d'avant, Vieilleville qui lui faisait
des signes d'amitié, tandis que les marins agitaient leurs
chapeaux, en criant : n France! France! » Napoleone et
Orazio, désormais compagnons d'armes, laissaient reposer
leurs chiourmes à l'abri d'une montagne, sans doute de
Capri, lorsqu'une nouvelle galère fut signalée dans la par-
tie du nord, venant de Naples. C'était la Calabresa ou Mon-
cadine que Philibert de Chalon lançait à la poursuite de sa
compagne, avec un nouvel état-major et un nouveau capi-
taine, Alfonso Caraccioli, frère bâtard du prince de Melfi.
Pour la seconde fois, les Espagnols donnèrentdans un piège.
Sur l'ordre de Vieilleville, la Perpignana, la voile haute,
prit eu x'cmorque la galère de Napoleone, à sec de voilure,
comme si ce fût une prise, et elle gouverna sur la Calabresa.
Caraccioli, abusé par le stratagème, arrivait paisiblement
à la rencontre de son collègue ; deux bordées successives le
convainquirent de son erreur. Le trinquet abattu, les voiles
déchirées, il ne pouvait plus fuir. II baissa pavillon (1). Le
prisonnier de la veille, Vieilleville, se trouvait à la tête
d'une division de trois galères, qu'il ramena triomphale-
ment dans le golfe de Salerne. Le surlendemain 1" mai, le
vaillant Gilbert du Croq, l'un de ceux qui avaient le plus
contribué au gain de la bataille, mourait devant Naples (2j.
Les Impériaux, privés de flotte, se trouvaient acculés
dans la capitale par notre escadi-e et par l'armée de Lau-
(1) Mémoires de Vieilleville, livre I, chap. 10 à 13.
(2) E. RoTï, Histoire de la représentation diplomaticjuc de la France
auprès des cantons suisses, t. III.
228 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
trec. A la Fête-Dieu (1), seize galères vénitiennes renfor-
cèrent le blocus et le rendirent si étroit que le prince
d'Orange écrivit désespérément à l'empereur, le 14 juin :
« Il y a dix jours que nous sommes au pain et à l'eau... Et
ne sçay que penser comme pourra venir vostre secours
par mer, s'il ne vient merveilleusement gros (:2). »
Ce ne fut point de l'empereur que vint le salut.
yiii
LES LAURIERS DE LA DÉFAITE
Le 13 mai au soir, Paris apprenait par une lettre de
Lautrec le résultat de la bataille navale du cap d'Orso.
Mais pendant que le parlement < en forme de cœur " ,
l'échevinage, la cour, en procession somptueuse, allaient
chanter à Notre-Dame un Te Deum de victoire (3j, les
vaincus récoltaient les lauriers de la défaite.
De maladresses en maladresses, de froissements en frois-
sements, nous avions fini par exaspérer les Doria. Filip-
pino avait reçu de Lautrec, en récompense, les villes de
Gastellamare et Vico Equense, mais les villes seules, sans
leurs châteaux-forts, quelque insistance qu'il mît pour
avoir le tout. Vexé, il refusa avi généralissime de livrer ses
prisonniers pour une promenade triomphale, qui eût été
de nature à impressionner la population napolitaine (4).
Et il les envoya à Gènes devers André Doria.
• (1)11 juin.
(2) Laxz, Corrcspondenz des Kaisers Karl F, t. I, p. 270, — U. Robert,
p. 206.
(3) Registres du Parlement : cf. un extrait à la B. N., Clairambault 327,
p. 1137. — On publia un court récit de la bataille sous le titre : La dcfairlc
des Espaignoz et priiise du port de Naples par Monsieur de Lautret et le
conte Philipin. Petit in-16.
(4) U. Robert, p. 192, note 1 et 202.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 229
Le gouverneur de Gênes, à son tovir, voulut prendre
livraison des captifs pour les expédier au roi (1). Mais, aux
premiers mots de Trivulce, Doria s'écria qu'on voulait voler
leur rançon comme on lui avait déjà volé celle du prince
d'Orange : pauvre gentilhomme sans rentes ni revenus,
à peine défrayé de l'entretien de ses rameurs, c'était lui
pourtant qui avait armé à ses frais les quatre brigantins
dont l'appoint avait assuré la victoire. Il voulait de l'ar-
gent. Un versement de quatorze mille écus l'adoucit, au
point de lui arracher cette protestation de fidélité, la der-
nière, hélas! « Si j'avais biens à vendre, je les mettrais au
service du roi (2). "
Il ne se doutait point, à ce moment, de la mortification
suprême qu'on lui ménageait. Averti de l'état d'esprit
d'André Doria par des confidences que Filippino, son
neveu, ne craignait point de faire à l'ennemi (3), Lautrec
avait dépêché un émissaire (4) au roi pour empêcher
une catastrophe. Le grand marin, que Témissaire avait
vu en cours de route, assurait le roi de sa fidélité et pro-
mettait de le servir avec douze galères (5), pourvu qu'on
fît droit à une réclamation, dont la solution lui eût été
plus agréable que le don d'un empire : la remise de Savone
aux Génois (6). Mais la gabelle de Savone avait été accordée
(1) Trivulce au grand maître Anne de Montmorency. Gênes, 4 juin
(B. N., Clairambault 328, fol. 10).
(2) Yzarnay, qui lui avait versé ces quatorze mille écus et promis huit
mille autres, avait charge de demander à Renzo da Ceri un millier de sol-
dats comme troupes d'embarquement. C'est de l'argent perdu, observa
André Doria : il y a trop peu d'hommes pour tenter un coup de main en
Sicile, trop pour aller en mer, faute d'ennemis. Lettre d' Yzarnay au roi.
Gênes, 4 juin (B N , Clairambault 328, fol. 10).
(3) Cf. la lettre de Philibert de Chalon à l'empereur prédisant la défection
d'André Doria. Naplcs, 14 juin (U. Robert, p. 204).
(4) Guillaume Du Bellay.
(5) M. Robert, p. 204.
(6) Lettre d'Yzarnav au roi. Gênes, 4 juin (B. N., Clairambault 328,
fol. U).
230 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
au grand maître Anne de Montmorency; et le favori tout-
puissant sacrifia à ses intérêts la fortune de la France. Il
n'y avait plus qu'une faute à commettre; elle fut commise,
énorme (1). Le grand maître eut Thabileté d'en faire
retomber la responsabilité sur le chancelier Duprat. André
Doria, destitué, fut décrété de prise de corps (2), et son
successeur dans le commandement de la flotte (3), Antoine
de La Rocbefoucauld-Barbesieux, eut mission de se saisir
de lui.
Il n'en est point question de façon positive dans le plan
de campagne que Barbesieux soumettait au roi, avant
d'appareiller avec ses quatorze galères (4). Mais que de
sous-entendus et dans l'envoi à Gênes de cinq cents hommes
que devaient suivre " sans crierie i> d autres bandes, et
dans cette phrase énigmatiquc de Barbesieux : uJe resterai
à Gênes avec la flotte jusqu'à ce « que les affcres soient en
disposicion de pouvoir envoyer à Monseigneur de Lautrec
la plus grant part desdites gallères luy porter l'argent et
monicions. »
Dès l'approche de Barbesieux, André Doria, flairant un
piège, appareilla et se retira àLerici, à l'entrée du golfe de
La Spezia. Au baron de Saint-Blancard, dépêché par l'ami-
ral français pour lui demander une entrevue à Gênes, il
répondit par une fin de non-recevoir, renvoya au roi le col-
lier à coquilles d'or, et, abattant le pavillon fleurdelisé
pour le remplacer par le drapeau blanc, il déclara qu'il
reprenait sa liberté d'action. Filippino, rappelé d'urgence
à Lerici, avec l'ordre exprès d'éviter la rencontre de notre
flotte, abandonna, le 4 juillet, le blocus de Naples, qui ne
fut plus assuré que par la Régente, la Moncadine et la Nini-
(1) U. Robert, p. 204.
(2) RuFFi, Histoire de Marseille, t. II, p. 352.
(3) i- juin (B. N., Clairambault 825, fol. 114 v").
(4) Aux Poniôgues-lès-Marseillc, en galère, 6 juin 1528 (B. N., Franc.
20508, fol. 112. — Valbelle, B. N., Franc. 5072, fol. 122 ^■").
RIVALITÉ DK FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 231
pliarella, les galères conquises par Vieillevillc (1). Le 9, le
condottiere génois entamait les négociations qui allaient
faire passer au service impérial toute son escadre (2).
Le diplomate qui avait su amener Doria à ce revirement,
en exploitant ses ressentiments contre François I" et sa
passion pour wna patrie soi-disant opprimée, c'était le
vaincu de la bataille navale du cap d'Orso. Alonso d'Ava-
los, marquis del Vasto (3); c était lui qui récollait les lau-
riers de la défaite.
En retour du formidable appoint qui lui était offert,
l'empereur traita rovalcmenl le marin génois : " Quoy qui
me doye couster, déclara-t-il, je n'y veulx riens espar-
gner (4). » L'indépendance de Gènes, la restitution de Sa-
vone à la République, lorsque ces villes seraient arrachées
de nos mains, la liberté du commerce maritime pour ses
compatriotes, une solde de soixante mille écus d or pour
ses galères, le titre de capitaine général de la mer, avec la
cession d'an port dans le royaume de Naples, telles furent
les conditions fixées par le condottiere et ratitiées par l'em-
pereur (5). Et ce n'était pas trop cher payer la maîtrise de
la mer.
(i) Mémoires de Vieillcville, livre I, chap. 14. — Sigomus, De vita et
7-ebns (jestis Andreae Auriae,' Melphiac priiicipis, libri duo, fol. 29. — Gui-
cuARDiN, iiv. XIX, fol. 340. — U. Robert, p. 216.
(2) Lettre de Ferez à Charles-Quint (Bergexrotii et Pascual de Gayangos,
Calendar of letters, despalchcs and State papers relalincj to the nef/oliations
hetween Eiiglaiid and jSpnin, t. III, p. 739).
(3) Gayangos, p. 740.
(4) Lettre de Charles-Quint au prince d'Orange. 19 juillet (LT. Robert,
(5) Convention de Madrid. 10 août (Gaya>gos, p. 765).
232 HISTOIRE DE LA MARIEE FRANÇAISE.
IX
CHASSÉS D'ITALIE
Le départ de Filippino Doria avait relâché le blocus de
Naples. En dépit et même à la vue de Tescadre vénitienne,
une vingtaine de frégates ravitaillèrent les assiégés (1).
Barbesieux ne parut dans le golfe que le 17 juillet, s'étant
attardé à battre la citadelle de Civita-Vecchia, dite la Ro-
quette, afin d'en déloger les Espagnols et de la restituer au
pape (2). Il amenait àLautrec les compagnies du prince de
Navarre, frère du roi Henri, mais non point les six mille
aventuriers réclamés par le général, sans préjudice de douze
mille Suisses et lansquenets qui eussent pris à revers,
dans les plaines du nord, les renforts ennemis venus d'Al-
lemagne (3).
- Le débarquement s opéra à Pontelicciardo, à une petite
distance de Naples vers Test. Il faillit être entravé par une
sortie des Espagnols que commandait Fernand de Gon-
zagvie. Si Lautrec n'avait eu la précaution d'envoyer au-
devant des nouveaux venus les bandes noires de Pepoli et
la cavalerie de Valerio Orsini, l'affaire, engagée le 19 juil-
let, eût été désastrevise pour nous (4).
Lavitrec était toujours devant Naples : mais la fortune
avait totalement changé de camp. De désespérée qu'elle
était pour les assiégés en juin, elle était devenue désespé-
(1) Lettre adressée au légat Salviati. -V août (Letteic dei priucipi, t. Il,
fol. 112 v°. — MicxET, t. II, p. 438, n» 1).
(2) Lettre de Pierre de Clerniont à Montmorency. 2 août (B. N., Clai-
rambault 328, fol. 140).
(3) Lettre de Lautrec. Camp devant Naples, 27 mai 1528 (B. N., Franc.
2993, fol. 81).
(4) U. RonERT, p. 216.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CH ARLES-QUI>'T. 233
rce pour les assiégeants. Sur une armée inaccoutumée aux
chaleurs torrides et débilitée par le climat, un fléau faisait
rage : la peste. De vingt-cinq mille, nos effectifs tombèrent
àquatre mille hommes. Lautrec fut emporté par la maladie
le 16 août. Le marquis de Saluées, son successeur, leva le
siège dans la nuit du 29 août et tenta de gagner Aversa
avec les débris de 1 armée. Il y réussit, mais pour capituler
presque aussitôt. Pero Navarro, tombé prisonnier de Ten-
nemi en cours de route, acheva sa carrière dans les
cachots du Castel Nuovo : on l'y trouva mort un matin (1).
Notre domination dans le royaume de Naples s'effondrait
d'un seul coup, et la perte de la suprématie navale rendit
l'effondrement irrémédiable. Le 6 août, André Doria était
encore dans le golfe de La Spezia : il assurait Trivulce
qu'il n'attenterait rien contre Gênes au préjudice de la
France, tant qu'il ne serait pas à la solde d'un prince (2).
Quelques jours plus tard, la convention de Madrid signée,
il tombait sur les derrières de la flotte franco-vénitienne à
Naples, ravitaillait la ville, s'installait dans l'ile d'Ischia
comme dans un poste d observation, et enlevait au passage
deux de nos bâtiments qui portaient les chevaux et les
bagages de Lautrec et du comte de Yaudémont. Il avait
dix-neuf bâtiments, dont treize galères, tous à lui ou à sa
famille (3), La dislocation de la flotte franco-vénitienne
aux îles Ponza lui donnant bientôt sur Barbesieux la supé-
riorité numérique, il se mit à la chasse de son ancien lieu-
tenant, qui battait en retraite vers Gênes.
(1) Étranglé, dit-on, comme déserteur (Don Martin de Los Héros, His-
toria del conde Pedro Navarro, dans la Coleccion de docianentos ineditns
para la historia de Espana, t. XXV, p. 377. — P. Jove, liv. 26.
(2) Lettre d'André Doria à Trivulce, gouverneur de Gênes. Golfe de La
Spezia, 6 août (B. N.,,Clairambault 328, fol. 148).
(3) Lettres de Lope de Soria (13 août) et de Ferez (26 aoilt et 19 sep-
tembre) dans Gayangos, p. 768, 776, 792. — Capelloki, Vita del principe
Andréa Doria, p. 39.
2H-i IlISTOrr.K DE LA MARINE FRANÇAISE.
Conscient enfin de 1 énorme faute qu'il avait commise,
François I" envoyait en hâte à Gênes cinq cents aventuriers,
du capitaine Jonas (H, et mandait à la rescousse Tescadre
normande du vice-amiral de Bourrys (2) et les voiliers mar-
seillais de Morette et de Frère Claude dAncienville (3j .
Il avait même tenté de regagner Doria : Trivulce, Saint-
]*ol, le Pai'lement et jusqu'au cardinal d'York, jusqu'au
])ape, s'v étaient cmplovés (4). Il nétait plus temps.
Barbesieux était parvenu dans un état lamentable à Gènes,
ses palementcs brisées au cours d'un ouragan qui éclata
par le travers d'Ostie. Faute de pouvoir se ravitailler, il
avait détaché vers Savone six galères en corvée aux vivres,-
gardant les neuf autres avec lui, quand il apprit la venue
imminente d André Doria. Rappelées d urgence, les six
galères de Saint-Blancard tombèrent au milieu de la flotte-
de Doria, arrivée à Gênes avant l'aulne . Deux d entre elles
réussirent à prendre la fuite et ramenèrent Saint-Blancard
à Savone; la troisième fut enlevée au large par le condot-
tiere génois; la quatrième ne fut prise qu'après l'exode de
son équipage, c|ui gagna la plage de Cogoreta. A bord des
deux dernières, les forçats s étaient mutinés ; et ce fut pour
Doria une proie nouvelle (5). Pour comble d'infortune,
Saint-Blancard venait de perdre une autre galère, la ISègre,
capturée par six fustes barbarescjues (6), et sa nef la Perle,
dans un violent comljat livré près d'Alicante au corsaire
Juan Ferez de Ecnteria f7j .
Dans le nord de la péninsule comme au sud, les événe-
(1) 9 aoùt(B. N., Franc. 10406, fol. 52).
(2) Fontainebleau, 11 août (R. N., Franc. 10406, fol. 67 v").
(3) Paris, 22 août {Ibidem, fol. 70\
(4) P. JovE, trad. Sauvage (1570), t. 74. — DncnuK. Anne tic Montmo-
rency, p. 115.
(5) Lettre de Saint-Blancard. De galère devant Savone, 11 septembre
(B. N., Franc. 3122, fol. 81). — P. Jove, trad. Sauvage (1570), t. II, p. 76.
(6) Par le travers de Bornies, le 4 mai 1528 (Valbelle, fol. 121 v°).
(7) Qui reçut comme trophée le blason de Saint-Blancard. Quarante-sept
RIVALITÉ DE ^RA^ÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 23.>
nients se prccipitaieul. Au lendemain de la défaite de
Saint-Blancard, le 1:2 septembre, Doria se présenta dans le
port de Gênes sous pavillon impérial, sous le pavillon que
Filippino avait enlevé à Moncada. La population se souleva
aux cris de « San-(Tiorgio! LiJîertà! " des que les troupes
de Filippino Doria et Cristoforo Pallavicini eurent débar-
qué sur les quais. Surpris par linsurrection, le maréchal
Trivulce n'eut que le temps de gagner le Gastelleto et de
s'v barincader. Barbesieux, coupé de son lieutenant, pris
entre deux feux, appareilla dans la nuit sans prendre soin
de masquer sa retraite et échappa à la poursuite de son
adversaire; dans les ténèbres, on ne pouvait se rendn^
compte de sa marche qu'à la lueur de ses salves (1). Sur la
place publique, aux applaudissements de la foule, Dorui
proclama l'indépendance de sa patrie et posa les bases
d'un gouvernement électif, qui devait subsister près de
trois siècles.
Cependant, l'escadre de renfort que Morette apprêtait à
Marseille poussait ses préparatifs et embarquait deux à trois
mille Languedociens recrutés au son du tambourin (2). Le
grand maître des Hospitaliers avait refusé le prêt de ses
galères, afin de ne point exposer son Ordre à une entière
destruction : la Grande-Maistresse, la Lonielline, la Fleurie,
la Duchesse, la nef de Saint-Blancard n'étaient point encore
en état d'appareiller. Et Morette allait se décider à gagner
Savone avec la seule division disponible, une douzaine de
bâtiments et un millier d'hommes (3), quand, le lo scp-
•les marins prisonniers furent envoyés aux galères de Sicile (F. Duro,
Armada espaTiola. t. I, p. J55, note I).
(1) Agostino GiuSTixiANO, Annali di Genoa, fol. 28i. — Gayanoos,
p. 824-825.
(2) Lettre de Pierre de (llorniont à Montmorency. Narbonne, 13 sep-
tembre (B. IN., Clairambaull 328, fol. 217).
(3) Deux nefs et deux galères du grand maître de ^lontmorcncy, deux
galions de Servien, trois galères d'Antonio Doria, une nef, une fuste et un
236 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
tem])rc, arriva dans une panique folle lescadre de Barbe-.
sieux, réduite à dix galères sur quinze. Oncques » ne vis
armée en si grand crainte », déclarait Morette. A peine dans
le port, les marins désertèrent en masse. Morette eût voulu
éviter la contagion de l'exemple en mettant incontinent à
la voile. Barbesieux l'en détourna et, au lieu de réorganiser
la flotte, prit la poste pour la Cour (1).
Malgré la désertion d'Antonio Doria et de sa division (2),
le commandeur de Morette se jeta dans Savone. A peine v
était-il que parurent devant le port dix-sept galères d'An-
dré Doria soutenues, du côté de terre, par 1 armée de Sini-
baldo Fieschi.
Devant la haine féroce que Gênes avait vouée à sa rivale,
jusqu'à prononcer contre elle le Delenda est Carthago f3),
un ordre très net de hasarder toute la flotte pour dégager
la place fut expédié à Barbesieux (4). Il devait appareiller en
toute diligence. Le corps d'armée de François de Bourbon,
comte de Saint-Pol, l'appuierait. Une douzaine dejours plus
tard, Saint-Pol, n ayant aucune nouvelle de son collègue,
lui écrivit pour le presser d'agir (5) . Et Barbesieux, un favori
qu'on avait comblé de dons pour lui donner du cœur (6 ,
eut cette réponse lamentable : "Il seroit impossible appro-
cher le port... Que ledit seigneur mande les gallères de
Yenize venir de Corfou se joindre à nostre armée (7). »
brigantin armés par le frère de Morette au roi. Marseille (B. N., Franc.
3096, fol. 4, orig. : Clairambault 328, fol. 374).
(1) Lettre de Morette à Montmorency. Marseille, 30 septembre (B. N.,
Clairambault 328, fol. 236).
(2) RcFFi, Histoire de Murseille.
(3) GrERR.\zzi, t. I, chap. Y.
(4) Le roi " me cscript nettement que je bazarde l'armée '> . Lettre de
Barbesieux. Lyon, 23 octobre (B. N., Clairambault 328, fol. 279).
(5) Lettre de Saint-Pol à Barbesieux. Valence, 18 octobre (B. N., Franc.
3045, fol. 9, orig ).
(6) On lui donna une pension pour ses services maritimes!! (Archives
nat., J 960', n. 22).
(7) Lettre de Barbesieux citée du 23 octobre.
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RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-Q UIiNT. 237
Pareille lâcheté porta ses fruits. Morette dut capituler le
21 octobre et la Garthage de Gênes fut détruite pour ne
plus se relever de trois siècles. Le port de Savone fut
comblé, les boulevards aplanis, les bastions de Pero Navarro
jetés bas. « Ainsi l'on coupe les nerfs d'une bête sau-
vage (1) . '»
Dans une suprême tentative, François I" avait essayé de
désarmer par la mansuétude ses " très chers et bien améz
les citoyens de sa bonne ville de Gennes » , en leur accor-
dant toute sûreté pour résider et trafiquer à Lyon (:2). Il
était trop tard. Le 28 octobre, c'était le Castellcto qui suc-
combait sous leur attaque. En vain, François de Bourbon
avait-il tenté de lui porter secours en s'avançant par la
montagne. Il n'avait pu aller au-delà des faubourgs de San-
Pier d'Arena. Et Trivulce sortait de la citadelle de Gênes
avec armes et bagages.
Une semaine plus tard, les Provençaux apprenaient avec
épouvante que Doria était sur leurs côtes, à telle enseigne
que les deux galions de Servien, une nef et une barge tom-
baient entre ses mains. Il avait enlevé la tour de Saint-
Tropez (3) ; le 7 novembre, Toulon se fortifiait hâtivement
à son approche (4). Ce qui mettait en danger les vaisseaux
en rade, c'était le défaut de canonniers à bord (5) . L'amiral
de Barbesicux eut l'ordre exprès d'y parer, en se portant à
la rencontre de l'ennemi (6). Il quitta donc Marseille à lu
tête de ses deux divisions navales, les dix-huit galères et
(i) Petit, André Doria, p. 126. — Compendio «/'Antonio Doru dalle
cose di sua notitia, p. 39.
(2) Ordonnance, peut-être aimplemcnt projetée, d'octobre 1528. Elle est.
en minute, dans B. N., Franc. 3096, fol. 133.
(3) Valbelle, B. N., Franc. 5072, fol. 127.
(4) Archives du Toulon, BB 46, fol. 259.
(5) Lettre de Claude Durre au roi. Ai.K, 26 août (B. N., Franc. 3045,
fol. 93).
(6) Lettre de François I" à l'amiral de Barbesieu.x. 27 novembre (B. N.,
Franc. 10406, fol. 87 v°).
238 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
brigantins du nouveau lieutenant-général des galères (1),
Saint-Blancard, et les voiliers du commandeur de
Moreltc (2).
A Antibes, il apprit que Doria s'était replié sur Ville-
franche, puis sur Gênes. Au lieu de le poursuivre, il jugea
plus prudent de réintégrer Marseille (3), au moment où les
capitaines Montjehan et Villecerccaux, dans un raid hardi
à travers la montagne, s'emparaient du palais Doria aux
portes mêmes de Gênes : Doria n'eut que le temps de se
sauver par une poterne de derrière (i).
La pusillanimité de Barbesieux dépassant les bornes per-
mises, même à un favori, il fut remplacé, à la tète de la
flotte provençale, par un amiral bien connu des marins du
Levant, La Fayette. Du fond de l'Italie, où il défendait,
avec l'appui d'une escadre vénitienne (5), Barletta, notre
dernière place, Renzo da Ceri mandait au grand maître les
nouvelles les plus alarmantes pour la sécurité de la Pro-
vence. Doria avait des intelligences à Saint-Honorat, Dra-
guignan « et quasi par tout le payS" , à Marseille et Toulon,
des pratiques étroites. Toulon était facile à enlever, Doria
feindrait une attaque contre un petit port et, l'attention
ainsi occupée, tomberait à l'improviste sur notre port
de guerre. Avoir pied en Provence et paralyser nos
mouvements, tel était le vœu de lempereur, tel était te
plan que Doria lui avait soumis à 1 entrée de 1 hiver (6).
(i) 10 octobre (B. N., Clairauihault 825, fol. 114 v").
(2) La flotte comprenait 13 galères, 1 fuste, 4 brigantins, la Grande-
Maîtresse, la Brave et autres voiliers (Valhei.le, fol. 128).
(3) Lettre de Morette à Montmorency. Caignes, 24 décembre (B. ?s.,
Clairambault 328, fol. 354).
(4) Lettre de Montjehan à Montmorency. Alexandrie, 24 décembre
(B. N., Clairambault 328, fol. 356).
(5) 2 galéasses, 50 barques et une batterie de douze pièces. Lettre de
l'évêque d'Avranches au roi. Venise, 13 octobre (B. N., Clairambault 328,
fol. 201).
(6) Lettre de Renzo au grand maître de Montmorency. Rome, 23 mars 1529
(B. N., Clairambault 329, fol. 84).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-Q CINT. 239
Or, le 5 avril 1529, Doria mouillait avec quatorze galères
aux îles de Marseille. Quatre galères, soutenues par les
batteries urbaines, sortirent hors du phare pour le canon-
ner. Le lendemain, Saint-Blancard allait renouveler
l'attaque à la tête de douze galères, une nef et un galion
•armés en hâte, quand, le malin venu, on n'aperçut plus les
ennemis; ils avaient dérapé au premier quart nocturne (1).
Un mois plus tard, l'amiral de La Fayette arrivait
prendre possession de son commandement (2). Son plus
grand souci fut de mettre Marseille et Toulon à l'abri d'un
coup de main : Marseille, par la construction de la tour
d'If, où les espi'its frondeurs mirent une nouvelle tour
Mauvoisine i'^), Toulon, par une revision soigneuse des
fortifications (4).
L'assaillant, que l'on redoutait, était Charles-Quint. Il
rassemblait à Palamos trente-quatre galères et quatre-vingts
vaisseaux de transport, onze mille fantassins et douze cents
cavaliers. Il allait en Italie recevoir du pape la couronne
impériale et l'investiture du royaume de Naples. Dès que la
flotte s'ébranla, le 28 juillet 152Î), le lieutenant royal en
Languedoc trembla de voir insulter nos rivages (5), l'amiral
de La Fayette se posta à la tête de son escadre pour sur-
veiller les mouvements de l'ennemi (6). Sur ces entrefaites,
l'un et l'autre apprirent que la paix venait d'être signée le
3 août, à Cambrai.
Avant de se résigner à la paix, François I" avait joué sa
dernière carte, lalliance anglaise, et il avait perdu. Il
(1) Vai.bei.le, fol. 130 v°.
(2) Il arrivait à Marseille le 9 mai (Valbelle, fol. 131 v°).
(3) Valbelle, ibidem.
(4) Lettre de La Favette aux Toulonnais. 24 juin 1529 (Archives de
Toulon, BB 46, fol. 284).
(5) Lettre de Pierre de Glermont au roi. 2 août (B. N., Nouv. acq.
franc;. 4965, fol. 63 v").
(6) Don fait en conséquence à La Fayette (Archives nat., J 962, n° 99).
240 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE
demandait à Henri VIII une coopération effective, l'appui
de sa diplomatie à Rome pour former une Ligue générale
contre l'empereur, l'envoi de six vaisseaux de guerre pour
opérer sur les côtes espagnoles, de concert avec quinze
grands bâtiments de notre vice-amiral : trente galères et
dix vaisseaux français agiraient simultanément dans la
Méditerranée (Ij. La réponse avait été : les véritables inté-
rêts de la France sont de conclure la paix, même à des
conditions désavantageuses; traitez ['2). Et François I''
avait traité, mais à quelles conditions! il abandonnait
l'Italie, rendait Asti, Barletta, ne conservant pas un mor-
ceau de terre, pas un allié dans la péninsule.
X
AU SERVICE DE L'EMPEREUR
Que dis-je? Il offrait à l'empereur et à Dona une satis-
faction d'un genre plus raffiné que la victoire, en mettant
à leurs ordres ses propres marins et le meilleur de sa
flotte, douze galères, quatre galions, quatre grandes
nefs (3). Charles-Quint, malgré 1 apparat de ses forces
navales, n'avait que trop besoin de notre concours contre
les Barbaresqvies. Il allait se voir enlever toute une divi-
sion, les huit galères de Portondo, par Chasse-Diable, lieu-
tenant de Barberousse (4) ; et ses troupes avaient déjà été
chassées de la forteresse du Penon de Yelez, d'où elles sur-
(1) Instructions données à Guillaume Du Bellay-Langey. Mars 1529
(BouRRiLLV, p. 66). — Décrue, Anne de Montmorency, p. 104.
(2) Instructions de Wolsey à Gardiner, etc. 6 avril (Bourrilly, p. 69).
(S) Aux termes du traité de Cambrai.
(4j Près de l'ile de Formcnlera aux Baléares, le 25 octobre 1529 (il/emor.
hist. esp., t. VI, p. 50'().
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 241
veillaient les corsaires algériens (1). Tout retard dans la
répression des pirates barbaresques eût compromis les
communications de l'Espagne avec 1 Italie. Doria fut
chargé d'y mettre ordre, au moment où Chasse-Diable et
Barberousse, qui à Cherchell, qui à Alger, apprêtaient une
e.vpédition contre Cadix.
Il quitta Gênes au mois de mai 1530 avec une flotte
franco-impériale de vingt-neuf galères : treize d'entre elles
lui avaient été consignées par Saint-Blancard {"2). Sur l'avis
que Chasse-Diable s'était replié des Baléares sur l'Afrique,
il fondit à l'improviste sur Cherchell, brûla neuf galiotes
et délivra sept cents chrétiens enfermés dans les cachots
souterrains. Mais les trois compagnies de Giorgio Palla-
vicini, surprises dans la débandade du pillage par la gar-
nison du fort et par les Arabes de la plaine, laissèrent aux
mains de l'ennemi leur chef, quatre-vingts prisonniers et de
nombreux tués et blessés (3).
C'était en définitive un échec, et Doria n'entendait point
finir là-dessus la campagne. Doublant donc sa flotte à Ali-
cante, il revint provoquer Barberousse à la tête de soixante
voiles latines et douze vaisseaux ronds f-4). Mais le corsaire
ne répondit point à son défi, et Alger était une position
trop formidable pour être enlevée d'assaut. Force fat donc
de retourner ù Gènes. C'est là que Saint-Blancard ctYilliers
le Jeune vinrent reprendre livraison de nos galères, mais
en quel état! Si a fraquassées » qu'il était presque impos-
(i) Défendu par Diego de Vargas, la forteresse fut enlevée par Barbe-
rousse le 21 mai 1529 (F. Duro, Armada espanola, t. I, p 158).
(2) Valbelle, fol. 135 v", 136, 140. — P. Jove, trad. Sauvage (1570),
t. II, p. 104 : il donne à Chasse-Diable le nom de Halicot et le dit origi-
naire de Caramanic.
(3) Letire de Claude Durre, contenant les détails transmis par un de nos
marins, Érasme Galyen, 22 juin (B. N., Franc. 3096, fol. 20) — SiGOSitJS,
lib. II, cap. VII.
(4) Lettre de Saint-Blancard. qui tenait ces renseignements d'un galion
arrivé d'Afrique. Lyon, 17 août (B. N., Franc. 3007, fol. 77)
III. 16
242 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
sible de les radouber et si dénuées de vivres que notre
pénéral des galères dut engager sa vaisselle pour donner
du pain aux équipages (1).
(i) Valbelle, fol. 140 : Saint-BIancard partit le 25 septembre de Mar-
seille. C'est à l'année 1530 et non à 1525 que se rapporte la lettre de Saint-
Blancard du 18 octobre, publiée par Champollion-Figeac, Captivité de
François I", p. 381.
ANGO
LA LIBERTÉ DES MERS
En présence crévénements lourds de menaces pour notre
avenir, expansion coloniale de nos voisins, partage du
Nouveau Monde et monopole commercial que nos rivaux
s'attribuent aux Indes, si vous cherchez en France une
idée directrice en fait de politique maritime, n'allez pas à
la cour de François l", mais à Dieppe. Là, est un homme
d'une rare initiative, le chef ou l'inspirateur d'une pléiade
de gens de mer énergiques et instruits, qui, de ses deniers,
armera des escadres pour couvrir notre littoral en danger,
enlèvera aux Espagnols les trésors accumulés au Mexique
par les rois aztèques, et, revendiquant avec opiniâtreté la
liberté des mers, cherchera par quatre routes différentes le
chemin des Moluques, d'où les Portugais voulaient n<^us
évincer. Une légende, bien voisine de l'histoire, lui prête
des proportions fantastiques. Pour soutenir l'honneur du
pavillon outragé, il aurait organisé avec ses seuls vaisseaux
le blocus de Lisbonne et forcé le roi de Portugal, qui
s'était montré d'une rare arrogance vis-à-vis de François I",
à faire des excuses à un simple Français.
Ce grand homme s'appelait Jean Ango (1). De taille
(1) Sur Ango, voyez : Paul Gaffabel, Jean Ango, dans le Bulletin de la
Société normande de géographie, t. XI (1889), p. 172-191, 234-267,
244 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
moyenne, barbe et cheveux blonds, joues vermeilles, nez
aquilin, front haut et tête grosse (1), Ango l'armateur était
un vrai Protée. Grènetier et contrôleur du magasin à sel,
conseiller du corps de ville, receveur du temporel pour
l'archevêqvie de Rouen, vicomte et capitaine de Dieppe au
nom du roi, lieutenant de l'amiral de France (2), agent
civil, municipal, ecclésiastique, militaire et maritime à la
fois, il résumait en sa personne presque toute l'adminis-
tration du temps.
LA RENAISSANCE FLORENTINE A DIEPPE
Grand seigneur avec cela, il s'était fait construire près
des quais un hôtel aux boiseries scvilptées et dorées, orné
de bas-reliefs et garni de terrasses à l'italienne, d'où la
vue embrassait d un côté la rade, de l'autre la vallée jus-
qu'au château d'Arqués. Il l'avait appelé la Pensée, en sou-
venir peut-être d un navire de son père, le premier navire
français qui ait abordé dans l'Amérique du nord (3). Et
297-315. — Alexis Martin, Jea)i Ango, armaleur dicppnis. Paris, 1884,
iii-8". — MAncRY, les navigations françaises du xiv'' au xvT' siècle. Paris,
1867, in-8°. — Eugène Guémn, Ancjo et ses pilotes. Paris, 1901, in-S". —
Fernando Paliia, .4 carta de mai'ca de Joâo Ango. Lisboa, 1882, in-8" :
trad. par R. Francisque-Michel, La lettre de marque de Jean Ango, dans
le Bull, de la Soc. normande de géographie (1889), p. 31i-5-381.
(1) D'après un tableau qui existait, en 1760 encore, au manoir de Varen-
geville (GuiBERT, Mémoires pour servir à l'histoire de la ville de Dieppe,
t. I, p. 40).
(2) Receveur de la vicomte de Dieppe en 1512, vicomte en 1521, con-
seiller de ville en 1527, capitaine en 1534 et lieutenant de l'amiral en 1536
au plus tard, Ango était encoi'e seigneur de la Rivière à Offranville, de Ger-
ponville, etc. (A. Hellot, Jean Ango et sa famille, d'après de nouveaux
documents. Publié dans VEclaireur de Dieppe. Mai 1890. Et Dieppe,
A. Dely, pièce in-8°).
(3) En 1508 (Ramusio, Raccolta délie navigazioui e viaggi. Venise,
LA LIBERTÉ DES MERS. 245
cette demeure princière méritait son nom : elle abritait
une intelligence aussi éprise du beau, des arts et des
lettres que des plus hautes spéculations commerciales.
A quelques lieues de Dieppe, au village de Varengeville,
Ango avait élevé une maison de campagne sur un vaste
plateau. Excellent observatoire d'où l'on découvre, au delà
des bruvères et des ravins boisés, un immense horizon sur
les flots, le manoir existe encore, tandis que la Pensée a été
détruite par les Anglais lors du bombardement de 1694.
Avec ses mosaïques de grès et de silex, les médaillons de
ses frises, ses fresques et sa loggia, le manoir de Varenge-
ville donne l'illusion, sous le ciel gris de Normandie, d'un
palais florentin.
Dès qu'on en franchissait le seuil et qu'on entrait dans
une galerie à arcades dont la forme et le sujet même des
fresques rappelaient les Loges de Raphaél, l'illusion aug-
mentait encore (1). Autour du riche armateur, se pres-
saient, artistes, pilotes ou marchands, des compatriotes de
Dante, que des révolutions intestines avaient chassés de
leur patrie. Tandis que deux nobles florentins, dont les
noms avaient été illustrés par un saint (2) et par un gonfa-
lonier assez ferme pour refuser d'adhérer à une ligue
contre la France (3), Corsini et Soderini, s'établissaient
comme capitaines de galions à La Rochelle (4), d'autres
1606, in-4", t. III, p. 433.) — Cf. la description de la maison d'Ango dans
ViTET, Histoire de Dieppe, t. II, p. 419.
(1) On trouvera une vue de ce manoir dans GuÉxin (p. 2) et une des-
cription des fresques dans la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes (t. XIX,
p. 110).
(2) Corsini, au xiV^ siècle.
(3) Soderini, en 1512. — C'est à lui qu'Améric Vespuce adressait,
en 1504, le récit de son voyage transatlantique (Baxdini, Vita e lettere di
Atneriqo Vespiicci. Firenze, 1745, in-4", p. 25).
(4) «Sires Françoys de Soderine et Thomas Coursun, cappitaines de gallyon,
<le Saint-Jehan de Florence, à présens demeurans à la Rochelle. » Acte du
25 avril 1548, passé à La Rochelle (Georges Musset, Historiens de la
Rochelle. La Rochelle, 1892, in-4", p. 22).
246 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
fuorusciti élisaient domicile à Dieppe et à Rouen : tels,
Giovanni et Girolamo Verrazzano, Alderotto Brunelleschi,
Pietro, Zanobi, Mario et Alessandro Rucellaï et trois petits-
neveux du célèbre — ou du prétendu — inspirateur de
Christophe Colomb, Toscanelli (I).
Brunelleschi! Quelle évocation de Florence dans ce seul
nom! C'est Sainte-Marie des Fleurs avec sa mosaïque de
marbre et sa coupole gigantesque, c'est le palais Pitti,
c'est aussi la citadelle de Pise, ce sont toutes les œuvres
de l'admirable architecte Filippo Brunelleschi, qui, des
ruines des thermes et des temples, avait ressuscité en les
rajeunissant les procédés de l'antiquité.
Et les Rucellaï! Petits-fils d'une Strozzi et neveux par
leur mère de Laurent le Magnifique, ils avaient suivi la
fortune des Médicis, que la popvdace avait expulsés pour
avoir montré trop de complaisance envers Charles VIII,
lors de l'invasion de l'Italie. L'un des Rucellaï, un poète,
devait trouver asile près de son cousin, le pape Léon X.
Les autres, établis banquiers et armateurs à Rouen sous le
nom francisé de Rousselay (2), furent de vrais mécènes pour
leurs compatriotes; ils gardaient dans leur cœur le sou-
venir de leur patrie et surtout de ce palais magnifique, de
ces jardins restés célèbres sous le nom d'Orti Oricellarii,
où l'ombre épaisse d'une végétation luxuriante abritait les
graves discussions de l'Académie platonicienne, au milieu
des statues et des stèles antiques (3). Et nous verrons quel
(1) Ces Toscanelli étaient établis négociants à Dieppe entre 1545 et
1549, avant la mort d'Ango (Uzielli, Toscanelli. Firenze, janvier 1893,
p. 39).
(2) Pietro Rucellaï ou Pierre de Rousselay, marchand de Rouen, cau-
tionne Giovanni Verrazzano, qui, à son tour, le 11 mai 1526, institue
Zanobis de Rousselay pour l'un de ses procureurs (GuÉnin, p. 77-78). —
Mario et Alessandro Rucellaï cautionnent Girolamo Fer, de Savone, qui
avait promis de radouber la Grande-Françoise, et, à son défaut, ils feront
achever le travail. 1535 (B. N., Franc. 15632, n» 668).
(3) L. Passebim, Genealogia e storia délia famiglia Rucellaï. Florence,
LA LIBERTE DES MERS. 247
tribut leur ami Verrazzano payera à ces souvenirs, dans la
nomenclature dont il se servira lors de son exploration des
côtes américaines.
Ainsi s épanouissait à Dieppe la Renaissance italienne.
Les capitaines et les pilotes d'Ango y prenaient largement
part, l'un d'eux surtout, le plus grand navigateur du temps,
qui se reposait de ses voyages et de la construction de
globes, de mappemondes et de cartes marines, en tradui-
sant Catalina. Dans sa dédicace à Ango, ce modeste savant,
Jean Parmentier, s'excusait d'avoir délaissé la rhétorique,
sans doute pour la poésie, car il remporta pendant dix
ans (1), aux Palinods de Rouen et aux Puys de l'Assomp-
tion de Dieppe, des chapeaux et des couronnes d'or,
seconds et premiers prix de ces concours poétiques (2),
auxquels Marot ne dédaignait pas de prendre part.
Aux mâles accents de sa Muse, vous jugerez combien
était solidement trempé le capitaine qui quittait ses jeunes
enfants pour affronter le climat meurtrier de l'océan
Indien :
Diray-je, avec Horace ou Juvénal,
Que aux Indes vavs pour fuir povreté !
Cest argument est faul.x et anormal.
Sur quel propos suis-je donc arresté
Quand j'av conceu voyage si pesant?
Comme Françoys qui premier entreprit
De parvenir à terre si lointaine ;
Tu l'entrepris à la gloire du roy
Pour faire honneur au pays et à toy(3).
1861, in-8". — L, PASSKRiKr, Degli orti Oricellarii. Florence, 1854, in-8".
— Marcotti, Un inercantc fwrentino e la sua famiglia nel secolo XV
(Giovanni Rucellai). Florence, 1881, in-8". — H. Hauvette, Un exile floren-
tin à la cour (le France an xvi" siècle. Luigi Alamanni. Paris, 1903, in-8°,
p. 13.
(1) Lauréat des palinods de Rouen en 1517, 1518 et 1527, il gagnait le
chapeau aux Puys de Dieppe en 1520 et la couronne en 1527 (Asseline,
Antiquités de la ville de Dieppe, t. I, p. 188).
(2) Ses poésies se trouvent à la B. N., dans le ms. Français 1528. —
L'Histoire Catilinaire a été imprimée en 1528. Paris, in-4''.
(3) GtJÉNiN, p. 122.
248 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Durant la traversée, Parmentier soutenait le moral de
ses marins en faisant appel aux sentiments les plus élevés
de la nature humaine. Son magnifique poème sur les mer-
veilles de Dieu et la dignité de Thomme (1) était, dans les
ombres grandissantes de la nuit des tropiques, comme une
prière, une invocation pieusement murmurée par le chef
de ces aventuriers dont plusieurs avaient déjà succombé
et gisaient, les uns dans la terre de Madagascar, dont ils
avaient ainsi les premiers pris éternelle possession; les
autres, un boulet aux pieds, dans les profondeurs des
océans (2).
Les marins d'Ango étaient pieux. Lui-même donnait
l'exemple. Sur les murs du manoir de Varengeville, on
déchiffre encore, au-dessous de la sphère qu'il avait choisie
pour emblème, la phrase du psalmiste dont il avait fait sa
devise : Spes mea, Deiis, a juventute mea (3) . Ancien con-
frère de la confrérie de la Charité à Ronfleur (4), il parta-
geait la dévotion des marins bretons à saint Yves de Tré-
guier, auquel il avait dédié une chapelle (5). On lui doit
aussi sans doute le curieux bas-relief de l'église Saint-
Jacques de Dieppe, où sont représentés, dans des scènes
d'une naïveté touchante, les sauvages des pays fréquentés
par ses vaisseaux (6). Un autre ex-voto du même genre
commémore, j'en suis persuadé, le plus beau coup de
main qui ait été exécuté sur mer par les corsaires d'Ango.
(1) Traité en forme d'exhortation contenant les merveilles de Dieu et la
dignité' de l'homme, publiée par Schefer, à la suite du Discours de la
navigation de Jean et Baoul Parmentier. Paris, 1883, in-8°.
(2) GuÉNiN, p. 125.
(3) FÉRET, Histoire des bains de Dieppe. Dieppe, 1856, in-8°, p. 101.
(4) Cf. supra, p. 131, n. 3.
(5) En 1535 (AssELisE, t. I, p. 112).
(6) Cf. la gravure dans GuÉnin, p. 169.
LA LIBERTE DES MERS. 249
II
LA CONQUÊTE DES TRÉSORS DU MEXIQUE
En 1523, Cortès envoyait en Espagne, comme primeur
de sa conquête, les richesses du palais de Guatimozin : des
masques en mosaïque de pierres fines, avec des oreilles
d'or et un râtelier d'ivoire, des joyaux, une fine émeraude
de la grandeur d'une paume, de la vaisselle d'or et d'ar-
gent où étaient gravées des figures d'animaux, des idoles
et des sarbacanes en métaux précieux, des mitres, des
ornements d'autel, une coulevrine tout en argent, des
vêtements en plumes si artistement travaillés que les
étoffes de soie et d'or pouvaient à peine leur être com-
parées; enfin, des milliers de larges plaques d'or en forme
de disques (Ij.
Ces trésors partirent de la Vera-Cruz sur l'escadre de
Mendoza, sous la garde des meilleurs lieutenants de Cortès :
Alonso d'Avila et Antonio de Quinones. Il y avait, à bord,
des jaguars. Une nuit que la cage s'était entrouverte, un
des jaguars s'échappa et se rua sur l'équipage espagnol,
tuant ou blessant dix hommes. Après s'en être débarrassés,
les matelots lardèrent de dards son compagnon, de peur
d'une nouvelle attaque. Décimé par cet accident, l'équi-
page espagnol, en arrivant aux Açores, se trouva tout à
coup en présence du capitaine de la flotte d'Ango; Jean
Fleury barrait la route à la tête de trois nefs et cinq galions,
dont le bâtiment amiral, le Dieppe, était de trois cents ton-
neaux. Outre ses équipages, Fleury avait deux cents
(1) Lettre de Valladolid, 10 juillet 1523 (Sanuto, Diarii, t. XXXIV,
col. 188 v°). — Herreba, 3° décade, liv. III. — Lettres de Fernand
Cortès à Charles-Quint, trad. D. Charnay. Paris, 1896, in-S", p. 227.
250 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
hommes de la garnison de Fontarabic (Ij. Il ne perdit plus
de vue ses adversaires, qui s'étaient réfugiés à Tile Sainte-
Marie; et quand les trois caravelles de Domingo Alonso
vinrent d Espagne pour sauver les trésors du Mexique,
leur livra une poursuite acharnée. Rejointes à quelques
lieues du cap Saint-Vincent, presque en vue du port de
salut, deux d'entre elles succombèrent après un sanglant
combat, laissant tomber entre les mains du vainqueur le
rapport de la conquête du Mexique et les émissaires de
Cortès, l'un d'eux, Quinones, mortellement atteint {'2).
L'affaire eut un retentissement considérable; l'empereur
attacha une telle importance aux riches « accoustremens
de plumes venuz des Indes » , éventails de plumes montés
en or, heaumes à plumets à tête diabolique, corsets et
manteaux d apparat, souliers cousus d'or, qu'il en fit pré-
sent à la gouvernante des Pays-Bas, Marguerite d'Au-
triche (3), laquelle en rétrocéda au duc de Lorraine.
Dans 1 église de Yillequier, en Normandie, un superbe
vitrail, daté de l'année même de ce drame, 1523, repré-
sente le combat naval d'un grand vaisseau, orné, en proue,
d'une salamandre et, sur les bordages, de pavois fleurde-
lisés, contre deux navires impériaux plus petits. Ce magni-
fique ex-voto de modestes mariniers, dont les noms sont
consignés au bas du vitrail (41, laisse supposer que leur
(1) Liste de la Hotte de Fleury, d'après un document de 1523 (H. C.
MuRPHY, The voyage of Verrazzano. New-York, 1875, in-8", p. 165. —
Gaffarel, Jean Flewy, dans le Bulletin de la Société normande de géo-
graphie (1902). p. 182).
(2) Lettre d' Alonso d'Avila, prisonnier. La Rochelle, 17 juin 1523
(Ramusio, Raccolta délie navigazioni e viaggi, t. lU, p. 294). — P. Martyr
d'Anghiera, Opiis epistolaruni, éd. 1530, cp. 778, 782. — F. Dcro,
t. I, p. 202. — Raccolta di docnmenti e stiidi pubblicali dalla R. Com-
missionc Colombiana. Roma, 1892, in-4°, part. III, vol. II, p. 68).
(3) Le 20 août 1523, à Bruxelles (B. N., Collection des V^ Colbert 128,
fol. L : publié par H. Micuelant, Compte rendu de la commission royale
d'histoire (Bruxelles), 3"^ série, t. XII (1870), p. 5).
(4). '< Jehan Busquet, dit Deleau, marinier..., Jacques Ruault, Robert
m^''
^m^B h4Ê^u hM^b
^IKniiilS^K
-v:^.^.^^ -"m-' ^¥.H^y
VERRIÈRE UE VILLEQUIER (1523'
LA LIBERTE DES MERS. 251
part de prises avait été considérable, et pour moi, le
vitrail représente la conquête des trésors du Mexique. De
l'autre côté de la Seine, presque en face de Villequier,
l'église de Vattevillc contient un autre ex-voto d'un des
heureux corsaires. C'est encore une verrière, sur laquelle
est peint le vaisseau la Romaine^ commandé par Billes (1),
lieutenant et compalriote de Jean Fleurv. Car Fleury était
de Vatteville et, dans le courant du xvr siècle, ses descen-
dants et ses parents y soutinrent dignement, comme capi-
taines de navires, l'honneur du nom (2).
De toutes les escadres organisées ou partiellement équi-
pées par l'armateur Ango pour la défense du territoire, la
garde dupas de Calais, les communicationsavecrÉcosse (3),
l'escorte des terreneuviers ou des convois de Brouage, la
flotte de Jean Fleury eut le rôle le plus brillant. Depuis que
la guerre avait éclaté avec 1 Espagne, Fleury se tenait en
embuscade avec Michel Féré, Silvestre Billes, capitaine de
la Romaine, Jean Fain, capitaine de la Marie de Dieppe,
Guyon d'Estimauville et Cardin d'Esqueville-Bléville, capi-
taines de la Fleur-de-Lis et de la Cigogne (4), Nicolas de
Croismarc (5) et autres Normands, aux abords de Cadix, des
Canaries ou des Açores, sur la route des riches galions des
Indes. En 1522, il en avait enlevé sept, dont l'escadre de
Manrique, dépêchée à sa poursuite, n'avait pu reprendre
Busquet et Jehan Breton le Jeune » (Abbé Cochet, Les Eglises de iar-
rondissement d'Yvetot. Paris. 1852, in-8", p. 91).
(1) 1521 (Abbé Cochet, p. 135).
(2) GdÉnin, p. 18, note 5.
(3) Cf. le chapitre ci-dessus : « La patrie en danger » . Dès 1521, c'était
Ango qui organisait le passage du duc d'Albany en Ecosse (B. N., Clairam-
bault 30, p. 5231 : publié par E. de Fréville, Mémoire sur le commerce
maritime de Rouen, t. II, p. 428).
(4) Qui capturèrent, en 1522, plusieurs bâtiments (Gosselin, Docu-
ments authentiques et inédits pour servir à l'histoire de la marine nor-
mande, p. 74).
(5) Nicolas « de Croismare, estant soubz la charge du cappitaine Jehan
Fleury » (Archives du Havre, EE 85)
2yî HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
que deux, après un vif combat à la hautevir dvi cap Saint-
Vincent (l).
On peut juger de Timportance de ces prises par ce fait
qu'une seule d'entre elles contenait cinq grands quintaux
d'or fin, deux quintaux de perles, trois coffres pleins de
lingots d'or, sans compter six ou sept livres d'or par matelot,
des cuirs de boeufs sauvages, des « casses de fistures et
autres singulières marchandises (2) » : n'oublions point les
cartes des navires espagnols, dont nos corsaires enten-
daient se servir pour se familiariser avec la navigation des
Antilles. Mais à peine le capitaine Jean Fain, commandant
la Marie de Dieppe, avait-il fait cette riche capture qu'il fut
investi par quatre « arbatroisses " de course portugaises et
capturé lui-même.
C'était une inique violation de neutralité. Mais les Por-
tugais n'en avaient cure. « Qu'on pende tous les Français ! »
criait le peuple de Lisbonne sur le passage des prisonniers,
qu'on emmenait vers les prisons, la corde au cou et des
entraves aux jambes. « Qu'on les pende! » ordonna le roi
Joâo. Il se passa à ce moment un fait extraordinaire, dont
un de nos marchands fut témoin : » Ungviel baron d'icelluy
pays se meist à genoulx devant le Roy son maistre : lequel
dist qu'ilz n'avoient deser^^- la mort : ilz n'avoient prinz
riens qui appartinst aux Portugalloys. Alors, ledit Roy
commanda l'exécution desdits Françoys estre différée. »
Un supplice plus cruel encore leur était réservé : les pri-
sonniers seraient morts de faim, si le brave Thomas Durant,
de Rouen, jusqu'à l'heure de son départ, jusqu'au dimanche
des Rameaux de l'an 1522, ne leur avait « donné à boire,
(1) P. Martyr d'Anghiera, Opus epistolarum, ep. 771. — F. Duro, t, I,
p. 422.
(2) Lettres de marque délivrées en conséquence par l'amiral de Bonni-
vet. Paris, 3 septembre 1522 (B. N., Moreau 736 : publie par E. de Fré-
viLLE, Mémoire sur le commerce de Rouen, t. I, p. 430. — P. Martyr,
epistolae 771, 774).
LA LIBERTE DES MERS. 253
et à manger en faveur de charité (1). » L'intrusion des Por-
tugais dans notre guerre de course les exposa à de terribles
représailles, d'autant qu'ils eurent le malheur d'arrêter dans
les mêmes conditions un vaisseau armé conjointement par
l'amiral et le vice-amiral de France, le Christophe (2). De
tous ces méfaits, Jean Fleury se chargea de tirer vengeance :
c'est par les doléances portugaises, que nous connaissons ses
multiples croisières sur les côtes d'Afrique et d'Espagne (3) ,
où il acquit tant de renommée que François I" ne dédai-
gnait point de correspondre directement avec lui (4).
En 15:26, Fleury, venu renforcer la flotte du Levant,
hiverna en Provence pour espalmcr sa nef, prêtant même,
durant sa relâche, toute son artillerie au lieutenant-général
Navarro. Au printemps de 1527, il reprit le commande-
ment de la flotte de guerre d'Ango. Mais à son embuscade
habituelle du cap Saint-Vincent, il commit la faute de
disperser ses cinq vaisseaux, dans l'ignorance que deux
escadres étaient acharnées à sa poursuite. Surpris par six
navires basques du vieux capitaine Martin Pérez de Irizar,
il ouvrit sur eux, de ses vingt pièces de canon (5), un feu
(1) Déposition de Tliomas Durant, maître d'une nef de lloucn, etde Sal-
daijjne, devant le vice-amiral Du Chiliou. Honfleur, 6 mai 1522 (Archives
du Havre, EE 83). — Sur les " arbatroisses » , voyez Jal, Glossaire nautique,
art. Albetoca.
(2) Parti en août 1522 de Honfleur sous le commandement du capitaine
Gilles Desfossés, le Christophe avait fait des prises sur les Anglais et les
Espagnols pour cinquante mille écus d'or, quand il fut pris par les Portu-
gais. Réclamation d'indemnité formulée par Guyon Le Roy. IV juillet 1527
(Archives du Havre, EE 83).
(3) Enquête portugaise publiée par Gukmx. — Cf. P. G-vifirel, Jean
Fleury, dans le Bulletin de la Société normande de georjraphie. Rouen,
1902, in-8", p 182. — Le 2 mai 1525, à Roscoff, JXicolas de Croismare,
étant sous la charge du capitaine Jean Fleury, dépose que Elcury a capturé
par le travers de Cadix le navire génois Jean-Baptiste et qu'il est chargé de
le vendre (Archives du Havre, EE 85).
(4) Lettres de François I''. 26 septembre et 20 octobre 1526 (B. N., Clai-
rambault 1225, fol. 141, 143).
(5) Etat de la flotte de Fleury (Murpiiy, The voyage of Verrazzano,
p. 165).
254 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
terrible, qui troua leurs voiles, hacha leurs gailUards et
emporta quatre-vingt-sept hommes. Mais, accablé par le
nombre, de ses trois cents hommes la moitié étant hors de
combat, Jean Fleury se rendit avec ses lieutenants, un
docteur en décret de la Faculté de Paris nommé de La
Sale, un écuver tourangeau, un gentilhomme vénitien (1)
et ses officiers mariniers, tous originaires de Ronfleur (2).
Il savait si bien le prix qu'on attachait à sa capture
qu il offrit trente mille ducats pour sa rançon. Sur ces
entrefaites, le chef d'escadre portugais Pero Botelho, éga-
lement lancé à sa poursuite et déjà maître de la nef Chris-
tophe (3), arriva et offrit de racheter dix mille ducats le
fameux capitaine. Les Basques résistèrent à la tentation
et, partageant leurs maigres vivres avec les prisonniers,
allèrent vers Charles-Quint. L'empereur n'avait pas par-
donné la capture du trésor des Aztèques : il eut la jouis-
sance de faire supplicier le redoutable corsaire, le 13 oc-
tobre 1527, à Golmenar de Arenas, près de Tolède, tandis
qu'il donnait comme blason au vainqueur le pavillon de
son prisonnier i 4). Billes, le lieutenant de Fleury, échappa,
car il fut anoltli plus tard pour ses services à la mer (5).
Ango avait triomphé trop tôt. L'année même, sur un
thème fourni par Parmentier et qui était une pièce de
théâtre ou moralité, intitulée les Biens^ avait défilé, sous
les veux émerveillés d'une foule accourue à Dieppe de
(1) " Musiiir de T^a Sala; Musiur Juan de Monsicris, nalural de Tureno ;
Musiur de Londo, natural de Vinecia; musiur de Lane ; musiur Vipar,
natural de Drumar; musiur Fasan ». T^ettre du licencié Giles à Charles-
Quinl publiée par GrÉxiN, p. 244, et dans la Bciccolta... Colombiaua,
Farte V, vol. II, p. 246.
(2) " Jehan Bon, Michel d'Estrehan, Guillot Avisse, Kobcrt Ilélyot,
Ilohin Le Bride, INicolas Le Gascon et Robin Sanson « . Lettre de Fran-
çois I" réclamant leur liberté, 25 avril 1531 (Archives nat., K 1483, n" 73).
(3) Archives du Havre, EE 83.
(4) Gtjésis, p. 245. — F. Duro, t. I, p. 206. — D'Andrada, Cronica do
dom Joâo o III. Lisboa, 1613, p. l, c. m.
(5) Juillet 1540 (Arch. nat.. JJ 254, n" 443).
LA LIBERTE DES MERS. 255
Paris, d'Ahbeville et de plus loin encore, une partie du
butin d'Ango (1). Les Vertus étaient en robes de soie
bordées de pelleteries, Samson en tunique d'argent, Tubal
avec la simarre d'un mandarin chinois, Hercule sous une
peau de lion en soie jaune; Alexandre le Grand, vêtu de
velours cramoisi, galonné d'or, était porté sur un drap d'or
par huit nègres, sous un dais en plumasseries indiennes;
son trône était fait de lames d'or massives taillées en forme
de serpents. Caparaçons et housses des chevaux, livrée des
laquais, tout se trouvait à l'avenant, en velours, en satin,
en draps de soie et d'or.
III
A LA RECHERCHE DES INDES DU CATMAY. — VERRAZZANO
Par ce déploiement de richesses inouïes qui rappelait le
faste royal du camp du Drap d'Or, on se rend compte de la
révolution économique que la découverte du Nouveau
Monde était en voie d'amener dans les conditions de la vie.
u Auparavant, disait le maréchal de Tavannes, le vin estoit
à un liard la pinte, la journée de trois sols; maintenant, la
despense est dix fois doublée. Pour v pourveoir, falloit
acquérir la supériorité de la mer et prendre sa part des
Indes par force, ou défendre l'or et faire monnoye de fer
au moulin, telle qu'elle ne se pût imiter et traHqucr par
eschange. Le fer vainc l'or (2). d
Le fer vainc l'or, certes, mais de tout autre façon : les
corsaires d'Ango avaient montré comment. Quant à prendre
leur part des Indes, les armateurs normands y rêvaient.
(i) ASSELIXE, t. I, p. 22V : GuÉMX, p. 113.
(2) Tavannes, Mémoires, dans la collection Michaud et Poujoulat,
l'"^ série, t. VIII, p. 82.
25G HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Quatre routes, croyait-on, conduisaient aux îles des épices :
les unes par le cap de Bonne-Espérance et le détroit de
Magellan, les autres par le nord de l'Europe et de l'Asie,
par le nord du continent nouveau (1). Elles furent toutes
tentées par les pilotes d'Ango.
L'idée de se rendre en Chine par l'océan boréal agitait
déjà bien des esprits (2), tels que le Vénitien Cabot, le
découvreur du Labrador, qui comptait dans l'entourage
d'Ango plusieurs compatriotes. Nous savons, par l'auteur
de Pantagruel^ que le pilote Jamet Brayer, — pseudonyme
de Jacques Cartier, dont le père s'appelait Jamet, — s'ins-
pira d'un homme atteint de la manie des voyages (Xéno-
manes), quand il songea à contourner le pôle, » l'aisseuil
septentrional, » au lieu de franchir, comme les Portugais,
" la ceinture ardente » de la terre (3). Et si un écrivain
récent, versé dans les questions rabelaisiennes, n'avait
démontré de façon péremptoire que " le traverseur des
voies périlleuses " était Jean Alfonse de Saintonge (4), on
eût été tenté d'identifier Xénomanes avec un explorateur
célèbre qui eut des rapports avec Ango, Giovanni Verraz-
zano.
Sur la patrie de Verrazzano, on n'a jamais élevé le
moindre doute. C'était un gentilhomme florentin. Mais
plus d'un historien (5) l'a confondu avec un autre capi-
(1) « Tlie booke made by the right worshipful Master llobert Thorne, in
tbe yeerc 1527, in Sivill, to D"^ Lev, lord ambassadeur for king Henri the
Eight » (Richard Harluyt, Divers voyages touching the discovery of Aine-
rica. London, 1850, in-8", p. 33 : works issued by the Hakluyt Society).
(2) Sophus RuGE, Geschichte des Zeitalters der Entdeckunqen. Berlin,
1881, in-8", p. 499.
(3) Rabelais, Pantagruel, liv. IV, chap. 1.
(4) Abel liEFRAXC, Les navigations de Pantagruel. Etude sur la géogra-
phie rabelaisienne . Paris, 1905, in-8°, p. 73.
(5) H. C. MunpuY, The voyage of Verrazzano : A chapter in the early
history of maritime discovery in America. New-York, 1875, in-8°. —
L. Hugues, Giovanni Verrazzano, dans la Raccolla di docunienti e studi
vubblicati dalla R. Comniissione Colonibiana, Parte V, vol. II, p. 222. —
LA LIBKRTK DES :MERS. 257
taine d'Ango, avec Fleury, appelé dans les textes espagnols
Florin ; Florin n'aurait été qu'une épithcte, synonyme de
Florentin ; prénoms identiques, carrière analogue, même
armateur, disparition ou mort vers la même époque, tout
aidait si bien à la confusion qu'il a fallu une critique très
serrée (1) pour démontrer que le toscan Giovanni Ver-
razzano n'avait rien de commun avec le normand Jean
Fleury, des environs du Havre.
Plus que tous autres, les Italiens, ruinés par le dépla-
cement de l'axe commercial du monde, qui abandonnait le
bassin de la Méditerranée depuis les récentes découvertes,
cherchaient, en gens avisés, à évincer leurs rivaux. L'un
d'eux, le génois Paolo Centurione, avait imaginé une voie
commerciale plus courte que le périple africain pour
amener en Europe les épices de l'Inde : l'Indus, la Cas-
pienne et le Volga, Moscou et Riga sur la Baltique. Le
grand-duc de Moscovie, Vasili IV, auquel il avait été
soumettre son plan (2), n'y donna point de suite. — De
ces Centurione, on ne saurait trop admirer l'audacieuse
initiative; un hasard les mit en relations avec Verrazzano.
Gaspar Centurione allait aux Indes recueillir la succes-
sion de son frère Matteo, avec un matériel complet de raf-
fineur, briques pour le moulin à sucre, engins pour l'affi-
nage, formes pour couler le sucre, fil pour le lier, et jus-
qu'à des barils de clous pour les caisses d'emballage. Sur
Desimoxi, Giovanni Verrazzano, dans les Atti délia Socielà lifjurc di slo-
ria patria, t. XV (1881), p. 52.
(1) P. Peragallo, Intorno alla supposta identita di Giovanni Verrazzano
col corsare francese Giovanni Florin, dans les Meniorie délia Socictà geo-
grafica italiana, t. VII (1897), part. I, p. 165. — G. Gravier, Les voyages ,
de Giovanni Verrazzano sur les côtes d'Amérique en 1524-1 528 . llouen,
1898, in-8 , p. 20-24. — P. Gaffarel, Jean Fleury, dans le Bull, de la
Soc. normande de geogr. (1902).
(2) Du temps du pape Léon X (Bergeron, Traite' des Tartares
(1634), p. 178 : d'après la Moscovia Pauli Jovii, publiée en appendice de
la Descriptio Britanniac, Scotiae, Hyberniae et Orchadum. Venetiis, 1548,
in-4°).
m. 17
258 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
ces entrefaites, la guerre contre Gênes éclata : la barge du
vice-amiral Du Chillou rencontra le Saint-Antoine dePadoiie
qui fut amené au Havre et confisqué. Le Parlement donna
tort au vice-amiral, et Centurione, relâché le 27 mars 1523,
ne profita de sa liberté qvie pour devenir bourgeois de
Rouen et mander près de lui ses neveux Vicenzo et Giro-
lamo di Negro (1).
C'était le moment où Giovanni Verrazzano organisait à
Rouen son voyage de découverte vers " les Indes en Ca-
thaye, " où l'annonce de l'expédition provoquait, parmi
ses compatriotes établis en France, un vif émoi. L'initia-
tive n'en revenait point à Ango, comme on l'a pensé, non
plus qu'aux armateurs normands.
Il est une ville de France, une ville continentale poux'-
tant, qui a toujours su s'intéresser à nos expéditions colo-
niales. C'est Lyon. L'industrie de la soie lui a donné la
préoccupation constante des affaires d'Extréme-Oricnt. Et
de même que, de nos jours, un syndicat lyonnais organi-
sait un vovage d'étudçs industrielles et commerciales en
Gbinc, de même en 1523, ce fut un syndicat lyonnais de
commerçants en soieries qui fournit à Verrazzano les
moyens de gagner le Cathay. Les premiers bailleurs de
fonds furent des banquiers florcnlins de Lyon, Guilclmo
Nazy, Roberto Albizzi (2), Giuliano Buonaccorsi, Antonio
Gondi, plus tard receveur à Lyon de l'impôt sur les draps
de soie (3), et Tomassino Guadagni, banquier riche de
trois cent mille écus, dont le crédit était proverbial (4), à
(1) GossELiK, Documents... sur lu marine noi-mande, p. 37, 77. — Il
n'est pas inutile de rappeler que d'autres Génois, les Adorno, s'étaient
établis planteurs de cannes à sucre à Baliia et Saint-Vincent au Brésil
(SouTHEY, llistory of Brasil, t. I, p. 182, 287).
(2) « Robert Albisse, nicrchant demeurant à Lyon, » avança des fonds
pour la rançon du duc de Lontjueville. Quittance du 2 juillet 1516 (B. N.,
Nouv. acq. franc. 7973, fol. 131).
(3) 1534 (Archives nat., J 961', p. 61).
(4) u Dedans Gennes, ung marchant forestier [forestirrc = (étranger],
LA LIRERTE DES MERS. 259
telle enseigne que Tannée précédente, c'était près de Gua-
dagni et de ses collègues que le roi avait contracté un em-
prunt pour subvenir à la défense du rovaume (Ij. De
Guadagni, une médaille frappée Tannée même de l'expédi-
tion de Verrazzano, représente les traits de profil, avec une
toque sur la tète et une l'obe à plis sur le corps ["2). Ni les
uns, ni les autres ne nous gardaient rancune de l'incarcé-
ration dont ils avaient été victimes en 15:21, à la suite de
la défection de leur compatriote, le pape Léon X (;i) :
tous avaient juré (4) que leur intention a cstoit de vivre
et mourir en la subgcction et protection dudit seigneur» le
roi (5). On leur avait accordé créance : et ils tinrent parole.
] Guadagni et cinq de ses collègues constitvièreut donc
avec Verrazzano lui syndicat d exploration, auquel s'adjoi-
gnirent, par contrats successifs, les Le Buaticr, beaux-frères
de Guadagni, dont Tun était receveur des droits payés pour
l'entrée des draps de soie à Lyon, Antoine de Martignv,
autre Lyonnais (6), et maître Cvpriano Relia, principal du
ayant crédit ooiiiuie ung banquier, nommé Thomas Gazaigne, estant riche
et ayant le crédit de troys cens mil escuz » ne saurait " trouver vingt cinq
ou trente mil escuz comptants sur sa lettre de change à usure » . 1525
(Sébastien Moreau, i« priiise et délivrance du roy, dans CiMnKR et Dasjoc,
Archives curieuses de l'histoire de France, 1™ série, II, p. 302).
(1) Lyon, 7 avril 1522 ; Guadagni prêta 22000 écus, Zanobi Bartulini,
25000, Lorenzo et Filippo Strozzi, 31000, les frères Albizzi, etc. (Archives
nat., J 964-, n. 31).
(2) Le comte DE CiiARPix-Fi;rGKROLLEs, Les Florentins à Ljon. Lvon,
1893, 8", p. 93.
(3) Qui avait conclu un traité d'alliance avec l'empereur le 8 mai 1521.
(4) Cf. les signatures de tous les changeurs llorentins établis à Lvon en
1521, en particulici- de Guadagni, Buonaccorsi, Nazv, Albizzi et Gondi (B.
]\., Franc. 2961, fol. 104).
(5) Requête du consul et des marchands florentins demeurant à Lvon.
Lyon, 15 juillet [1521] [Ihidem, fol. 103).
(6) Jehan Le Buatier, le receveur, participait à l'expédition pour 200 écus
d'or soleil, Françoys Le Buatier pour 300, Martigny pour 100, sauf à tou-
cher sur les prohts une u cotte part " proportionnelle à leurs mises de
« parsonnyer. 'i 23 mars 1523, n. st. ( l^ièce copiée par M. Ch. de Robil-
lard de Beaurepairc, au tabellionnage de llouenj.
260 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
collège des Lombards ù Paris (1). Parmi les volontaires,
s enrôla un Brunelleschi ["2). Nous ne savons rien d'autre
des préparatifs de Icxpédition, sauf que les agents portu-
gais cherchèrent à Tentravcr en fomentant des dissensions
parmi les équipages (3), et que Fun des commanditaires,
Giuliano Buonaccorsi, vint au Havre assister à 1 appareil-
lage en juin 1523. De Lyon également, d'autres Florentins,
exilés depuis leur conspiration conti'c Jules de Médicis,
Zanobi Buondelmonti, Luigi Alamanni et Giovambatista
délia Palla, étaient venus saluer les partants (4). " En
allant vers le Cathay, par l'est, l'explorateur avait promis à
François I" la découverte de royaumes différents des pays
rencontrés par les Portugais (5). «
Avec quatre vaisseaux, Yerrazzano tenta donc le pas-
sage du nord-est, par delà cette Moscovie dont Centu-
rione avait pu lui apprendre limmense étendue. A la suite
d'une violente tempête subie dans les mers boréales, il dut
fuir, chassé par l'ouragan et gagna avec deux bâtiments
seulement la Bretagne. Après s être refait, il courut les
cotes d'Espagne; puis laissant le navire d'Ango, la Nor-
mande, il continua son voyage avec un seul vaisseau et
cinquante hommes d équipage. La Dauphine était com-
mandée par le capitaine Antoine de Gonilans. Auteur d'un
(i) Contrat du 26 mars 1523 (tabellionnagc de Rouen).
(2) Lettre de Fernando Carli. Lyon, h août 1524 [Ruccolla di documenti
e studi publicati dalla R. Cominissionc Colombiaiia, Part. III, vol. II,
p. 343). — Cette lettre donne quelques détails sur le voyage de Verrazzano.
(3) Lettre de l'ambassadeur portugais .loào de Silveira. 25 avril 1523
[Raccolta... Colombiann, Part. V, vol. II, p. 224, 245).
(4) G. Gu.\STi, Docinucnti délia coiu/iiua falta contra il cardinale Gin-
lio de' Medici nel 1522, dans le Ginrnalc slorico de(]li archiri toscani,
Fircnze, 1859, 8", t. III, p. 122, 187, 203; à la date "du 28 juillet 1523,
Alamanni et Buondelmonti filaient de retour à Lvon, mais depuis peu
(p. 187).
(5) IjCttre de Carli, et Francisco d'Axdiiada, Cronica do muyto alto c
muyto podcroso Roy destes Reynos de Portugal D. Joào a III destc nome.
Lisboa, 1613. in-8\ Part. I, fol. 14.
LA LIBERTE DES MERS. 261
routier de la Manche (1) et d'un manuel pour la marine
de guerre (2), Conflans représentait l'ancienne marine,
où l'on ne connaissait guère, pour naviguer, que la bous-
sole. Il s'effaça devant Yerrazzano, cosmographe de la nou-
velle école, féru de Ptolcmée (3).
Le 17 janvier 1524, d'un rocher désert proche de Madère
où elle avait achevé son arrimage, (a Dauphine s'élançait à
travers l'Océan (4). Au bout de vingt-cinq jours, elle par-
venait en vue d'une côte basse, éclairée de feux innombra-
bles. C'étaient les feux de bivouac des sauvages. Des plages
de sable fin, coupées de collines boisées qui marquaient
des bras de mer, faisaient songer aux forêts criméennes.
Mais de terre, arrivait un souffle eml)aumé des parfums des
plantes innombrables de la végétation tropicale, au milieu
desquelles gazouillaient, comme dans une volière, une
multitude d'oiseaux d'espèces inconnues. Pays enchanteur,
éden de l'Occident, où les Espagnols avaient cru trouver la
fontaine de Jouvence et où ils pensaient voir sur le sol des
traînées d'or : c'était la Floride enfin, que Verrazzano
décrivait ainsi, la Floride découverte par Ponce de Léon,
en 1512, le jour de Pâques fleuries, d'oîi son nom.
La cote filait à l'ouest. Cent cinquante lieues plus loin,
la Dauphine pénétrait, par un grand fleuve bordé de col-
(i) Compose en 1522 (B. N.. Franc. 1748).
(2) <• I^es Faiz de la marine et navigaiges » (R. N., Franc. 742 : publié
par A. Jai., Docinnents iiiédils siii- l'histoire de la marine au xvi^ siècle.
Paris, 1842, in-S", p. 34 : extrait des Annales maritimes et coloniales).
(3) Contlans reçut ses gages de capitaine de la Dauphine à Dieppe le
26 décembre 1524 pour le premier semestre, qui correspondait à la durée
de l'expédition (R. N., Clairambault 154, p. 4015).
(4) La relation de Verrazzano, datée de Dieppe le 8 juillet 1524, était en
français. Il n'en existe plus que deux traductions italiennes, l'une dans
IVtMDSio (éd. 155G), t. III, p. 420, l'autre dans la lîaccolla... Colombiana,
Part. III, vol. II, p. 332, ou VArchivio storico italiano (1853), App. XXVIII.
— La relation a été publiée en anglais par Uicliard H.4kluyt, Divers
voyages touchincf the discovcry of America, éd. John Winter Jones. Lon-
don, 1850, in-8'', p. 55.
•262 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
lines, clans une région qui est maintenanl le New-Jersey.
Elle doubla une île d'une ressemblance frappante avec File
de Rbodes, qui fut appelée Louise en l'honneur de la mère
du roi. Dans une rade, le petit navire fut environné par une
vingtaine de canots de sauvages, Indiens d'une race superbe ;
leurs caciques avaient grand air, drapés dans leurs peaux
de cerf, et les femmes, par leur coiffure, rappelaient à
Verrazzano les modes féminines de l'Egypte et de la Syrie.
Il n'est guère possible de croire, — malgré l'affirmation
qu en donne un mémoire de la fin du xvr siècle (I), — que
Verrazzano laissa un fortin et quelques hommes à l'embou-
chure de la rivière de Norombègue : à peine pourrait-on
admettre qu'il planta le long de la côte, en guise de padrons,
des colonnes de marbres fleurdelisées. Ouant à retracer
son itinéraire d'après les vagues données de son récit;
quant à dire, comme la fait l'éditeur Wintcr Jones, qu'il
toucha successivement aux endroits aujourd'hui appelés
Charleslon, Long Bav, Raleigh Bav, Claudia Island, Narra-
gansct Bay, Portsmouth et Penobscot Bay, c'est à quoi on
ne peut songer.
Le 6 mai, la Dauphine avait remonté au nord, jusqu'à la
terre découverte par les Bretons. Parvenue au 50° de lati-
tude septentrionale, dans un archipel assez semblable aux
îles dalmates, elle tourna court et, les vivres touchant à
leur fin, vira de bord vers Dieppe. C'est de là que Ver-
razzano, le 8 juillet, adressait au roi le compte i-endu de
son voyage, mais en termes si vagues, avec des réminis-
cences si déplacées, qu'on a révoqué en doute la réalité de
son expédition (2) .
Fort heureusement, on en trouve une confirmation écla-
(1) E. N., Franc. 17329, fol. 454.
(2) MrnPHY, ouv. cité; etBccKixGiiAM 9>y\vsi\,An Jiiquiry into tlie aulhen-
ticity of documents concerninq n discovery in Norlh America, claimed to
hâve heen niade by Veirazano. New- York, 1864, in-4".
LA LIBERTE DES MERS. 263
tante, en même temps (ju'un précieux commentaire dans
une série de cartes italiennes dont Tune signée de son
frère Girolamo et datée de 1529, dit positivement de la
(i Gallia nova » qu'elle fut découverte cinq ans auparavant
par Verrazzano. Toutes ces cartes trahissent par leur
nomenclature la patrie d'origine et la patrie d'adoption
du découvreur : le long d'un littoral américain désigné
sous le nom de Francisca ou Nova Gallia, Yalle Umbrosa,
rAnnunziata, la Certosa évoquent les souvenirs de Flo-
rence, souvenirs si doux que le paradis terrestre du Nou-
veau Monde est encadré de San Miniato et de 1 Orto de
Rucelav. Ces noms alternent avec Diepa, Anaflor (Honfleur),
Longavilla, Anguileme, Normanvilla, de même que l'île
Luisa et Boniveto, du nom de la reine-mère et de l'amiral,
font pendant aux lies Baduaria et Armelines (1).
Les cartes Yerrazzaniennes portent des noms de saints,
dont lexamen nous amène à une singulière conclusion. Il
était d'usage de suivre le calendrier dans le baptême des
sinuosités de la côte : on imposait à tel point saillant le
parrainage du saint du jour. Gomme les caps de la côte
américaine, du sud au nord, sont dédiés à S. Maria,
S. Margarita (fêtée le 20 juillet), S. Lodovico (25 août),
S. Joani (29 août), S. Francesco (4- octobre), S. Georgi, il
y a lieu de se demander si ces cartes n'ont pas été dressées
lors d'un autre voyage de Verrazzano, accompli en été et
non au printemps (2).
(i) Cartes de Vesconte di Maggiolo (Gênes, 20 décembre 1527 : repro-
duite dans l'Atlas zu Kretsciimer, Entdeckunq Amerikas : herausgegeben
von der Gesellschaft fiir Erdkunde zu Berlin. 1882), de Girolamo Verrazzano
(1529), à la Propagande, d'Agnese (1536), — Globe d'Ulpius (1542), à la
société historique de New-York, — cartes ptoléméennes de Gastaldo (1548 et
1561), dans Ramusio, t. III (L. Hugues, dans la Raccolta... Colombiana,
Part. V, vol. II, p. 240). — Cf. sur celte question, l'important ouvrage de
Henry Harrisse, The discovery of North Ameiica. Paris, 1892, in-4",
p. 216, 539.
(2) La carte de Girolamo Verrazzano porte en outre : Vendomo, Navarro,
264- HISTOIRK DE LA MARINE FRANÇAISE.
Verrazzano, en effet, était loin de s'être laissé décourager
par son échec. Dans un post-scriptum annexé à sa lettre du
8 juillet 15124 et daté également du bord de la Dauphùie, il
se promettait, avec l'aide du roi, de renouveler sa tentative.
Des considérations cosmographiques qu'il y développait,
on peut conclure qu'il avait repris son projet primitif de
contourner la Norvège et la Russie, nommément citées, et
de parvenir en Chine par le nord-est (1).
Il n'eut point, cette fois, pour commanditaires les mar-
chands de soieries lyonnais, mais des commerçants qui
appartenaient aussi à des centres de foires, où affluaient
les marchands et les nouvelles du monde entier.
L'année même, en 1524, Alonce de Civille, vicomte de
Rouen, dont le nom seul était une sauvegarde pour nos
marchands contre les vexations portugaises (2), et Simon
le Gras, marchand de ïroyes en Champagne, équipaient
quatre navires «pour l'entreprinse d'un voiage en certaines
ysles incongneues es parties des Indes, soubcz la charge de
Jean Barrassone, auquel le roy avoit donné povoir et per-
mission de faire ledit voiage " . L'expédition allait appa-
reiller, lorsque survint de la Cour un contre-ordre : la
patrie était en danger, et c'est très vraisemblablement pour
cette raison que Jean Ango, tout occupé à défendre l'entrée
du pas de Calais, n'avait pas pris part aux armements;
l'ennemi rôdait le long des côtes picardes et normandes;
l'escadre de " Barrassonne " , — ai-jc besoin de dire qu'il
s'agit de Verrazzano? — fut arrêtée pour lui tenir tête (3).
Orlean, Tolonvilla (Tourlaville, dans la Manche), le figle de Navarra,
S. Germano (H. Harrisse, Discovery, p. 220).
(1) Raccolta... Colombiana, Part. III, vol. II, p. 341.
(2) Déposition de Thomas Durant. Ilondcur, 1522 (Archives du Havre,
EE 83).
(3) Payement aux deux armateurs de 10000 livres, complément des
20000 livres à eux promises pour les rembourser de leurs frais d'arme-
ment des quatre navires de « feu Jean Barrassonne. » Mai 1538 (Archives
nat., J 962'*, n. 36). — Cette créance de 20000 livres avait été tirée sur
LA LIBERTE DES MERS. 265
Dès que la paix avec rAnglelerre laissa quelque sécurité
à nos marins ponanlais, Ango patronna de nouveau l'ex-
plora teur. Il forma, avec Chabot, le nouvel amiral, Pietro
de Spinola on Despinollcs, d'une riche famille génoise, et
le général des finances de Normandie Prudhommc, aux-
quels s'adjoignit Adam Godefroy, bourgeois de Rouen, une
société en commandite au capital de vingt mille livres (1),
semblable à celle d'Alonce de Civille et de Simon le Gras :
l'expédition comprenait également quatre navires, deux
galions de l'amiral, une nef d'Ango, la barque de Fécamp de
Godefroy (2). Verrazzano avait une foi robuste dans l'asser-
tion des Anciens que 1 océan Atlantique et l'océan Indien
étaient une même mer, sans interposition de terre. L'obs-
tacle de ce continent sans fin, qui se dressait tout à coup
en travers de sa route, ne lavait pas rebuté; il espérait dé-
couvrir quelque fissure dans cette masse pour pénétrer
dans l'océan Oriental et arriver aux îles des Epiées, le
détroit dont la carte de ^Martin de Béhaim avait fait pressen-
tir l'existence à Magellan (3 .
Le 11 mai 1526, Verrazzano mit ordre à ses affaires en
donnant procuration, pour le remplacer en son absence, à
son frère Girolamo et à Zanobi de Rucellaï ou Rousselav,
qui l'avait cautionné. Nous ne savons rien de son explora-
tion du continent américain : mais si Ion observe qu'elle
ne commença point avant juin et que 1 onomastique des
le Trésor pour " Allonce de Civille et ses compagnons marchans... pour
certains navires et vivres qu'ilz baillèrent au llov en l'année mil V"^ XXIIII »
(1524) (Archives nat., J 961'', n" 32. — Cataloque des actes de François I"',
t. VIII, p. 2tl, et t. VII, p. 745).
(1) Projet de contrat non daté, mais postérieur au 23 mars 1526, date de
la nomination de Chabot comme amiral (B. X.. Moreau 770, fol. 60,
pièce 16; publiée par E. de FrÉville, t. II, p. 432; L. HrccES, p. 245;
Marcrv, les jSaviqations françaises du xiv'^ au xvi' siècle, p. 194).
(2) Godefrov adjoint sa barque à l'escadrille par acte du 12 mai 1526
(GossELix, p. 157).
(3) Pic.\FEXTA, dansB. X,, Franc. 24224, fol. 14 v°.
266 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
cartes se rapporte à un voyage accompli en été, on demeure
convaincu que Texpédition de 15i2G suivit le même itiné-
raire que la précédente et que la cartographie nous en a
conservé le souvenir. La mention de l'Orto de Rucelav était,
pour Verrazzano, une façon de marquer sa reconnaissance
à l'égard de son bienfaiteur. Un autre vocable, lile Maiolla
Zenovese, est 1 indice que le fameux cartographe génois
Vesconte Maggiolo, auteur depuis une vingtaine d'années
d'une foule d'atlas, était adjoint à l'expédition. Or, ses
cartes de 1524 et 1525 ne vont point au delà de l'île Florès
et du Brésil (1). Celle de 1527, au contraire, marque un
progrès considérable dans ses connaissances et contient tout
le Nouveau-Monde, depuis le Labrador jusqu'au détroit de
Magellan. C'est dans l'intervalle qu'avait eu lieu la
deuxième exploration de Verrazzano. Ainsi se trouve con-
firmée l'assertion d'Hakluyt, que l'explorateur s'était rendu
plusieurs fois aux côtes de l'Amérique du Nord, pour trou-
ver une voie d'accès au Pacifique, ce détroit imaginaire
qu'un portulan de 1536 représente sous la rubrique « el
viazo de Fransa f2j » .
Sur ces entrefaites, un compagnon de Magellan, Anto-
nio Pigafetta, dédiait à la régente Louise de Savoie la rela-
tion du premier voyage autour du monde, accompli de
1519 à 1522 (3). Il révélait une nouvelle route pour aller
aux Moluques; la fissure cherchée par Verrazzano était au
sud du continent américain; et Magellan lui avait donné
son nom. C'est par là que Sébastien Cabot comptait faire
route, en 1525, A'ers le pays de Tarsis et d'Ophir, vers le
(1) UziELLi et Amat di Sak Filippo, t. 11, Mappamondi... iUiliani. Roma,
1882, in-8", p. lli, 112.
(2) IIarrisse, Jean et Sébastien Cabot, t. I, p. 191.
(3) Le Parisien Antoine Facre en publia aussitôt un extrait sous le titre :
Le Voyage et navigation faict par les Espagnole es isles des MoUiicfjuea-
Paris, Simon de Colines, s. d., in-8°; et en appendice, Aucuns mots des
peuples de liste de Brésil,
LA LIBERTE DES MERS. 267
Cathay oriental et Gipangu, tous ces royaumes légendaires,
d'où il pensait revenir avec une cargaison d'or, de pierres
précieuses, de perles, de soie et d'épices (1).
Quand Yerrazzano reprit la mer au printemps de 1528
avec cinq vaisseaux, il suivit certainement les traces de
Magellan. Il entra dans un vaste estuaire que Christovào
Jacques venait de découvrir au sud du Brésil, le rio de la
Plata. Il comptait aller plus loin; mais il eut le malheur de
tomber, lors d'une reconnaissance, dans une embuscade
de sauvages, et fut dévoré à la vue des équipages demeurés
à bord (2j.
IV
L'EXPÉDITION DES PARMENTIER A SUMATRA
Nous n avions pas attendu 1 issue des explorations de Yer-
razzano pour expérimenter la dernière route qui conduisit
aux jNIoluques. Ce ne fut point sans peine. Nos armateurs
se heurtaient non seulement à un parti pris des Portugais
de tenir secret cet itinéraire, en ne laissant point vendre de
cartes à l'étranger (;î), mais encore à une inquisition per-
manente instituée dans nos ports par les agents de la cour
de Lisbonne. Ces agents prenaient copie, avant le départ
(1) Madrid, 4 mars 1525 (Madrid, Academia de la Historia, Registro del
conscjo de Indiax, fol. 13).
(2) L. Hugues, p. 250 : Guknin, p. 80 : B. N., Nouv. acq. franc. 9386,
fol. 78, 83. — PiAMusiO, Discorso sopra la terra fenna dell' Indie Occiden-
tali, dans son t. III, fol. 417. — La catastrophe se serait, au contraire,
passée à Coro, dans le Venezuela, selon Ovikdo, Historia gênerai, lib. XXV,
cap. VII, t. II, p. 291.
(3) Les cartes marquant les pays au sud du Congo {Ordenaçôcs Maniieli-
nas, liv. V, tit. 78, p. 2, et tit. 88, p. 11). — En 1524, le bateau llainhart
de la Salamandre enleva une nef portugaise venant de Calicut et l'amena
au Havre. L'inventaire de la prise, qui détaille jusqu'à des éventails, ne
mentionne pas de cartes (Archives du Havre, Efî 85).
26S HISTOIRE DE LA MAUINE FRANÇAISE.
des navires, des chartes-parties qui pouvaient léser le
monstrueux monopole commercial que le Portugal s'arro-
geait aux Indes, au Brésil et aux cotes occidentales de
l'Afrique, et ils faisaient en sorte d'entraver, par voie
diplomatique, nos expéditions lointaines.
Les Normands, jouant au plus lin avec ces limiers, leur
donnaient le change. En 1527, par exemple, la Marie-de-
Bon-Secoiirs, de llouen, autrement nommée le Grand-
Anglais, était censée partir pour l'ile 8an-Tomé ou le
Manicongo, aux termes du contrat passé par devant les
tabellions de Honlieur, entre les matelots et leur maître
d'équipage, Jean Breulhy de Funay. Seul, le capitaine
pilote, Estavào Diaz, de Brigas, savait où elle allait.
Quand on eut doublé le cap de Bonne-Espérance,
hiverné à Quiloa, dans le Zanzibar, il révéla enfin à l'équi-
page stupéfait le but de l'expédition, qui était Diu, sur la
côte de Cambaye. Le 25 mai 1528, la Marie-de-Bon-Secours
arrivait en vue du port hindou. Malheureusement, le
sultan de Diu était en guerre avec les Portugais, qui avaient
insulté sa capitale 1 année précédente. A peine Diaz eut-il
débarqué pour traiter à terre, qu il fut jeté en prison, mal-
gré le sauf-conduit délivré par le sultan, et le vaisseau
l'ouennais fut confisqué.
Le sultan se rendit promptcment compte qu il n'avait
pas affaire à des ennemis, mais plutôt à des auxiliaires
éventuels. Il fît offrir à ses prisonniers, particulièrement
aux bombardiers, de grandes richesses, s'ils voulaient apos-
tasier et entrer à son service. « Avec ceste quenailhe, nous
ne voulons point estre plus grans que nous sommes, répon-
dirent trente-six de ces pauvres gens au capitaine Diaz,
devenu le familier du sultan, car nous aymons myeulx
vivre en povi'eté avec nos frères chresthicns, que de estre
grans signeurs avec les ennemys de la foy. »
Et de la montagne de Champaner où ils étaient captifs
LA LIP.ERTÉ DES iMERS. 269
du « grand chien bahador », ils trouvèrent moyen de
mander au vice-roi portugais de l'Inde leur triste situation
par un message d'vme noblesse de sentiment et d'une déli-
catesse de touche admirable. « Plaise à Vostc Hautese,
disaient-ils, de tourner vostre douche face et de regarder
de vostre œil de pityé et de miséricorde vers les povres
chresthiens, lesquelz vous demandent pardon; c'est une
vertu plus divine que humaine que de pardonner, car Dieu
le Créateur, c'est sa propyété que de pardonner aux povres
pécheurs, quant ilz luy demandent miséricorde (Ij. »
Les malheureux! ils ignoraient les tortures effroyables
qu'infligeaient à leurs compatriotes les Portugais du Brésil!
La miséricorde n'était point dans la politique des gens de
Lisbonne : nous ne voyons point qu'il ait été donné suite à
la supplique des héroïques prisonniers, sauf que la Mai'ie-
de-Bon-Sccours, reprise sans doute par les vaisseaux de
Menescs, fut incorporée dans la flotte portujjaise.
La Marie-de-Bon-Secours faisait partie d'une escadrille
de trois vaisseaux armés à Dieppe pour les Indes, et dont
l'un reçut le meilleur accueil à Madagascar. C'est dans
l'une des baies de la côte orientale de l'île que nous liâmes
commerce pour la première fois avec les Malgaches. Un
des matelots dieppois, laissé à terre, v séjourna pendant
quatre ans (2).
Ces voyages clandestins dans l'océan Indien expliquent
comment Jean Ango put se procurer un drogman français
versé dans la langue malaise quand il organisa une expédi-
tion pour les Moluques. Formée de la Pensée et du Sacre,
l'expédition était commandée par Jean Parmenlier , le
(1) Supplique de 36 marins de la Maiie-de-Bon-Sccours au gouverneur
de l'Inde (Lisbonne, archives de la Torre do Tombo, Papeis cla Casa de
S. Lourençn, t. I, fol. 407; publiée par Socsa Viterbo, Trabalhos nauticos
dos Portugiiczes nos seculos XVI e XVII. Parte I, Marinliaria. Lisboa,
1898, in-4", p. 84).
(2) CoRREA, Lemlas do India, t. III, p. 238-241 et 225.
270 HISTOIRE UE LA :\IARINE FRANÇAISE.
délicat lettré que nous avons vu et qui s'était déjà distingué
par l'exploration du Brésil et des côtes de Guinée. Jean, à
bord de la Pensée, son frère Raoul, à bord du S(fC}x\ quit-
tèrent Dieppe le ^8 mars 15:29, jour de Pâques. Le journal
de leur voyage, aussi intéressant pour l'itinéraire suivi que
pour les mœui's du temps, nous a été conservé par l'un des
astronomes embarques, Pierre Crignon (1).
Sous la date du 11 mai, nous trouvons pour la première
fois la mention de ce fameux baptême de la ligne, dont
la tradition, avec les variantes fournies par l'imagination
des matelots, devait se transmettre de siècle en siècle. Cin-
quante marins reçurent laccoladcdc chevaliers au passage
de l'équateur; et pour solenniser la fête, on chanta, avec
accompagnement musical, la messe de Salue, sancta parens.
Les nouveaux chevaliers firent bonne contenance devant
les effrovables tourmentes qui éclatent aux abords du cap
des Tempêtes et qu'en termes enjoués Pierre Grignon décrit
ainsi : « Le Dieu Eolus, accompagné de Favonius et
d'Affricus Libo, célébroient les noces de Thétis, fort déli-
bérez de bien faire danser. »
Le 29 mai, par IV 1' de latitude, on avait découvert une
île montueusc qui fut appelée la France, mais qui malheu-
reusement avait déjà reçu des Portugais un nom. C était
Tile de l'Ascension ("I). Deux mois après, le li juillet,
Madagascar était en vue. L'île nous fut inhospitalière; trois
marins, entraînés dans les bois par la promesse trompeuse
de gingembi'c, que les insulaires appelaient chclou, furent
massacrés. Comme le sable semblait parsemé d'écailles ou
limures d'or et d'arjjent, on le fit passer par la cendre. On
(1) Le Discours de la navicjalion de Jean et Raoul Paiiiiculiev a été im-
primé, d'après deux rédactions différentes, l'une, plus longue, par Sciiefer
dans le Recueil de vova{jes et de dociinienls pour servir à l'histoire de la
géographie (Paris, 188-5, 8"); l'autre plus courte, par Maughy, ào.ns\a. Société
normande de Géographie (J883j.
(2) La Trinité, selon MAncnY, p. 180, n° 1, et p. 336.
LA LIBERTE DES MERS. 271
trouva un grain ou deux d'argent fin, ce qui était trop peu
pour valoir la peine de s'arrêter à Madagascar.
Une semaine après, les îles Stériles, que des bancs pro-
longent jusqu'au cap Saint-André sur la côte madécasse,
furent l)aptisées, à cause de ces dangereuses approches,
les iles de Crainte; elles étaient au nombre de sept : l'île
Majeure, la plus proche de terre, puis l'Enchainée , la
Boquillone, l'Utile, l'ile Saint-Pierre, l'Andouille et
l'Aventurée, au large.
A peine nos gens étaient-ils sortis de ces dangereuses
passes, qu'ils se trouvèrent en présence d'un phénomène
terrifiant, u Aucune pièce de la nue descendente vers l'ho-
rizon de la mer en manière d'une chausse à vpocras, la
pointe en bas, se allongeoit longue et gresle, tenant tous-
jours à la maistresse nue ; nos gens eurent peur, craignant
que ce ne fussent puchos ou tiffons : mais cela ne fit aucune
chose. Et aussi cens, qui ont vu des puchos disent qu'ils se
forment autrement, la pointe en liaidt etle large en la mer;
lapointeestcrochueetse tient en suspens, en attirant l'eau. "
Le 10 août, l'escadrille faisait aljjuade aux Comores, pro-
bablement à Anjouan, « isie assez semblable à lisle de
Madère en grandeur et en façon u .
Le ;20 septembre, elle traversait un autre archipel de
sept îles, dans l'une desquelles Jean Parmentier reçut le
plus chaud accueil du « grand archiprestre ", qui voulait
lui baiser les mains et s'agenouiller devant lui. « En ceste
isle, avoit ung temple ou mosquée, de façon assez antique
et magistralement composé de pierre, en espécial une
closture de huchcrie, de mouleures d antiques, les meil-
leures qu'il veist jamois, avec balustres mignonement
tournez, sv que le menusier de nostre nef s'esbahissoit de
voir si bon ouvrage. En ce temple, avoit des .;;alleries tout
autour, et au bout ung lieu secret closde hucherie, comme
ung scnictii7)i sanJorum. Le capilaine le fit ouvrir pour
2-2 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
veoir ce qui cstoit dedans et pour savoir s'il n'y avoit nulles
idoles, mais il n'y en apercent qu'une, faicte de coque de
noix de palmes. »
L'archiprétre, quelque brahmane sans doute, avait Jjeau-
coupvu. Appelé à trancher un débat entre Jean Parmen-
tier et le pilote portugais du Sacre^ qui se croyait aux Mal-
dives, il répondit que les Maldives étaient à deux cents
lieues dans le nord et que l'ile s'appelait Moluque : c'est
actuellement l'ile Phowa-Moloku. De phis, il montra au
capitaine en quelles aires de vent{i;isaient la Perse, Ormuz,
Calicut, Geylan, Malacca et Sumatra.
Le 14 octobre, continue le Journal de Crignon, « nous
eusmes tout plain d'indices de terre, car ung tiercelet de
faucon, qui s'estoit tenu en nostre nef douze ou quinze
jours, nous laissa : par quoy nous estimions qu'il avoit veu
terre. Et prisme unjj martelet, et un hauchecul vint à
notre bord » .
La terre était proche en effet. Après avoir rangé les îles
de Tanah-Ballalî, Tanah-Massa et Poulo-Pini, qui furent
baptisées Louise, Marguerite et Parmentière, en l'honneur
de la reine-mère, de la princesse Marguerite d'Alençon et
des capitaines, l'escadrille arrivaitleSl octobre à Sumatra,
terme de son voyage, et jetait l'ancre dans la radedeTicou.
Le drogman, Jean Masson, descendant le premier à terre,
expliqua que les vaisseaux étaient fiançais et venaient
échanger de bonnes marchandises contre du poivre.
Admis, dès lors, à offrir leurs présents au sultan Megilica
Raga , les Parmentier débarquèrent en habits de gala et
conclurent avec lui une alliance aux cris mille fois répétés
par la foule de "France, Ticou ! Ticou, France! » Il parait
qu'un indigène, un « orancaïe " , avait prédit, deux mois à
l'avance, l'arrivée de nos vaisseaux; interrogé parle drog-
man sur la façon dont il l'avait su, cet homme répondit
« (lu'il l'avoit veu au ciel ;> . Serait-ce là un de ces phéno-
LA LIBERTE DES MERS. 273
mènes de mira^je, si fréquents dans l'océan Indien, qui
permirent à un halùtant de l'Ile de France d'annoncer l'es-
cadre de Suffren longtemps avant son arrivée? Ou n'était-
ce qu'une flatterie de gens aussi fins que fourbes?
Très prévenu contre la moi'alité des Malais, Jean Par-
nienticr avait eu la précavition de fortifier le magasin
établi à terre, près des petites paillottes closes de roseaux
et natté'es de jonc. Gomme il parvenait à écouler difficile-
ment sa pacotille de miroirs, coins de fer, patenôtres de
verre et os teints, il prit le parti, au bout de deux semaines,
de décider le départ. Mais, en présence de ses préparatifs,
la populace s'ameuta, craignant pour les otages malais
envoyés à bord pour toute la durée de son séjour. Tam-
bour battant, fifre et trompette sonnant, mècbes allumées,
nos gens durent se frayer un passage à travers une petite
armée de cinq cents bommes, porteurs de pertuisanes et de
kriss. Comme une partie des otages s'étaient enfuis en
volant le grand canot de la Pensée, Parmentier fit exécuter
leurs compagnons en vue de Ticou.
A peine l'escadrille avait-elle levé l'ancre, le 27 no-
vembre, que les deux Parmentier tombaient malades de
la fièvre tvphoïde, dont ils attribuaient avec raison la
cause aux mauvaises eaux potables de Ticou. Ils mou-
rurent, l'un après l'aulre, à quelques jours de distance.
Après le décès de leurs capitaines, les matelots, consultés
par les astronomes et les maîtres d'équipage, votèrent
sur la conduite à tenir. Bien qu une dizaine d'hommes
eussent opiné pour aller à Java, les autres se disant prêts
à aller partout où l'on voudrait, on parvint à renouer des
relations commerciales avec les indigènes de Sumatra. Et, le
22 janvier 1530, leur cargaison complète, les deux vaisseaux
quittaient la rade d'Indapoure pour retourner en France.
Outre des épices et autres précieuses marchandises,
l'expédition rapportait de vagues notions sur l'Australie, sur
ni. 18
274 HISTOIRE DE LA ^lARKNE FRANÇAISE.
Jave-la-Grande, qui " tient ù la terre australle » et dont on
relève la trace dans la cartographie dieppoise contempo-
raine (1).
V
A LA RECHERCHE DES ILES MOLUQUES
PAR LE DÉTROIT DE MAGELLAN
Ces notions allaient-elles se préciser? Un nouveau voyage
s'organisait, en 1531, aux frais d'Ango, du vice-amiral de
Moy, de Tancien régent de l'Ecosse, Stuart d'Albany, et du
seigneur gascon de Montbrun, pour reconnaître la route
suivie par Magellan. Et c'est à l'un des pilotes même de
Magellan, Leone Pancaldo, de Savone, le pilote de la Tri-
nitad^ que Tarmateur dieppois s'adressait pour conduire
l'expédition nouvelle. La promesse d'une rente de trois
cents livres, au nom du roi, avait de quoi tenter (2)... Pan-
caldo accepta. Il vint à Paris.
Comme il avait dresse jadis un routier du célèbre voyage
de circumnavigation, il n'eut aucune peine à fournir un
devis du chemin qu'il comptait suivre : «Après avoir passé
le détroit de Magellan, écrivait-il plus tard, je devais aller
aux iles de Banda charger des noix muscades et du macis;
j'aurais touché à Timor pour prendre un peu de santal, et
je serais revenu par le cap de Bonne-Espérance, sans
qu'avicun bâtiment portugais parvint à me capturer. En
effet, j'aurais doublé le cap à la fin de novembre, et comme
(1) La Coxmoqraphie, par Jean Fonteneau, dit Alfonse, éd. Musset
(1904), p. 189. — A. Rainaud, le Continent austral (Paris, 1893, in-8",
p. 288 et suiv.) : graphiques de Jave-Ia-Grande d'après la carte du Dau-
phin et les cartes de Roze (1542) et Guillaume Le Testa (1556).
(2) Lettre de Gaspar Palha au roi de Portugal. Paris, l'^"' mai 1531 (Pera-
CALi.o, Sussidi docianentari ver iina monoqrafia su Léon Pancaldo, dans la
Raccolta... Colombiana, Part. V, vol. II, p. 292).
LA LIBERTE DES MERS. 275
les vaissseaiix portugais ne quittent l'Inde qu'en janvier,
je ne les aurais pas rencontrés (1). w
Il ne tenait point à retomber dans les chaînes de ceux
qui l'avaient indignement dépouillé, lorsqu'il revenait avec
le dernier vaisseau de Magellan (2) . Et pourtant, malgré son
aversion pour les Portugais, il se laissa circonvenir par
eux : il regagna Savone et, movcnnant mille six cents ducats,
s'engagea, par un traité en bonne forme, à ne plus faire de
cartes nautiques et à ne plus naviguer sans l'autorisation du
roi de Portugal (3). Par ce coup de maître de l'agent Palha,
nous étions complètement désemparés; mais l'armateur
dieppois n'était pas homme à accepter ainsi une défaite.
Une lutte acharnée s'engageait entre la compagnie qu'il
dirigeait et la police secrète à la solde du roi de Portugal.
G est par les rapports de ces policiers que nous savons les
péripéties de la lutte, dont l'enjeu était, pour nous, la
découverte de la route des Moluques et, pour les Portugais,
le maintien de leur monopole. Un Giovanni Francesco
Venezeano, autrement dit le Vénitien, auquel les Normands
avaient offert le commandement général de l'expédition,
refusa, ne voulant pas emmener en un si dangereux vovage
des gens avec qui il ne s'entendait pas; il promettait toute-
fois de débarquer, à son retour des Moluques, toutes ses
épiceries à Rouen, et d'emmener à son second voyage, lors-
qu'il saurait la route, des vaisseaux normands. Jusque-là,
il avait besoin, lui aussi, pour conduire ses trois carraques
vénitiennes armées dans la Marche d'Ancône, des bons
offices de Pancaldo. Mais en vain se rendit-il à .Savone :
(1) Lettre de Pancaldo au roi de Portugal. Savone, 3 octobre 1531 ^Pera-
GALLO, p. 303).
(2) Lettre de Pancaldo à Charles-Quint, datée de la prison de Mozam-
bique, 20 octobre 1525 (Peragallo, p. 284).
(3) En 1535, il partit néanmoins pour les Moluques avec deux vaisseaux
Italiens, mais il périt au rio de la Plata (Amat di sais: Filippo, Biografia clci
viagijiatori italiani. Iloma, 1882, in-8", t. I, p. 265).
276 HISTOir.E DE LA MARINK FRANÇAISE.
le pilote, soi-disant en pèlerinage, fnt introuvable (1).
La chasse aux pilotes continuait. Fort inquiète de la
capacité du célèbre cosmograpbe Jean Alfonse, la Cour
de Lisbonne, affectant de le considérer comme un Portu-
gais fugitif, alors qu'il était natif des Sables d'Olonne et
s'appelait de son vrai nom Jean Fonteneau f:2), eut l'impu-
dence de lui offrir une lettre de pardon pour le rapatrier
en Portugal (3). Alfonse ne se laissa point suborner :
mais il ne pouvait point être d'un grand secours pour con-
duire une flotte aux ^loluques, dont il ignorait la route, sa
Cosmographie en témoigne.
A Séville, un informateur, du nom de Martin Ferreira,
nous renseignait sur les navigations de ses compatriotes
portugais. Mais une lettre qu'il écrivait à un de ses parents
à Lisbonne pour demander une carte marine, ayant été
interceptée, le roi de Portugal pria la cour d'Espagne de
le faire arrêter (4) .
A Anvers, le vicomte de Dieppe avait engagé un autre
marin de la même nation, Pero Fernandez, condamné par
contumace à la rélégation en Afrique, qui connaissait la
route des Indes : une de ses cartes en fait foi (5). Cette
fois, les policiers portugais, après avoir songé à enlever
Fernandez. reculèrent par peur de 1 opinion. « Il nous
parut, dit ingénument 1 un d'eux, qu'en ce pavs lil)re,
nous ne pouvions rien faire par force, qui n eût du reten-
tissement et ne nous mit dans de grands embarras (6). »
(1) Lettre de Gaspar Palha. Paris, 1" mai 1531 (Per\g.\Ù.o, p. 296).
(2) MussKT, Jean Fonteneau, dit Alfnnsc dr Saintnnge. Paris, 1896,
11-8°, extrait du Jhtll. de qéoqrapttie hixtnrltpic (1895j.
(3) Vabxu.\gex, Jiist. du Brésil, p. 45.
('<•) Lettre de Joào III, roi de Portugal. 13 mars 1532 (SorSA Vitkbdo,
Trnbalhos nauticos dos Povtiiquezes. Lisboa, 1898, in-V", p. llo).
(5) Carte de l'Atlantique. 1528 (Victor Hamzscii und Ludwig SciniiDJ,
Kartof/j-aphisehe Denkmiiler (1903), Blatt 1.)
(6) Lettre de Pero Mascarenhas. Anvers, 17 janvier 1532 (S. Viterbo,
p. 103).
LA LIBERTE DES MERS. 277
Ango était parvenu à ses fins. En dépit ties agents portu-
gais, une nouvelle expédition partit de Dieppe en 1531.
L'annaliste Desmarquets, assez sujet à eaution malheureu-
sement, est seul à en rendre compte flj. Selon lui, elle se
rendit en Chine. Un ambassadeur de François I", le sieur
(le Valois, cjui nous est connu d'ailleurs pour avoir mené
an corps de troupes auxiliaires en Danemark (2), avait pris
passage à bord : il Ht présent à Tempereur de Chine (?)
d'une batterie de quatre pièces de fonte, ce qui lui valut
une chaleureuse réception. Et les vaisseaux dieppois purent
échanger leurs marchandises contre des porcelaines, du
ihé et des denrées exotiques, qu'ils rapportèrent en France.
Rien ne vient à l'appui du récit tic Desmarquets : rien,
ni comptes, ni chroniques, ne porte la moindre trace de
relations quelcon(jues avec le Céleste Empire. Ce n'est
point à dire pourtant que la Cour de ^France demeurait
indifférente aux choses d'Extrémc-Oricnt, L'initiativ(
il Ango avait porté ses fruits. A llnstar de l'armateur diep-
pois, François F' avait attache; à sa personne un carto-
graphe lusitanien, fort u expert en la marine !) : il l'avait
fait venir de l'orlugal avec femme et enfants, afin de
l'avoir toujours près de lui. Sous le nom de « Jean Pachet,
portugais 1! , consigne dans les comptes de l'épargne (3), il
n'est point malaisé de reconnaître le Joào Pacheco, com-
mandeur de l'Ordre d'Alcantara, qui offrait, peu de temps
auparavant, ses services à Charles-Oulnl. Et nous savons,
parle mémoire présenté à cette occasion le '2 tiécembre 1535
et notifié par 1 empereur le 9 juillet 1530, que Pacheco
projetait d'aller à la découverte tles ilcs des Epices, en
partant des côtes de la Nouvelle-h^spague, (jue baigne le
(i) Afémoires c/iiono/oi/ùjims pour servira l liislvlrc de Dieppe et ù celle
fie la navi<]atioii fninçaisc, I, I, p. 113,
(2) AS.SKLIXE.
(3) 1539 (Archives nat., .1 962'*, n" 11 : Catulviuc des actes de Fran-
çois /", t. VIII, p. 189, 2()3j.
278 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Pacifique (l) . Comme les comptes de l'épargne ne men-
tionnent que durant un seul exercice le nom de « Pachet» ,
j'imagine que les agents portugais avaient encore trouvé
le moyen d'empêcher son projet d aboutir.
VI
NOTRE PREMIERE COLONIE. — L'ILE SAINT-ALEXIS,
AU BRÉSIL
Pour se rendre compte de la tension de nos rapports
avec le Portugal, il faut revenir de quelques années en
ari'ière.
Lors de l'entrée solennelle de François I" à Bordeavix,
en avril 15i6, comme 1 ambassadeur portugais affectait,
conti-airement au protocole, de marcher de front avec
l'ambassadeur impérial, le grand maître des cérémonies le
fit jeter hors du cortège par quatre hallebardiers : a Eh
quoi! s'écria François I", un diplomate apothicaire vou-
drait précéder le représentant du roi d'Angleterre! Vrai-
ment, il fera mieux d aller à Calicut et dy donner des lois
au commerce des épices, car ici il n'en donnera pas (2) . »
Du jour où les Portugais avaient violé la neutralité, en 1522,
une guerre sourde se livrait entre les deux pays. Le roi de
Portugal mandait à ses capitaines, sous peine de mort, de
couler tous les navires français qui seraient rencontrés aux
(1) Madrid, Academia de la Ilistoria, Reqisiro del couse jo de Indias
D 95, fol. 278. « Para ir desde las costas del niar del Sur de Nueva Espaiïa
al descubrimiento de las islas y tierra firme donde hallasc especeria ». —
Dès le 24 février 1526, Joào Pacheco, Portugais, obtenait de l'empereur
mission d'aller à la découverte dans le Pacifique (^Coleccion de documeiUos
de Indias, t. XXII, p. 245).
(2) J.\(;quetox, La polilùjue exte'rieurc de Louise de Savoie (1525-1526).
Paris; 1892, in-8% p. 271 (Fascicule 88 de la Bibliolbèque de l'École des
hautes études).
LA LIBERTE DES MERS. 279
Indes (I) ; et il lançait une escadre à la poursuite des cor-
saires d'Ango. La France riposta en fermant aux bâtiments
portugais chargés d'épices l'accès du Pas-de-Calais : c'était
la mission spéciale de la croisière des quinze cents marins,
aux deux tiers français, que Henri VIII et François I"
s'étaient engagés, par le traité du 30 avril 1527, à entre-
tenir dans le détroit (2).
Les relations, dès lors, s'envenimèrent de jour en jour.
En octobre I5i26 encore, trois de nos vaisseaux, qui se
trouvaient dans le rio San-Francisco au Brésil, firent bon
accueil au San-Gahriel^ de la division Garcia de Loaysa,
lui envoyèrent une chaloupe pour le piloter dans le fleuve
et lui prêtèrent des calfats pour le radouber. Une rixe entre
matelots bouleversa tout : le San-Gabriel dut s'enfuir sous
une pluie de balles, et le capitaine Rodrigo d'Acunha
demeura prisonnier. Quelques mois plus tard, un de ces
trois bâtiments, le Leynon de Saint-Pol-de-Léon (3), et
deux autres navires bretons (4), qui chargeaient du bois
de teinture dans la baie de Tous-les-Sainls, furent cernés
soudain par quatre caravelles de Christovao Jacques et
coulés à coups de canon. Des matelots survivants, les uns
furent pendus, les autres, enterrés jusqu'aux épaules, ser-
virent de cibles aux arquebuses portugaises.
Telle la Sibylle, par une ironie atroce, faisait enterrer
vifs les esclaves gaulois pour conjurer l'occupation de
Rome par nos ancêtres; tels les Portugais répondaient, en
creusant une tombe, aux marins bretons qui revendi-
(i) Cf. la protestation du baron de Saint-Blancard (GrÉxix, p. 258).
(2) B. N., Clairambault, vol. 326, fol. 139.
(3) Varmiages, Hist. do Brazil, t. I, p. 130, 443. — Navarretk, Viajes,
t. V, p. 172, 236, 323.
(4) Les bâtiments appartenaient à Yvon de Crétugar, François Guerret,
Mathurin Tourneniouche, Jean Bureau et Jean Janiet. Lettres de Fran-
çois I" au roi de Portugal. 6 sept. 1528 (Torre do Tombo, Corpo Chrono-
logico, P. I, liasse 41, doc. 30. — Coll. de documenios ineditos de Indias,
t. XLII, p. 545).
280 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
quaient ënergiqucment leur titre de découvreurs et pre-
miers occupants de toute une région du Brésil (1) , » Quoique
les Portugais soient le peuple le plus petit du monde,
s'écriait un pilote d Ango dans un superbe élan d'éloquence,
le monde ne leur semble pas assez grand pour satisfaire
leur cupidité. Il faut qu'ils aient bu de la poussière du
cœur du roi Alexandre, pour montrer une ambition si dé-
mesurée. Ils croient tenir dans une seule main ce qu'ils ne
pourraient embrasser avec toutes les deux : il semble que
Dieu ne fit que pour eux les mers et la terre, et que les
autres nations ne sont pas dignes de naviguer. Certaine-
ment, s'il était en leur pouvoir de fermer les mers depuis
le cap Finistère jusqu en Islande, il y a longtemps qu'ils
l'auraient fait (2). •'
Contre cette outrecuidance qui ne connaissait plus de
bornes, François P' protesta, assez mollement il est vrai,
en revendiquant pour ses marins la liberté de naviguer. Et
il affirmait le principe de la liberté des mers dans cette
belle formule : » Le fait de trafic et échange de marchan-
dises est de tous les droits un des plus natuiels et des plus
autorisés (3). " Mais il est des gens pour lesquels le droit,
sans la force, n'est rien. Les Portugais nous le montrèrent
t^ur l'heure.
En décembre 1530, le baron de Saint-Blancard, général
des galères, envovait au Brésil la Pèlerine, commandée par
Dupcret et montée de cent vingt hommes, pour établir un
comptoir sur la côte américaine. Arrivé à Pernambouc,
Jean Dupéret prit terre, en dépit d'une violente attaque
des Indiens, excités et conduits par les Portugais. Il cons-
truisit un fort près de là, dans Tile Saint- Alexis, où il s'éta-
(1) Plainte des armateius de Saint-Pol «le Léon au loi (Ibidem : Copie et
traduction dans le ma. B. N., Nouv. acq. franc. 9380, fol. 82).
(2) [Crigxon], désigné sous ce nom : » Un grand capitaine de nier fran«;ais»
(Ramusio, t. III, p. 352).
(3) Lettres du 6 septembre 1528 déjà citées.
LE BRÉSIL (vers 1520)
(Carte portugaise : B. N., Ge DD 683.)
I
I
LA LIBERTE DES MERS. -281
Itlit avec S0L\antc-dix hommes pour poursuivre ses opéra-
tions commerciales, tandis que la Pèlerine retournait en
France avec du bois de Brésil, des quintaux de coton, du
minerai d'or, des graines, des peaux de léopards et six
cents perroquets, sachant qvielques mots de français, de
ces perroquets et de ces sagouins qui s'ébattaient déjà
dans la villa de 1 amiral de France à Aspremont (1).
Elle était parvenue sans encombre jusqu'à Malaga,
qiiand son nouveau capitaine, Debarrau, commit l'impru-
dence d'accepter l'escorte de dix caravelles portugaises.
Mandé, le 15 août 1531. à l»ord de la capitane d'Antonio
Gorrea, sous prétexte de conseil de guerre à tenir, Debarrau
fut chargé de fers et son navire confisqué {"l] . Informé par
cette capture de la fondation du comptoir brésilien, le roi
de Portugal envoya aussit»')!, pour le détruire, lescadre de
Lope de Sousa. Sousa rencontra, près du cap Saint-Au-
gustin, un navire français qui se jeta à la cote, puis quatre
autres qui durent se rendre prisonniers. La petite garnison
de l'ile Saint- Alexis se trouva bloquée à la fois par l'escadre
portugaise et par les indigènes soulevés.
Après dix-huit jour.'^ de siège, en décembre 1531, le sieur
de La Motte, qui avait remplacé Dupéret, probablement ce
M. de La Motte parti de Bretagne en mai précédent avec
quatre vaisseaux des seigneurs de Chàteaubriant et de
Laval (3), capitula sous promesse d'être transporté en ter-
(1) liCttre de l'amiral Chabot au vice-amiral Alain de (Tiiengat. 12 juin
1527 (Du CiiKST DE Vii.LENKuvE, Alain (le Giicn(jat, dans Bull, de la Soc.
du Finistère (1897), p. 174).
(2) La protestation de Kcrlrand d'Ornesan, baron de Saint-BIancard,
conservée au.x Archives nationales, a été puliliéc bien des fois (GcÉxi>',
p. 256. — Gakkarel, Histoire du Brésil français, p. 87j. — Cf. aussi la
relation portugaise de Martini Affonso de Souza. 28 septembre 1532(SA?iTA-
KEM, Oiiadro elenicnlar, t. III. p. 247. — Diario de Lopk de Sousa. Lisboa,
1840,"in-8»).
(3) Lettre de Gaspar Pallia. Paris, 1'^ mal 1531 (PëRAGALLo, dans la Rac-
colta... Colombiana, V. V, t. II, p. 271).
282 HISTOIUE DE LA MARINE FRANÇAISE.
riloirc ami. Le chef d'escadre Lopez jura et, le tour joué,
pendit le commandant français et vingt de ses hommes,
gardant toutefois deux prisonniers vivants pour le festin
de ses amis les sauvages, auxquels il les livra. Avise de
cette infamie, Saint-Blancard se fit justice lui-même, en
enlevant, avec cinq de ses galères, le premier vaisseau
portugais qu'il rencontra (1).
Ango avait eu également à souffrir des mauvais procédés
des Portugais. Mais, moins houillant que le capitaine des
galères provençales, il employa les voies légales pour faire
rendre gorge aux voleurs, en demandant des lettres de
marque. Ces lettres de marque ne furent point faciles à
obtenir, et l'armateur dieppois eut besoin de mettre en
œuvre toute sa diplomatie pour être autorisé à courir sus
aux Portugais.
Il commença par intéresser à son sort le vice-amii'al
Charles du Bec, sieur de Bourry, en l'associant à ses arme-
ments et au profit qui résulterait des prises (2). Puis il se
rendit à la Cour avec une lettre de recommandation que la
princesse Marguerite de Navarre adressait au chancelier (3) .
C'était le chancelier qui expédiait les lettres de marque;
l'amiral leur donnait force exécutoire. Le cadeau d'un
magnifique diamant disposa favorablement l'amiral Cha-
bot, et, le 12 mars 1531, Ango obtenait enfin l'autorisation
de pourchasser les Portugais (4). Outre ses navires, il pou-
(!) En juillet 1532 (Guénix, p. 261). — IlERnEn.v, Décad. II, liv. x,
cap.v . — Vascoxcellos, t. I, p. 100).
(2) Par acte du 27 août 1529, l'armateur et le vice-amiral s'engagent
envers les Morel à poursuivre la restitution de la Marie, en obtenant des
lettres de marque. Ils partageront les bcnélices (GuÉsis, p. 86). — Cf. sur
ce qui suit, Fernando Palua, A caria de marca de Joâo Ango. Lisboa,
1882, in-8".
(3) Lettre datée du 18 juin 1530 (Gukmn, p. 89. — Gosseus, Doc. pour
servir a l'hist. de la marine normande, p. 23).
(4) Archives de la Torre do Touibo, Corpo chronoloyico, P. I, liasse 1,
doc. 19 : publ. par GuÉms, p. 249.
LA LIBERTE DES MERS. 28S
vait (rentrée de jeu iiicltre en mer dix-huit autres vaisseaux
que les armateurs tenaient à sa disposition; qvielques mois
après, sa flotte atteignait le chiffre imposant d'une tren-
taine de navires. Il était question d'en envoyer seize dans
les eaux de Madère (1).
Alors commença une lutte épique entre nos armateurs,
syndiqués pour défendre la liberté des mers, et les deux
monarques intéressés à supprimer cette base fondamentale
du droit des gens, Jean III et Charles-Quint. Car le roi de
Portugal, acculé à une situation sans issue pour son
amour-propre, à une guerre ruineuse pour son commerce
maritime ou à l'humiliation de négocier avec un simple
citoven français, implora l'intervention du puissant empe-
reur. Charles-Quint vint à son aide; et, par des lettres
pressantes et impérieuses que portait un plénipotentiaire
extraordinaire, il réclama la révocation des lettres de
représailles données à Ango ["2).
Ango était retourné à. la Cour défendre son droit. En
Normand habile, il opposa réclamation à réclamation,
demandant à l'empereur la mise en liberté des compa-
gnons du corsaire Jean Fleury (3). Quelques jours après,
le M) juin, l'ordre de délivrance était signé par Charles-
Quint. Cette première victoire diplomatique fut presque
aussitôt suivie, pour Ango, d'une seconde. Le Conseil
roval, loin de se laisser intimider par l'intervention impé-
riale, refusait de révoquer les lettres de marque.
En même temps, par un véritable coup de théâtre, dix
vaisseaux dieppois, qu'on disait armés pour aller saccager
la Havane et Nombre de Dios (4j, trompant la surveillance
(i) Lettre de D. Antonio de Atai'de, ambassadeur portugais. 18 août
1531 (Torre do Touibo, Corpo clironoloqico, P. I, liasse 47, doc. 37).
(2) Lettres de Charles-Quint, mai, 15 juin, 9 juillet (Guénin, p. 97 etsuiv.).
(3) Lettres de François I"^ citées plus haut. 27 avril 1531 (Archives nat.,
K 1483, n" 73 : fonds de Simancas).
(4) 13 vaisseaux et 3.000 hommes, disait-on. Monzon, 4 sept. 1531
284 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
de la ])olice portujiaise, apparaissaient tout à coup dans
les eaux de Fayal, rendez-vous habituel des convois porlu-
fjais qui revenaient des Indes. A cette nouvelle, Jean III,
qui avait mandé jusque-là à son ambassadeur de tem-
poriser, sans laisser entrevoir à la partie adverse son vil'
désir de traiter, expédia un courrier à Paris, avec ordre de
doubler les postes, pour en finir le plus rapidement pos-
sible (I).
Don Antonio de Ataïde, 1 ambassadeur, trouva un allié
inattendu. Au lieu de s adresser directemenl à Jean Ango,
il négocia avec l'amiral Brion-Chabot, et, dans le mystère,
à linsu de Tempereur et du roi de France, lui remit un
pot-de-vin de 10,000 écus et une tapi.^^serie de grande
valeur \'2). Cette ténébreuse machination eut un résultai
immédiat. Ango, trahi par son protecteur, par son ancien
associé, consentit à se dessaisir de sa lettre de marque
pour 60,000 ducats (3).
Le spectacle grandiose d un simple armateur tenant té(o
à une nation donna lieu à une légende que les chroni-
queurs (lieppois se sont transmise de siècle en siècle en
ramplifîant : la légende du blocus de Lisbonne par la
flotte d'Ango, éclatante vengeance d un outrage fait au
pavillon français. Aux ambassadeurs portugais venus pour
se plaindre, François I" aurait répondu : » (^e n'est pas
moi qui vous fais la jfuerre, mais Ango: arrangez-vous
avec lui i . »
(Coleccion de doc. ined. de las ant'ujuas posesiones c^jji.uolas de Aincricu,
i"= série, t. XLII. p. 44).
(1) F. Palha, p. 97, doc. X à XIX. — G.^if.vull, Jcua Ango, dans le
Bull, de la Soc. nonnande de géoqr. (1889), p. 311.
(2) Procès de Chabot (H. N., Franc. 3873, fol. 9 v ).
(3) F. Palha. A carta de inarca de Joûo Ango : trad. par 1\. FnAsciSQri:-
MiCUEL, dans le Bull, de la Soc. nonnande de qeoijr. (1889), p. 380.
(4) AssKLiNE, Antiquités de Dieppe, t. I, p. 240. — <li:iuEi\r, Mémoires
pour... Dieppe, t. I, p. 40. — Dksmaroikjs, Mémoires chronologiques, t. I,
p. 108.
LA LIBERTK DES MERS. 285
La vénalité de Tamiral de France avait eu, par malheur,
une conséquence désastreuse pour notre marine, pour
notre commerce, pour l'expansion même de la France. En
août 1531, Chabot reconnut les prétentions exorbitantes
des Portugais eL de sa propre autorité, interdit toute navi-
jjation vers leuis colonies : le Brésil, la Guinée et les
Indes. A Rouen, à Honfleur, il mit l'embargo sur les
navires en partance, que lui signalaient les espions de
létranger (1). Les Normands étaient furieux de perdre, en
un moment, le fruit de leurs efforts : telle était leur exas-
pération, qu'un des policiers dont j'ai parlé écrivait de
Rouen : u Si on me savait Portugais circulant ici, on me
tuei'ait (:2j . "
Les armateurs normands avaient envoyé une délégation
à la Cour, afin de faire lever l'embargo. Ils obtinrent gain
de cause, mais à la condition de ne point fréquenter les
possessions portugaises et de ne point dépasser les îles du
Cap-Vert! Esprit indécis, François I", pour ne point désa-
vouer son amiral, qu'il croyait fidèle, abandonnait la thèse
(h- la liberté des mers qu'il avait lui-même proclamée.
Mais, par une sorte de honte, il hésita pendant plusieurs
années à contresigner l'interdiction formulée par 1 amiral.
C'est que Chabot rencontrait, parmi les armateurs nor-
mands et surtout chez Ango, qui rêvait de donner à la
France un empire colonial au Brésil, une très vive résis-
tance. « Si le roi voulait lâcher la bride aux négociants
français, écrivait un pilote d'Ango, en moins de quatre ou
cinq ans ceux-ci lui auraient conquis 1 amitié et assuré
l'obéissance des indigènes brésiliens, sans autres armes
(1) Embargo .sui- V navires de Honfleur et 6 de Rouen en partance pour
la Guinée et le Brésil. ^Novembre 1531 (Torre do Tombo, Corpo clnoiwlo-
(/ico, P. I, liasse 49, doc. 33. — Archives de Ilouen, A 13, fol. 153 v°. —
GuKsix, p. 198).
(2) Rapport daté de Rouen, 27 sept. 1531 (Torre do Toinbo, Coipo chro-
twlogico, P. I, liasse 47, doc. 61).
286 HISTOIRE DE LA MARINK FRANÇAISE.
que la persuasion et les bons procédés (1). " Et en dépit
de la défense réitérée (2) de l'amiral, l'armateur dieppois
continua imperturbablement ses armements pour les côtes
du Brésil et de la Guinée.
Démontés par cet aplomb, les agents portugais étaient
assez perplexes sur la ligne de conduite à suivre : « Ache-
tons quatre des navires d'Ango, c'est le seul moyen de
supprimer une concurrence gênante, " disait l'un d'eux.
— « Coulez-les à leur arrivée dans nos possessions, écri-
vait un autre; pas un marchand ne voudra plus armer
pour cette destination, si on ne voit rien revenir; que les
navires reviennent sains et saufs, au contraire, notre trafic
en poivre de Malaguette est perdu (3). "
La Cour de Lisbonne n'était que trop portée à écouter
les conseils violents : la dernière opinion prévalut près
d'elle. Quand la nef d'Ango la Michelle, après avoir
embarqué en Guinée du poivre, du musc, des défenses
d'éléphants et une petite ménagerie, toucha au Brésil, au
havre d' « Aster n, povir achever sa cargaison, elle fut
cernée par une escadre portugaise et capturée après un
vif combat. Le même sort attendait deux autres vaisseaux
d'Ango, l'un de 300 tonneaux, l'autre de 70, l'Alouette et la
Musette^ qui furent attaqués dans le golfe de Guinée, le
27 octobre 1532. L Alouette parvint à se dégager; mais elle
ne réussit pointa atterrir au- Brésil et dut battre en retraite,
trouée par les boulets, devant une seconde flotte lusita-
nienne (4).
(1) [CniGXON], dans Ramusio, t. III, p. 352.
(2) 28 juin 1532 (Torre do Tombo, Co?po chronologico, P. I, liasse 57,
doc. 4).
(3) Lettre de Gaspard Vaz. 19 octobre 1531 (Torre do TomI)o, Corpo
chionologico, P. I, liasse 47, doc. 75. — Gukmx, p. 197j. — Lettre du
docteur Gouvea, 18 nov. 1531 Çlhideni).
(4) Lettres de marque de François I" relatant ces faits. 3 février 1544
Publiées par M. Guknix, p. 149;.
LA LIBERTÉ DES MERS. 287
Sommé de rendre justice à Tarmateur dieppois, le roi de
Portugal ne répondit que par des " dissimulations et lon-
gueurs équippolans à ung reffus " , observait plus tard
François I" (1). C'était apprécier admirablement la diplo-
matie portugaise, dont l'un des représentants les plus
autorisés avait érigé en principe que, " dans les rapports
avec les Français, pkis on peut remettre et dissimuler,
plus cela peut être utile (2) » .
Et de fait, elle avait mis l'armateur normand en fâcheuse
posture. Ango ne se trouvait point seulement aux prises
avec les flottes de guerre portugaises; il avait maille à par-
tir avec l'amirauté, pour avoir contrevenu à l'ordonnance
qui défendait toute navigation au delà de l'arcbipel du
Cap-Vert. Contre l'amiral, il eut recours au connétable : à
l'arbitraire, il opposa le droit des gens, disant (jiie ses
vaisseaux revenaient d'un lieu « où onsqvies chrestien
n'estoit ancores allé (3) ! n
VU
UNE RASE NAVALE AU MAROC
Il fit mieux. Et ce fut porter aux Portugais un coup droit
que de lier partie avec leurs ennemis héréditaires, les ché-
rifs marocains, pour obtenir un point d'appui sur la côte
maghrébine.
Au lendemain des attentats contre les navires d'Ango, le
18 février 1533, le roi faisait verser dix mille livres à
l'amiral, avec ordre d'expédier une escadre en pays barba-
(1) Lettres de marque citées {Ihidcin. — GuÉMX, p. 151).
(2) Lettre de Gaspar Vaz. 19 octobre 1531 (GuÉ.mn, p. 197, analyse ;
B. N., Nouv. acq. franc. 9386, copie).
(3) Requête adressée, en 1534, au connétable de Montmorency {Vente de
la collection David. Paris, 1856. — Guémn, p. 199).
288 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
rcsqucs (Ij. L'escadre, réduite à la seule galéasse Saint-
Pieire^ de vingt-huit canons, embarqua comme ambassa-
deur un vieux routier des guerres d'Italie, ancien colonel
d'aventuriers franco-gascons (i), et comme capitaine de
vaisseau un des Savonais venus au Havre diriger nos cons-
tructions navales. Faute de déterminer nettement la situa-
tion respective du colonel l*ierre de Piton et du capitaine
IJattista Auxilia, qui, étant de grade égal, pouvaient se
croire égaux, François I" fut la cause premièi'C d'un drame
poignant.
Les présents qu'ils emportaient pour le souverain du
Maghreb (3) étaient « choses exquises : monstres dorées,
petites orloges sonnantes les heures, estuictz dorez de
peignes d'ivoire, javelines du Brésil, les ferlz dorez et
enrichis de perles. "
Le voyage fut des plus orageux (i). Entre les deux chefs,
la rivalité éclata dès qu'on fut en mer. Parti le 25 mai de
Honfleur, le Saiiit-Piei're passait par le travers du cap Finis-
terre en Espagne quand la vigie signala deux voiles qui
venaient du sud, a de Candve " , déclare dans son rapport
le colonel Piton, assez peu familiarisé avec la géographie
(1) R. N., Franc. 15628, n" 461. — Mille livres furent en sus versées à
l'iton pour son voyage à Fez et pour l'achat d'aniuiaux exotiques, i" avril
1533 (B. N., Franc. 15629, fol. 29).
(2) Il était » colonne! des atlvanturiers " , ou u chevalier, chef et cappi-
taine général de mil hommes de guerre à pic, advanturiers francois et gas-
cons, estans soubs quatre cappitaines particuliers et quatre enseignes. »
Quittance de Piton en date du 26 avril 1529 ;^B. iN\. Pièces orig., vol. 2292,
doss. de Piton, p. 2).
(3) I^a liste en a été conservée (B. IN'., Moreau 770, fol. 30).
(4) Le voyage du Maroc nous est connu par la relation que Piton écri-
vit, moribond, durant la traversée de retour à Bavona de Mior, près de
Vigo, en septembre 1533 (B. N., Moreau 737, fol. 72, orig.), et par la
délation du déserteur Auxilia, qui révéla tout aux Portugais et dont l'in-
terrogatoire, en portuf^ais, est conservé aux Archives nationales K 1483,
p. 87. — Ces pièces m'ont fourni le sujetd'un article : La Piemicre mission
française au Maroc, paru dans le Correspondant du 25 juin 1901. Elles
ont été publiées par le comte II. dk Castiuks, les Sources inédites de l'Iiis-
toirc du Maroc. Paris, 1905, gr. in-8", t. I, 1"^ partie, p. 1.
LA LIBERTE DES MERS. 289
pour confondre Candie avec Cadix. On avait eu avis, en
cours de route, que des croiseurs portujTais guettaient la
galéasse. Les deux voiles suspectes arrivaient effectivement
en droite ligne sur elle; on pouvait distinguer à leur bord
les préparatifs d'un branle-bas.
Au lieu de se mettre en état de défense, Auxilia vint,
blême de terreur, trouver l'ambassadeur et proposa de
prendre la fuite, disant « qu'on lui gasteroit son navire "
par un combat. Pour toute réponse. Piton prit le capitaine
par les épaules et le poussa hors du gaillard d'arrière, qui
était le poste du commandant. Puis comme l'escadrille sus-
pecte se rapprochait de façon à le cerner, il cria : « Qui
vive? " A vrai dire, il n'était rien moins que rassuré sur
l'issue de l'affaire : des cent quarante hommes de l'équi-
page, une quinzaine à peine étaient de vieux loups de mer
à toute épreuve, le reste se composait « de jeunes garsons
à trente solz. " La situation devenait critique, quand de
l'autre bord, une voix amie répondit : " Anglais! " Et ce
fut, au lieu de boulets, des saints qui de part et d'autre
s'échangèrent.
Près d'Arsile, Auxilia vira de bord sous prétexte d'éviter
un écueil : d'écueil, il n'était point trace sur la carte
marine; le prudent capitaine avait simplement esquivé
ainsi la rencontre d'une caravelle portugaise. Arrivé à
Larache, tandis que l'ambassadeur s'apprêtait à gagner
le camp royal, le Savonais, toujours couard, le dénigra par
derrière. Piton le sut, s'emporta et souffleta le misé-
rable.
Le bouillant colonel d'aventuriers reprenait en lui le
dessus sur l'ambassadeur. Ne parlait-il pas d'enlever, avec
quatre cents arquebusiers, la smalah royale et, avec sept
mille hommes, de conquérir le royaume de Fez. Ces consi-
dérations stratégiques ne l'empéchèreiit pas de mener à
bonne fin sa mission : il obtint, par un firman d'Ahmed-
"i. i:)
290 HISTOIRK DE LA MARINE FRANÇAISE.
el-Oatés (1), des points de relâche au Maroc pour nos vais-
seaux, quels qu'ils fussent, " soit marchand, soit navire de
guerre, soit corsère » .
Rendons toutefois justice au véritable promoteur de la
mission diplomatique. Durant Fhiver de l'année précédente,
un chevalier portugais, prisonnier de guerre à Fez, avait
vu arriver dans cette ville devix Français, qui semblaient
faire métier d'acheter des plumes d'autruche. Ils prépa-
raient les voies à nos plénipotentiaires, et, en 1533, l'un
d'eux, Hamon de Molon, revenait avec Piton.
Le retour en France fut tragique. Le capitaine Auxilia
avait déserté et passé aux Portugais : six de leui's caravelles
étaient embusquées sur notre route; la peste était à bord
du Saint-Pierre. Il parvint néanmoins à bon port, rappor-
tant la relation que le colonel, moribond, avait écrite en
cours de route et les présents d'Ahmed-el-Oatés, un haras,
des lions, des lévriers et des autruches (;2). L'amiral Chabot
commit une nouvelle monstruosité : le déserteur, le traître
fut récompensé (3), tandis que le serviteur de Piton, dépo-
sitaire des secrets de son maître, était incarcéré (4).
VIII
LA COURSE déchaînée
Mais en dépit de l'amiral, les Portugais furent châtiés,
peut-être parce qu'ils avaient cru le grand maître Montmo-
(1) 21 de mohairem 940-13 août 1533 (Ministère des affaires étrangères,
Maroc, I, fol. 6 : comte de Castries, p. 8).
(2) Qui furent logés à l'hôtel des Tournelles, à Paris (B. N., Franc.
15629, n°367).
(3) Le 27 janvier 1531l', Auxilia touchait 225 livres pour avoir conduit au
Maroc le feu capitaine Piton (B. N., Franc. 15629, n° 562).
(4) Il s'appelait Le Normant. Lettre du vice-amiral de La Meilleraye à
LA LIBERTE DES MERS. 291
rency et le chancelier Du Prat accessibles comme l'amiral
à la vénalité (1). Dans les leltrcs de marque qu'il délivra
contre eux en novembre 1533, François I" affirmait, une
fois de plus, la liberté pour tous " de naviguer sur la mer
commune (2) v . C'était la thèse des armateurs normands :
deux d'entre eux, Guillaume d'Agincourt et Simon Huet,
avaient déjà armé trois ou quatre navires pour l'Afrique et
l'Amérique du Sud (3). Le roi lui-même donna l'exemple
en dépéchant au Brésil le galion le Saint-Philippe. A la
curiosité qu'il nourrissait pour les bêtes exotiques et que
le vice-amiral de La Meilleraye, par exemple, savait satis-
faire en lui offrant un mouton des Indes (4), se joignait,
pour le malheureux avarié, un urgent besoin de certain
baume des forêts américaines. Je ne vois pas d'autre objet
aux missions secrètes et répétées du capitaine Jean Bel-
langer de Discrets au Brésil, suivies chaque fois d'un
retour à Paris avec sa cargaison de bois (5). Lors d'un
séjour à La Rochelle, le roi acquit de corsaires nor-
mands leur butin et, entre autres, du « gayat ou palme
saincte " [iî).
Chabot, une fois de plus, vint à la rescousse des Portu-
gais, avec d'autant plus d'autorité que la renonciation du
l'amiral Chabot. La Meilleraye, 10 décembre lôSo (B. N., Moreau
774, fol. 312).
(1) Joào III, en 1533, envoyait Bernardini de ïavora en France avec la
mission secrète d'offrir 4,000 cruzades par an à l'amiral, au grand maitre et
au chancelier pour mettre obstacle à de nouvelles lettres de marque
(Pauia : 11. Fhascisque-Michel, p. 380).
(2) B. N., Franc. 5503, fol. 65.
(3) B. N., Franc. 3050, fol. 41 : procès de Chabot. Ils durent s'obliger,
le 19 mai 1533, à remettre à l'amiral tout le brésil qu'ils rapporteraient
(ISAMBERT, Recueil des anciennes lois françaises, t. XII, p. 726).
(4) Vers 1538 [Catalogue des archives de M. le baron de Joursanvault,
t. I, p. 152).
(5) Biserets était de retour du Brésil en mai 1534 (^Catalogue des actes
de François I", t. VII, p. 773), en février 1539 (Archives nat., J 962,
p. 16, n° 17 : B. N., Clairambault 1215, fol. 73).
(6) 1" janvier 1543 (^Cronique du roj Françoys T", éd. Guiffrey, p. 421).
292 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
roi de Navarre à l'office d'amiral de Guyenne (l) étendait
les limites de son ressort à toutes nos côtes du Ponant. De
nouveaux pots-de-vin de quinze et seize mille écus verses
par le Portugal, la promesse d'une pension annuelle de
quatre mille cruzades (2) lui avaient donné une éloquence
communicative, qui finit par convaincre le roi : il obtint la
sanction d'une politique néfaste. Toute attaque contre les
navires portugais venant des Indes fut prohibée, nos cor-
saires punis comme pirates (3). Puis, les navigations aux
possessions portugaises d'outre-mer furent elles-mêmes
interdites par des patentes qu'il fallut renouveler de
semestre en semestre, — en mai et août 1537 (-4), en sep-
tembre et décembre 1538 (5), en janvier 1539 (6), —
tant les Etats de Normandie, le parlement et la municipa-
lité de Rouen opposaient de résistance aux injonctions
royales.
Les Portugais, de leur côté, pensèrent nous intimider
par l'appréhension d'horribles supplices. Voici quelles
tortures ils imaginèrent pour l'équipage du Petit-Lion de
Dieppe, capturé aux Açores en 1537. Aux officiers, ils
firent subir la cale humide, c'est-à-dire la chute du haut
des mats dans la mer, puis l'estrapade et enfin le garrot,
mais quel garrot! Un nœud coulant garni de clous ser-
rait la tête avec une telle violence que les yeux sortaient
(1) En faveur de Chabot. 11 février 1533 (B. N., Franc. 15628, fol. 106).
(2) Palua, Carta de vun-ca.
(3) Lettres-patentes du 26 août. 1536 (Archives de Lisbonne, Torre do
Torabo, Corpo chtouoloqico, Part. I, liasse 57, doc. 94).
(4) British Muséum, nis. Cotton, Nero B 1, fol. 69, J02.
(5) 22 décembre 1538 (Gaffauel, Jean Ançjo, dans le Bulletin de la
Société normande de géographie (1889), p. 250).
(6) Mandement au parlement de Rouen contenant lesdites défenses.
25 janvier 1539 [Catalogue des actes de François J'% t. YIII, p. 681). —
Une liste de ces patentes, avec renvoi aux « éthicquettes « qu'elles portaient
« aux garderobbes des chartres de France >> , fut adressée au chancelier par
Nicot, notre ambassadeur en Portugal, le 12 décembre 1559. Nicot en
poursuivait la révocation (B. N,, N. acq. franc. 6638, fol. 82).
LA LIBERTÉ DES MERS. 293
des orbites. Les victimes une. fois jetées dans la cale avec
l'équipage, les panneaux du tillac furent cloués et le Petit-
Lion fut criblé de boulets jusqu'à ce qu'il disparût dans
l'abîme (1) ,
Chabot, de son côté, fentaitde faire respecter les étranges
prohibitions obtenues de la faiblesse royale. Mais l'hypo-
crite ne pouvait calmer la fureur que soulevait son étrange
condescendance pour les prétentions portugaises; on peut
en jnger par un incident survenu au Croisic. Deux cor-
saires de l'endroit, les frères Vian, plus connus des marins
sous les sobriquets de Pradict et Turegal, avaient été con-
damnés pour pirateries contre des Portugais. Quand vin-
l'ent les exempts, la population du Croisic se souleva en
masse : pour que force restât à la loi, il fallut mobiliser
les sénéchaux de Guérande et de Nantes, des conseillers
du Parlement, au besoin même le gouverneur de la pro-
vince (2).
Avec les Portugais, avaient lié partie les Espagnols; ils
tâchaient, eux aussi, de nous interdire l'accès des Indes,
soit en refusant de relaxer ceux de nos compatriotes qui
connaissaient les parages américains (3), soit en arrêtant
les pilotes, Juan Sanchez de Biscaie, par exemple, qui
offraient de passer à notre service (4). Mais quelle digue
résiste à des appétits déchaînés par l'espoir de fabuleux
prolits ! A bord d'une seule prise en provenance d'Amérique,
nos corsaires n'avaient-ils pas trouvé la somme, énorme
pour l'époque, de cent mille douros (5), deux cent mille
(1) Lettres de marque relatant le supplice. 14 juillet ISii (GuÉxin,
p. 236).
(2) Lettres de François I", 29 février 1540 (B. N., Franc. 5503, fol. 161-
162).
(3) Lettres de Cliarles-Quint, 28 juin 1536 (Archives de Scville, Coiisejn
(le Iiidiax, est. 143, cajon 3, legajo 11 : Communication de M. Biggar).
(4) Séville, 11 décembre 1537 (^Coleccion de dociimeiitos incditos... de
las antiçfuas posesiones e.ipaiwlas de Amei-ica, t. XLII, p. 535).
(5) 1536 (F. DuRO, Armada espahola, t. I, p. 246).
204 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
écus (1) ! Et l'on vit, en décembre 1536, près de La Havane,
ce spectacle étrange : une petite pa tache française, canonnée
pendant trois jours par trois vaisseaux espagnols, prendre
l'offensive et détruire ou capturer tous ses adversaires (2).
Vingt-huit hommes avec huit pièces de canon, tel était
l'armement d'un de ces petits navires, la Ferronnière de
Dieppe, qui ne craignait pas de s'aventurer avec des bâti-
ments plus minuscules encore, la Bonne- Aventure ^ de Ircnte-
cinq tonneaux, et la Docline, sur la route des galions du
Pérou (3).
Cette année-là, en 1537, nos corsaires s'étaientrassemblés
en escadres pour tomber sus aux convois des Indes. Comme
il y avait parmi eux de nom])reux navires dieppois, on
peut légitimement attribuer au grand armateur Ango le
plan de la campagne, la formation des croiseurs en une
longue chaîne depuis le cap Saint-Vincent jusqu'aux
Antilles. L'arrière-garde surveillait les abords de Séville,et
telle était la barbarie de l'époque que nos marins coupaient
le nez à leurs prisonniers, en criant ironiquement : " Eter-
nuez l'or (•4) ! " Le gros de la flotte, une douzaine de navires,
lance à la poursuite du général Nunez, qui était parti en
février pour Saint-Domingue, lui enlevait au large des
Canaries, neuf bâtiments. D'autres voiles, le Petù-Lioupar
exemple, étaient en embuscade plus loin, aux Açores : et
l'on ne savait, aux Antilles et dans les colonies de terre
(1) Martin Du Bellay, Mémoires, dans la collection Michaud et Pou-
joulat, 1" série, t. V, p. 436.
(2) Coleccion de clocinnciitos incdilos... de America, 2*^ série, t. IV,
p. 426.
(3) Ces trois petits bâtiments enlevèrent en 1537 deux vaisseaux espagnols
revenant du I^érou, c'est-à-dire de l'Amérique centrale, charges de lingots
d'or (GossEUX, Documents pour... l'histoire de la marine normande,
p. 80).
(4) F. DuRO, Armada espanola, t. I, p. 426. — 11 fallut armer, on 1537,
quatre garde-côtes espagnols pour défendre les rivages des Asturies contre
nos pirates (Coleccion de Simancas à Simancas, arliculo 3, n" 69).
LA LIBERTÉ DES MERS. 295
ferme, où porteraient nos coups. La terreur y était à son
comble : tel croyait le Honduras menacé d'une attaque (1).
De Saint-Domingue, tel autre écrivait à l'empereur qu'une
expédition française de sept nefs et deux galiotes se diri-
geait contre le port, lieu de rendez-vous, cette année-là,
des convois du Nouveau Monde. Aussi quelle ne fut pas
l'épouvante des insulaires à l'apparition d'une escadre!
Rassemblés en un instant par le tocsin, cent soixante-dix
cavaliers et cinq cents piétons accoururent sur le rivage...
L'escadre suspecte enfin hissa ses couleurs : au lieu de
l'ennemi redouté, c'était le capitaine Perea avec des ren-
forts.
Miguel Perea, à la tête de trois vaisseaux, venait de
livrer bataille à une escadre française qui avait capturé
deux galions des Indes. Le combat, long et sanglant, s'était
terminé par la mort de l'amiral français, que les textes espa-
gnols appellent » M. May Get, senor de Roubost. » Deux
de nos bâtiments, en sus des prises, étaient tombés au pou-
voir de Perea (2).
Alarmés malgré tout, les insulaires des Antilles récla-
maient l'établissement d'une croisière permanente de trois
caravelles blindées (3).
Les exploits de cent cinquante Gascons, avec une simple
nef et vine patachc de Rayonne, ne la justifiaient que trop.
Depuis le mois d'octobre 1537, les Gascons semaient la
terreur d'île en île. La Yaguana, Puerto Hermoso, Ocoa,
non loin de Saint-Domingue, La Havane avaient été suc-
cessivement saccagés par eux. Seul, San-German, dans
(1) Lettre de Diego Garcia, de Celis de Honduras, 3 mai 1537 (Archives
des Indes à Séville, Patronato real, est. 2, cajon 5, 1/22; Catalogo, t. II,
p. 5 : communication de M. Biggar).
(2) F. DuRO, Armada espaùola, t. I, p. 207.
(3) Lettre de Diego de Caballero à Charles-Quint. Saint-Domingue,
20 décembre 1537 [Coleccion de documentas inédites... de America,
t. XLII, p. 152).
296 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
l'île de Porlo-Rico, opposa aux quatre-vingts hommes qui
débarquèrent, une énergique résistance. Santiago de Cuba
ne fut sauvé, le -4 avril 1538, que parla valeur du capitaine
de la Madalena ^ Diego Pérez, de Séville, qui barra la route
aux assaillants; puis, embusqué au milieu des arbustes du
môle pour se garer des boulets, Pérez joignit son feu à
celui d'une batterie de deux pièces qui défendait l'étroit
goulet. Après un vigoureux duel d'artillerie, les Gascons à
minuit abandonnèrent l'attaque (1).
A ces hauts faits, la trêve de Nice, en 1538, mit un terme,
et l'on ne vit que de loin en loin paraître aux Antilles
quelque corsaire attardé (2).
IX
MARE APERTUM — MARE CLAUSUM
Mais le corsaire pouvait-il se muer, aux Indes, en paci-
fique marchand? La question restait en svispens. Du
principe de la liberté des mers ou de la thèse hispano-
portugaise du monopole commercial, on ne savait qui
l'emporterait à la Gourde France, chacune des théories en
présence ayant ses partisans; la lutte entre eux finit de
façon poignante. Les adversaires étaient, sauf un, les
mêmes : l'ambassadeur de Portugal et le syndicat des
armateurs rouennais; Ango, que sa charge nouvelle de
lieutenant de l'amiral (3) empêchait d'agir contre son chef.
(1) DtJCÉnÉ, les Corsaires bayonnais, p. 346. — Coleccioii de docunientos
incditos... de America, 2'' série, t. III, p. 23, et i"" série, l. XLII, p. 152.
(2) En 1539, un corsaire français est capture à La Havane; en 1540, un
autre corsaire saccage San-Gernian (Collection Muîïoz à Madrid, t. 82,
fol. 142 v°, 149).
(3) FIkllot, Jean Ango cl sa famille, p. 5.
LA LIBERTÉ DES MERS. 297
ne dirigeait plus le combat, tout en restant associé aux
revendications de ses collègues.
Déjà, l'ambassadeur triomphait. Une supplique du syn-
dicat, soutenue par tous les marchands de Rouen, avait
échoué (l) : les prohibitions royales d'aller au Brésil et en
Guinée n'avaient été que plus dures et plus formelles (:2),
quand se prodviisit un coup de théâtre. L'amiral Chabot
était arrêté pour ses concussions, les machinations de
l'agent portugais percées à jour et les rôles renversés ins-
tantanément. Le 13 novembre 1540, la défense d'aller au
Brésil et à la côte de Malaguette était rapportée, el ce, à la
requête des marchands (3), spécifiait la novivelle ordon-
nance. Et l'on vit neuf bâtiments rouennais, dès la saison
prochaine, prendre la route jadis prohibée (4) ; tel d'entre
eux, au retour, s'ouvrait en Italie et ailleurs un débouché
pour sa cargaison de bois de Ijrésil (5), qui s échangeait à
Civita-Yecchia contre de l'alun, à Majorque et Toulon
contre des huiles.
Tout le mécanisme économique des armements du temps
nous est révélé dans le mémoire où le capitaine Jean Den-
nebault, en sollicitant un congé de « navigation par la mer
Indicque " , notait les relâches ou « bancques " de son
voyage (6). Au port de Manicongue, au Congo, il comptait
se rendre en droite ligne, sans atterrir à la côte de Mala-
guette ou aux abords de la forteresse portugaise d'El Mina
(1) Archives de Rouen, A 14, fol. 285 v".
(2) Elles furent signifiées au Parlement de Rouen le 25 janvier 1539
(Archives nat., H 1779, fol. 319).
(3) B. N., Collection des \''= Colhert, vol. 292, fol. 70.
(4) Les navires Pcrriue, Madeleine, Espérance, François, Marie, Fleurie, ^
Bonne- Adventure, Marie et I.ojse armés à Rouen pour le Brésil et la ,
Guinée. 1541 (Gossklin, Documents pour... la marine normande, p. 143).
(5) Il sombra près de Brindes à son second voyage en 1542 (Naples,
Archivio Farnese, fasc. 712. Communication de M. Biggar).
(6) Mémoire du xvi'' siècle, antérieur à la fondation de la France Antarc-
tique (1555) (B. N., coll. Moreau 841, fol. 128).
298 HISTOIRE DK LA MARINE FRANÇAISE.
Tandis que les nègres de la côte de TOr prisaient la quin-
caillerie, les naturels du Congo préféraient la mercerie, les
bonnets, les chemises et les draps rouges, en échange de
leur poivre long et des défenses d éléphant. On n'allait plus
à Madagascar s'approvisionner de gingembre, tant les
insulaires étaient a de maulvaise conversation d .
Du Congo, on — Dennebault dans l'espèce — gagnait le
Brésil. A l'excellente rade du cap Frio, les marins n'avaient
point à redouter les brumes, et les vaisseaux les vers. Le
cèdre rouge odorant, les bois d'ébène, les pelleteries y
formaient les éléments d'une riche cargaison, qu'on pou-
vait compléter, à dix lieues de là, au port « des Espates »
avec des sagouins, du poivre et de 1 or, si toutefois les sau-
vages à pied de grue étaient abordables. Dennebault pen-
sait aller plus loin, et, avant de regagner Honfleur ou le
Havre, charger à la baie de Tous-les-Saints de 1 acajou et
du coton, des animaux exotiques enfin dans le pays des
Tapicouroux, non loin des terribles et intraitaldes Canni-
bales.
A travers tous nos ports de l'Océan, il y avait comme un
frisson d'allégresse, un joyeux élan des navigateurs vers les
terres nouvelles. On armait partout, à Bordeaux et à La
Rochelle pour la Guinée, au Croisic pour une terre mysté-
rieuse d'où les marins avaient déjà rapporté des barres d'or.
S'il n'y avait que deux navires équipés au Croisic, et trois
en Guyenne, Saint-Malo en armait treize, et Honfleur quatre
pour la même destination : le Canada. C'était l'expédition
de Jacques Cartier. D'autres marchands bretons, associés
aux gentilshommes du pays, projetaient de fonder une
colonie au rio de la Plata et au Brésil : leurs quatre bâti-
ments devaient quitter Morlaix, Brest et Quimper-Gorenlin
aux Pâques fleuries de l'an 1541. Quinze nefs dieppoises,
armées par Ango, étaient déjà parties pour les mêmes
régions; cinq autres allaient suivre avec une mission de
LA LIBERTE DES MERS, 299
découverte. Un grand pilote, embarqué depuis trois ans
avec la flotte espagnole des Indes, devait passer à notre
service; et on n'attendait que le retour de ce Jean-
Alexandre, comme l'appelaient les marins de Saint-Pol-de-
Lion, pour lui confier le soin de diriger les explora-
teurs (1).
Sur un manuscrit de la Bibliothèque Nationale, on lit la
signature : Jean Cordier, — une date : 1544, — un nom de
lieu : Ilouen. Ouvrez; vous trouverez toutes les notions
nécessaires pour commercer aux côtes d Afrique et d'Amé-
rique : un portulan, un dictionnaire français-brésilien, un
dictionnaire français-guinéen, une table des marées et une
recetle pour la peinture des cartes marines (2). C'était
l'ap^enda d'un membre du syndicat roviennais qui commer-
çait avec le Brésil.
Cordier, non plus que ses collègues, Jean de Quinlana-
doine, Berthélemy Laissclay, Guillaume et Pierre Du Mou-
chcl, Philippe de La Ville, Joseph ïasserye, ne s'étaient
endormis sur les lauriers de leur victoire. Sachant les
menées de l'ambassadeur portugais à la Cour, ils man-
dèrent un délégué près du roi (3). François I" était en
lïutte aux plus étranges sollicitations : comme prix de nou-
velles prohibitions d'aller au Brésil et aux Indes, un cardi-
nal portugais n'offrait-il pas de faire transférer d'Anvers à
Rouen et Paris l'entrepôt des épices : en cas de refus du
roi, perçait la menace de mettre entre les mains de 1 Em-
pereur tout le trafic portugais (4).
(1) Rapport de l'espion Pedro de Santiago à l'empereur Charles-Quint,
8 avril 1541 (Archives nat., K 1485, B* : Simancas, Estaclo Castilln, leg. 51,
fol. 17;î).
(2) B. N., Français 24269.
(3) 21 mai 1541 (Archives de Rouen, registre des délibérations de l'Hôtel
de Ville A 14, p. mi).
(4) Lettre de Pellicier, ambassadeur à Venise, au roi. 18 décendjrc 1541
(B. N., Clairambault 570).
300 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Ce n'était point vaine jactance. Charles-Quint suivait
avec inquiétxide nos armements : il en était si furieux qu il
avait ordonné à ses marins de jeter sans merci nos équi-
pages par dessus bord (1). Et, à la suite d'une grave délibé-
ration du conseil des Indes, il avait lancé sur les traces de
Jacques Cartier la caravelle d'Ares de Sea, pilotée par un
Portugais (:2). A l'empereur, qui eût voulu obtenir une
abdication complète de nos droits, que dis-je, du simple
droit des gens, François I"" sut parler en roi. Aux rodo-
montades du grand commandeur d'Alcantara, il répliquait:
(I Est-ce déclarer la guerre et contrevenir à mon amitié
avec Sa Majesté que d'envoyer là-bas mes navires? Le soleil
luit pour moi comme pour les autres; je voudrais bien voir
la clause du testament d'Adam qui m'exclut du partage du
monde (3) . "
Malgré ces déclarations pacifiques, le gouvernement
impérial prit des mesures préventives, en portant à quinze
cents hommes les équipages de la flotte qui partit en oc-
tobre 1541 pour La Havane (4). Des compagnies d'arque-
busiers, embarquées en même temps, allaient tenir garni-
son aux points les plus menacés : Nombre de Dios, San
Juan de Porto-Rico, Saint-Domingue, La Havane, et au
bastion armé de quatre pièces qui depuis peu défendait
le chenal de Santiago de Cuba. L'attaque de quelques-uns
de nos bâtiments contre Curaçao et Maracaïbo dérouta les
(1) Charles-Quint au cardinalde Tolède, 11-13 novembre 1540 (Archives
de Simancas, Estado Porluqal, legajo 372, fol. 6. Communication de
M. Biggar).
(2) José Torihio M?;dixa, Una expedicinii espanoln a la ticna de los ba-
callaos en 1541. Santiago de Chile, 1896, petit in-8". — Brr.KiXGHAM-SMiTii,
Colcccion de varias documciHos para la hisloria de la Florida. Madrid,
1857, in-4°, t. I, p. 107, 109. — F. Duno, Arca de Noé. Madrid, 1881,
in-8°, p. 316.
(3) Le cardinal de Tolède à l'empereur, 27 janvier 1541 (Archives de
Séville, Estado Castilla, legajo 53, fol. 333).
(4) F. Ddro, Armada expahola, t. I, p. 429.
LA LIBERTE DES MERS. 301
prévisions espagnoles (1). Et même en vue de Porto-Rico,
une misérable patache, montée de trente-cinq hommes,
enlevait une caravelle, en coulait une autre à Tîle Mona et
s'emparait à Portete d'une cargaison de perles (2).
Ce fut bien autre chose l'an d'après, quand la guerre fut
déclarée à l'Espagne. On revit, en septembre 1542, les for-
mations d'attaque adoptées auparavant : une division de
corsaires en croisière au cap Saint-Vincent cueillant à une
lieue de Cadix les arrivages du Mexique (3) ; une autre aux
Açores et aux Canaries, la troisième aux Antilles (4). Les
corsaires isolés ou en groupe infime succombèrent; l'un,
aux Canaries, avec une nef et trois pataches, ne put soute-
nir l'attaque de Juan Lopez de Isasti et du convoi des Indes ;
il fut pris avec soixante-dix des siens; un autre, enveloppé
par les garde-côtes de Saint-Domingue, laissa entre les
mains dcGinès de Carriôn deux bâtiments sur trois et qua-
rante hommes (5).
Mais l'intérêt de la campagne n'était point là. Le gros de
nos forces, loin de se hasarder dans les grandes Antilles,
qu'on savait bien défendues, longeait les côtes du Vene-
zuela, explorées précédemment. Nos corsaires étaient huit
cents, Bayonnais pour la plupart, en cinq nefs et une
patache, pilotés par Juan Alvarez de Séville. En juillet, ils
brûlaient le bourg de Gubagua, dans l'île Margarita. Puis,
le 16, cinq cents d'entre eux pénétraient, sans avoir été
signalés, dans le port de Santa-Marta, dépouillaient les
habitants, pillaient les églises, brûlaient les maisons etvio-
(1) Lettre du gouverneur de Venezuela à Charles-Quint, 18 décembre 1541
(DucÉnK, les Corsaires bayonnais, p. S^Ô).
(2) Madrid, coll. Munoz, t. 82, fol. 213 v».
(3) Elle enleva seize bâtiments, dont la cargaison était évaluée à
50000 ducats (Madrid, coll. Munoz, t. 82, fol. 41).
(4) Dix-huit bâtiments français, au dire de Luis Sarmiento, avaient pris
la route du Mexique. 17 septembre 1542 (Séville, Archives des Indes, Real
vatronato, est. 2, cajon 5, Icgajo 1/22, p. 14, 15).
(5) Madrid, coll. Mufioz, t. 83, fol. 97 v°, etc.
302 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
laient les sépultures qu'ils supposaient remplies de bijoux.
Trois cents autres, le 24 juillet, enlevaient d'assaut Gartha-
gène et plantaient sur la grande place les trois bannières
de leurs chefs. Ceux-là eurent trente-cinq mille pesos de
butin. Mis en goût par le succès, les mêmes marins revinrent
en 1544 renouveler leurs exploits. Le 13 octobre, ils atta-
quaient Santa-Maria de los Remedios : ils ne purent enlever
que les cinq navires en rade : la résistance obstinée des habi-
tants durant une semaine eut cette fois raison d'eux (l),
La situation des marchands et des colons espagnols
devenait intolérable. Nos corsaires n'avaient-ils pas l'au-
dace de bombarder des vaisseaux dans les eaux de Cadix,
comme de planter leur pavillon sur tel port qui leur plai-
sait, des Canaries au Nouveau Monde! » Trois ou quatre
navires français sont les maîtres de la mer du Mexique tout
autant que l'empereur est le maître du Guadalquivir » ,
écrivait terrifie Alonso de Sovisa. Et un autre hidalgo ne
pouvait comprendre « qu'il se trouvât en France un voleur
de grand chemin assez osé pour passer aux Indes avec une
insignifiante troupe de quarante hommes ». Pas même!
Vingt hommes seulement pénétraient le 7 avril 1547 dans
le goulet de Santiago pour enlever une caravelle. Et seize
autres se faisaient prendre cinq mois plus tard, tandis qu'ils
bombardaient Santa-Marta (2).
Aux préliminaires de la paix, Charles-Quint essaya de se
délivrer de ce cauchemar. S'il n'obtint, au traité de Crépy,
aucune sanction de son monopole commercial, il renouvela
avec succès sa demande l'an d'après, au moment des em-
barras de notre guerre avec l'Angleterre (3). A la » prière",
(i) Collection Mufioz, t. 83, fol. J05, 208, 231, 236; t. 84, fol. 70. —
F. DuRO, Armada cspanola, t. I, p. 430-433.
(2) Lettre du licencié Chaves. Santiago de Cuba, 31 mai 1547 (F. Ddro,
t. I, p. 435). — Lettre de Luis Pardo à l'empereur. Rio del Hacha, no-
vembre 1548 {Ibidem, p. 436).
(3) Instructions de Charles-Quint à son ambassadeur en France, Saint-
LA LIBERTÉ DES MERS. 303
et quelle prière! de son u bon frère " lempereur, Fran-
çois I" ne pvU rien refuser; il dut interdire à ses sujets
d'aller au Pérou, aux îles et autres possessions espagnoles
d'outre-mer (1).
Restaient les territoires dévokis au Portugal. Le 22 avril
1546, une flotte de vingt-huit navires quittait Le Havre à
destination du Brésil. Un des vaisseau.v; de l'escorte, l((
Marguerite, de cent trente hommes d'équipage, eut le
malheur de s'échouer, le 12 mai, à l'embouchure du Gua-
dalquivir et le malheur plus grand encore d'avoir pour
capitaine Alljert lioslan, un des corsaires qui avaient causé
tant de mal au.v Espagnols par leur croisière du cap Saint-
Vincent. La Marguerite aysLii comme lest un tas de boulets;
on arracha au pilote l'aveu prétendu que la flotte allait
exercer la piraterie aux Indes (2). Bref, le vaisseau fut con-
fisqué en dépit des réclamations de l'amiral d'Annebault,
son propriétaire, et du roi de France (3), cependant que
des navires portugais étaient détachés à la poursuite de
notre escadre, au Brésil (4).
Il y avait un dernier coup à porter à notre commerce
maritime et au principe tutclaire de la liberté des mers.
Henri II, dès son avènement, s'en chargea. Le 20 octobre
1547, il défendit à ses sujets » d'aller aux navigations du
Mauris. Non seulement il demandait d'interdire à quatre vaisseaux, armés
à La llochelle et au liavi'C, le voyage aux Indes, mais il lui ordonnait de
« bailler toujours toute l'assistance possible aux affaires du roy de Portugal " ,
Mai 15V5 (B, N., Franc. 7i22, p. 78, 230).
(i) I-.ettre de François \" au duc d'Etampes, gouverneur de Bretagne.
5 août i545 (B. N., collection des V Colbert, vol. 292, fol. 19 v°.) —
Dans une autre lettre, non datée, adressée au sire de Fosseux, il l'avise que
les Espagnols se plaignent de cinq prises faites par des corsaires rouennais
à Ténériffe (Archives nal., K 1484, n° 3).
(2) Archives nat., K 1486, n" 42.
(3) Lettre de François 1" à Charles-Quint, 27 septembre 1546 (Ibidem,
n° 64).
(4) L'Allemand Hans Staden était à bord de l'un d'eux. 1547 (Hans
Stades, Wnrhaftiqc hisloria eiiier Lamhchaft (1er Wildeu. Marburg, 1557,
in-4", chap. I, p. 41).
304 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
roy de Portugal, comme à nulles terres découvertes par les
Portugallois (1). " Le 10 septembre 1546, il prohibait toute
importation d'épices autrement que par Rouen (2). Gharles-
Quint avait vécu assez pour voir le triomphe de sa doc-
trine : <i Quant aux Indes, disait-il dans ses recommanda-
tions à son fils, vous devez avoir toujours Toeil à l'envoi de
quelque expédition clandestine des Français. Quoiqu'ils
aient souvent entrepris d'y aller, on a vu que leurs flottes
n'ont pas duré. Quand on leur résiste, ils abandonnent la
partie. "
Amputée de tout droit à la navigation hauturière, dans
un état lamentable, la liberté des mers restait pourtant le
principe fondamental de notre politique. Une singulière
mésaventure en fournit la démonstration. Cavalli, l'ambas-
sadeur de Venise, poursuivait devant le conseil privé la
restitution de deux navires capturés par notre flotte. Con-
sultation juridique d'un docteur en droit de Paris, preuve
matérielle, par la marque des tonneaux, que la cargaison
appartenait à des neutres, il n'avait rien négligé; et il fut
débouté. Il ignorait, le malheureux, qu'un traité passé par
son prédécesseur avec François I" garantissait la liberté de
la navigation sur l'Océan. » Ah ! si nous avions produit ce
titre-là! s'écriait-il plus tard; mais je ne le connaissais
pas (3) . "
Etait-ce remords? Etait-ce revirement de son instable
politique? François I" essaya de faire sanctionner par l'em-
pereur ces mêmes libertés. Un projet de réglementation
internationale du droit de visite, en date du 14 mars 1546,
inscrivait, en tête des articles, le droit pour tout navire
(1) Registre du Conseil privé (B. N., Franc. 18153).
(2) Gafi-ahel, Jean Anqo, dans le Bulletin de la Sncicfe normande de
géoqraphie (1889), p. 313.
(3) Relation de Marino Cavalli. 1546 (Tommaseo, Relations des ambassa-
deurs vénitiens, t. I, p. 318 et suiv., dans la Collection des documents
inédits).
LA Lir.EItTK DES MERS. 305
marchand, sous pavillon français ou impérial, de trafiquer
dans les territoires de la partie adverse, sauf à exhiber ses
connaissements, dès qu'il serait hélé par un vaisseau de
guerre (1). Mais Gharlcs-Quint ne se laissa point fléchir.
Le syslème prohibitif ne fut point entamé.
X
LES DERNIERS JOURS D'ANGO
L'empereur avait triomphé de l'armateur, la force bru-
tale et la ruse du bon sens et du droit. D'autres soucis
préoccupaient le vieil apôtre de la liberté des mers. Dans
un suprême effort qui couronna sa carrière, Ango prenait,
en 1544, la direction des opérations navales contre l'An-
gleterre (2) et organisait, en 15 45, la plus grosse e-xpédi'
tion que la France ait faite au seizième siècle :
« Ce fust luy, luy seul qui fist armer
La grande Hotte expresse mise sur mer
Pour faire voir à l'orgueiul d'Angleterre
Que Françovs estoit roy et sur mer et sur terre (3). »
Ruiné par des avances énormes que la pénurie du trésor
royal empêchait de rembourser, en butte à la jalousie que
son faste et peut-être sa hauteur avaient suscitée, Ango
acheva tristement ses jours en 1551 au château de Dieppe,
dispulant jusqu'à sa dernière heure les débris de sa for-
ttuie à d impitoyables créanciers. Il eût même été jeté en
prison, si, plus heureux que Jacques Cœur, il n'avait été
(i) Projet daté de RamljouiDet, 14 mars 1546, n. st. [B. N., Franc.
17329, fol. 482).
(2) Mai 1544 [Calemlar of State papcrs, Spanish, t. VII, p. 174).
(3) Quatrain composé par un poète dieppois (Vitet, Histoire de Dieppe,
p. 454). — Cf. ci-dessous la relation de la campagne.
m. 20
306 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
sauve par rintcrveiition du roi (1). Et pendant plus d'un
demi-siècle, on n'entendit retentir le nom du patriote, qui
avait engagé sa fortune pour soutenir l'honneur du drapeau
et donner à la France un empire colonial, que dans les
audiences judiciaires où sa mémoire était traînée dans la
bouc (:2) !
« Le palais d'Ango a été brûlé, son tombeau (3) n'est
peut-être pas le sien; de son manoir de Varengeville, il n'a
été conservé que d'informes débris : les contemporains
n'ont donné que les traits épai's de sa biographie, enfin
l'oublieuse postérité a défiguré comme à plaisir la physio-
nomie et les actions de ce Médicis normand, de cet autre
Jacques Cœur qui survécut lui aussi à sa fortune et eut à
regretter d'avoir vécu ti'op tard (4) . »
Pendant plus d'un demi-siècle — la durée du procès pos-
thume d'Ango, — l'occlusion que les bénéficiaires de la bulle
d'Alexandre VI étaient parvenus à maintenir, pèsera sur
nos tentatives d'expansion coloniale et provoquera, parmi
nos marins, une irritation dont le catholicisme sera par
ricochet la victime et dont profitera la réforme.
(1) En 1549 (Registre (lu conseil, B. N., Franc. 18153).
(2) GuÉMN, Ango et ses pilotes.
(3) Le tombeau exploré en 1859 par l'abbé Cochet.
(4) Conclusion de Gaffarel, dans son article sur Jean Anyo.
JACQUES CARTIER
LA DÉCOUVERTE DU CANADA
Après Ango, Cartier ; après TarmaLeur normand, le pilote
breton. Qui tenterait, à la manière de Plutarquc, un paral-
lèle de leurs deux vies, aboutirait à cette conclusion décon-
certante pour la philosophie de Thistoire. Avec une intelli-
gence supérieure, de puissants moyens d'action, la com-
préhension la plus nette de la révolution économique opé-
rée par la découverte de l'Amérique, l'armateur fonda sur
le sable et ne laissa rien après lui... que des dettes : cepen-
dant que Fhumble pilote malouin, malgré son ignorance,
nous dotait d'un continent, parce qu'il léguait aux siens
son exemple et cette chose sacrée en Bretagne, la tradi-
tion.
PREMIER VOYAGE : LABRADOR ET BAIE DES CHALEURS
Faut-il attribuer à un incident de voyage l'idée première
de la colonisation du Ganada?En revenant des pêcheries de
Terre-Neuve, en 1526, le breton Nicolas Don aborda par
hasard une côte, où il fit ample provision de joyaux et de
308 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
colliers d'or : et comme la terre se trouvait dans la démar-
cation espagnole, honnêtement, Don et ses trente marins
offrirent à Charles-Quint le quart de leurs profits, sauf à
être reconnus, sous le hon plaisir impérial, seigneurs du
territoire (1).
Il ne fallait pas davantage pour ramener Tattention vers
la Fraticiscane imparfaitement explorée par Verrazzano et
par le portugais Esteban Gomez, qui le suivit de près (2).
Un nouveau voyage de découverte fut donc organisé en
France, aux frais du Trésor, pour " certaines ysles et pays
où l'on dit qu'il se doibt trouver grant quantité d'or (3) » .
Chose étrange, malgré l'appât de l'or, on ne trouva pas
soixante volontaires, tant, par leurs sourdes menées, des
personnages (4) qu'on peut soupçonner d'être des agents
portugais, avaient pris soin de dégoûter du voyage les
maîtres de navires, jusqu'à les faire " caicher d . Il fallut
mettre l'embargo sur les navires malouins jusqu'au départ
de l'expédition.
Il s'agissait de pousser une pointe vers " les Terres
Neufves », au delà de la Franciscane (5), en traversant " le
destroict de la bave des Chasteaulx » .
L'explorateur, le Malouin Jacques Cartier, était peu
connu encore ; la fréquentation des Portugais l'avait mis
(1) A. de llERnEnA, Ilistoria gênerai de los Castcllanos en las Islas y
tierra fume ciel mar Oceano. Madrid, 1601, in-fol., Décad. III, liv. x,
cap. IX, p. 369.
(2) En 1525 (OviKDO, Sumario. Tolède, 1526, fol. 14. — Carte de
Ribeira, 1529).
(3) Aux termes de la lettre du 12 mars 1534 mandant au trésorier de la
marine de verser à Jacques Cartier une subvention de 6,000 livres (B. N.,
Franc. 15628, n° 618).
(4) Saint-Malo, 19 mars 1534 (Pièce publiée par Ramé, à la suite du
Voyage fait par... Jacques Cartier, Appcnd., p. 3).
(5) Voici le titre du voyage de Cartier dans Rainusio : " Corne messer
Carlo da Mouy {sic pour Cartier) cavallier, partito con due navi da San
Malô, giunse alla Terra Nuova, detta la Fraiicese, et entrô nel porto di
Buona vista » (Ramusio, Raccolta di navigazioui e viaggi. Venezia, t. III
(1556), fol,' 435).
LA DÉCOUVERTE DU CANADA. 309
toutefois à même d'être interprète pour leur langue à
Saint-Malo (1), fait des plus importants pour un naviga-
teur, à une époque où les meilleures cartes marines étaient
des cartes portugaises.
Sans nous renseigner aucunement sur les préparatifs de
l'expédition, le récil du premier voyage de Cartier nous
met brusquementen présence des partants, le 20 avril 1534,
au moment où, ses soixante compagnons ayant prêté ser-
ment de fidélité entre les mains du vice-amiral de La Meil-
lei'aye, le Malouin mita la voile (2). Ses deux petits bâti-
ments de soixante tonnes, vingt jours après, abordaient au
cap de Bonne-Viste à Terre-Neuve.
Les péclieurs terreneuviers avaient pris l'habitude de se
ravitailler en gibier dans 1 ile des Oiseaux, — aujourd'hui
Funk Island, — où abondent, en fait de volatiles, des
godets et des margaux. Cartier en ramassa par tonnes,
avant de continuer sa route dans le détroit de Belle-Isle,
qu on prenait encore pour un golfe, le golfe des Châteaux.
Au Labrador, il reconnut des havres, dont la nomenclature
empruntée aux parages bretons, Saint-Servan, Brest, Blanc-
Sablon ou même Jacques Cartier, ne fut pas aussi éphé-
mère (3) que les vocables normands et florentins de Verraz-
zano. Cartier eut hâte de quitter les côtes désolées de cette
« terre de Cayn " , où erraient, vêtus de peaux de bêtes et
des plumes sur la tête, des sauvages.
(i) JoL'OM DES LoNGRAis, Jaccfues Cartier. Documents nouveaux . Paris,
J888, in-S", p. 57. Cf. aussi la p. 15 sur les voyages au Brésil.
(2) Le premier voyage de Cartier a été publié par H. Michelast et
A. Ramé : Relation originale du voyacje de Jacques Cartier au Canada
en 1534. Paris, 1867, in-S"; d'après le manuscrit à la Bibliothèque
Nationale, Moreau 841, fol. 51, — et par les mêmes, Du voyage fait
en 153-i par le capitaine Jac/jues Cartier, aux Terres-Neuves de Cana-
dus, Norembercjue, Hochclage, Labrador et pays adjacens, dite Nou-'
velle France, l'aris, 18(55, in-8°, d'après l'édition de 1598 et d'après
Ramusio.
(3) Cf. aux archives du dépôt hydrographique la Belle Carte rédigée vers
1682.
310 HISTOIRE DE LA MARINE FTANÇAISE.
Vers le sud, il rencontra rarchipel des îles de la Made-
leine : il disait de Tune, File de Bryon ainsi nommée en
l'honneur de l'amiral de France, qu'vui de ses arpents
valait 11 mieulxque toute la Terre-Neuve » . L'enchantement
continua, lorsqu'il s'enfonça dans la baie des Chaleurs, au
milieu des effluves embaumées des groseillers, des fram-
boisiers et des rosiers : les femmes indigènes étaient si con-
fiantes qu'elles venaient caresser les bras des matelots, en
poussant des cris de joie. Cap Saint-Louis, cap de Mont-
morency, la plupart des termes dont Cartier usa au cours
de son exploration du golfe du Saint-Laurent, étaient des
réminiscences de son pays natal.
Dans la baie de Gaspé, près de l'embouchure du Saint-
Laurent, le 24' juillet, Cartier planta une croix de trente
pieds, où pendait l'écusson fleurdelisé avec la légende :
Vive le roy de !■ range! Drapé dans une vieille peau d'ours
noir, un chef indien protestait en embrassant d'un geste
toute la région à l'entour, qu'elle était à lui et qu'on ne
pouvait en disposer sans son congé. A ses fils Domagaya et
Taignoagny, on passa ujie livrée, avec bonnet rouge et
chaînette au col : et telle est sur l'esprit humain la puis-
sance des h<)ch(4s, que les Indiens cnchautés devinrent les
compagnons inséparables de nos marins. Ils restèrent à
bord, quand, le lendemain, Cartier quitta leur pays (1). Le
5 septembre, ils débarquaient avec lui à Saint-Malo.
(1) M. H. IIaUrisse a reprcsenté par des jjraphiqucs l'ilinéraiic de Car-
tier durant ses premiers voyages [Découverte et évolution carlo graphique
de Terre-Neuve et des pays circonvoisins (t497-150i-i769). Paris-Londres,
1900, in-4% p. 136).
LA DECOUVERTE DU CANADA. 311
II
SECOND VOYAGE : CANADA ET HOCHELAGA
L'expérience était concluante. Le 31 octobre, Cartier
recevait Tordre de poursuivre son exploration en empor-
tant quinze mois de vivres. Son récit de voyage avait eu
assez de retentissement à la Cour pour qu'un éclianson du
Dauphin, Claude de Pontbriant, et de nobles volontaires
comme Charles de La Pommeraye, tinssent à rhonncur de
participer à l'aventure.
Bien que tous les bâtiments malouins (I) fussent encore
consignés au port jusqu'à complet recrutement de ses effec-
tifs (2), Cartier n'éprouva aucune peine cette fois à embau-
cher cent dix hommes, deux fois plus qu'au précédent
voyage (3). Une nef de cent vingt tonnes, un courlieu
rapide comme ces messagers de la tempête auxquels le
bâtiment devait son nom, un galion plus léger encore, La
Grande et la Petite Hermines, tEmerillon, telle était la flot-
tille qu'emmenaient Cartier, son beau-frère Macé Jalo-
bert et son voisin de campagne Guillaume Le Breton, su^ur
de La Bastille. Celtes aux aspirations mystiques, ils com-
munièrent tous avant le départ, le dimanche de la Pente-
côte, et dans le chœur de la cathédrale, leur évéque les
bénit (4).
(1) 3,000 livres sont versés le 25 mars 1535 pour i'arniemenl des vais-
seaux de Jacques Cartici-, niaitre pilote de Bretagne (B. N., Franc. 15632,
n" 571).
(2) Choix de navires et de marins pour le second voyage. 3 mars 1535
(Jo'ÛO.^ DES Lo^GRAlS, p. 21).
(3) Les rôles d'équipages (Archives de Saint-Malo, BB 4-83, 31 mars
1535) avec des notes sur chaque marin, ont été publiés par Jocox des
LONGRAIS, p. 126.
(4) Brief récit et succincte nanalion de la navigation faite en 1535 et
312 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Rallié le 26 juillet à Funk Islancl par Jalobert et Le Bre-
ton, Cartier découvrait le 15 août Anticosti, qui fut baptisée
lîle de l'Assomption en mémoire de la fête du jour. Il entrait
dans le Saint-Laurent.
Ses hôtes d'autan ne l'avaient pas oul^lic. Une tradition
encore vivante chez les Hurons ou Wyandotts, consignée
par Dooyentate, l'un d'eux (1), dit qu'une bande d'Indiens
Delaware, installée sur les bords du .golfe, avait mission
d'avertir les Hurons de notre retour. Un jour, les vigies
virent de grands oiseaux, au ventre brun et aux ailes
blanches, fendre les eaux du golfe et avancer vers eux.
De leurs flancs, sortait le tonnerre. C'étaient les vaisseaux
de Cartier.
Les Indiens, avec lesquels les Malouins s'étaient trouvés
en contact, étaient en effet des Hurons. La preuve en a été
faite par M. Biggar, un érudit canadien qui prépare avec
une patience e( un soin dignes d'éloge une édition des
vovages de Cartier. De son voyage, le pilote malouin avait
rapporte nu jiclil lexique, dont les termes se sont conservés
presque sans aucun changement dans la langue huronne.
Il avait également obtenu de ses interprètes, Domagaya et
Taignoagny, des renseignements topographiques sur leur
pays. Du Saint-Laurent, disaient-ils, deux grands royaumes
bordaient les rives : le Canada et l'Hochelaga.
Le Canada, -— " le village " en huron, selon cette figure
de rhétorique qui prend la partie pour le tout, — avait
pour capitale Stadaconé, la ville que les x\lgonquins, plus
i53G par le capitaine Jacrjuex Cartier aux îles de Canada, Hochelar/af
Saquenay et autres. Paris, 1545, in-8° : rééditée par D'Avezac. l^aris,
18(53, in-8"; — publiée en italien, par R.iMUSio, t. III (1556), p. 4V1 ; —
en anglais, par Hakldyt, Principal Navigations. London, IGOO, t. III,
p. 112.
(1) Orifjin and traditional historj of thc Wyandotts and shetchcs ofother
Indian Tribes of North-America, par Peter Dooyentate CLAnuE. Toronto,
1870, in-8", p. 4.
LA DECOUVERTE DU CANADA. 313
tard maîtres du lerriloire, appelaient Québec au temps de
Champlain (1), mais dont le nom primitif subsiste encore
parmi les tribus baronnes (2). Près de là, Cartier jeta
l'ancre, le 1 i septembre 15;i5, dans une rivière qui fut
appelée, de la fête du jour, Sainte-Croix. Laissant les deux
Hermines à 1 abri d un fort au confluent de la rivière (3),
il remonta le Saint-Laurent avec l'Emerillon et deux
barques. En vain, ses interprèles, de connivence avec
Tagouhanna du Canada, Donnaconna, essayèrent-ils, pour
l'en détourner, d'impressionner ses marins par une masca-
rade ridicule, par l'apparition en barque de trois sauvages,
déguisés en diables cornus, qui prédisaient la mort aux
étrangers assez téméraires pour s'aventurer en amont.
Le 2 octobre, Cartier toucbait à une bourgade fortifiée
et garnie de palissades, dont la population délirant d'allé-
gresse faisait ])leuvoir dans les barques une manne de
gros mil. C'était llocbclaga, a la digue des castors». On
comprit bientôt les motifs de cette réception entbousiastc.
L'agoubanna, perclus de rbumatismes, se fil porter, à la
tête d'un cortège d infirmes, au-devant des blancs. El le
Malouin, transformé en tbaumalurge, les signa, en réci-
tant l'Evangile de Saint-Jean, In principio eral Verburn^ et
la passion du Cbrist. De la montagne voisine, qu'il nomma
Montréal, dans un panorama grandiose, il pvit entrevoir le
pays de ses rêves : les Hurons, touchant la chaine d'argent
de son sifflet et la poignée dorée d'un poignard, firent com-
prendre par signe que ces métaux se trouvaient dans les
(1) ]N. E. DiONNE, Jacques Cartier. Québec, i889, in-12, p. 76 et 239.
(2) Qu'on lise la charmante adresse du chef huron de Lorette, près de
Québec, au prince de Galles. « Bien des lunes ont passe, disait Tsajjenhohi,
depuis le jour où les chefs hurons de Lorette ont eu l'honneur de saluer
ici, sur le promontoire de Stadaconé, le roi ton père >' 190i (Cf. Joseph
PoPK, Le voyaqe royal au Canada en 1901. Ottawa, 1905, in-8").
(3) Du Lairet avec la rivière Sainte-Croix ou Saint-Charles (Dionke,
p. 59).
314 IIISTOSIIE DE LA MARINE FRANÇAISE.
montagnes du nord, chez de méchants guerriers, armes de
pied de cap.
De retour au fort Sainte-Croix, qu'on avait entouré de
fossés avecpont-levis (l),le 11 octobre, il eut à se prémunir
par une .jjarde vigilante contre les desseins de Donnaconna
et des interprètes. Par malheur, une épidémie de scorbut
éclata parmi la garnison avec une telle violence qu'il n'y
eut bientôt plus trois hommes en état de combattre. Vingt-
cinq hommes avaient succombé : Cartier, presque seid
valide, après une promesse de pèlerinage à Nolre-Dame-de-
Rocamadour, ne savait plus à quel saint se vouer, quand
le salut lui vint des sauvages. Lors d'une des sorties con-
tinuelles qu'il faisait pour donner le change sur l'épui-
sement de la garnison, il aperçut, fort et dispos, l'Indien
Domagava qui, la semaine précédente, aux prises avec
le scorbut, était une sorte de cadavre enflé et puant :
la guérison était due à une décoction des feuilles de
l'ameda ou épinette blanche. Six jours après, nos mori-
bonds, traités de même, étaient svir pied, mieux que " si
tous les médecins de Louvain ou de Montpellier y eus-
sent esté avec toutes les drogues de Alexandrie » . Cepen-
dant l'insolence des Indiens augmentait. La chasse aux
cerfs finie, Stadaconé s'emplissait de Tl lirons aux allures
équivoques.
Cartier, frappant un grand coup, enleva le 5 mai 153()
Donnaconna, ses interprètes infidèles et plusieurs chefs
hurons. Le lendemain, il reprenait la route de France, lais-
sant, comme témoin de son séjour, une grande croix aux
armes de France et l'inscription : Francisgus primis, Dei
GRACIA Frangorum REX, REGNAT. Trop affaibli pour reformer
trois équipages, il abandonnait 1 un de ses vaisseaux, la
Petite-Hermine, dont on a prétendu découvrir la carcasse
(1) L't'tablisseiuent foiul(? par Cartier est figure dans la carte de Vallard.
actuelleiacnt à Cheltenham, dans la célèbre collection Phiiiipps.
LA DÉCOUVERTE DU CANADA. 315
en 1843, non loin de l'ancienne rivière vSainte-Croix : Saint-
Malo a reçu une partie de ce trophée (J).
Le 16 juillet 1526, après une absence de quatorze mois,
alors qu'on avait perdu toute espérance de le revoir, Jacques
Cartier entrait en rade de Saint-Malo.
111
TBOISIEiME VOYAGE, CH A RI ES BOU RG-RO Y A L.
LES MINES DU SAGUENAY.
Ainsi se trouvait affirmée notre prise de possession du
Canada. Il était temps. Cartier croisa en route une expédi-
tion de marchands et de gentilshommes anglais (2), qui
vinrent jeter lancre à Funk Island. Malgré le pillage
d'un navire français et de ses vivres, la famine les empêcha
de pousser plus avant que le golfe du Saint-Laurent et
sauvegarda notre découverte.
Une erreur géographique, l'idée que le Canada formait
<i un bout de l'Asie du i-oté de 1 Occident" , mais une saine
appréciation des " commoditéz » d un pays facile à colo-
niser, tel était le bilan de l'exploration de Jacques Cartier.
Elle ne porta ses fruits que plusieurs années après, lorsque
François L', dégagé de la guerre avec l'Espagne, eut des
ressources et du loisir pour envoyer au Canada, au Sague-
nay et à Hochelaga u des colons de bonne volonté et de
touttes qualitéz, artz et industrie, » voire même une cin-
(1) N. E. DlO>">E, Elude arrhcoloqiqiic. Le Fort Jacques Cartier et la
Petite-Hermine. Montréal, 1891, in-8".
(2) La Trinity et le Million, partis d'xAngleterre en avril 1536 (The
voyage of Master LLare and diver other Gentleman to Newfoundland and
Cape Briton, in tlie year 1536, dans liAKLCYT, Principal Navigations,
éd. 1600, t. III, p. 129).
316 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
quantaine de condamnés. Le 17 octobre 1540, Cartier
recevait commission d'organiser la nouvelle expédition
avec le titre de capitaine général et maître pilote (1), et
45000 livres de subvention.
Malbeureusement, les sauvages que le pilote avait
amenés à Saint-Malo pour les faire instruire dans la reli-
gion chrétienne (:2), étaient morts, à l'exception d'une
fillette. Tout le profit qu'il avait retiré de leurs entretiens,
était une notion erronée des mines du Saguenay, qui allait
faire dévier, puis échouer notre première tentative de
colonisation. Les Français se trompent, s'ils croient trouver
là-bas de l'or, disait en haussant les épaules un cardinal
espagnol : sur cette côte stérile, il n'y a d'autre richesse
qvie la pêche (3). Mais sans plus approfondir, François I"
prit possession du Canada par les lettres patentes du
15 janvier 1511, qui subordonnaient Cartier au vice-roi de
la colonie.
Le a lieutenant général, chef, ducleur et cappitaine de
ladite entreprise, ensemble de tous les navires et vaisseaux
de mer » de l'expédition, était un gentilhomme gascon,
Jean-François de La Rocque, seigneur de Roberval (4).
Riche propriétaire foncier à un âge où les flatteries donnent
vite le vertige, mécène de Clément Marot, qui ne craignait
point de l'offusquer en étalant devant lui les mésaventures
intimes de son libertinage, Roberval n'avait que trop ren-
contré, à la Cour comme écuver d'écurie, à l'armée comme
porte-enseigne, les occasions d'ébrécher sa fortune. Il
(1) Nouv. acq. fiant;. 9269, fol. 5, copie : Archives de la Seine-Infé-
rieure, Parlement, reg, criminel de 15-39-1558, fol. 6 v".
(2) l'^rançois V' fait verser 50 écus d'or à Jacques Cartier pour leur entre-
tien. 22 septembre 1538 (B. N., Latin 17059, n'> 202).
(3) Lettre du cardinal de Tolède à l'empereur. 27 janvier i5H (Archives
de Simancas, Eslado Castilla, lejjajo 53, fol. 333).
(4) xVrchives nat., U 75V, fol. 57 : HauriS-SK, Notes pour servir à l'Iiis-
loire, à la bihlioipapliie el à la curloijraphic de lu Nouuellc'France. Paris,
1872, in-8", p. 243.
LA DECOUVERTE DU CANADA. 31'
comptait la réparer au Canada (1). Quelle amère désillu-
sion l'attendait !
Les patentes royales lui conféraient les pouvoirs les plus
étendus : choix, par tout le royaume, de compagnons de
route (2), jusque dans les prisons (3). Destitution des offi-
ciers de terre ou de mer, droit de haute justice, pouvoir
enfin de « mettre en la main du roy " les pays étrangers. Il
fut permis aux criminels de troquer la prison pour l'exil au
Canada, moyennant le versement préalable du prix de leur
passage et de leurs frais d'entretien durant deux ans (4).
Envisagée par le roi comme une " œuvre pitoyable et
méritoire " , qui offrait aux malfaiteurs un moyen de
s'amender, la colonisation eût réussi, s'il y avait eu beau-
coup de colons comme cette héroïque jeune fille, Mon-
dyne Boispye, qui se fit river à une chaîne de forçats, afin
de suivre au Canada son fiancé, un galeux (5) !
Malgré la diligence de ses fondés de pouvoirs près des
divers parlements (6), les chaînes de colons-condamnés
n'étaient point toutes au rendez-vous à Saint-Malo le
10 avril; un mois plus tard, il en arrivait encore (7). Ni
colons, ni artillerie de campagne! lioberval ne pouvait
partir encore. Seul, Cartier était prêt. Le pèlerin de Roca-
madour avait sollicité du pape une indulgence (8) et, le
(1) Al)bé E. MORKL, Jean-François de La Roque, seigneur de Robert'al,
dans le Bull, de (jéogr. liistor. et descriptive (1892), p. 273.
(2) Une ordonnance en date du jour de sa nomination, 15 janvier 1541,
notifia son droit de recruter par tout le royaume des volontaires (Archives
nat., U 754, fol. 53 : Harrisse, p. 258).
(3) Par lettres patentes du 9 mars (Archives nat., U 754, fol. 65).
(4) I^ettres patentes du 7 février (Archives du château de Roberval ;
Abbé MoRKL, p. 280).
(5) François Gav, de Saint-Léonard près Limoges (Jocox Df;s LoscnAis,
P- 20).
(6) Guillaume de 3Iagdaillan, son beau-frère, Paul d'Auxilhon et Alonce
de Civille (x\bbé Morel, p. 281. — Harrisse, p. 254).
(7) JOUOX DES LOSGRAIS, p. 29.
(8) Lettre du nonce au cardinal Farnèse. Paris, 2 novembre 1540 (xVr-
318 HISTOIIIE DE LA MARINE FRANÇAISE.
jour de la Saint- Yves, mis ordre à ses affaires par un testa-
ment (1).
Fournis de vivres pour deux ans, l'Hermine et le vieil
hmerillon, dont le roi lui avait fait présent (2), le Georges,
le Saint-Briac (3), et un cinquième bâtiment se balançaient
en rade de Saint-Malo, les vergues hautes, attendant le
signal du départ. Cartier emmenait comme capitaines ses
beaux-frères Macc Jalobert et Guyon de Beauprest (4) et
son neveu Etienne Noël. Un ordre vint de la Cour, man-
dant de mettre incontinent à la voile, à peine d'encourir le
mécontentement du roi (5) . Iloberval passa donc en revue
les équipages, gentilshommes, soldats, matelots, et laissa
prendre à Jacques Cartier les devants le 23 mai 1541.
La ti^a versée fut rude. L'eau manqua. On dut abreuver
de cidre les bestiaux, chèvres et porcs emmenés pour se
reproduire au Canada. Après ralliement au havre du Car-
pont à Terre-Neuve, Tescadre, entrant dans le Saint-Lau-
rent, atterrit le 24 août au havre de Sainte-Croix. Le rem-
plaçant de Donnaconna accueillit chaleureusement Cartier,
d'avitant que la nouvelle de la mort du chef indien à Saint-
Malo n'était point pour lui déplaire : il passa au Malouin
ses bracelets et le couronna de son bandeau de cuir orné de
chivio tli Stato à Naples, Archivio Farnese, Numlalinn di Francia,
fasc. 691 : communication de M.,Biggar).
(i) 19 mai 1541 (JoiJON des Longrais, p. 39).
(2) Extraits des comptes de Cartier publiés par IIaaiÉ, Discours du
voyage... i" série (Paris, 1865). François !"■ lui avait fait don de l'Hermine
le 10 mai 1537 (Archives nat., J 962, n» 10) et de l Émerillon le 17 oc-
tobre 1540 (R. N., Nouv. acq. franc. 9269, fol. 5, copie).
(3) Archives de Simancas, Eslado, legajo 373, fol. 42.
(4) Dio.NXE, Jacques Cartier, p. 128.
(5) Nous n'avons qu'un fragment du Troisième voyage des découvertes
faites par le capitaine Jacques Cartier, en l'année 1540, dans les pays
de Canada, Hochelacja et Saijuenay, publié, en anglais, par Hakldyt,
Principal Navigations (London, 1600), t. III, p. 232, — en français
par la Société littéraire et historique de Québec, Voyages et décou-
vertes au Canada entre les années 1534 et 1542. Québec, 1843, in-8",
p. 70.
LA DECOUVERTE DU CANADA. 310
coquillages en lui donnant Taccolade. Cartier ne fut point
en reste de marques d'amitié. Il ne fixa pourtantpoint près
de Stadaconc son campement d'hiver.
A quatre lieues en amont, dans un site pittoresque qui
domine également le Saint-Laurent et la rivière du cap
Rouge, il débarqua son artillerie et désarma trois vaisseaux
dans la petite rivière; il renvoya Jalobert et Xoél, avec les
deux autres (l), aviser François l" de l'absence de Rober-
val, qui, pensait-il, avait été battu par la tempête. Char-
lesbourg Royal — ainsi fut baptisée la nouvelle résidence,
en l'honneur d'un enfant de France, Charles d'Orléans —
comprenait deux forts, l'un au bord de l'eau pour protéger
l'escadrille, l'autre au sommet du haut promontoire pour
surveiller l'horizon : vui chemin à double évolution les
relia. Une forêt de chênes etd'érables, bordée sur sa lisière
de vignes sauvages, des prés, un potager qvic l'on forma,
environnaient les forts. Sur le bord de l'eau, « certaines
feuilles d'un or fin, aussi épaisse que l'ongle, " et sur le
plateau, des « diamans, les plus beaux, polis et aussi mer-
veilleusement taillés qu'il soit possible à homme de voir, »
fournirent, à l'estime du capitaine, une riche cargaison.
Sa base d'opération soigneusement établie, Cartier, lais-
sant la garde de Charlesbourg au vicomte de Bcauprest,
forma une colonne pour aller explorer la route du Sague-
nay et se mettre en état, le printemps venu, d'y accéder. Il
partit le 7 septembre avec Martin de Paimpont comme
second. Ses deux barques relâchèrent à Ilochelay (2), dont
l'agouhanna, fort obligeant au précédent voyage, fut grati-
(1) Qui firent voile le 2 septembre. — Dans Pantagruel, dont M. A. Le-
franc a identifié les navigations avec celles de Cartier, il y a un lâcher de
pigeon voyageur, chargé de porter au port de départ des nouvelles fraîches.
Or, par une curieuse coïncidence, c'est dans les parages de Terre-Neuve
que nos transatlantiques effectuent des lâchers de pigeons pour la France
(LKFnANC, Lea naviqations de Paiitayruel, p. 93).
(2) Actuellement Port-Neuf.
320 HISTOIRE DE LA MARIiNE FRANÇAISE.
fié d'un manteau écarlate, garni de l)outons d'élain et de
grelots : deux jouvenceaux y furent laisses pour apprendre
la langue indienne. Devant l'impossibilité de franchir en
barque le premier rapide, malgré une double équipe de
rameurs, Cartier, sous la conduite de quatre Indiens,
remonta les berges du Saint-Laurent jusqu'au deuxième
saut, sans doute celui de Carillon sur l'Otta^va. Au moyen
de petits bâtons couchés à terre et coupés de branches qui
représentaient les sauts, les sauvages de l'endroit montrè-
rent qu'il n'y avait plus qu'un rapide à franchir avant d'at-
teindre le royaume de Saguenay. Faute de vivres, Cartier
dut se contenter de cette description et retourna en arrière,
non sans combler ses guides de menus présents, peignes,
épingles ou hameçons.
Un document d'une importance capitale, que nous ne
possédons malheureusement plus, l'atlas des cartes rédi-
gées par Jacques Cartier, au cours de ses campagnes, fixait
du côté de ^Otta^va le mystérieux but de ses efforts: nous
en avons le témoignage dans une lettre d'un de ses neveux :
(i J'ai trouvé dans ladite carte, dit-il, au-dessus de l'en
droit où la Rivière se partage en deux (Saint-Laurent et
Ottawa), au milieu des deux branches de ladite Rivière et
quelque peu plus proche de la branche qui court vers le
nord-ouest (l'Ottawa), les mots qui suivent, écrits de la
main de Jacques Cartier : » Par le peuple du Canada et Hoche-
laga, il est dit : que c'est ici oii la terre de Saguenay^ qu'elle
est riche et abonde en pierres précieuses . " Un autre passage
de la carte ouvrait ailleurs de brillantes perspectives d'ave-
nir pour la colonie de la Nouvelle France. A cent lieues
dans le sud-ouest, Jacques Cartier avait inscrit cette
légende « Ici, dans ce poys, se trouve la canelle et le girojfle,
que dans leur langue ils appelent canodilla (I) . »
(t) Lettre de Jacques Noël, neveu de Cartier, à Jean Groote ou Grout.
Saint-Malo [15871. La carte de Jacques Cartier était, à ce moment-là,
LA DECOUVERTE DU CANADA. *21
De retour à Gharlesbourg Royal, Cartier apprit que les
Indiens devenaient hostiles, qu'ils ne vendaient plus de
poisson au fort. Des gens envoyés aux nouvelles à Stada-
coné rapportèrent que les sauvages s'y rassemblaient en
nombre considérable. Notre pseudo-allié, l'agouhanna de
Hochelay, était parmi eux et, comme les autres chefs, com-
plotait notre perte. Cartier, à tout événement, « fit mettre
notre fort en ordre... » Par ces mots, à l'instant précis où
une lutte palpitante va s'engager entre des milliers de sau-
vages et une poignée de Français, la relation du troisième
voyage finit brusquement. La suite est perdue.
IV
ROBERVAL. FORT DE FRANCE-ROY.
LILE DE LA DEMOISELLE
Cependant, les deux vaisseaux expédiés en France, le
Georges et le Sainl-Briac, avaient abordé à Saint-Maio le
3 octobre 1541. Sur l'avenir du Canada peuplé de nom-
breuses bourgades, sur la découverte à faire d'une grande
mer à l'oviest au-delà des sauts du Saint-Laurent, le capi-
taine Jalobert ne tarissait pas, prenant pour étrange confi-
dent de ses pensées un espion portugais. A vrai dire, il eût
été en peine de se confier à Roberval : non que le gouverneur
du Canada fût parti, il rôdait le long des côtes de Bretagne,
voire de Saint-Malo; mais il n'osait entrer au port (1) .
entre les mains de Jan Jocet de Greineur, connëtaljle de Saint-Malo f Hak-
hv^-v. Principal Navigations (éd. 1600), t. III, p. 2V2. — Joltox des Los-
GRAis, Jacques Cartier, p. 147.) — jSous ne possédons plus deux ouvrages
de Jean de Glainorgan, capitaine de la marine du Ponant sous François \",
où il était question du Canada : un atlas de cartes marines offert à Fran-
çois I"' et un Traité sur les navigations lointaines et la construction des
navires (Cf. H. Harrisse, The discovery of North America, p. 622).
(1) Lettre écrite de Nantes^ le 12 novembre 1541, à l'ambassadeur du
ui. 21
322 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Si la (Ictrcssc est mauvaise conseillère, il est parfois pires
eonseillers qu'elle. C'est ce qui était arrivé à Koberval.
Pour équiper trois petits navires à Honfleur (1), lo Lèche-
fraye^ la Valentiue et l'Amie, vainement avait-il engagé son
vieux manoir en ruines de Bacouel, des vignes, des cens ;
ne disposant plus que d'un tiers de la subvention royale,
soit quinze mille livres, il avait eu recours à l'ancien com-
manditaire de Vcrrazzano, l'armateur Alonce de Civille (;2),
et à un banquier lyonnais, qui le poursuivait de ses lettres
de créances (3) .
Dans ces conditions, il eut le malheur de rencontrer à
Honfleur lancien vice-amiral Pierre de Bidoux, sieur de
Lartigue (4), qui n'avait pas encore franchi le dernier éche-
lon de la dégradation, n'étant que pirate, avant de devenir,
quelques mois plus tard, un traître (5). Lartigue enseigna
au malheureux, traqué par ses créanciers, un moyen de
faire fortune, qui était de piller amis et ennemis : embus-
qués près de quelque petit port breton, de Gamaret par
exemple, ils réalisèrent ainsi d'assez jolis bénéfices (G), jus-
qu'au jour où l'association se disloqua.
Le jour de Noël 1541, à Landevennec, comme Lartigue
Portugal (Archives de .Siniancas, Eslado, lejajo 373, fol. 42 ; communica-
tion de M. Biggar).
(1) La Marie, dite la Léchefrayc, de 80 à 100 tonnes, venue en mai de
Saint-Malo ; la Valentihe, de 92 tonnes; la Sainte-Anne ou l'Anne, de
80 tonnes, frétées le 19 juin à Honfleur (Archives du château de lloberval :
Abbé Mouki., p. 284).
(2) Auquel il dut signer, avant de quitter Honfleur, le 30 août 1541, une
reconnaissance de 22164 livres 11 sols 7 deniers (Abbc Morel, p. 287).
(3) En mai, à Saint-Malo (JoUox ijks Longrai.s, p. 37).
(4) Lartigue intervient le 17 juin au contrat d'acliat de la Marie (Abbé
MoRKL, p. 284).
(5) Cf. ses propositions de trahison au roi d'Angleterre en 1543 {Lellcrs
find papers... of Henry VIII, t. XVIII, 1'^' part., n" 125, 163, 648).
(6) Des centaines de quintaux de fer et de peaux de maroquin, entre
autres, furent pillées par eux. Lettre de Marillac, ambassadeur à Londres,
22 février 1542 (Jean K\ulek, Correspondance politique de MM. de Cas-
tillon et de Marillar, p. 390).
LA DECOUVERTE IJ U CANADA. 32»
tirait de son l)ord, les hommes de VAnne, peu soucieux d'al-
ler au Canada, désertèrent en masse pour le suivre. Il y
avait là des bandits qui avaient terrorisé, avant leur départ,
les bailliages normands (1) : ils n'avaient cure des ordres
du capitaine Paul d'Auxilhon, qui, selon les instructions
de Roberval, avait consigné tout le monde à bord et tentait
mcmu milùai-i de se faire obéir. Un des mutins, Barbot, bran-
dit son poignard, en criant : « Par le sang Dieu! vous ne
tuerez pas les gens. » Le capitaine l'éventra, les soldats
dépéchèrent deux autres rebelles qui couraient aux armes,
et Roberval témoigna sa satisfaction de cette énergique
répression en absolvant le capitaine (2).
Lui-même n'avait que trop besoin d'être absous : l'opi-
nion, la Cour (3), s'émouvaient de ses atermoiements cou-
pables. L'hiver passa; il n'y eut plus de raison de différer
le départ. Pour guider l'expédition, un pilote s'était offert.
Il naviguait depuis quarante ans (4) ; jamais il n'avait
perdu un vaisseau; il avait perfectionné la voilure en adap-
tant au grand mat le perroquet, qui, de lui, rctini en cer-
tains pays le nom de Jeannette (5). Tantôt marchand, tantôt
corsaire, capitaine ou pilote, il avait saccagé Porto-Rico (6),
(1) Extraits de La Tournelle, 25 janvier 1541 (B. N., Nouv. acq. franc-
9269, fol. 11).
(2) Lettres d'aliolition pour Paul d'Auxilhon. Fort de France Roy, au
Canada, 9 septembre 1542 (liAnnissE, p. 275 ; lire « Lartiguc " au lieu de
1' Cartier », " /Mh»^" au lieu de « Canne ■•').
(3) Lettres du chancelier Poyet au Parlement de Rouen, 10 juillet 1541,
et de Roberval à Poyet, 18 août (Abbé Morkl, p. 287).
(4) Georges Musset, /ea?j Fonteneau, dit Alfoiise de Saintonqc, capitaine-
pilote de François I". Paris, 1896, in-8°, extrait du Bulletin de (jéographie
historifjue et descriptive (1895).
(5) Ibidem, p. 11. — Jai., Glossaire nautique, art. Joanete, portugais.
« Mais le mas eslevë eu signe de son nom
Eslevera tous jours dans le ciel son rcuoni, »
disait d'Alfonse le poitevin Roger Maisonnier, dans un sonnet placé en
tète des Voyages adventureux d'Alfonse, imprimés par Jean de Marnef.
1559, in-8°.
(6) Ainsi qu'il le raconta à Thevet : il gisait, au moment de son récit,
324 HISTOIRE UE LA MARIME FRANÇAISE.
relâché à la Bermude, un nid à corsaires, el reconnu le
continent américain par les 42", entre la Norembègue, —
où il plaçait la fantastique cité de Gibola aux toitures d'or
et d'argent, — et la Floride, qu'il se faisait fêle d'explorer
avec un petit bâtiment de soixante-dix tonnes (1) . Il reve-
nait de Guinée quand Roberval l'embaucha (2) . Sur le
Canada où il se rendait, il partageait l'erreur de Cartier
que c'était a un bout de l'Azie » , attenant à la Tar-
tarie (3) : mais il en connaissait bien la route, ce qui était
l'important. Le pilote, 1 ai-je nommé, c'était le célèbre
Jean Alfonse.
Le IG avril L542 enfin, avec un an de retard, l'escadrille
de Roberval mit à la voile au port de La Rochelle. A bord
des trois vaisseaux, dont les principaux officiers étaient
l'Auvergnat Paul Auxilhon de Saint-Nectaire ou de Senne-
terre, l'enseigne L'Espinay, le capitaine Guinecourl, Noire-
Fontaine, Dieu-Lamont, Frotté, La Brosse, La Salle, Fran-
çois de La Mire et Royèze, il y avait deux cents personnes,
hommes et femmes, matelots et colons. Le 8 juin, la flot-
tille mouillait au havre de Saint-Jean, à Terre-Neuve (4).
... Quelques jours plus tard, Jacques Cartier parut. Il
dans les prisons de Poitiers par exprès commandement du roi (Thkvkt,
Grand insulaire, fol. 174 v"). — Sur Alfonse, voyez Pierre Marcry, les
Navinatcurs français et la révolution maritime du xiv" au wf siècle. Paris,
1867, in-8°; et Emile Biais, Etude sur le capitaine Alfonse, d'après le
livre de M. P. Margry, Bulletin de la Soc. arcliéol. et hisl. de la Charente,
¥ série, t. VI (1868-1869), p. 997.
(1) Jean Alfokse, Cosmographie, B. N., Franc. 676, fol. 182, éd. Mus-
set (Cf infrà, p. 332), p. 496. — Cibola était bien plus au sud. En 1542,
le capitaine .laramillo s'y était rendu de Mexico (Colcccion para la historia
de la Florida, par Buckinguam Smith, t. I, p. 154).
(2) Où il avait conduit, au printemps de 1541, la /ja/-6e f/t> Ja/y/ (Musskt,
Jean Fontcncau, p. 5).
(3) Cosmographie, B. N., Franc. 676, fol. 182, éd. Musset, p. 496.
(4) " Le voyage de Jean François de La Rogne, chevalier, sieur de Ro-
berval, aux pais du Canada, Saguenay et Hochelaga, avec trois navires et
deux cens personnes... « a été publié en anglais par Hakluyt; en fran-
çais par la Société littéraire de Québec, Voyages de découvertes au Canada,
p. 91.
LA DÉCOUVERTE DU CANADA. 325
s'était dérobé aux attaques incessantes des sauvages, qui
rôdaient continuellement autour de Charlesbourg Royal et
avaient tué trente-cinq hommes employés à construire des
habitations ; las d'être bloqué, il retournait en France avec
des diamants et de la poudre d'or; de cette poudre, Rober-
val, le dimanche suivant, fit l'épreuve et elle fut trouvée
bonne. Cartier n'en fut que plus impatient d aller mander
à la Cour sa découverte ; au lieu de rebrousser chemin
pour guider l'expédition dans le Saint-Laurent, dans la
nuit, sans prendre congé, il mit secrètement à la voile.
C était fort imprudent. A sept lieues du havre Saint-
.lean péchaient des marins de Fontarabie, qui précipitam-
ment rapportèrent en Espagne l'annonce que le Ma louai
revenait avec dix barriques d'or, sept d argent, sept (juin-
taux de perles et de pierreries (1). Des marins basques se
mirent en embuscade ; et Cartier, tout autant que nos
pêcheurs, ignorait que, depuis le 10 juillet, la guerre était
déclarée entre la France et l'Espagne. Vingt-sept de nos
bâtiments, puis quatre autres, venant, disait-on, de tenter
quelque entreprise vers les Indes (2), mais, eu réalité, de
pécher sur les bancs (3), tombèrent dans l'embuscade.
L'empressement que l'on mit à en informer 1 empereur
montre l'importance qu'on attachait à cette attaque ; elle
était dirigée contre Jacques Cartier, à telle enseigne qu'une
enquête eut lieu, le 23 septembre, parmi les terreneuviers
espagnols qui avaient pu le rencontrer i). Mais le Ma-
(1) Enquête du 23 septembre 1542 parmi les marins de Fontarabie (Sé-
ville, Archivio gênerai de Indias, Patronato real^ estante 2, cajon 5,
legajo 1/22, n» 16).
(2) Charles-Quint en eut avis le 17 septembre (Journal des uoyages de
C'Itarles-Qiiint, publié par GACUAnD, Collection des voya(/es des souverains
des Pays-Bas. Bruxelles, 1874, in-4», 1. II, p. 216).
(3) Une centaine de terreneuviers furent poursuivis par 13 vaisseaux de
guerre espagnols jusque sur les côtes de Hollande, parait-il. Septembre
[Calendar of State papers, Spanisli, Ifcniy F/// (1542-1543), p. 138).
(4) Enquête citée plus haut, note 1.
326 HISTOIIIE DE LA MARINE FRANÇAISE.
louin était hors d atteinte, à l'abri du Vieux Rocher ( 1 .
Il avait échappé à rennemi. Il n'échappa point au ridi-
cule, qui, en France, tue. Son or n'était que du cuivre, si
abondant dans la région des lacs canadiens, et ses dia-
mants que de petites pierres à facettes d'un schiste riche
en mica; et jaux comme un diamant de Canada passa
bientôt en proverbe (2) . L'immense désillusion qui en
résulta allait enrayer pendant un demi-siècle la colonisa-
tion du Canada.
Après le départ de Cartier, Roberval, quittant Terre-
Neuve, gouverna sur le continent. A quelque distance du
Labrador, le long d'un cap élevé qui se dressait dans une
île, le vaisseau piloté par Jean Alfonse (3) jeta l'ancre et
déposa dans une petite anse deux femmes, avec quelques
vivres. Un gentilhomme, ce vovant, prit son arquebuse,
un peu de linge, et débarqua à son tour dans lile des
Démons (4). Sous ces apparences banales, voici quel sombre
drame se déroulait : Roberval avait surpris la liaison clan-
destine d'une sorte de cousine qu'il emmenait, nommée
Marguerite, avec un de ses compagnons, malgré que la
vieille servante de la demoiselle fît sentinelle durant les
entretiens des deux amants. Et il condamnait la coupable
à la relégation dans cette solitude affreuse. Mais, en vrai
gentilhomme, l'amant avait voidu partager le sort de son
(1) Le 2i octobre 1542, à Saint-Malo, il tenait sur les fonts un enfani
nouveau-né (JoiJON des Lo>grais, p. 178).
(2) Thevet, Les Singularités de la France antarctique . l'aris, 1558,
in-V, chap. lxxx.
(3j Les détails précis qu'il donne sur l'atterrage de lile de la Demoiselle
prouvent en effet qu il y aborda (Cosmoqraphie, B. N.. Franc. 676,
fol. 177 v"). La partie de la Cosmoqraphie qui concerne le Canada a été
publiée en anglais par IlAKLrvT, et en français sous le titre : le Routier
(le Jean Alphonse de Xantoine, premier pilote du sieur de Roberval, par
la Société littéraire et historique de Québec, Voyages de découverte au
Canada, p. 80.
(4) Thevet, Cosmoqraphie, liv. XXIII, chap. vi. — Margdkhitk de
r^AVARRE, L'Heptaméron. Paris, 1559, in-4", nouvelle LXVII.
LA DÉCOUVERTE DU CANADA. 327
amie, telle celle paysanne qui avait tenu à suivre son
fiancé, si criminel fût-il, au Canada.
Dans les cartes du temps, 1 île ainsi que ses voisines
s'appellent les iles de la Demoiselle.
Au Canada, Robeival choisit pour résidence CharleS'-
bourg Roval, qu il nomma le fort de France-Roy. Sur le
Saint-Laurent baptisé également du nom nouveau de
France-Prime, le fort du promontoire comprenait une
grosse tour cl un corps de logis de cinquante pieds de
façade, avec chambres, grande salle, office, four, poêle-,
cellier et moulin. Au pied de la colline, près de la rivière
du Cap-Rouge, les provisions étaient entassées dans une
tour à deu\ étages. Elles étaient en si petite quantité qu'il
fallut rationner dès le début tout le monde. Aussi, le
14 septembre, Senneterrect Guinecourt eurent-ils ordre de
reprendre la route de France avec lAnyie et le galion
roval (Ij pour ramener un nouveau convoi. Alfonse partit
avec eux.
L'hiver fut terrible à la petite colonie. Un tiers de son
effectif fut emporté parle scorbut. Le 0 juin I5i-îi pourtant,
lorsque le Heuve fut libre de glaces, Roberval se mit en
route pour le Saguenav, naviguant contre le courant avec
soixante-dix personnes à bord de huit barques. Trente
hommes, laissés à la {jarde de France- Roy sous les ordres
de Royèze, devaient v demeurer jusqu au l" juillet, et si
Roberval n'était pas de retour à cette date, ils regagne-
raient la France sur les deux barques du fort. La limite
fut portée au :22 juillet par une lettre de Roberval, confiée
à deux gentilshommes, Villeneuve et Talbot, qui ame-
naient en même temps un peu de blé pour la garnison.
Des éclopés en grand nombre, l'enseigne, les volontaires
La Brosse, Frotté, Longueval avaient abandonné l'expédi-
(1) Depuis longtemps à La Rochelle quand Roberval ordonna de les
vendre, le 11 septembre 1543 (Harrisse, Notes..., p. 276).
328 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
tion ; une barque avait sombré avec hviit personnes; mais,
à la date du 10 juin, Roberval poursuivait toujours sa
marche vers le Saguenay. Qu'advint-il par la suite? Nous
i i{j;norons. Les derniers feuillets de la relation de vovaj^je
sont perdus.
... L'expédition de secours arrivait de France avec Sen-
neterre, capitaine de deux vaisseaux, et Cartier comme
pilote (Ij. Partie d Europe en juin 1543, elle était de retour
huit mois après, avec Roberval (2). C'est tout ce que nous
savons de cette dernière expédition. La liquidation après
faillite de 1 entreprise fut pénible. Roberval dut vendre
l'Anne et les objets d'équipement du Galion royal à la
Rochelle, pour en partager le prix entre ses compagnons (3) ,
Jacques Cartier, après débat avec son chef, prouva, par
l'exposé de ses comptes, que, loin d'avoir un reliquat à
rendre au Trésor, il restait créancier du roi (4).
Ail Canada, il n'v avait plus un Français, pas même la
demoiselle, qu un terreneuvier breton rapatria, au bout de
deux ans et cinq mois, folle de terreur depuis qu'elle se
croyait en l)utte, après la mort de sa nourrice et de son
amant, à des persécutions diaboliques. Cette manie de la
persécution était telle qiie, de retour à Nontron en Péri-
gord, elle se cachait de Roberval (5). Le terrible justicier
faillit à son tour périr d une mort épouvantable. Il était
dans le grand carracon Philippe, (jui prit feu en rade du
Havre, en juillet 1545, au moment d'appareiller en tête de
l'immense armada française assemblée pour l'invasion de
l'Angleterre. Peu de personnes échappèrent au sinistre :
(1) Archives nat., K 1232.
(2) Ramé, 1" série (1865), p. 29. — JoLon dk,^ Longuais, p. ôô. —
Archives d'Ille-et-Vilaine, registre d'office 226, i" p., 29 mai 1543; un des
compagnons de Cartier est dit au Canada.
(3) 11 septembre 1543 (Harrisse, Notes... p. 276).
(4) Ramé, p. 24-32.
(5) Ileplaînéron, nouvelle LXVII.
LA DECOUVERTE DU CANADA. 329
Roberval fut du nombre; il fut sauvé, avec cinq hommes,
par un de ces légers navires qu'on appelait des flouins.
Parmi les armes qu il emportait figuraient a sept se-
ringues » , destinées vraisemblablement à projeter du feu
grégeois, ce qui était une façon d'utiliser pour la guerre ses
connaissances minéralogiques (1). Trois ans plus tard, il
obtenait le monopole de Texploitalion, en France, de
" toutes mynes, mynières et sustances terrestres, tant meta-
licques que aultres » , or, argent, plomb et azur ou lapis-
lazuli (2). Croirait-on qu avec une pareille pierre philoso-
phale, il mourut ruiné en I5G0?
A de nombreux baptêmes, à Saint-Malo, on vit, jusqu en
1557, assister un vieillard vénérable, mais encore alerte,
aux allures de loup de mer. C'était Jacques Cartier. Dans
son manoir de Limoïlou (3), véritable observatoire établi
comme celui d'Ango au sommet d'une falaise, ou dans sa
maison de la rue de Buhen, non loin de la tour Quiquen-
grogne, il recevait parfois la visite de personnages illustres.
Si l'on ajoute foi à une tradition locale d antiquité respec-
table, llabelais fut l'un de ses hôtes. Il vint apprendre
de lui il les termes de la marine et du pilotage pour en
chamarrer ses bouffonesqucs Lucianismes et impies épi-
curéismes (4) » ,
Certaine journée de 1550, que Sébastien Cabot et
Bayarni, un Danois qui en vingt-deux ans avait fait quatre
voyages à Thulé, se trouvaient réunis chez lui et devisaient
de leurs voyages, un hâbleur survint qui soutira à chacun
(i) Le Havre, 18 juillet 1545 (Archives de Roberval : Abbé Morel,
p. 299).
(2) Lyon, 30 septembre 1548 (B. I\., Franc. 5085, fol. 271. —Édits...
sur le faiet, ordre et police des mines et minières de France. Paris, 1631,
in-8". — MoBEL, p. 294).
(3) llamé en a donné deux vues, p. 1, 65.
(4) .Jacques Doremet, De l'antiquité de la ville et cite' d'Aleth, 1628.
Réédition Joiion des Longrais, p. 50.
3.Î0 HISTOIRE DE T,A MARINE FRANÇAISE.
deux quelque chose : à Bavarni, une description de Thulé;
à Cabot, des mémoires sur la terre de Gorte-Real et les
rivières comprises entre le cercle arctique et le golfe des
lies du Diable; au Malouin, une carte de l'île de TAssomp-
lion ou d'Anticosti, et l'histoire d'un ours rencontre à
Terre-Neuve, i. si vieux qu'il en estoit blanc! (Ij " .
V
LA MORT DV PILOTE ALFONSE
Non plus (juc h piidte malouin, Jean Alfonse ne retourna
au Canada. La jjuerre avec l'Espagne lui offrait de
tout aulres perspectives de profit que l'exploitation des
faux diamants; e( la Collette de La Rochelle, après une
croisière de conserve avec la Madeleine de Saint-Jean-de-
Luz, ramenait en décembre 1543 quatre prises armées en
.guerre et une cargaison de sucre de Madère f;2). Avant de
repartir en course, comme par un pressentiment de la des-
tinée, Alfonse éprouva le besoin de se recueillir et de con-
signer par écrit les observations géographiques qu'il avait
pu rassembler durant sa longue carrière maritime, sauf
qu'elles semblent trop, en certains points, un plagiat
delà Surna de Geografia d'Enciso (3i. Sa Cosmographie^
terminée le 24 mai 1541 à La Rochelle, fut son testa-
(i) Thevkt, Le Grun.l Insulaire : li.N., Franc. 15452, fol. 15. 20, I W.
(2) MrssET, Jean Fonicneau, p. 6 : il était à La Rochelle dès le mois de
mai précédent.
(3) Les emprunts faits par Alfonse à l'ouvrage d'Enciso ont été relevés^
par II.\RRissK, Découverte et évolution cartographique de Terre-Neuve,
p. 154-, et par M.\rory, dans le ms. des INouv. acq. franc, de la B. N.
9385. — Voici le titre de l'ouvrage de Martin Fernandez de Engi.so, Suma
de qeoqrafin qne trat/i de lodas tas partidas y prnvineias del vuindo, en
especial de las Indias. Scvilla, 1519, in-fol.
LA DEGOL'VERTK DU CANADA. 331
mcnl (1). 11 espérait, par cette œuvre suprême, « faire ser-
vice au Roy, " car il trouvait que nous nous laissions
dépouiller dans le partage du monde.
Passant de la théorie à la pratique, il lomha sur les
Espagnols, à la tête de laMarie et de la Louise de Guillaume
Perle, renforcées par un navire de Ré {"1). Tous les vaisseaux
étaient armés à la grosse aventure, c'est-à-dire qu'on ren-
dait simplement les armes aux prêteurs, si la campague
était sans profit; on les remboursait au double de leur
valeur en cas contraire. Cette fois, la fortune fut infidèle
ù l'aventureux capitaine. [*eu après son départ, la paix
entre la France et 1 Espagne fut signée le 18 septembre,
Alfonse n'en était point averti.
Par le travers du cap Saint-Vincent, il venait de capturer
une douzaine de navires basques chargés de fer, qiumd lui
de nos plus redoutables adversaires, Menendez, se lança à
sa poursuite, reprit cinq bâtiments basques; après vuie
chasse mouvementée, il attaqua Alfonse eu pleiuc rade de
La Rochelle et le blessa mortellement (3). Sommé de venir
s'expliquer à terre, Menendez exhiba aux échevins de La
Rc»chelle l'ordre qu'il avait de reprendre les vaisseaux cap-
turés depuis la signature de la paix. Il obtint que les prises
fussent placées sous séquestre.
Jean Alfonse mort, son fils Antoine jura de le venger. 11
envova défier Menendez, lavertissant qu'il prendrait la mer
dans deux mois avec ses trois vaisseaux. Le défi fut relevé :
la rencontre eut lieu à Ténériffe : et, de ce nouveau duel,
(J) Musset, Jean Fonteiieau, p. 10. — La Cosmoqraphie existe en ori-
ginal à la Bibliothèque Nationale sous le n" 676 du fonds français.
(2) Alfonse était encore à La Rochelle le 26 juin (Mussp:t, p. 7).
(3) Y a-t-il une allusion à cela dans le « Sonnet d'Alfonce " de Roger
Maisonnier :
« Les flols soiil les malins (|ui, mesme après sa mort,
Le vouidroient assaillir jusijue dedans le port,
(/.c? voyages adventurcux du capitaine Jean Alfonce, préface).
332 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Menendez, avec ses deux vaisseaux, sortit encore vainqueur.
Antoine fut tué d'une balle, son vaisseau coulé, les deux
autres pris (1). Telle est une version espagnole dont il esl
impossible de contrôler les détails, sinon que les allusions
d'un contemporain à la mort violente d'Alfonse arrivant
au port semblent la corroborer.
" L'assaillant l'a mis en tel desroy,
Que rien de luy ne reste plus que poudre. •
Sa Cosmographie était tombée entre les mains d'un pilote
honfleurais, 1 un de ses compa.gaons probablement lors de
l'expédition de Roberval. Homme " povre et loïal », —
c'est lui-même qui se décerne ce brevet d honnêteté, —
Raulin Le Taillois. dit Sécalart (2), tenta, par des grat-
tages et des additions frauduleuses, de se faire passer pour
l'un des auteurs de l'ouvrage (3), et il essaya d'en tirer
parti... en Angleterre (i). Un autre Honfleurais, Maugis
Vumenot, résuma la Cosmographie sous le titre : les Voyages
aventureux du capitaitie Jean Al/once, pour le compte d Un
Piémontais.
Tandis que d ingrats compagnons ne songeaient qu à
faire leur profit de l'œuvre d'Alfonse el même à <i esteindre
son nom 1) , un poète le rendit immortel. Il recouvra "Subti-
lement» et publia les Voyages adventureux, en rendant jus-
tice au défunt. >> Remerciez donc ce seigneur de Saint-
(1) B.\n(:iA, Ensayo vronologico para la liixtoria cjciicral de la Florida.
Madrid, 1723, fol. 58.
(2) P. et Ch. BrÉard, IJocunientx relatifs à la marine normande, p. V6.
(3) M. Musset (Jean Fonleneau, p. 9) a montré comment Sécalart à
lavé le ms. 676 à divers endroits pour ajouter son nom à côté de celui d'Al-
fonse, substituer la date 24 novembre 1545 à 24 mai 1544, etc.
(4) D' E.-T. Hamv, Jean Boze, dans le Bull, de ffeogr. hist. (1889), n° 2,
p. 11. — La Cosmographie d'Alfonse, jusqu'ici inédite, vient d'être impri-
mée par M. Musset dans \e Reeueil de voyages el de documents pour servir
a l'histoire de la géographie. Paris, Leroux, 1904, in-S". M. Musset
attribue à tort à Alfonse le Biscorso d'un grand capitano di mar francese
del luoco di JJieppa, publié par Ramusio. Ce discours est de Crignon.
LA DECOUVERTE DU CANADA. 333
Gelays, — c'était le poète, — d'un tel bien par luy fait à la
République, " ajoute, en manière de conclusion, Thonnéte
imprimeur que la conduite de Sécalart et compaj^nie avait
révolté (l).
... Tous les acteurs de la découverte du Canada avaient,
lun après l'autre, disparu. Mais l'un deux, à son lit de
mort, avait légué son œuvre aux siens : et les neveux, les
compatriotes de Jacques Cartier, restèrent fidèles aux vo-
lontés dernières du vieux pilote. Par eux fut maintenu le
contact avec les populations canadiennes (2) ; par eux nous
fut conservée notre première colonie.
(1) Poitiers, Jean de Marnef, 1559, in-8".
(2) Cf. le baptême à Saint-Malo, le 17 septembre 1553, d'un « sauvaige
des parties de la Terre-Neuve « (Joito> de.s Losgrais, p. 76j.
CROISADE OU ALLIANCE TUROCE?
VELLEITES DE CROISADE
Ah! rhabilc politique que Gharles-Quint! Après nous
avoir battus, il nous faisait épouser ses querelles. Et non
content de nous enlever l'empire de la mer, en nous ren-
dant, après Texpédition de Cherchell, une flotte hors de
service, il nous mettait aux prises avec son adversaire, qui
prenait le clianjje et tombait sur nous. Une résistance
acharnée, en juin 1530, ne put sauver la Napoule des
attaques de quarante-huit bâtiments barbaresques : la ville
fut prise d'assaut; la forteresse tenait encore, quand l'ap-
parition de trois A'aisseaux vint distraire l'attention des
assiégeants. L un, qui alliait porter à Doria un renfort de
cinq cents hommes, ne succomba qu après un sanglant
combat, bientôt suivi de la retraite de Barberousse (1).
Devant la perspective d'un retour périodique des pirates,
il fallut mettre les îles d Hyères en état de défense et, pour
ce, en faire don au baron de Saint-Blancard (2) ; il fallut
pourvoir la tour d'If d une forte garnison et d'une frégatc-
(i) Valbelle, B. N., Franr. 5072, fol. 138. — Archives de Toulon.
HH 46, fol. 310.
(2) Juillet 1531 (Areliivcs nat., JJ 246, n" 22\
CROISADE 01 ALLIANCE TLKQIJE? 335
aviso 1 ; il fallut surtout élaborer, avec toute la célérité
possible, un vaste programme de constructions navales, de
nature à faire face à une nouvelle attaque de Barl)erousse :
on disait que le redoutable pirate amènerait, au printemps
de 1532, cent vingt voiles (2). La perception d'une taxe
additionnelle d'un sou par livre, en sus du principal de la
taille 3 , fournit assez de ressources pour mettre en chan-
tier, par échelons successifs, douze galères et quelques
vaisseaux en Provence (il, sept galeasses et galions (5),
puis treize autres en Normandie f6). François I" comptait,
à la saison prochaine, disposer de soixante bâtiments de
guerre, la plus belle flotte de la chrétienté (7). En atten-
dant, il parcourait les ports du Ponant, Rouen, Dieppe,
Nantes, afin de passer en revue les forces navales qu'il
pourrait immédiatement expédier contre Barberousse. La
Grande-Fj^ançoise en devait constituer le noyau. Un gen-
tilhomme de Savone, Jérôme ou Girolamo Fer, estimait
possible de la conduire à Marseille ou à Toulon sans autre
équipage que cent vingt matelots, en la gréant comme la
(1) A la disposition de Louis Fournilinn, capiiaini- de la Tour Archives
nal., J 960\ n" 38, et J 96t^ n° 5}.
(2) Lettre de François 1" au Sacré-Collège, lloui n, 2 février 1532 (Cn.vr.-
niiiRK, Négociations de la France dans le Levant, t. I, [>. 190;.
(3) B. N., Franc. 25721, pièce 383.
(4) Lettre de François l" citée. — 92,250 livres furent dépensées en
1533-1534 pour la construction de ces douze galères à ^larscillc (B. ]N..
Franc. 15629, n" 741; Franc. 25721, pièce 417 .
(5) En 1532, la flotte royale du I^onant s'accrut de sept bâtiments : la
galéasse Saint-Jean construite à Brest et jaugeant 300 tonneaux; la ga-
léasse Saint-Pierre, de 200 tonneaux, et deux galions construits au Havre,
une galiotte de 60 tonneaux et un brigantin de 40, construits à l'ancien
Olos-des-Galées de Rouen; enfin le Saint-Philippe, de 300 tonnes, achett'
il Saint-Bonnet, capitaine de Bayonne (B. }s.. Franc. 15628, n"' 188-190.
202, 44i : Collection Moreau, vol. 737. p. 43. — Bibl. du iJépôt des
oartes de la Marine, 87^, n" 19).
(6) En 1535, la galéasse Reale, la galère iAr'xletrière et des galions
(B. N., Franc. 15632, n"' 570-573. — Archives nal , C 754, fol. 36;.
(7) Lettre de Zuan Antonio Venier. Venise, 28 juillet 1532 (Sa>dto,
t. LVI, col. 800).
33f> HISTOIRK DE LA MARINE FRANÇAISE.
plus grosse canaque de Gènes (1). Mais en dépit de ses
promesses, en dépit des ressources mises à sa disposi-
tion (2), le gentilhomme ligure ne parvint point à sortir du
Havre de Grâce la lourde masse.
Puis, le pape ne s'avisa-t-il point de vouloir confier à
André ou Filippino Doria le commandement de la flotte
chrétienne, et cela dans le moment où l'on prêtait aux
déserteurs génois de sinistres desseins contre les ports de
Provence et où nous songions nous-mêmes à leur enlever
un repaire en saisissant Monaco (3) .
La réponse de Montmorency fut que « telz paillars »
méritaient d'être pendus et étranglés (4), et qu'il n'enten-
dait point hailler la charge de l'armée de mer à « autre
personnaige " que Stuart d'Alhanv. Pour avoir de son
propre chef proposé une transaction, qui eût été de substi-
tuer le grand maître de Rhodes au duc d'Albany, notre
secrétaire d'ambassade à Rome fut vertement rabroué.
" Par ainsi, si vous usiez d'autre dissimulacion, lui écrivait
durement Montmorency, au lieu de faire le fin, seroit faire
le sot (5). » Nous ne voulions pas du candidat pontifical,
quel qu'il fût, parce que le pape avait froissé notre amour-
propre. Il avait donné le pas à l'ambassadeur impérial sur
le nôtre, « grande et lourde faulte, quasi impossible à rep-
parer fO) » .
(1) Mémoire en italien donnant le devis des frais de voyage (B. N.,
Franc. 4600, fol. 190).
(2) 30,000 livres, selon mandements datés de Nantes, 25 août 1532, et
de Marseille, 7 novembre 1533 (Archives nat., J 962, fol. 4, 156).
(3) ÏNeuf de nos galères rôdèrent pendant cinq jours autour de Monaco.
Avis du 19 juin (Sasuto, t. LVI, col. 457).
(4) Lettre de Montmorency à M. d'Auxerre. 3 juillet 1532 (B. N.,
Dupuy 547, fol. 98, 103. — Francis Déchue, A)7ue de Montmorency,
qrand-maître et connétable de France, p. 188).
(5) Lettre de Montmorency à M. d'Auxerre. 21 juillet (B. jX., Dupuy
547, fol. 108. — Décrue, p. 189).
(6) Lettre de Montmorency à M. d'Auxerre. Dieppe, 19 janvier 1532
(B. N., Dupuy 44. fol. 18. — Décrue, p. 186).
CROISADE OU ALLIANCE TURQUE? 337
Dans l'évolution de notre politique vers les idées de
croisade, des concours intéressés, mais inattendus —
venant d'infidèles et d'hérétiques — s'offrirent à nous.
Le roi de Tunis, que gênait le voisinage de Barberousse,
envoya comme tribut d'amitié, prémisse d'une alliance,
des couples de lions, de chameaux, d'autruches et d'anti-
lopes, qui débarquèrent à Marseille le 1:2 août 1531 (Ij.
Quelques mois plus tard, un autre voisin de Barberousse,
le fils du roi de Tlemcen, abordait à son tour en France
pour se faire baptiser (2).
Pour se faire absoudre, un troisième souverain, un
prince adultère cité à comparaître devant le tribunal de la
Rote, Henri VIII, avait pris François I" comme médiateur.
Les négociations avec le Saint-Siège furent pénibles (3),
bien que le coupable s'imposât d'avance une pénitence
onéreuse :
Le Défenseur de la Foi promettait au Très Chrétien d'en-
rayer les " dampnées machinations du Turc " , en contri-
buant pour un tiers à la formation d'une armée franco-
anglaise de 80,0(^0 croisés (4). C'était le moment où
François 1" créait ses fameuses légions d'infanterie sur le
modèle des légions romaines. Entre les deux princes, les
relations furent encore resserrées par un traité d'alliance,
où ils s'assuraient mutuellement l'appui, qui de 500 lances,
qui de 5,000 archers, mais surtout d'une flotte montée de
1,500 hommes (5).
On comprend, dans ces conditions, quel fut l'émoi du
(1) VALnELLE, B. N., Franc. 5072, fol. 146.
(2) 2 mars 1533 (V.^lbelleJ fol. 161 v").
(3) Cf. Décrue, p. 182.
(4) Le P. A. Hamy, Entrevue de François I" avec Henry VIII a Bou-
logne-sur-Mer en 1532. Paris, 1898, in-8°, p. ce : traité de Calais, 28 oc-
tobre 1532.
(5) Traités des 30 avril et 23 juin 1532 (Camuz.\t, Meslanges historiques,
t. II, fol. 88).
'"• 22
338 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
vice-amiral de La Meilleraye, en recevant Tordre de fournir
une escorte d'honneur au monarque anglais, qui passait
en France. Il craignait que les navires royaux tout neufs
Saint-Jean^ Saint-Pie.rre, Saint-Philippe^ Grand galion de
Touques^ et deu.\ bâtiments normands parussent bien
Il mécanicques » , c'est-à-dire bien mesquins, avec leur
jauge maximum de trois cents tonnes (Ij, auprès des
magnifiques nefs, si hautes et si sveltes, popularisées par
Holbein. Et ce fut pour le vice-amiral un soulagement
d'apprendre que la flotte ne serait pas de la fête. Il était
décidé qu'au rebours du Camp du drap d'Or, l'entrevue
de Boulogne aurait lieu avec le moins d'apparat pos-
sible (2) .
Henri VIII venait cette fois en quémandeur et non plus
en arbitre. Il désirait obtenir, par la discrète intercession
du roi de France, une sentence de divorce, qui lui permît
de répudier Catherine d'Aragon et d'épouser Anne Boleyn.
En dépit des apparences, la mission du médiateur était de
conséquence extrême; de sa réussite ou de son échec, pou-
vait résulter une croisade ou un schisme...
II
L'ENTREVUE DL PAPE ET UU ROI A MARSEILLE
L'entrevue du pape et du roi de France, où allait se
décider cette grave question, fut amenée de la façon la
plus naturelle du monde. Un fils de France épousait une
nièce du souverain pontife, qui ne pouvait moins faire que
(1) Liste des vaisseaux désignés pour l'escorte, avec le nom de leurs capi-
taines et le chiffre de leurs équipages qui variaient de 120 à 180 hommes.
La Meilleraye, 20 septembre 1532 i?>. N., Moreau 737, fol. 43).
(2) 10 septembre (Lettre de Gilles de la l'ommeraye, dans le P. Hamy,
p. 26).
CROISADE OU ALLIANCE TURQUE? 339
de venir bénir lui-même le mariage du prince Henri et de
Catherine de Mcdicis, duchesse d'Urbino. Ce fut l'occasion
pour notre escadre du Levant de se mettre en toilette de
grand gala, sous l'inspection d'un commissaire envoyé spé-
cialement à cet effet, Antoine de Proussat de Saint-Bon-
net (1), et sous la haute direction du grand maître Anne
de Montmorency, chargé du commandement suprême des
forces navales durant le séjour de Clément VII (i).
Tandis que le grand maître organisait à Marseille une
réception grandiose (;ij, l'ancien régent d'Ecosse, Stuart
d'Albany, partait au-devant du pape en compagnie de l'ami-
ral du Levant, Claude de Tende. Nos dix-huit galères (4)
avaient à bord une garde d'honneur de quatre-vingts
lances (5) et deux compagnies d'infanterie, douze cents
hommes (6) en tout, qui assuraient contre tout risque la
traversée.
C'est que le parti impérial essavait d entraver l'entrevue
projetée entre le pape et le roi de France, en faisant courir
les bruits les plus sinistres sur les guet-apens de Barbe-
rousse (7). Et de fait, Sinan le Juif, lieutenant du fameux
capoudan, venait d'intercepter trois galères génoises riche-
(1) Quittance de Proussaf, sieur de Saint-Bonnet, comme commissaire
de l'année de mer tant en I^iovence qu'aux côtes d'Italie (Bibliothèque du
Dépôt des cartes et plans de la Marine, vol. 87'^, n" 20).
(2) 31 juillet 1533 (B. N., Clairambault 825, fol. 114 v").
(3) Valbelle, B. N., Franc. 5072, fol. i(J8 et suiv.
(4) (<inq du grand maître Anne de Montmorency, commandées par Chris-
tophe de Lubiano, son maître d'hôtel ; six du baron de Saint-Blancard,
dont (juatrc appartenaient au roi; trois de son frère Magdalon d'Ornesan,
dont deux au roi; deux du capitaine Jonas, dont une au roi ; une de Chris-
tophe de Lubiano; une de Bernard d'Ornesan (Archives nat., .) 960',
fol. 13()V
(5) Ih{,lem, fol. 117, 117 V".
(6) Ibidem, fol. 118, 148 v", 151 : l'une des compagnies était celle du
capitaine Fournillon, commandant la tour d'If.
(7) Lettre du cardinal François de Tournon au duc d'Albany. Home,
9 septembre (Archives nat., K 84, n" 27, publ. dans le Musée des Archives,
ii"590).
340 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
menl chai^jées. laissées à Messine pai' iVndrë Dorla (l).
Notre eseadre attendait son au^juste passager, quand un
avis lui vint de Rome d'avoir d'abord à mener à Nice la
fiancée, Catherine de Médicis, puis de revenir quérir à
Pietra-Santa la cour pontificale, lléuni en conseil de
guerre (2), l'état-major de la flotte, — Stuart dAlbany,
Claude de Tende, Christophe de Lubiano, Maurice de
Jonas, Magdalon d'Ornesan, Saint-Bonnet et Chabannes,
— décida de s'incliner devant la décision de Clément VII.
On laisserait, dans 1 intervalle, à La Spezia les gens d'armes
de la garde d'honneur et une division de trois voiliers, la
Billotte, le Ragvsais et le galion de Renteria, pour protéger
le port, tant contre les trente-cin{j voiles de Sinan le Juif
en croisière dans le canal de Piombino que contre les dix-
huit galères d'André Doria, en route pour Gènes.
Le sentiment qui inspirait Clément VII n'était point la
peur. Nous irons toujours près de terre, déclarait-il aux
pessimistes, et il y aura force frégates et brigantins ctgrand
garde pour nous avertir du moindre danger (3). Mais le
pape attendait le retour de sa propre flotte, que Bernardo
Salviati avait menée, conjointement avec André Doria, au
secours de Coron. La valeur déployée par Salviati dans
l'engagement du 2 août, où la flotte de Lofti-Pacha, malgré
sa supériorité numérique, avait été forcée d'abandonner le
blocus de la ville grecque (4), inspirait confiance, non
moins que l'appoint de seize galères, tant du pape que des
chevaliers de Malte. Enfin, Salviati vint. Et le 5 octobre,
aux salves trois fois répétées de toute l'artillerie, le pape
s'embarquait à Livourne sur l(c Réale de France (5J . A la
(1) GUGI.IKLMOITI, t. I, p. 347.
(2) La Spezia, 4 septemlM-e Cil N., Dupuy 486, fol. 51).
(3) Lettre du cardinal de Tournon (Musée des Archives, n» 590).
(4) F. Ddro, Armada cspanola, t. 1, p. 165. — Gdglielmotti, t. I,
p. 343.
(5) Récit du voya{;e dans le journal du uiaitre des cérémonies Petrus
CROISADE OU ALLIANCE TURQUE? 341
tête de légers avisos, le lloi de galère et le Cercamare fouil-
lèrent rhorizoa; les galères se déployèrent en ligne, la Réale
au centre, les capitanes sur les lianes avec quatorze cardi-
naux, trente-six évèques et le somptueux cortège pontilical :
quatre transports chargés des bagages formèrent Farrière-
garde : et toute la flotte (1) s'ébranla aux psalmodies de la
chapelle Sixtine montée sur la Duchesse, où le Saiat-Sacre-
ment était exposé.
Sous une tente de damas rouge, vert et jaune, (pii tom-
bait en longue traîne jusqu'à la mer, on avait disposé pour
le Pontife une chambre tendue de brocard, de soie et d'or.
A l'arrière, deux statues gigantesques soutenaient le cou-
ronnement, où le grand fanal de commandement allumait
ses feux. Le long des bordages, se jouaient des sirènes et
des tritons, et la galère glissait au rythme lent d'une
chiourme uniformément habillée de damas ronj^c, vert et
jaune (2). Le 11 octobre, l'escadre arrivait sans incidents
de route à Marseille : le roi venait au-devant du pape, et
la réception préparée au Jardin royal était si éblouissante
qu'on se serait cru, dit Valbclle, dans le Paradis terrestre.
Ce mot me dispensera de décrire les divertissements
habituels en pareil cas, que François I" corsa d'une revue
navale aux îles et du lancement de deux galères. Au bout
d'un mois, le 12 novembre. Clément YII prit congé, gratifia
d'un diamant de grande valeur chacun des officiers supé-
rieurs de la flotte, Claude de Tende, Saint-Blancard, Mag-
dalon d'Ornesan et Christophe de Lubiano, et retourna à
La Spezia avec son escorte habituelle des galères de France
Paulus GcALTERius, Diaria ceremonialia sub Clémente VII, Bibliothèque
Barberini, manuscrit ii05 : GriGutiLMOTTi, t. I, p. 349. — Gir.VMPOLLiON-
FiGE.vc, Mélanges histoii(^ues (Coll. des documents inédits), t. III, p. 515.
(1) Selon les comptes de Jean Crosnicr, il y eut 16 navires, 4 palions,
32 galères et quelques frégates armées et équipées pour la venue du pape
(B. N., Franc. 17329, fol. 190).
(2) GCGLIELMOTTI, t. I, p. 351. — Valdelle, fol. 168.
342 HISTOIRE DE LA MAIUiNE FRAIS TAISE.
et de Malte (1). Et co fut tout. Si Ton se rappelle la mission
dont François I" était chargé par Henri VIII, l'entrevue de
Marseille ne lui donna point la solution désirée. Le pape
ne transigea pas. Un schisme naissait. Quant à la croi-
sade...
III
LES CAPITULATIONS
Le 11 octohre 1534, les Marseillais eurent la surprise de
voir entrer au port, en saluant nos couleurs, une galiote
turque, qui amenait de Gonstantinople une ambassade ("2).
Surprise plus grande encore, défense fut faite par tous les
ports de molester désormais les Turcs. Ce revirement de
notre politique coïncidait avec les progrès effrayants de
rislam : investi du titre de capoudan-pacha par le sultan,
Barberousse venait d'achever par la prise de Bône et de
Tunis (3) la conquête de l'Afrique septentrionale.
Que nous étions loin des idées de croisade, naguère agi-
tées! Un ambassadeur français, que dis-je! un protonotaire
apostolique, fut désigné pour répondre aux avances du
sultan. La galère royale Dauphine, qui le portait, fit route
jusqu'à Tunis (4) avec la galiote turque venue à Marseille;
(i) Ce fut le comte de Tende tjui reconduisit le pape, l^lusieurs bùli-
ments-éclaireuis, 4 frégates, 2 brigantins et une fuste, furent adjoints à
l'escadre, qui eut une assez rude traversée (B. ]S., Franc. 15029, n°' 6'il,
742. — Vaf.bellk, fol. 175 v". — Lettre de Renzo da Ceri datée de La
Spezia, 30 novembre : Collection Dupuy, vol. 486, fol. 7(5).
(2) Vai.iîkllk, fol. 179 v". — Sur la curiosité qu'excita l'andjassade otto-
mane à Paris, vovez le Joioiud i/'ini bourgeois de Paris, éd. Lalanne,
p. 440.
(3) En août 1533 et août 1534.
(4) 11 avril 1535, départ de Marseille; 23 mai, retour de la Daupliine
Tenant de Tunis (Vai.hki.i.k, fol. 18J).
CROISADE OU ALLIANCE TURQUE? 343
et de là, rambassadeur Jean de La Forest continua vers
Constantinople sur l'escadre de Barberousse. Était-il rien
de plus syniptomatique d'une alliance que la façon dont
les marins des deux nations se comblèrent de cadeaux.
Sous couleur d'une trêve marchande pour assurer la liberté
du trafic, l'ambassadeur emportait en effet un projet d'al-
liance et d'action commune nettement déterminé. Il s'agis-
sait d'une attaque combinée contre les (Génois pour l'été
suivant : tandis que Barberousse opérerait par mer contre
leurs colonies en Corse, une flotte française de cinquante
voiles pour le moins pourvoirait à son ravitaillement et
seconderait l'attaque conire la métropole. Une diversion
au royaume de Naples, en Sicile et en Sardaigne serait
simvdtanément effectuée par la flotte turque, afin de « tou-
cher au vif » les Espagnols et d'y établir comme roi un de
nos partisans (I) .
1535 ne vit point l'écrasement d'André Doria. Charles-
Quint, appelant à la rescousse toutes les forces navales de
son empire, les escadres de Naples, de Gènes, de Malaga,
de Flandres et de la côte Cantabrique, les contingents du
Portugal, du Saint-Siège et de Malte, arrivait le 10 juin
devant la (roulette, à la tête de quatre cents bâtiments et
cinquante-quatre mille hommes. Deux vaisseaux français,
que la flotte impériale captura à Porto-Farina, entre Bizerte
et les ruines de Garthage (:2), avaient déjà donné l'alarme.
Deux tours séparées par un boulevard d'un mille étaient
la clef de la position. Malgré l'habile défense de Sinan le
(1) Inslructions données à La Forest le it février 1535, par Barberousse
et le sultan (CHAnniKRK, Négociations de la France clans le Levant, t. I,
p. 257, 261. — V. T.. RornniLLY, L'Ambassade de La Forest et de Marillac
il Constantinople (1535-1538), dans la Revue Itistoricjue, t. LXXVI (1901),
p. 103. — Zkllkh, Quae primae fuerint lecjationes a Francisco lin Orien-
tent missae. Paris, 1881, in-8°. p. -V8).
(2) F. Dl-ro, Armada espanola, t. I, p. 224. On y verra reproduites les
magnifiques tapisseries de la Maison Royale qui représentent la prise de
Tunis,
344 HISTOIRK DE LA MARINE FRANÇAISE.
Juif, elles tombèrent le 21 juillet 1535 entre les mains de
l'empereur, qui du même coup fut maître de la flotte de
Barberousse; Mouley Hassan, replacé sur le trône de
Tunis, devint le vassal de Tempereur. Le capoudan-pacha
avait pu fuir vers Alger avec ses fidèles corsaires Sinan et
Chasse-Diable (1). Et un danger commun l'assura bientôt
de notre concours.
Les capitulations signées en février 1536 avec le sultan
n'étaient point, comme la convention précédente (2), un
simple accord commercial; sans aller jusqu'à l'alliance
formelle, elles stipulaient la mise en liberté réciproque de
tous les prisonniers, garantissaient à la France la préémi-
nence politique en Turquie, et réglaient les démonstrations
amicales que devaient se faire les navires de l'une et lautre
nation (3). Si la lettre en était assez vague et d'une réserve
voulue, pour que le pape, les rois d'Angleterre et d'Ecosse
pussent y adhérer (4), les événements se chargèrent de
montrer quel en était l'esprit.
La première conséquence des capitulations fut de don-
ner quelque sécurité à notre commerce maritime par la
création de consulats à Gonstantinople, à Péra et ailleurs (5) .
Il était jusque-là si précaire que les marchands de Lyon,
Avignon et Marseille ne s'aventuraient plus dans l'Archi-
pel qu'annuellement et avec un gros vaisseau bien armé.
La nef à trois hunes qu'ils montaient en 1531 avait cent
trente-cinq hommes d'escorte à bord, lorsqu'elle sombra
au cap Passero.
(1) De Hammeh, trad. Dochez (184-4), t. II, p. 30.
(2) En septembre 1528.
(3) Charrikre, t. I, p. 283. — Pocqueville, dans \cs Memoiies de T Aca-
démie des inscriptions, t. X, p. 552. — De Hammeh, Les premières rela-
tions diplomatifjues entre la France et la Porte (1525-1540), dans le
Journal Asiatic/ue, n° 55 (1827).
(4) BOURRILLY, p. 309.
(5^ G. Salles, Les origines des premiers consulats de la nation française
à l'étranger. Paris, 1896, in-S".
CROISADE OU ALLIANCE TURQUE? 345
L'escorte elle-même parfois constituait un danger : elle
servit de prétexte au corsaire turc Gorscllo pour déclarer de
bonne prise la Flori'e, superbe bâtiment marseillais qui se
rendait, en 1539, d'Alexandrie aux Echelles. De ce chef,
une perte de cent mille ducats vint s'ajouter au premier
sinistre, qui coûtait déjà à nos commerçants la somme
énorme de cent cinquante mille ducats (I). L'année sui-
vante, il fallut affecter à la ligne Marseille-Alexandrie-
Beyrouth toute une division navale venue du Ponant [2] et
formée de nos plus forts bâtiments, la galëasse Réale , le
gros galion Saint-Jean-Marie-Bonne-Aventure et la carraque
Sainte-Marie-Bonne-Aventure (3 1 , dont le commandement en
chef fut confié à Glande de ^lanville (4).
Jusque-là, la direction de notre commerce maritime avait
été assumée, dans les entr'actes de la guerre, par le grand
maître Anne de Montmorency, qui tenta de rendre au port
d'Aigues-Mortes, par un « contournement du Rhône " , son
activité passée (5j, ou par le général des galères Saint-
Blancard, que l'amiral comte de Tende avait également
gratifié, avec l'assentiment royal, de la vice-amirauté de
■Provence (6) .
(1) Valrelle, B. N., Franc. 5072, fol. 145 v°, 148 v°, 150, 225 v".
(2) Deux galions, entre autres, de l'amiral Chabot (B. JN., Franc. 17329,
fol. 191).
(3) Archives des Bouches-du-Bhône, B 2546, fol. 5-6, 10.
(4) 11 avait été nommé, le 8 juillet 1539, capitaine de la Béate, du Saint-
Jean et du gros galion de Touques (Archives des Bouches-du-Rhône, B 36,
fol. 25). — Le capitaine J. de Cambys écrit de Jlarscille, les 28 décembre
1540 et 2 janvier 1541 : " Seste gualiasse quy doyl aller en Alixandrie, »
— « la gualiasse et le gualion sont arivés d'Alixandrie et de Barut, et ne
■dysent rien de nouvel " (Archives de la ville d'Avignon, 3'' liasse, n" 3431).
(5) En 1531 (Francis Decrcr, Anne de Montmorency, grand maître...,
p. 243).
(6) Lettres de François I". 17juillet 1531 (B. N., Franc. 3081, fol. 96).
346 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
IV
L'AMIE DU BAROiN DE SAINT-BLANC ARD
Bertrand d'Ornesan, baron de Saint-Blancard, formait
avec une Avignonnaise une société en commandite, qui se
doubla d'un commerce plus intime.
Fille adultérine d un procureur fiscal en cour d'A.vignon,
épouse séparée de Joachim de Sade qui lui avait extorqué
sa dot, Magdeleine Lartessuti (1) obtint du pape des privi-
lèges (2) et du roi des lettres de sauvegarde (3), qui lui
permirent de reconstituer sa fortune.
Les panonceaux de François I" protégèrent à Marseille
ses maisons et ses biens : les bulles de Léon X lui octroyè-
rent, sur les municipalités du Comtat et sur les Juifs d'Avi-
gnon des revenus copieux, que son consolateur, Saint-
Blancard, Ht fructifier en armements maritimes (4). Dès
lors, les comptes courants de " Madame Magdeleine " , sa
correspondance avec le marquis des Iles d'Or, — tel était
l'un des titres du général des galères, — sont le reflet de
notre politicjue extérieure. Lors de la première invasion de
la Provence, les deux associés arment en course les nefs
Sainte-Lucie, Torta, Biscaina, la caravelle Sainte-Marie et
un brigantin (5), qui leur procurent de beaux bénéfices.
(1) Je dois à l'oblijji-ance de M. Labandk, conservateur de la bibliothèque
et musée Calvet à Avignon, communication de son dossier ^io- une amie de
l'amiral (VOruesau, baron de Saint-Blancard .
(2) Confirmation par Clément VII des privilèges confères par Léon X,
14 mai 1537 (Archives de la ville d'Avignon, 2° liasse, n" 3405).
(3) 16 janvier 1531 et 14 septembre 1540 {I/ndem, n" 3379).
(4) Ibidem, n" 3438.
(5) Prises de la Sainte-Lucie en juin 1523, armement d'un brigantin en
décembre 1524, réparation de la Torta et la Biscaina en janvier 1525, vente
de la caravelle Sainte-Marie en novembre 1528 ^Ibidem, n"" 3345, 3349,
3316, 3315).
CROISADE OU ALLIANCE TURQUE? 347
Vienne la défection de Doria : et Magdelcine, sur 1 invita-
tion pressante du roi et du connétable (1), équipe, de ses
deniers et en dépit de son u habit féminile, » une des
{galères qui doit aller au secours de Naples (2). Son patrio-
tisme luj coûta deux bâtiments enlevés par le déserteur (3),
tandis que Saint-Blancard perdait de son côté trois ga-
lères (4) et une nef, la Perle; douleur plus grande encore
pour le baron, sa bannière à croix blanche était donnée
comme blason au vainqueur de la Perle, Juan Ferez de
llenteria (5). Saint-Blancard se vengea comme il s'était vengé
de la capture de la Pèlerine par les Portugais (Gj . Un galion
de Renteria, patrie du voleur, fut enlevé par ses bâti-
ments (7j ; les compatriotes de Doria, déclarés rebelles et
mis hors la loi, eurent défense de trafiquer désormais en
France (8) ; et Magdalon d'Ornesan alla dans le Levant
chercher une revanche contre les infidèles pour la capture
de la galère la Nègre (9) .
Mais déjà s'opérait à 1 égard des musulmans un revire-
ment politique dont nos armements accusent le contre-
coup. Dès 15;i2, la Boulye, puis la Madeleine, ainsi nommée
(1) Lettres d'Anne de Montmorency et Fiançois \" à Magdeleine. 23 juillet
et 22 août 1528 (Archives de la ville d Avignon, boite 97, l"' liasse, n"' 3364,
3365, 3368, publiés par Kky, François /" et la ville d'Avignon, dans les
Mémoires de l'Académie de Vaucluse, t. XIII (i89V}, pp. 2i2, 213, 238).
(2) Réponse de Magdeleine à Montmorency. Marseille, l"^"^ septembre.
(Ibidem).
(3) La Bisvaina et la barge de » Madame Magdaleno de Home, » écrit
Valbei.le, à la date de septembre 1528 (B. ]N., Franc;. 5072, fol. 126).
(4) Les deux galères enlevées près de Gènes par Doria et la Nègre par
les Turcs.
(5) F. DciiO, Armadii espunola, t. I, p. 155, note 1.
(6) Cf. plus haut, p. 281.
(7) Le galion Sainte-Marie-de-la-Rcntcrie et une nef de conserve, dont
moitié du prix de vente est remise à Saint-Blancard. Janvier 1534 (Archives
de la ville d'Avignon, n"* 3386-3388).
(8) Fontainebleau, 12 juillet 1531 (V.\lrelle, B. N., Franc. 5072,
fol. 146).
(9) Lettre de Saint-Blancard au roi. Lvon, 17 août 1530 (B. N., Franc.
3007, fol. 77).
348 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
de sa propriétaire, vojjuenL en paix vers les pays barbares-
qiies (I) ; Magdeleinc tire des lettres de change sur Gons-
tantinople (2), écoule à Alexandrie des ducats hors d u-
sage (3), cependant que Saint-Blancard achète en Alger
des chevaux arabes, une folie, contre laquelle son associée
est mise en garde (4). Funeste contagion des mœurs musul-
manes ! l'un et l'autre apprirent à faire bon marché de la
liberté humaine ; et Ton vit Magdeleine, une femme !
exposer vine mère à l'encan et laisser traîner l'esclave
Lucrécie depuis Savone jusqu'à Iviça, avec la seule préoc-
cupation que le mal de mer ne la fît enfanter avant
terme ! (5).
Comment put-elle supporter pareille tache à sa réputa-
tion, l'admirable patriote, qui aida les Marseillais à re-
pousser Charles-Quint, avançant le paiementdesgalères (6),
fournissant tout, depuis les pierriers jusqu'aux boulets,
depuis les bannières jusqu'aux savates des forçats (7),
armant les bâtiments neufs d' " ung grand canon, d'une
collorine et de force aultre artilherie " (H), bref, mettant
l'escadre en état de prendre la mer à temps pour inquiéter
les envahisseurs (9) !
Et quand, à la mort de Saint-Blancard, le 19 mars 1540,
les commissaires royaux recherchèrent le quitus des six
galères perdues par le baron au cours de sa charge, ce fut
(1) Archives de la ville d'Avignon, n"' 3359, 3384, 3392.
(2) Elle écrit à Saint-Blancard que Francousin lui ferait passer de l'ar-
gent de Gonstantinoplc (Ibidem, n" 3445).
(3) Lettre de J. de Cainbys à Magdeleine. Marseille, 28 décembre 1540
(Ibidem, n" 3431).
(4) Lettre du même à la même. Marseille, 12 novembre (Ibidein, n" 3431).
(5) Lettre du même à la même. Marseille, 12 décembre 1540 (Ibidem,
n" 3431 et 3451).
(6) Lettre de Saint-Blancard à Magdeleine (Ibidem, n° 3445).
(7) Cf. les comptes de Magdeleine de janvier à juin 1536 {^Ibidem,
n- 3325, 3403).
(8) Ibidem, n" 3421.
(9) Archives des Bouches-du-Bhône, B 1260, fol. 139, 147. .
CROISADE OU ALLIANCE TURQUE? 349
à Magdeleine Lartessuti qu'ils s'adressèrent (l). Heureux
les chefs d'armées navales, qui jouissent de commissaires
aussi zélés que le fut pour le baron son amie !
Depuis que les vicissitudes de notre politique avaient
rendu précaire le commerce méditerranéen, les riverains
du Rhône s'appliquaient à la recherche de nouveaux
débouchés à travers l'ancien monde et même le nouveau.
V
LES LYONNAIS ARMATEURS
Il y aurait un beau chapitre à écrire sur la participation
des Lyonnais aux voyages de découvertes. Leur esprit d'ini-
tiative, qui s'étendait à toutes les branches du commerce,
se tenait au courant des progrès sans cesse réalisés dans
la connaissance du Nouveau-Monde. L'expédition de Ver-
razzano, organisée par eux, avait abouti à la découverte de
la Nouvelle-France; Roberval, qui poussa plus au nord,
eut pour commanditaire un banquier lyonnais (!2) . Des
retentissantes conquêtes de Gortès et de Pizarre, les Lyon-
nais ne se préoccupaient pas moins : et des ouvrages im-
primés dans leur ville ouvrirent de vastes horizons sur la
merveilleuse civilisation des royaumes aztèques et incas,
dont les capitales, Mexico et (]uzco, rivalisaient avec les
villes d'Europe (3).
(i) Archives de la ville d'Avijjnon, n" ^Î^TG.
(2) Cf. plus haut, p. 259 et 322.
(3) Nouvelles certaines des isles du Féru (d'après Pizarre). Lyon,
Fr. Juste, 1534, in-i6. — Antoine Du PÉret, Plantz, pourtraitz et descrip-
tions de plusieurs villes et forteresses, tant de l Europe, Asie et Afrique,
que des Indes et terres neuves. Lyon, 1561i-, in-folio. Vues de Mexico et
Cuzco à la fin du volume.
350 HISTOIRE DE LA MARINE ERANCAISE.
Faute de povivolr accéder à ces terres promises, dont
l'entrée nous était défendue par les Espagnols, nous cher-
chions fortune ailleurs, au Brésil ou en Afrique, d'où ces
autres fâcheux, les Portugais, prétendaient encore nous
évincer. On connaît la fin lamentable du comptoir fondé
près de Pernambouc par Duperret (I). Jean Duperret
était tenace; les Lyonnais, intéressés à sou entreprise, ne
Tétaient pas moins; et Duperret se flattait, en 1540, d'avoir
reçu du roi licence de retourner au Brésil (2). On pourrait
multiplier ces exemples de la ténacité de nos marchands à
revendiquer la liberté des mers. Pour avoir osé empiéter
sur le monopole que les navigateurs portugais s attribuaient
aux côtes d'Afrique, Jean Pacquelon, bourgeois de Lvon,
s'étant vu enlever son bâtiment, la Marie-des-Bonnes-lSou-
velles, obtint, lui ou les siens, des lettres de marque
contre les ravisseurs (3), que, vingt ans après, des corsaires
poursuivaient encore (4j.
On prêtait à Lyon un tel intérêt aux expéditions navales
que le Levantin Chitraca, dit Badoer, venait v écouler les
cartes marines et les papiers volés à un navigateur nor-
mand, familier d'Ango, Louis de Fretel, l)aron de Flaix (5),
et que les banquiers de Lvon étaient les ])remiers avertis,
(1 par lettres redoublées ' d'un combat advenu en rade de
Brest (6). Tel a citoïen;) de la grande ville du Rhône, (juil-
(1) Cf. plus haut, p. 281.
(2) Lettre écrite de Lyon à Magdeleine Lartessuti (Archives de la ville
d'Avignon, 4'" liasse, n" 3V53), pour laquelle Duperret achetait, au retour
de son voyage du Brésil, douze pièces de tapisserie de Flandre. 2 décembre
loW (Ibidem, n° 33G9).
(3) 5 mai 1557 (B. N., Franc. 5809, fol. 153).
(4) En 1574 (Ch. et P. HriÉ.\nD, Doviniieulsrelatifsà lu marine normande cl
à ses armements anx XVI" et X VIP siècles, p. 24. — Arch. nat. Z''', fol. 128).
(5) Dont les vaisseaux désarmaient, en 1547, à Saint-Maio et Harfleur
(CoviLLE, Une aubaine à Lyon sons Henri II, dans la Revue liislori/fue,
t. LXXXV (1904), p. 71).
(6) En août 1558 (Du Villars, Mémoires, dans la collection Michaud et
Poujoulat, t. IX, p. 296).
CROISADE OU ALLIANCE TURQUE? 351
laume Palherme, clait un des gros armateurs de Fécamp,
ou du moins le commanditaire de nombre de maîtres et
bourgeois de navires, auxquels son mandataire avait toute
latitude de « bailler deniers à proftîct sur telz voiages qu'il
adviserait (l) « .
Les Lyonnais se préoccupaient surtout des voies d'accès
aux Indes et en Chine, aux pays des épiées et de la soie;
de l'entrée des épices en France, ils partageaient le mono-
pole avec les Rouennais et les Marseillais (2) Quant à la
soie, c'était une des principales sources de leur fortune.
On ne s'étonnera donc point, plus tard, de voir un Lyon-
nais, d'origine israélite, Louis de Castro, participer à l'ex-
pédition mystérieuse que le jeune Monluc conduisait vers
l'Océan Indien (3) et d'autres Lyonnais commanditer une
exploration q«i, à soixante ans d'intervalle, cherchait à
résoudre le problème posé par Verrazzano : l'existence
d'une voie navigable de l'i^tlantique au Pacifique (4).
(J) Contrat passé à Fécamp le 30 août 1566 (Ernest uk FrÉvillk, Mémoire
sur le commerce maritime de Rouen, t. II, p. 456).
(2) Depuis l'ordonnance de Henri II en date du 10 septembre 1549. Les
Rochelais obtinrent une dérogation en faveur de leur ville le 4 novembre
1550 (Anios BAnnoT, Histoire de La Rochelle, t. II, p. 74).
(3) En 1566 (B. N., Nouv. acq. franc. 6638, p. 124).
(4) En 1585 (Abel Desjardins, Néqociations de la France avec la Tos-
cane, t. IV, p. 550).
RIVALITE
DE FRANÇOIS P ET DE CHARLES-QUINT
DEUXIÈME GUERRE
Au printemps de }5;3(), le tocsin répercuta de clocher en
clocher l'annonce de cette chose sinistre : 1 invasion. L'em-
pereur lui-même pénétrait en Provence : son lieutenant,
le comte de Nassau, essayait de forcer les lignes de la
Somme défendues par le maréchal de Fleuranges. Malgré
l'affolement causé par la triste nouvelle, la résistance s'or-
ganisait. Fleuranges arrêtait l'ennemi : les ports de la
Manche menacés par l'escadre flamande se mettaient en
état de défense; trois hatteries étaient dressées sur les
quais encore mal clos du Havre de Grâce, qu'on savait
particulièrement menacé.
Et voici justement que les guetteurs de Sainte-Adresse
transmettent le signal : " Flotte en vue, très grosse. » Le
vice-amiral de La Meillerave fait sonner le tocsin, qui
jusqu'à Gaudebec appelle la population au.\: armes. Le
soir, quinze mille hommes sont massés au Havre. La flotte
approche... O surprise! elle est sous pavillon fleurde-
lisé (I). Et elle est victorieuse. Elle vient de mettre en
déroute quarante navires flamands (2).
(t) Guillaume Dic Marckiij.es, Mémoire sut- la fondacion de la Ville Fran-
çoise de Grâce, p. 18.
(2) Récit tait par François 1"=' à un ambassadeur, 8 octobre 1536 (Archi-
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE GH ARLES-Q UIN T. 353
Dans rOcéan, la guerre se borna à de hardis coups de
main de nos corsaires sur les galions des Indes (1). Il n'y
eut point de plans de campagne navale, faute d'adversaire :
la flotte ennemie de l'amiral Maximilien de Bourgogne était
occupée à guerroyer contre Christian III de Danemark (2).
Dans le Levant, au contraire, se jouait entre l'empereur et
le roi une partie décisive.
I
LE SIÈGE DK MARSEILLE
Avisé à Naples que l'armée française de l'amiral Phi-
lippe de Brion-Ghabot prenait l'offensive en Piémont,
Charles-Quint remonta vers le nord. A vrai dire, notre
adversaire était le duc de Savoie et non l'empereur. Mais
en menaçant, par l'occupation de Turin, Fossano, Coni,
les frontières du Milanais, François I" espérait obtenir
pour le duc d'Orléans l'investiture du duché de Milan (3).
Cette politique agressive donnait à l'empereur le beau rôle^
et il s'en prévalut pour se plaindre au pape et au collège
cardinalice des continuels empêchements qu'apportait
François l" à la guerre sainte.
Corps expéditionnaire de Tunisie, reitres mandés par le
Piémont, fantassins italiens de San-Severino débarqués à
Nice, vétérans espagnols, envahirent la Provence en une
horde de soixante mille hommes, conduite par un empe-
vio (11 Stato di Modena, Letlere clei ambasciatori iii Francia, fascicolo 13).
(1) Cf. plus haut, p. 293.
(2) L. DE B.ECKKR, Etude bio(jraphi(juc sur Gérard Meckereii, vice-amiral
de Flandre, dans les Annales de la société' d'émulation de la Flandre, t. VL,
2"= série, p. 332 : armements faits en janvier 1536.
(3) Avril 1536 (Francis DhxnuE, An)ie de Montmorency, grand maître et
connétable de France, p. 257).
m, 23
.■!:,4 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
reiir. Et nous n'avions plus celle fois, en face de cenl bâti-
ments de (juerre, la maîtrise de la mer (3). Quel vaisseau
opposer, par exemple, à la carraque Santa-Anna, blindée de
lamelles de plomb et de bronze, que Doria avait lancée à
Fattaque de Tunis comme un bélier à lépreuve des bou-
lets (2), aucune force humaine ne semblait capable d en-
raver le fléau de l'invasion; le patinotisme en trouva pour-
tant une, mais à quel prix! Le paysan brûla ses récoltes;
les villes et les villages furent évacués, les barques rentrées
dans le port de Marseille 3j. Et devant la troupe impé-
riale, se dressa le spectre de la famine.
Le 17 juillet 153G, Antibes succombait à un assaut, non
sans avoir maltraité les dix galères d avant-garde d'An-
tonio Doria (Al. De ses huit pièces (5), la tour du port à
Toulon soutint le feu de la flotte entière d'André Doria;
une galère sombra, une autre eut la poupe emportée.
Mais l'ennemi passa outre, précipitant sa marche sur Mar-
seille.
Depuis longtemps, les Marseillais étaient sur leurs
gardes. Il suffit de l'apparition de galères suspectes pour
que les Marseillais s'embarquassent en foule sur les vingt-
trois galèi'es en rade et se missent en chasse (6). Mais la
terrible tâche que de faire face à la fois à l'empereur et à
Doria! Le commandant en chef des troupes de mer et de
terre était Barbesieux, l'adversaire malheureux d'André
Doria : cette fois, il avait tout contre lui, tant l'infériorité
numéri([ue des forces navales que le désavantage de com-
(1) Valbklle, B. N., Franc. 5072, fol. 197.
(2) Cette carraque avait été construite à Nice en 1530 (Emanucle Celesia,
Conqiura del conte Gian Liiiqi Ficschi, p. 67).
(3) Par ordre du gouverneur Claude de Tende ((Compte de Crosnicr, tré-
sorier de la Marine du Levant, B. N., Franc. 17329, fol. 191).
(4) x\ntonio Doria, Coinpendio, p. 66.
(5) Inventaire de l'artillerie de la tour du port, à Toulon. Mai i534
(Archives des Bouches-du-Rhône, B 1260. fol. il2j.
(6) 23 avril 1536 (Valbelle, fol. 190 .
RIVALITÉ DE FRANÇOIS 1" ET HE C H AU LES-Q U I N T . 355
l)attre un ennemi averti. Doria n'avalt-il pas jadis, lors du
siège de 1524, coopéré à la défense et surpris le secret de
nos points faibles?
Le 19 août 1536, Charles-Quint parut. Comme il exami-
nait les approches, une compagnie de débarquement se
glissa sur ses derrières à travers des taillis de lentisques.
Chargée par les bataillons du comte de Horn et du duc
d'Albe, elle les attira, en lâchant pied, vers la côte, où nos
galères en embuscade foudroyèrent le comte de Horn cl
nombre de soldats (1). Le 25 août, la flotte d'André Doria
prenait l'offensive et se formait en bataille pour forcer
l'entrée du port; un obstacle inattendu surgit devant elle.
Près de la chaîne, un galion, deux grands vaisseaux, plu-
sieurs barques, coulés dans le chenal, constituaient un
barrage infranchissable (2) et un front de mer, derrière
lequel s allongeaient, comme derrière un rempart, les
canons des galères.
Doria ne put passer outre. Bien mieux, il fut tenu en
échec par la petite division navale laissée à la garde du
port, car Barbesieux avait pris la précaution, nous verrons
de quelle manière, de ne point immobiliser pour la défense
toute notre flotte. Le 8 septembre, les équipages de six
voiliers qui déchargeaient à la Pinède vivres, munitions et
butin, sautaient précipitamment par-dessus bord, à la vue
de quatre galères et plusieurs lahuts marseillais qui fran-
chissaient la chaîne. Seul, un des équipages fît bonne con-
tenance. Les lahuts et une galère parvinrent à remorquer
un des voiliers jusque dans le port, recouvrant ainsi, outre
une cargaison de vivres et d'armes, la bibliothèque d'un
juriste d'Aix. Si les autres galères avaient fait de même, au
(1) Valbelle, fol. 199 v°. — RuFFi, Histoire de Marseille, t. I, p. 328.
(2) Compte de Crosnier, trésorier de la marine, B. N., Franc. 17329,
fol. 191. — Paiement des gardes de la chaîne (Archives municipales de Mar-
seille, Bullelaire du i*^"^ novembre 1526-30 octobre 1539, à la date de 1536j.
356 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
lieu de se replier dès Tapproche de galères espagnoles, tout
le convoi était capturé (l).
Que dis-je! la base d'opérations d'André Doria était, en
ce moment même, tout près de tomber entre nos mains.
Un parti français, conduit par Guido Rangone, Cesare Fre-
goso et Pietro Strozzi, marchait sur Gènes : et la ville eût
succombé, si les huit galères d'Antonio Doria, détachées
précipitamment à son secours avec le régiment d'Agostino
Spinola, n étaient arrivées juste à temps pour repousser
l'assaut (2).
L'ennemi était à bout de forces. La magnifique résistance
de Marseille avait, pour la seconde fois, brisé le torrent
de rinvasioii. Des soixante mille hommes qui avaient passé
le Var, la famine, les maladies, les fatigues, les combats
n'en laissaient debout que vingt-cinq mille. L'empereur,
honteux, donna le signal de la retraite. Le l!2 septembre,
les assiégés virent disparaître à l'horizon les cinquante-sept
bâtiments d'André Doria, chargés de rembarquer à Toulon
l'artillerie de siège. Le lendemain, Charles-Quint levait le
camp et se repliait sur Nice, non sans être harcelé par la
cavalerie légère de Du Bellay-Langey. La Provence,
quelques jours plus taid, fêtait sa complète délivrance. On
fut surpris de ne pas voir descendre d'Avignon la belle
armée de Montmorency, pour achever les troupes impé-
riales aux ai)ois (3).
Durarjt qu'une de nos divisions navales concourait à la
défense de Marseille, les douze galères du baron de Saint-
Blancard el de son frère Magdalon d'Ornesan (-4), mettant
(1) VALiiiiLij;, fol. 203.
(2) Antonio Doria, Conipcndio, p. 66. — Schcdc Neri, apud Manfrom,
Storia (lella marina italiana dalla caduta di Constantinopoli, p. 316.
(3) t^ rancis DECnuK, Anne de Montmorency, p. 284.
(4) 4 galères du baron, 2 de Magdalon, 4 du grand uiaitre et 2 du sé-
néchal de l'rovence (Valbellk, fol. 198 v". — Archives nat., K 1484 B',
n° 67). A bord, étai un diplomate du nom de Montivilliers.
RIVALITE DE FRANÇOIS l" ET DE CH ARLES-QL I N T. 357
à profit nos bonnes relations avec les Turcs, étalent allées
quérir à Alger les débris de la Hotte de Barberoussc, sauvés
du désastre de Tunis; et avec six galiotes et une galère
turques, elles reprirent la mer le 16 septembre ir»3(). Pour
la première fois, Français et Turcs combattaient côte à
côte. Quatre cents des nôtres et trois cents mvisulmans,
formés en colonne de débarqviement, attaquèrent de nuit
la tour de Salé, dans l'île d'Iviça, la seule des Baléares <|ue
Barberousse n'eût pas ravagée dans sa rapide croisière de
l'année précédente. Malgré l'appui des canons de la flotte,
l'assaut échoua. Dans les campagnes d'alentour, le butin
fut néanmoins considéral)le, et sur l'ilot voisin de l'Espal-
mador, le partage des prises eut lieu proportionnellement
aux effectifs, à raison de cinq lots pour les Turcs et douze
pour les Français. D'autres captures furent faites le long
de la côte espagnole, de Tortosa à Gadaques. Les alliés
étaient sous le cap Greus, à l'ancre, quand la brusque
apparition de vingt et une galères les mit en fuite. Un seul
bâtiment turc tomba entre les mains d'André Doria (1),
et, le 15 octobre, Saint-Blancard ramenait à Marseille son
escadre au complet, avec cinq bâtiments turcs de con-
serve. Doria, dont il avait esquivé la poursuite, n'avait
quitté les eaux provençales que l'avant-veille, à la lète de
trente-six galères (2) .
Doria eut, cette année-là, tous les malheurs. Gomme
l'empereur gagnait ses Etats héréditaires pour enterrer en
Espagne, selon un mot du temps, son honneur mort en
France, une tempête éclata par le travers des îles d'IIyères.
Le grand homme de mer génois gagna l'abri précaire du
petit archipel où il passa des heures d'anxiété atroce, formé
(1) C'est par des esclaves génois repris à bord de cette galiotc turque
que Doria apprit les détails de la campagne navale. Gênes, 27 octobre 1536
<Archives nat., K 1484 B^ n" 67),
(2) Valbelle, fol. 208. — La galère et les quatre galioles tuiqacs hiver-
nèrent à Marseille aux frais du Trésor (Archives nat., J 962, fol. 15).
358 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
en ordre de bataille, la capitane au centre, sept galères en
arrière-garde, s'attendant, à tout instant, à une attaque qui
ne se produisit pas. Mais l'ouragan lui fit subir plus de
pertes qu'un combat : six galères sombrèrent, ainsi que les
deux gros vaisseaux (jui portaient le buffet et lécurie impé-
riale (1).
Barberousse, de son côté, n'était pas resté inactif. Pressé
par un de nos envoyés, Jean de Monluc, d'opérer une diver-
sion (:2) , il jeta l'épouvante dans l'Italie du sud par une
descente en Calabrc. Mais ne disposant que de trente-six
voiles, il cessa dès le mois de septembre sa campagne et
convia notre ambassadeur à passer en revue les préparatifs
navals qui se faisaient pour 1 année suivante (3,. Tout
l'hiver, on travailla fébrilement à l'arsenal de Gonstanti-
nople, où le sultan, allant en personne presser les ouvriers,
amassait des vaisseaux et des pièces d'artillerie en nombre
formidable. Bref, le 13 mai 1537, la première escadre, de
IGO galères, appareillait sous les ordres de Lofty-Pacha,
beau-frère du sultan. A quelques jours de là, Barberousse
suivait avec soixante gros vaisseaux : Soliman lui-même
s ébranlait à la tête d une immense armée, qui faisait sa
jonction avec la flotte au camp d'Avlona, à l'entrée de
lAdriatiquc (4).
Sur quelle contrée maudite allait se précipiter le tor-
rent? L'Italie du sud était dans la terreur. Et cétail bien
en effet du côté du royaume de Naples qu'un de nos hommes
d'Etat les plus réputés, à telle enseigne qu'on lui éleva
(ly Lettre d'un témoin oculaire, ranibassadeur liossetti. De galère, près
des îles d'Hyères, 1''' décembre (^Scheflc Acri, apud Manfroxi, p. 317).
(2) Monluc lui a\ait été dépêché, le 6 août 1536, de Rome (Cuarrikre,
t. I, p. 327).
(3) Rot'RRILLY, p. 311.
(4) BocRRiLLY, p. 314. — La flotte turque, selon un marchand venu de
Turquie, était de 250 galères et 24 grosses galères chargées d'artillerie, sans
compter les vaisseaux; l'armée, de 250,000 chevaux (B. N., Franc. 17357,
fol. 43).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 359
de son vivant une statue, Passano de Vaulx, conseillait de
diriger les attaques (l). La tâche, très lourde, de notre
agent près de l'armée du sultan était de ne pas laisser
dévier les coups contre les Etats du pape et de Venise.
La Forest y avait réussi; le premier corps d'armée s'embar-
quait pour Brindisi f^j, d'autres troupes s'étaient déjà em-
parées de Castro, au sud d'Otrante (3), quand se produisit
un coup de théâtre. Des lettres compromettantes du capi-
taine général Girolamo Pesaro, que Doria eut l'habileté
de faire tomber entre les mains du sultan, déchaînèrent
la rage des Turcs contre les Vénitiens (4). Au lieu de con-
quérir ritalie du sud, Soliman épuisa ses efforts contre
Gorfou.
Cependant, La Forest avait demandé l'envoi d'une divi-
sion royale au-devant de la flotte turque (5). Mais sur le
plan de campagne navale à adopter, il y avait deux partis à
la Cour : le lieutenant-général Guido Rangone et nos par-
tisans génois voulaient reprendre, conformément aux ins-
tructions primitives de La Forest, l'attaque combinée des
deux flottes contre (îénes et la Corse : quarante-quatre bâ-
timents de guerre avaient été armés à cet effet (6). Les
réfugiés napolitains, Caraccioli, prince de Melfi, et San-
Severino, duc de Somma, insistaient au contraire sur une
action dans le royaume de Naples.
C'est dans ces conditions que Saint-Blancard reçut
(1) Lettre cl'Otlet de Selvc au roi. Venise, 5 juillet 1536 (B. N., Clai-
ranibault, vol. 335, fol. 175, 211). — Sur Jean-Joachim Passano de Vaulx,
ci^. Bounr.ii.LY, p. 317, n. l, et Fleury Visdrv, Les aiuhassadeurs français
permanents an XVI" siècle. Paris, 1903, in-8°, p. 29.
(2) Lettre de La Forest. (lanip d'Avlona, 13 juillet 1537 Bocrrilly,
p. 315-322).
(3) Cu.vnniKRK, t. I, p. 337.
(4) Éd. Petit, André Doriu, p. 169.
(5) 17 juin 1537 (B. N., Clairambault, vol. 336, fol. 160).
(6) 30 juillet 1537 Extrait des comptes du trésorier de la marine da
Levant, B. N., Franc. 17329, fol. 19t v"\
360 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Tordre de partir avec Fescadre (1) emmenée précédem-
ment à Alger et une forte compagnie de débarquement.
II
LE VOYAGE DE SAINT-BLANCARD DANS LE LEVANT
Le jour de TAssomption, Tescadre mit à la voile au vent
des îles de Marseille. Étonné d'une entrée en campagne
dans une saison si tardive, on se perdait en conjectures
sur sa destination, que Ton croyait être la Corse (2). Saint-
Blancard avait soignevisement tenu secrètes les instructions
reçues de la Cour, afin de ne pas donner prise à André
Doria, qu'il savait embusqué avec des forces supérieures
en Sardaigne. Il gouverna en droite ligne sur Tunis. Près
de Cartilage, des partisans du bey de Tunis, qui tenaient
la campagne contre Barberousse, s'apprêtaient à nous
saluer comme Espagnols, quand ils reconnurent notre
« plumage » aux moustaches de nos gens (3). Or, le bey,
j;adis inféodé à la politique française, avait complètement
changé de dispositions à notre égard depuis noire propre
revirement vis-à-vis de Barberousse. Devant l'accueil très
frais des Tunisiens, Saint-Blancard leur envoya une volée
de canon, puis gagna l'abri de l'îlot sulfureux et puant de
SfO^nabra, à l'entrée du golfe.
(1) Ses quatre galères, les deux de son frère Magdalon d'Oincsan, quatre
du connétable aux ordres de Christophe de Lubiano, deux du gouverneur
de Provence commandées par le chevalier d'Aulps, la galère et la frégate de
Jacques d'Ancienville, la fuste de Pierre d'Andréas et le brigantin d'Antoine
Flament, enfin 530 aventuriers commandés par le capitaine .lean de Pacault.
Certificat de Saint-BIancard {Ilevite des autographes, juillet 1900. Charavay,
b" 274, original).
(2) Valbelle, Franc. 5072, fol. 213.
(3) « Extraict d'une lettre de maistre Jehan G.\llery venant du voyage
îaict vers le Grant seigneur par le barron de Sainct-Blancart par le com-
mandement du Roy. 1537 .. (B. N., Franc. 3081, fol. 98}.
RIVALITE DE FRANÇOIS I" ET DE C II AR LES-Q U I N T. 3G1
Le Gap Bon doublé, on aperçut un signal de paix, l'éten-
dard blanc piqué sur les murs d'une petite ville toute
blanche elle-même. Hammamet élait au pouvoir des sol-
dats de Barberousse. " Germain! Germain ensemble! »
criaient les corsaires turcs en baisant les mains de nos
gens. Et de fait, Saint-Blancard put se ravitailler et se
pourvoir de renseignements, sauf à laisser aux garnisons
turques, à celle de Monastir par exemple, de la poudre et
des munitions pour repousser l'escadre espagnole du mar-
quis de Terranova (1).
Esquivant André Doria, qu'avait fort affailîli une victoire
à la Pyrrhus conlre douze galères d'Ali-Tschelebi (2), Saint-
Blancard gagna les îles Ioniennes, " celles que Vergille
nomme au tiers livre», ajoute l'historien de l'expédition,
heureux de retrouver les terres classiques de « Chaonie
Thespiote, Achaïe, contenant les provinces de Amphilotie,
Élotie, Locres, au devant du svne de Corinthe " . Mais,
dans la Grèce antique, les barbares promenaient le fer et
le feu. C'étaient ces barbares dont nous venions quérir
l'alliance. « Ung capitaine turc vestu de peau de loup, le
poil dehors et le bonnet aussv, " Picocin, ainsi nommé
de la hachette qui ne quittait pas son poing ou sa ceinture,
reçut nos marins dans le port de Prevesa.
Nous arrivions trop tard. Abandonnant le projet de con-
quête du royaume napolitain, évacuant même Corfou par
suite de je ne sais quelle idée superstitieuse, Soliman bat-
tait en retraite. Il était de retour sur le continent, du côté
de Gasope, vis-à-vis Corfou. Au-devant de notre escadre,
se porta, le 10 septembre, Mourad Aga, lieutenant de Bar-
berousse, avec la capitane du sultan, toute en bois de
^t) " Le voyage du baron de Sainct-Hlaiicard en Turquie par Jehan de
Veca d (B. N,, Franc. 6091, publié par Ciiariiièhk, t. I, p. 340).
(2) En Fouille, 22-23 juillet 1537 (Mam-rom, p. 322\ J'y reviendrai
plus bas.
3()2 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
figuier, pour être plus légère, et une centaine de galères.
Tandis que les boulets tombent comme grêle dans la mer,
selon la mode turque de saluer, tandis que sonnent trom-
pettes, haultbois et sambviques, le lieutenant général de
Tarméc de mer, Tambassadeur Charles de Marillac, les
capitaines, des gentilshommes et l'argousin royal dé-
barquent avec la garde. Une escorte de soldats en caftans
de soie, dolmans de velours à ramages et turbans rouge et
or, les mène au pavillon du grand vizir Ajas-Pacha. Le
lendemain, audience solennelle du capoudan-pacha Bar-
berousse. On ne vit le sultan qu'après, u seul, assis sus
ung siège large, faict de lames d'or battu, semé de pierres
précieuses. » A la longue harangue de Marillac, Soliman II
répondit en remettant, dans une bourse de drap d'or
scellée, une lettre à l'adresse de François I".
Dans le lointain, à Gorfou, flambait l'incendie allumé
par l'arrière-garde de 1 Islam. Sur l'alliance impie qui se
consommait, le patriarche grec de la Panagia, près de
Fatras, sanglotait en offrant la collation à nos officiers,
tout honteux des atrocités de la « canaille turquesque » .
Nous n'avions même pas le bénéfice de nos avances.
Saint-Blancard prit congé de Barberousse, le 25 sep-
tembre, sans obtenir le concours de sa flotte. Comme il
quittait Fatras, des fustes, dépêchées derrière lui, man-
dèrent qu'on avait découvert deux galères et un brigantin
français. G étaient les réfugiés napolitains Carraccioli et
San-Severino (I) qui venaient tenter de rendre à l'alliance
franco-turque son orientation primitive et guider dans leur
patrie l'invasion. Ils n'eurent d autre parti à prendre que
de rebrousser chemin avec le reste de notre escadre. Le
temps était devenu épouvantable. Les matelots, à genoux,
(1) Carraccioli, prince de Mclti, et San-Severino, duc de Somma, avaient
quitté Marseille le 7 septembre sur les galères de Villiers (Vai.belle,
fol. 213).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS 1" ET DE CH A RLES-Q C I N T. 363
couteaux au poing, conjuraient la tempête en trouant
d'une croix les vagues en furie (11. La Daiiphine et une
autre galère, perdant de vue le fanal de la capitane, cou-
rurent jusqu'en Tripolitaine; repoussées de la ville tuni-
sienne, c'est-à-dire hostile, d'El Mehdiah, elles se ravitail-
lèrent à Monastir et enfin regagnèrent ^Marseille i:2i.
Forcé d'hiverner dans le Levant, Saint-Blancard n'avait
voulu ni rester le témoin, ni paraître le complice des atro-
cités commises par Barl»erousse contre les colonies véni-
tiennes de l'archipel. Son cœur eût saigné de voir dépeupler
et ruiner Syra, Pathmos, l'île de Saint-Jean, Egine, la
rivale d'Athènes et Paros aux heaux marhres f;i) . Fuyant
u la province de Laconye, dicte auctentiquement Lacédé-
monie, Egine, d'où estoit natifve Hélène " , et ces ruines à
la cime d'un roc, " oîi, selon disoit le pilot turc, Aristote
lysoil la philosophie, " Saint-Blancard alla désarmer le
:20 novemhre à Ghio. Un (jiustiniani lui i)ailla de tout à
crédit, durant l'hivernage, tant la pénurie de nos marins
était lamentable.
Le lieutenant général de notre escadre eut riuimiluition
d'envover demander au sultan (4;, puis daller quérir lui-
même (5j à la Sublime Porte des vivres et de l'argent. On
lui donna toute satisfaction : mais notre ambassadeur en
pâtit et fut désormais tenu comme une manière d'otage (6).
Barberousse, auquel Saint-Blancard rendit visite dans l'im-
(l) Jehan UK Vega.
{2) Jehan Gallkrv.
(3) Dk Hammkr, t. II, p. 37.
(4) Le 10 janvier 1538, par une frégate (Compte certifié pour le trésorier
lie la marine du Levant par Saint-Blancard : Revue des Autographes, juillet
1900, Charavay, n° 274).
(5) Le 17 février. — Il emprunte 10,000 ducats (Catalogue des actes de
François I", t. VIII, p. 187).
(6) Lettre de Charles de ^larillac au chancelier r)ubourg, Constantinople,
4 mars (Publiée par Bodrrii.ly dans la Revue historique, t. LXXVI (1901),
p. 326).
364 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
mense arsenal, surveillait la construction d'une centaine
de galères; sur production d'un simple » tillette " du ca-
poudan, agrès, bois, tout fut délivre pour la réparation de
notre escadre ; une de nos trois (jalères alla se fournir de
rames dans un chantier de la mer Noire. Ainsi restauré, bien
muni d'argent, le baron reprit le 1 I avril la route de Chio.
A la traversée des Dardanelles, il apprit de Mourad Aga,
qui vint le trouver au lit, le départ des dix galères laissées
à Cbio et la capture, par elles, d vin corsaire turc, u Le
baron, soubdain oves les nouvelles, tira sans riens ar-
rester, " nonobstant les deux batleries qui gardaient les
deux rives. Il parlementa à Ténédos, se ravitailla à Mélel-
lin, fit montrer carène à ses galères à Chio et, longeant les
côtes d'Egypte, reprit à rebours son itinéraire de Tannée
précédente.
Voici ce qui s'était passé durant son absence : une lettre
de rappel, en date du 15 décembre 15;i7, était arrivée à
Chio (1) ; Magdalon d'Ornesan, qui commandait en l'ab-
sence de son frère, n'avait cru mieux faire que d'obéir
immédialcment. Du Ponant, étaient mandées en même
temps d'autres forces navales; une escadie de quatre vais-
seaux normands venait écouler ses prises à Marseille (2),
tandis que douze galères et autres bâtiments de Salnl-Jean-
de-Lviz tenaient " en grande crainte et subjcction v les
convois espagnols, qu ils poursuivaient jusqu en Sicile : ils
ramenèrent, entre autres, à Bordeaux, une grande nef que
le roi retint à son service (3). Mais l'appréhension où l'on
était d'un retour offensif de l'ennemi s'évanouit bientôt et
fit place à des idées de conciliation, que le pape Paul III
sut inspirer aux deux adversaires.
(1) CuARniKRE, t. I, p. 370.
(2) Fin d'avril 1537 (V.u.hkllk, B. N., Franc. 5072, fol. 212).
(3) Lcltres-patentcs de Fiancois l" pour les habitants de Saint-J( an-dc-
Luz. 1539 (DucÉRK, Histoire maritime de Bajonne. Les corsaires sous l'an-
cien ré(jiuie, p. 23V
RIVALITÉ DE FRANÇOIS l" ET DE CHARLES-QUINT. 365
Le dimanche 5 mai 1538, Magdalon d'Ornesan arrivait
dans les eaux de la Provence avec rallcgresse du retour
après une longue absence, quand le guetteur de l'île
Riou lui fit le signal : Flotte en vue. — De quelle nationa-
lité?— Française," répondit le gvietteur, persuadé du fait,
en voyant qu clic relâchait depuis deux jours aux iles de
Marseille, sans qu'il en résultât la moindre émotion (l). Il
ignorait, de même que Magdalon, les pourparlers de paix
et Tentrevue de Nice, à laquelle était convié l'empereur.
Or, l'escadre en relâche était celle de Gharles-Quint : vingt-
huit galères, et pour chef André Doria!
Moitié d'entre elles étaient à l'aiguade à Marseille la
veille, quand un hrigantin dépêché par Doria leur donna
avis de rallier lavant-garde. Dix galères suspectes, tlan-
quées de deux légers bâtiments, étaient en vue : une lune
peinte en poupe donnait le change sur leur nationalité.
Doria crut avoir affaire à des Turcs. Un refus de saluer le
confirma dans son erreur. Magdalon, subitement désa-
busé, ordonnait le branle-bas. Un coup partit, de l'un ou
de l'autre côté; le feu commençait sur toute la ligne. Mais
hélas ! que faire, un contre trois! Une de nos galères, après
avoir envoyé sa l)ordée à la capitane montée par Charles-
Quint, s'échoua sur l'ile Riou, où l'équipage s'enfuit.
L'arrière-garde espagnole ralliait en ce moment l'empe-
reur. Il en détacha sept galères pour envelopper l'îlot
montueux où se cachaient, dans les anfractuosités des
rochers, une cinquantaine de malheureux, demi-nus. Les
assaillants, qui montaient à l'escalade, pertuisanes et hal-
lebardes au poing, ne s'en emparèrent qu'après avoir été
chargés et fortement houspillés par un troupeau de
(1) « Caria dando cuenta del coinbatc que una escuadra espanola en que
iba el Emperador Carlos V tuvo con otra francesa en las immediaciones de
Marsella. En galera, en una de las Isladeras (Hyères), 7 de niayo 1538 »
(Coleccioii de dociimentos iuccUtos para la historia de Espana, t. II (1843),
p. 392, 397).
366 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
chèvres. Les sept autres galères de Tarrière-^jarde espa-
gnole, lancées à la poursuite de la Catherineite et de la
Cotellas, qui tentaient de gagner la haute mer, jetèrent le
grappin sur elles après un combat singulier entre les fu.;;i-
tives et la capitane et la Vittoria d Espagne. La Dachesse
de Magdalon dOrnesan était investie par deux autres
galères, tAqiiila de (^ranvelle et la Comtessa du comte de
Bénavente. Elle fit face, présentant Téperon à l'Afjui'la,
qu'elle avait saluée de ses bordées; mais elle ne put résister
à une attaque à 1 abordage de la garde impériale qui mon-
tait VAquila. Magdalon était prisonnier.
Nos six dernières galères se défendaient vigoureusement
contre Gianettino Doria et contre les ducs d'Albuquerque,
d'Albe et de Najera ; toujours tirant, elles parvinrent à
gagner Tabri de la forteresse de La Giotat, dont le feu vio-
lent tint toute la nuit Tempereur en respect.
Cependant le comte de Tende, sénéchal de Provence et
amiral du Levant, accourait au bruit du canon. En parle-
mentant avec Charles-Quint à la plage de Cassis, il obtint
la restitution immédiate des prises, déjà dégréées par le
vainqueur, qui remit en dédommagement mille écus par
galère (1) . Maigre compensation pour luie blessure d amour-
propre. François I" se montra très affecté. L'incident,
désagréable, mais non pas honteux pour sa marine, lui
causa une amertume dont son fils Henri II conservait net-
tement le souvenir (2) .
Saint-Blancard, à son retour le 13 juin, faillit commettre
une méprise encore plus forte et tirer sur son propre frère.
A la hauteur de Briganson, ses trois galères en pourchas-
saient une autre, quand des deux côtés en même temps
(1) Valbelle, fol. !219. — Jean uk Vaxdexessk, Journal des voyages rie
Cliarlcs-Qiiint, dans la Collection des voyages des souverains des Pays-Bas^
par Gachard, t. II, p. IVO. — Lettre de Charles-Quint à l'iaipératrice, dans
F. DuRO, Armada espaùola, t. 1, p. 232.
(2) B. N., Franc. 3118, fol. 2.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 3(}7
on hissa les couleurs françaises. Le navire chasse était la
galère Saint-Fi^ançois^ sur laquelle Tévêque de Lombez,
Bernard d'Ornesan, allait rejoindre à }?ice les plénipoten-
tiaires du traité de paix (Ij.
Pour les esprits superstitieux du temps, la paix s'annon-
çait sous de fâcheux auspices. Toutes nos galères (2j avaient
été saluer la flotte impériale dans les eaux de Yillefranche.
Sous la pression de la foule, le débarcadèi'e se rompit au
moment où la reine de France mettait pied à terre. Et tout
le monde, empereur venu à sa rencontre, reine, ducs et
dames d'honneur tombèrent à l'eau (3j . Personne ne fut
blessé, le cérémonial en fut quitte pour une douche; et le
18 juin 1538, la trêve de Nice arrêta pour dix ans les hos-
tilités.
Le pape Paul III en avait été le médiateur, tant dans
l'intérêt de l'Italie que par convenances personnelles, avec
l'espoir de liguer contre la Turquie toutes les forces chré-
tiennes. Un mois après, comme Charles-Quint passait
devant Marseille, l'amiral de Tende lui apportait les clefs
d'une ville qui l'avait si rudement repoussé. A Aigues-
Mortes, oà nos galères lavaient escorté, l'empereur cimen-
tait une amitié toute fraîche (4j, dont François I" disait
naïvement : « Nos volontéz sont sy fort unyes que l'un a
les affayres de l'autre en plus grande recommandation que
les syens propres (5). » Et de sa part, c était vrai, mais de
sa part seulement.
Imagine-t-on chez un souverain pareille versatilité?
(1) Valbelle, fol. 220.
(2) Solde de 22 galères à Marseille (B. N.. Latin 17059, n" 201).
(3) Lettre du connétable Anne de Montmorency à La Rochepot, 4 et
13 juin (B. N., Franc. 3068, fol. 34 et 41).
(4) Sur l'entrevue d'Aigues-Mortes, cf. Dp:c:rue, Aune de Montmorency,
p. 354.
(5j Lettre de François \" à liuipératrice (Archives nat. , K 1484 B ^, n" 10 :
Musée des Archives, n" 612).
368 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Alors que son ambassadeur Rincon se rendait à la Sublime
Porte avec des propos d alliance, au moment où les forces
navales du sultan s ébranlaient, en comptant sur un con-
cours que trois bâtiments de Barberousse étaient venus
quérir à Marseille, François T"^ abandonnait soudain son
allié et laissait s'accréditer la légende qu'il songeait à
ceindre à Gonstantinople la couronne d'empereur d'Orient.
Il se laissait adresser un projet de croisade rédigé par l'il-
lustre bistorien Paul Jove à la demande du marquis del
Vasto (1) : et, s'il n'y donnait suite, il permettait à Gharles-
Quint de se retourner avec toutes ses forces contre la Tur-
quie. Le 27 septembre, dans le golfe d'Arta, non loin du
promontoire d'Actium, les deux grands marins du temps
se trouvèrent face à face. Doria avait toutes les forces
navales de l'Espagne et de l'Italie, Barberousse avait trois
fois moins de vaisseaux : et ce fut lui le vainqueur (2).
On ne saurait se figurer quelle situation équivoque
créaient à nos marins les vicissitudes d'une politique aussi
difficile à concilier avec elle-même qu'avec le sentiment
populaire. Nettement hostile à l'alliance avec les Turcs,
" ce sont méchantes gens et hors de la foy, écrivait Val-
belle; mais puis qu'il plaict au roy, il est bien forsé qu'il
plaise à nous (3j. " A son retour de croisière en 1539,
comme on demandait à Saint-Blancard pourquoi il n'avait
pas poursuivi les corsaires barbaresques, il répondait avec
embarras qu'il ne les avait pas rencontrés (4).
(1) Lettre du marquis de! Vasto à Montmorency. 15 août 1538 (B. N.,
Franc. 2964, fol. 51).
(2) F. DtjRO, t. I, p. 234. — Manfro:»!, p. 336.
(3) Valbellk, fol. 220 v° : année 1538.
(4) La croisière, qui dura du 15 juin au 8 août 1539, comprenait douze
galères. Elle se borna à la capture de barques chargées de blé le long de la
Rivière de Gènes (Valbkllk, fol. 227-228).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 369
III
L'ALERTE ANGLAISE
Le rapprochemenl inattendu de François I""" et Gharles-
Quint, dont on disait que le partage de TAngleterre était
le gage, avait jeté l'inquiétude chez un autre de nos alliés,
Henri VIII. Il se sentait entouré d'adversaires. Jacques V
d'Ecosse s'était uni au roi de France par les liens d'une
parenté étroite : il était devenu son gendre en avril 1537,
et le vice-amiral de La Meilleraye, reconduisant le royal
couple en Calédonie, lui avait laissé deux beaux vaisseaux
de guerre, la Salamandre et le Maurice, que le roi mettait
comme cadeaux dans la corbeille de sa fille IMagdeleine (1) .
L'année suivante, la Salamandre (2) revenait chercher une
autre épousée; Jacques V, prématurément veuf, deman-
dait en mariage Marie de Guise, veuve du duc de Longue-
ville. Et en mai 1538, Icscadre du lieutenant-général
Jacques de Fontaines de Mormoulin, les galéasses Réale,
Saint-Jean, Saint-Pierre et quatre vaisseaux escortaient
en Ecosse une nouvelle reine (3) .
Or, l'étroite union des deux couronnes semblait le pré-
lude de la guerre sainte prêchée par le pape contre un
(1) LisDSAY DK PiscOTTiK, The Croiiiclcs of Scotland, t. II, p. 370. —
The hislorical Works of sir James Balfocr. London, 1825, in-S", t. I,
p. 266. — Francisque Michel, Les Ecossais en France, t. I, p. 405, 407.
(2) Commandée par John Barton ou Bertoun; à bord, était l'évéque David
Beaton, envoyé de Jacques V (Accounts of thc lord High Treasurer of
Scotland, apud Pitcairn, Criniinal Trials, t. I, part 1, p. 292, 322. —
Fr. Michel, t. I, p. 422).
(3) Comptes d'armement des trois galéasses, commandées par Jean de
Clamorgan, Jean d'Orgemont, Baptiste Auxilia. Mai 1538 (Archives nat.,
KK103, fol. 91,95, 111 v". — • A. Jal, Documents inédits sur la marine
du XVF siècle, extrait des Annales maritimes (1842). — B. N., Franc.
4574).
370 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
monarque hérétique (1). Déjà, notre ambassadeur, Castil-
lon, indiquait comme l'endroit le plus vulnérable pour
opérer une descente, le pavs de Galles ou le Gornwall.
pays » breton l)retonnant " et, comme tel, naturellemenl
hostile au reste du royaume ;2j . Le départ de notre ambas-
sadeur, en février 153Î), accrut 1 anxiété du souverain bri-
tannique. De toutes parts furent poussés les préparatifs
de défense dans l'éventualité d une invasion : une flotte
d'une centaine de voiles et plus fut massée à Southampton,
les milices du littoral passées en revue, une forteresse pro-
jetée à l'embouchure de la Tamise, pour forcer les navires
à désarmer avant de remonter le fleuve, cinq ou si.v vais-
seaux envoyés en grande garde le long des côtes, pour
signaler aux guetteurs placés près des bûchers-sémaphores
l'approche de 1 ennemi 3 .
La rupture tant redoutée n'eut point lieu. En avril 15;i}>.
les relations diplomatiques étaient renouées : Charles de
Marillac débarquait à Londres comme ambassadeur de
France. Il arrivait avec des instructions invraisemblables,
qui font beaucoup d honneur au caractère chevaleresque
de François I", mais fort peu à la perspicacité d un chef
d'Etat. Soutenir le parti catholique, encore puissant à la
Cour anglaise, était d un prince très chrétien ; mais il se
trouvait que ce parti était inféodé à la politique impériale
et que notre ambassadeur devait travailler au triomphe de
Charles-Quint. En vain, Henri YIII cherchait-il à groxiper.
contre l'Empire, Français, Anglais et luthériens allemands :
il se heurtait à notre politique de sentiment, dont Frau-
(i) Lettre du connétable de ^lontinorency à Charles de Marillac, ambas-
sadeur en Angleterre. 7 juillet 1539 (Jean Kaulek, Correspondance poHtiquc
de MM.de Castillon et de Marillac, ambassadeurs de France en Anqletcrrc
(1537-i542). Paris. 1885, in-8». p. 111\
(2) Lettre du 30 décembre 1538 (Guillaume Hirier, Lettres et mémoires
d'Estat. Paris, 1566, t. I, p. 341).
(3) KiULEK,p. 89, 91.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS l" ET DE CHARLES-QUINT. 371
çois I" fut la première dupe. Deux ans après, lorsqu'un
double changement de ministère eut porté au pouvoir en
France la faction anglophile, en Angleterre le parti impé-
rial, les rôles furent renversés ; ce fut à nous de faire appel
à l'entente franco-anglaise et à celui qui avait inutilement
quémandé notre alliance, de se montrer non pas indiffé-
rent, mais ennemi fl).
(1) Cf. les vicissitudes de notre politique anglaise dans le beau livre de
Pierre de ViissiÈRE, Charles de Maiillac, ambassadeur et houinte politique
sous les règnes de François I", Henri II et François II (1510-15G0).
Paris, 1896, in-8". p. 23.
RIVALITE
DE FRANÇOIS I" ET DE GIIARLES-QLJTNÏ
TROISIÈME GUERRE
UN TRIO D'AMBITIONS
La charge dégénérai des galères était fructueuse. Est-ce
pour cela que Saint-Blancard ne fut point de longtemps
remplacé, et ce, au profit de l'amiral du Levant, mais au
dam de notre marine. Faute de contrôle, les galères furent
trouvées en piteux état, " ben piètre " , un an après, lors
d'une inspection de ramiral-gouverneur ; faute de répres-
sion, la ville de Marseille regorgea de galériens et devint un
coupe-gorge (1) . Lesbarbaresques recommencèrent à courir
la côte provençale, si bien (juil fallut dépécher sept galères
et la Jacqueline à leurs trousses (2j . Autour de la charge
vacante, enfin, des convoitises s'allumèrent, des rivalités
naquirent, qu'on ne peut taire ici, tant elles eurent de
répercussion sur les vicissitudes de la guerre. Elles éclatè-
(1) Lettre de Thomas Bos à Magdcleine I^artessuti. Mar.seillc, 3t jan-
vier 1541 (Archives de la ville d'Avignon, n° 3430).
(2) Lettre de Magdeleine Lartessuti à Bernard de Saint-Blaneard. Avi-
gnon, 25 juin 1541 {Ibidem, n" 3436).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS 1" ET DE CHARLES-QUINT. 373
rent entre des individualités fortement trempées, entre les
héros d'une des plus sanglantes mêlées navales du temps.
C'était le 22 juillet 1537, à Tîle Merlera, près de Gorfou.
Cernées par les escadres de l'empereur, du pape et des hos-
pitaliers, les douze galères d'Ali-Tschelebi se défendaient
avec acharnement, lorsque le capitaine des galères de Malte,
Leone Strozzi, bondit à l'abordage de l'amirale turque.
Son audace décida de la victoire, mais à quel prix ! Quinze
cents chrétiens hors de combat. Il est vrai qu'à bord des
navires turcs, tout fut pris ou tué (1).
Deux ans plus tard, Leone Strozzi, prieur de Capoue,
passait au service de la France (2) et recevait presque aus-
sitôt le commandement d'une forte division navale, avec le
privilège de garder intégralement le produit de ses prises,
sans payer aucun droit à l'amiral (3). Réputé pour l'un
des hommes de mer les plus hardis de l'époque, le prieur
eût été de tous points un chef accompli, si son indépen-
dance de caractère et son ambition n'avaient été de nature
à provoquer les plus pénibles conflits (4). Rien ne lui était
plus sensible qu'une blessure d'amour-propre, laquelle ne
lui fut point épargnée. Il se vit supplanter par un parent et
un compagnon d'armes, le général de l'escadre du pape au
combat de Merlera.
Si Leone Strozzi avait plus de feu. Gentil Virginio Or-
sini avait plus d'expérience. Virginio Orsini dell' Anguillara
était à Prévésa, non loin du promontoire historique d'Ac-
(1) GuGMKLMOTTi, Guevra (lei pirati, t. I, p. 440. — De Hammer, trad.
Hellert, t. II, p 33.
(2) Il reçoit le commandement des {jaièrcs Sainte-Mai ie ei Saintc-Claiie.
Marseille, 12 mars 1539 (Joseph Fourni er, L'entrée de Léon Strozzi, prieur
(le Capoue, au service de la France (1539), extrait du Bulletin de géogra-
phie fiistorit/ue (1902). — Six galères lui fuient plus tard affectées en propre.
28 décembre 1541 (Rouen, Registre criminel de la Cour (1539-1558),
fol. 14).
(3) Archives de la ville d'Avignon, n" 3477.
(4) Tuevet, Vie des hom7ncs illustres, p. 443.
874 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
tium, OÙ faillit se décider pour la seconde fois le sort du
monde : il était à la Girolata en Corse, lors de la capture
du terrible Dragut par Gianettino Doria (1 : et, la poupe
de sa capitane arrachée par l'ouragan, son dieu-conduit à
la mer, il assistait, près de Charles-Quint, au désastre sans
nom de la flotte impériale sur la côte algérienne (2).
Amenant quatre galères à notre service, le comte dell'
Anguillara se jugea en droit de poser des conditions : il
reçut d'emblée la capitainerie générale de la flotte du Le-
vant, sans avoir à reconnaître d'autre supérieur que le
connétable, l'amiral ou un maréchal (3). L'esprit ouvert et
délié, assez connaisseur pour se faire le mécène de Benve-
nuto Cellini (4), assez bon ingénieur pour dresser le devis
d'une embarcation plus rapide que les galères (5), il était
de ces rares marins qu'intéressaient les recherches d un
nouveau propulseur, poursuivies à Venise et Barcelone par
Lascaris et Blasco de Garay (6 .
De n'être que le lieutenant général de son beau-frère ■ 7)
Leone Strozzi était furieux. Il le laissa voir. Yii'ginio s'étant
plaint à qui de droit, la colère du prieur éclata : « Tout ce
que tu as écrit au roi contre mon honneur est faux, criait-il
le 13 décembre 1543 dans la rue de 1 Hôpital à Lyon : tu
en as menti par la gorge. " Et à l'instant, il met l'épée à la
(1) 2 juin 1540.
(2j 27 octobre 1541 (Gcglielmotti, l. II, p. 42, 90. 97).
(3) Suivant l'accord passé à Rome avec notre ambassadeur^ Georges
d'Armagnac. Lettres patentes de François P^ i'''' octobre 1542 (Archives
des Bouches-du-Rhône, B 2546, fol. 3 v°). — Dès le 4 septembre, le roi
faisait rafraîchir les chiourmes du nouveau capitaine général (Archives nal.,
X'* 94, à la date du 15 février 1543). — Adriam Giauibattista, Storia de
snoi tempi. Firenze, 1583, in-fol., p. 106.
(4) Vita (H B. Cellini, scritta tla lui medesimo (éd. 1891), p. 322. —
t'icOT, Les Italiens en France au XVF siècle, dans le Bulletin Italien
(190i;, p. 116.
(5) Archives nat., K 1486, B^.
(6) En 1539 et 1543 (Cf. suprh, t. II, p. 487).
(7) Patentes du 31 mai 1543 (P. Anselme, t. VII, p. 93J .
RIVALITE DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 375
main, ses douze compagnons l'imitent ; de l'autre côté,
quarante sabres de cavalerie sortent du fourreau. On ne
dut qu'au sang-froid de Virginio Orsini d'éviter un mas-
sacre (l)-- Moins de quatre mois après, le prieur de Gapoue
se serait fait ccharper pour son beau-frère.
Ce prodigieux revirement coïncidait avec l'entrée en
scène d'un soldat de fortune, qui mit les deux Italiens
d'accord en jouant le rôle du troisième larron. Né on ne
sait quand, lui-même ne savait où, de parents incertains,
le nouveau venu était 1 enfant du mystère. Les soldats
d'un régiment l'avaient recueilli tout jeune en Dau-
phiné (2) : il avait fait avec eux les campagnes de Piémont,
gagné le grade de capitaine et, ce qui valait mieux, l'affec-
tion de Du Bellay-Langey, qui avait parfait son éducation.
On l'appelait le capitaine Polin ; il signait Le Polin, mais
ce n'était qu'un sobriquet, significatif peut-être, un poulin
étant un métis de Franc et d'Orientale : et son nom véri-
table, Antoine Escalin des Aymars ou Adhémar, baron de
La Garde, la faveur persistante du gouverneur de Pi'ovence
Adbémar de Grignan, sa rapide fortune laissent penser
qu'il était bâtard de cette illustre famille des Adhémar,
sinon du gouverneur lui-même (3).
Cette multiplicité de noms donna lieu à une boutade de
l'auteur des Essais : « Qui croiroit que Anthoine Escalin
se laisse voler à sa veùe tant de navigations et charges par.
(1) Piero Strozzi et Arnaldo Pozzolini, Memorie per la vita di fra Leone
Stvozzi, priore di Capua. Firenze, 1890, grand in-8°, p. 14.
(2) BnANTOME, éd. Lalanne, t. IV, p. 141.
(3) Nous devons à l'obligeance de M. Jean Gaudin, comniunication de
son excellent Essai sur la vie du baron de La Garde, dit le capitaine Polin
(1578). Cette thèse d'École des chartes, encore manuscrite malheureuse-
ment, abonde en ingénieux aperçus sur la rivalité de Strozzi et La Garde.
— Cf. aussi comte d'Allard, Escalin, pâtre, ambassadeur et général des
qalères de France, tirage à part des livraisons 115 à 119 (années 1895-
1896), du Bulletin de la Société départementale d'archéologie et de statis-
tique de la Drame.
376 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
mer et par terre au capitaine Poulin et au baron de la
Garde (1V^.
II
L'ALLIANCE FRANCO-TURQUE
Ce fut à une circonstance tragique que le capitaine Polin
dut d'être mis en vedette et de passer d une compagnie de
fantassins à une ambassade, qui lui servit de marchepied,
chose invraisemblable, au gcnéralat des galères.
Au moment où l'empereur apprêtait une gigantesque
expédition navale contre les Turcs, François I" affichait
pour eux ses svmpathies par Tenvoi d'un ambassadeur et
d une galcasse. qui furent reçus à Constantinople en grande
pompe, « faveur et crédict » . Pareille démonstration
excita parmi les Impériaux autant de fureur que d'inquié-
tude. Tandis que Doria mandait à Gianettino, son neveu,
d'intercepter notre bâtiment (2), le mai-quis del Vasto ten-
dait sur le Pô un traquenard où tombèrent nos agents
diplomatiques. Le meurtre de Fregoso et Rincon, au mé-
pris de leur qualité, était un casusbelli. Il advint en juillet
1541 (3).
La guerre n'éclata point tout de suite, à cause du mys-
tère singulier qui enveloppa longtemps le sort des victimes.
Et ce fut pour nous tout avantage. L'empereur perdait,
avec son prestige, une partie de sa flotte dans la désas-
treuse expédition d'Alger, laissait une armée dans les
(J) Essais de messiie Michel, sei(jneur de Montaigne. Bourdeaus, 1580,
in-8", l"-2'= livres, p. 427.
(2) Lettres de Pellicier, évoque de Montpellier, ambassadeur à Venise.
Venise, 17 mai et 4 juillet 1541 (GiiAnitiÈRE, t. I, p. 494, 500).
(3) Cf. sur l'assassinat de Fregoso et Rincon, Bourrilly, Guillaume Du
Bellay, p. 333.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS 1" ET DE CHARLES-QUINT. 377
plaines de Hongrie et se voyait menacé par une formi-
dable ligue offensive entre la France, le Danemark (1), la
Suède (2) et la Turquie. Les Impériaux n'avaient point eu
le profit de leur crime; un nouvel agent diplomatique,
désigné d urgence, avait pris le chemin de la Sublime
Porte, reçu de Soliman une audience solennelle (3) ; et
vingt et un jours après son départ du Bosphore, il appor-
tait à Fontainebleau la nouvelle que le sultan nous pro-
mettait pour le printemps de 1542 le concours d une flotte
de cent bâtiments. L'heurevix diplomate, ce voyageur d'une
célérité si incroyable, qui avait su déjouer en route les
embûches de Doria, c était le capitaine Polin. Dans le
même temps, par un frappant contraste, le ministre impé-
rial Granvelle manquait d'être enlevé par sept de nos ga-
lères durant la traversée de Gènes à Barcelone (4).
Le dauphin fut envové en Languedoc, le duc d'Orléans
en Provence, le roi de Navarre en Guyenne, le duc de
Vendôme en Picardie, et en Piémont le maréchal d'Anne-
bault : le 12 juillet 1542, le roi de France lançait son cri
de guerre (5). Pour nous faire face, 1 empereur manda en
Roussillon les vieilles bandes espagnoles de Piémont et un
régiment de lansquenets, tandis qvie les galères de Naples
amenaient à Savone 1 infanterie d'Afrique. Une partie des
lansquenets, au nombre de trois cents, furent interceptés
(1) Fontainebleau, 29 novembre 1541 (B, N., Franc. 15966, fol. 239 :
DuMOXT, Cotps (liplomatifjue, t. IV, 2" partie, p. 216).
(2) Juillet 1542.
(3) Parti de Venise le 18 août 1541, à Bude en octobre au camp du sultan,
Polin suivit le sultan à Gonstantinople et revint en France en février
(A. Tausserat-Radel, Correspondance politique de Guillaume Pellicier,
ambassadeur de France a Venise (1540-1542 .) Paris, 1899, in-8°, p. 396).
(4) Granvelle avait deux galères et une barque d'avis. Lettre de Paget,
26 fe'vrier 1542 ( Calendar of State papers, Henry VIII, p. 666. — Tacs-
serat-Radel, Corresp. de Guillaume Pellicier, p. 538"!.
(5) Il Cry de guerre ouverte entre le rov de France et l'empereur, "
mandé par François I" à ses amiraux et vice-amiraux [Papiers d'Etat du
canlinal de Granvelle, t. II, p. 628).
378 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
au passajje par notre général des galères, Orsini dell An-
guillara (1). Mais nos forces navales n'étaient point en état
de tenir tête aux flottes espagnoles, et nous comptions,
pour le succès des opérations du dauphin dans le Roussillon,
sur l'appoint de la flotte turque.
Malheureusement le capitaine I^olin, s'attardant à Ve-
nise, dont il eût voulu obtenir 1 adhésion à la ligue franco-
turque, n'arriva point en temps utile à Gonstantinople :
Il trois mois de printemps et d'esté s'estoient desjà escouléz,
tellement que Polin estoit grandement tourmenté de très
grief souci et ennuy » . En présence des autres pachas et de
l'amiral, l'eunuque Soliman lui dit sévèrement qu'il n'eût
plus à compter sur les Turcs (2), Et en effet, de l'année, la
flotte du sultan ne sortit point. En serait-il de même l'an
d'après?
Polin « eut en cette négotiation de grandes peines, car
il lui falut combatre contre les secrettes menées de l'empe-
reur, contre les fermes résolutions des Vénitiens, contre les
mauvaises volontéz des baschas et, qui plus est, contre
rarro}',ance et inconstance de Solvman. Mais il alla, il vira,
il trota, il traita, il monopola et fit si bien, et gagna si bien
le capitaine des janissaires de la Porte qu il eut enfin ce
qu'il voulut... Le Grand Seigneur, au départir, commanda
à Barberousse d'obéyr du tout en tout au capitaine Polin " ,
honneur suprême pour un homme qui s'était vu, il n y
avait pas si longtemps, simple soldat (3).
Honneur périlleux aussi. De l'immense flotte qu il condui-
sait, Polin était l'otage. Il avait promis au nom du roi, —
et " il tenoit les parolles de son maistre infaillibles " , —
que les Turcs trouveraient à leur arrivée à Antibes ou aux
îles d'Hyères vivres et munitions en quantité, sans parler
(i) Paul JovE, traduction Sauvage (1570), t. II, p. 529, 531.
(2) Paul JovE, ibidem. — GiiARRiÈRE, t. 1, p. 555.
(3) Brantôme, t. IV, p. 141.
RIVALITE DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 379
de quarante galères et vingt vaisseaux français. Partie de
Constantinoplc à la mi-mars de 15i;î, ravitaillée àLépante,
signalée par des descentes quotidiennes en Fouille, en Ca-
labre, dans le golfe de Naples, en Sardaigne et en Corse,
nulle part la flotte turque ne put se fournir de vivres; le
vide se faisait à son approche (1) ; et les Turcs, après trois
mois de navigation, arrivèrent exténués et affamés sur nos
côtes.
Charles-Quint avait eu le temps de passer indemne de
Barcelone à Gènes, allant dans les Pays-Bas garder « sa
vache de Flandres » . En vue de Marseille, le 20 mai, il
avait jeté Tancre comme par manière de défi : et nos ga-
lères n'avaient pu faire autre chose que de saluer de
quelques boulets au passage son immense flotte de cent
quarante voiles (2j ,
Depuis peu, notre armée de mer du Levant avait à sa
tète un bouillant prince du sang (3), qu'avait grisé l'apo-
théose de sa réception à Marseille : l'artillerie tonnait dans
le port et dans les rues, les habitants « pour la plupart
guerriers, n'y épargnèrent pas la poudre : le tonnerre y
estoit si grand que les femmes grosses et les nourrices
furent contraintes de se retirer dedans les caves »> . Donc,
François de Bourbon, comte d'Enghien, brûlait de tirer
vengeance de l'injurieuse bravade de l'empereur.
Trois déserteurs, à point nommé, offrirent de nous livrer
le château de Nice. Sans plus s'enquérir, Enghien décida
(1) Interrogatoire du baron de T>a Garde (B. N., Moreau, vol. 778,
fol. 152). — Le territoire de l'Eglise, grâce à Polin, fut seul à l'abri de
» toute injure des impétueux » . Lettre de Polin au gouverneur de Terra-
cine {^Calendar of lelters, despatchcs and State papers relatinq to neçotia-
lions between Eiiqland and Spaiii preserved in the Archives al Simancas,
éd. I^. de Gayangos, t. VI, '2," partie, p. 557).
(2) G.4(::H.\nD, Collection des voyages des Souverains des Pars-Bas, t. II,
p. 254, et t. III, p. 441. — P. Jovk, trad. Sauvage, p. 563.
(3) François de Bourbon nommé lieutenant-général de la flotte le
28 avril 1543 (B. N., Franc. 3115, fol. 15; Clairambault 825, fol. 114v'').
380 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
d'y donner suite. Il partirait à minuit avec les capitaines
de galères présents à Tentretien, Pierre Bon, Magdalon
d'Ornesan, Bernard d'Ornesan-Saint-Blancard et Michelet.
Onze autres galères suivraient à distance, chargées à fond
de gens de guerre. Fort heureusement, Vieilleville, qui ser-
vait de mentor au jeune prince, flaira un piège monté par
le quatuor Doria (1) et ne laissa pas « sonder le gué " à son
pupille.
Le lendemain 17 juin, à six milles de Nice, Enghien
mandait donc au capitaine Magdalon d'aller devant avec
quatre galères. Et il prit le large, prêt à reparaître à un
signal convenu. » Mais la chose réussit tout au rebours. »
Les pseudo-déserteurs étaient de connivence avec le
capitaine du château de Nice, Antoine de Leschaulx. Sans
qu'on pût se douter de sa présence, André Doria était en
embuscade derrière le cap Saint-Hospice, avec quinze
galères au ras de la côte. Il n'avait laissé en vedette comme
appât qu'une autre division de six galères, arrivée ostensi-
blement du large (2).
Au moment où notre avant-garde approchait de Nice,
les six galères de Gianettino, suivies de près par l'escadre
de Doria, chargèrent impétueusement. Magdalon d'Orne-
san eut la jambe emportée par un boulet (3), Michelet fut
arquebuse en essayant de gagner Antibes; la Perle de
Pierre Bon, malgré son artillerie renforcée (4), ne résista
pas plus que ses compagnes; toute notre avant-garde était
prisonnière.
Enghien attendait au Cauroux le signal convenu. Tout
à coup, au clair de la lune, se profilèrent les silhouettes
(1) André, Antonio, Filippino et Gianettino.
(2) Carloix, Mémoires de la vie du maréchal de Vieilleville, dans la Nou-
velle collection de Mémoires Michaud et Poujoulat, i"^ série, t. IX, p. 35.
(3) jNicolay d'Arfeuille, B. N., Franc. 20008, p. 52.
(4) De six pièces empruntées à la Salamandre (Archives des Bouches-
du-Rhône, B38, fol. 72).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 381
de vingt galères : elles nëtaient plus qu'à deux milles;
c'était toute la flotte d'André Doria. Enghien, affolé, sti-
mula la chiourme, stimula les mariniers, promit de fortes
primes si on échappait; des soldats prirent la rame à la
place de foi^çats pâmés, et Ton parvint à gagner sans nou-
velles pertes Toulon. Deu.\ compagnies d'infanterie, aus-
sitôt mandées, se formèrent en bataille dans le port pour
arrêter la poursuite de la flotte impériale (l).
Mais une nouvelle inattendue avait fait rebrousser che-
min à l'ennemi. André Doria venait d apprendre d un pri-
sonnier moribond, de ^lagdalon dOrnesan, l'arrivée immi-
nente de la flotte turque. Et de fait, dans la soirée du
5 juillet, les Nicards contemplaient avec épouvante le
défilé sans fin des cent soi.xante-quatorze voiles latines,
flanquées de quatre grands transports, que le capitaine
Polin amenait en Provence. Il y avait là l'élite de la marine
turque, Salah Raïs, capitaine des soixante galères de
l'avant-garde, Deli Soliman, lieutenant ou chachaia du
sultan, le capitaine Chanchelubin (2), les capitaines Giaf-
fer Aga, Hassan Celebi, circana de Gallipoli, l'aga des
Janissaires, les sandjaks de Gappadoce et de Gilicie, les
spahis de Nègrepont (3).
Les nouveaux venus jetèrent l'ancre dans la rade d'An-
tibes. Là, point d'approvisionnements, point d'argent,
(1) Le comte d'Engliien fait entrer les bandes des sieurs Darcicr et de
Gombert à Toulon pour protéger et sauver les galères du roi qui sont dans
le port. 23 juin 15i3 (Archives de Toulon, BB47, fol. 235). — Gioffredo,
Storia (le/le Alpi marittiine, t. V, p. 158.
(2) Léon Dorp:z, Itinéraire de Jérôme Mauraml (VAntibes à Constanti-
nople (1544), texte italien publié pour la première fois, avec une introduc-
tion et une traduction. Paris, 1901, in-8», p. 26. On trouvera dans cet
ouvrage et dans les notes qui l'accompagnent les détails les plus circons-
tanciés sur nos rapports avec la Porte.
(3) Lettre de Corfou sur la composition de la flotte de Barberousse.
15 juin 1543 (Léon Dorez, p. 302). — Cf. là-dessus la thèse, encore ma-
nuscrite, de M. Jean Gaudin, Essai sur la vie du baron de La Garde, dit
le capitaine Polin, V' partie, chapitre in, Barberousse en Provence.
382 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
rien à attendre du trésor de guerre (1). C'était la faillite
des promesses de Polin.
De rage, Barberonsse faillit s'en retourner sur Iheure,
en gardant à bord l'imprudent qui avait déclaré solennel-
lement à Byzance : » Si j'avois cent vies, je les baillerois
toutes en hostaiges » de la parole royale. Fort heureuse-
ment, un officier général, envoyé au-devant de l'amiral
turc, parvint à l'apaiser.
Dès le 0 juillet, l'ennemi était avisé du point sur lequel
fondrait l'orage. Un prisonnier turc lavait renseigné sur
les forces de Barberousse, cent quinze galères et une
quinzaine de fustes de corsaires levantins, disait-il, avec
une dizaine de mille hommes de troupes de débarque-
ment; et il avait révélé que la flotte débuterait par l'at-
taque de Nice, continuerait par le pillage des côtes d'Es-
pagne et d'Italie et, au retour, passerait à Tunis, pour y
déposer trois régiments (2).
Un mois, jour povir jour, après leur arrivée dans les
mers de Provence, les voiles ennemies réapparaissaient en
plus grand nombre devant Nice (;i) : la jonction des Turcs
avec la flotte française de Virginio Orsini avait porté le
chiffre des galères à deux cents et celui des grandes nefs à
seize, non compris les deux grosses galéasses Duchesse et
Daiiphine . Le lendemain, un tambourin vint sommer le
colonel Louis du Chàtellar de rendre la place. Le 7 août,
(1) C'est ce que François \" répondit à Polin qui ctait venu le trouver à
Marolles. Il lui conseillait en outre de reprendre le siège de JNice. Le comte
d'Enghien apaisa Barberousse en lui faisant délivrer, aux iles de Marseille,
11,834 quintaux de biscuit. 2 et 3 août 1543 (B. K.. Moreau 778,
fol. 153 v°. — ^lÉNARD, Histoire de la ville de Nîmes. Paris, 1753, in-'*",
t. IV, p. 185).
(2) Lettre au duc de Savoie (Abel Desjardixs, Négociations delà France
avec la Toscane, t. III, p. 89\
(3) Laaibert de la Croix, président des comptes de Savoie, Discours soni-
mayre du succès du siège mys au devant du chasteau et cite de Nice par
Françoys, roy de France, et par le turch Barbcrosse de l'an 1543, dans les
Monumentu historiœ patrite, Scriptores, t. I (1840), col. 912.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 383
les compagnies turques commençaient à débarquer à Vil-
lefranche avec de l'artillerie. Quatre jours plus tard,
l'armée du comte d Enghien arrivait devant Nice, suivie
le lendemain des bataillons du comte de Tende et de Glan-
dèves, sieur d'Antibes. Une nouvelle sommation n'eut pas
plus d'effet que la première : en guise de réponse, Paolo
Simeone de Cavorreto, grand prieur de Lombardie, fit
étrangler comme traître le parlementaire et le pendit par
un pied sur l'éperon du donjon, à la vue des assiégeants.
Le bombardement aussitôt commença, par terre et par
mer. Une batterie de vingt-cinq grosses pièces assise en
avant de Cimiez lançait sur la ville des boulets de
109 livres (l) . Le feu atteignit son maximum d'intensité
le jour de l'Assomption. Cent vingt galères, sorties du port
de Villefranche, s'étaient embossées en ligne de bataille
depuis la pointe de Montboron jusqu aux remparts; et sous
le feu épouvantable des batteries de 1 armée et de la flotte,
Turcs et Français montaient à l'assaut. Trois fois, ils
gagnèrent la brèche faite entre le bastion de la Peyrollière
et la tour pentagonale; trois fois, ils furent repoussés avec
de lourdes pertes. Avant de se retirer, les galères concen-
trèrent leur feu sur le donjon, mais leur tir à la volée
causa surtout du mal aux assiégeants, car les bovilets pas-
saient par-dessus le but et tombaient au milieu du camp.
Le :22 août, la ville se rendait au comte d'Enghien, qui
avait la politesse de soumettre les termes de la capitula-
tion à Barberousse, alors à Villefranche. Dans le même
instant, à Milan, un conseil de guerre tenu entre le duc
de Savoie et le marquis del Vasto avisait aux moyens
de sauver la place '2} : et le pauvre duc allait jusqu à
(1) Caks dk Pikrlas, Clironif/iie niçoise de Jean Badat (1516-1567),
publiée dans la Romania, t. XXV (J896\ p. 65.
(2 Arturo Segre, Carlo II di Savoin. Le sue relaùoni cou Francia e
Spac/iia e le guerre picmontesi dal 1536 al 15-15, clans les Metnoric délia
384 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
mettre sa couronne en gage pour lever des soldats (l).
La garnison s'était réfugiée dans le château avec André
de Montfort, gouverneur de la ville, le colonel Louis de
Ghâtillon du Ghàtellar et le grand prieur de Lombardie.
De part et d'autre, on s'apprêtait à une lutte désespérée.
Femmes et enfants avaient reçu un sauf-conduit et une
escorte pour quitter la forteresse; le comte d'Enghien
dressait de nouvelles batteries, des tranchées s'ouvraient;
jusqu'au 7 septembre, le canon et la fusillade ne cessèrent
plus de retentir, à tel point que nos munitions s épuisèrent.
Et pour avoir dû en emprunter à nos alliés, nous encou-
rûmes leur mépris et leur colère (:2) . Le 8 septembre, les
Turcs rembarquaient à Villefranchc leur artillerie: le len-
demain, les Français levaient le siège du château et met-
taient le feu à la ville, comme apparaissait lavant-garde
d'une armée de secours conduite par Charles II, duc de
Savoie, et Alonso d'Avalos, marquis del Vasto. Toute la
flotte franco-turque se repliait sur Antibcs. La forteresse
était sauvée.
Barberousse parlait de prendre congc', si on ne lui four-
nissait le moyen de se radouber et de se ravitailler (3).
A cette menace si compromettante pour notre supré-
matie navale, la réponse de la Cour ne se fit point attendre.
Le vice-amiral Villiers d Ancienville-Révillon (4) apportait
aux Toulonnais l'ordre de « Auyder ladite ville, personnes
et biens, tout incontinent pour loger l'armée du sieur Bar-
reale Accademia délie scieiize di Toiiiio, 2" sëric, t. LU (1903), p. 178.
Cet ouvrage est rédigé d'après les docuiiients conservés aux archives de
Turin et de Mantoue.
(1) Lettre datée de Lyon, 21 janvier 1544 (L. Dorkz, L'itinéraire de
Jérôme Maurand . p. 311).
(2) Nous dûmes lui restituer mille boulets et cinquante milliers de poudre
(B. N., Franc. 17329, fol. 169. — Brantôme, t. III, p. 128).
(3) Lettre de Barberousse au roi. Villofranche, 6 septembre 1543 (Inter-
rogatoire du baron de La Garde. B. N., Moreau. vol. 778, fol. 154 v°).
(4) Ibidem, fol. 155.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS l" ET DE CHARLES-QUINT. 385
berousse (1) » . Seuls, les « chefs de maysons " étaient
admis à rester et recevaient en guise de dédommage-
ment exemption de tailles pour dix ans (2) .
Comme la flotte franco-turque stationnait aux iles de
Lérins, elle eut connaissance de l'arrivée d'André Doria
en rade de Villefranche (3). Doria amenait à bord de ses
vingt et une galères le duc de Savoie, le marquis del Vasto
et quinze cents Espagnols. Les habitants se sentaient ras-
surés par la présence de leur duc, quand une panique
soudaine lui fit prendre à nouveau le large : quarante
galères de Barberousse, disait-on, arrivaient donner la
chasse à la petite escadre de Doria. Repoussés par la tem-
pête dans le port de Villefranche, le duc et le marquis
battirent en retraite par voie de terre : Doria se sauva éga-
lement, au prix de quatre galères que l'ouragan jeta à la
côte (4j.
Il avait lieu de craindre pis. Polin avait pressé Barbe-
rousse d'attaquer. Mais le vieux corsaire ne s'ébranla
point; " le corbeau ne crève pas les yeux au corbeau " ,
disait-on des deux adversaires (5). Et l'on de\inait, aux
sourires ironiques des sandjaks, que Barberousse jugeait
équitable de ménager Doria, de le traiter en collègue, en
frère. La tourmente apaisée, le 23 septembre, Salah Raïs
et Leone Strozzi, avec vingt-cinq galères chacun, allèrent
pourtant recueillir les débris du naufrage, des canons que
les plongeurs retirèrent du fond de la mer, près du cap
Saint-Hospice (6). Le surlendemain, un détachement mixte
(1) 16 septembre (Archives de Toulon BB 47, fol. 247 v").
(2) 11 décembre ('Champollion-P'igeac, Documents historiques inédits tirés
(les collections de la Bibliothèque royale, t. III, p. 559).
(3) 13 septembre.
(4) GiOFFREDO, col. 1498. — Arturo Segrk, p. 180.
(5) Lettre de Giainmatteo Bembo. 1539 (Lettere dei principi, t. III (1581),
fol. 66 v"). — Brantôimk, t. II, p. 35.
(6) P. JovE, livre XLIV, trad. Sauvage (1570). — Lambert dk la
Groix.
386 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
s'emparait d Eze et échouait contre la Turbie. Mais déjà
Barberoussc prenait à Toulon ses quartiers d'hiver.
Nous savons, par un ambassadeur de France, quel pres-
tigieux spectacle offrait une flotte turque : 1 amirale, facile
à reconnaître à son pavillon d argent doré, la poupe ornée
de pavillons et banderoles de satin vert, ressemblait de
loin à un bois de cyprès qui aurait pris racine au fond
de la mer: chaque division navale portait une couleur dif-
férente, blanc, incarnat, jaune, ou ces couleurs mi-parties,
selon la légion de spahis à laquelle elle appartenait.
« On n entendait aucun bruit de tambours, de trom-
pettes, ni de cris insolents, comme on en entend non seu-
lement dans les armées chrétiennes, mais même dans les
conventicules des plus révérends Pères : ce qui arrive non
pour ce que les Turcs manquent de bravoure, mais pour
le respect qu'ils portent à leurs capitaines et supé-
rieurs (1). "
A la discipline de la flotte de Barberousse, les témoi-
gnages contemporains sont unanimes à rendre hommage.
Il A veoir ToUon, dit l'un, on diroit estre Gonstantinoble,
chascun faisant son mestier et feict de marchandise tur-
quesque avec grande police et justice (2). » «Jamais armée
ne vesquist plus estroictement ny avec meilletîr ordre que
ceste là (3). » Et songez que les équipages des cent di.\
galères désarmées au port, joints à mille " espays, qui
sont comme hommes d'armes, et six mil genissaires, qui
sont comme gens de pied des ordonnances » , ne montaient
pas à moins de trente mille hommes. Le baron de La
Garde, à qui incombait la lourde charge de les nourrir, en
donne lui-même le décompte basé sur ce principe notoire :
(i) Le voyage du Levant, de Philippe du Fresnk-Canaye (1572), publié
et annoté par H. Hacser. Paris, 1898, in-8°, p. 139-141.
i^2) Lettre de Lyon, 21 janvier 1544 (L. Dohez, Itinéraire de Jérôme
Maurand, p. 311).
(3) Déposition du baron de La Garde (B. ÎN.. .Vloreau 778, fol. 224).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 387
« En une gallère subtille, avant seullement vingt-quatre
bancs de chascun costé et trois hommes par banc, et
soixante mariniers, comprins dix-huit officit>vs, y a en tout
deux cent quatre hommes (l). "
Comme à Alger nagucres. Turcs et Français fraterni-
saient. Barberoussc offrit à son collègue Virginio Orsini
un coffret d'ébène et d'ivoire, où des artistes barbares
avaient peint sur papier les portraits de onze sultans otto-
mans (2;. Il reçut lui-même de La Garde, au nom du roi,
de la vaisselle d'argent doré et une horloge à mappemonde :
tous les chefs, tout l'état-major, agas, sandjaks, drogman,
maître d hôtel, reçurent pareillement des cadeaux, sans
parler des robes de soie qu'on leur offrit comme étrennes,
lors du rhamadan, au moment de leurs « pàques (3i )> . Et
malgré ces protestations d'amitié, François l", mis en
défiance par la conduite inexplicable de notre allié en face
de Doria. mandait au capitaine Polin « ne bouger d'avec
ledicl Barberosse et mettre peyne de descouvrir les menées
que les Impériaulx faisoient avec icelluy (4) " .
Sur l'avis envoyé à la Cour par le sieur de Alontpezat que
l'empereur préparait vine descente en Languedoc, une
division turque para l'attaque en prenant l'offensive (5).
Salah Raïs et un neveu de Barberoussc, Chanchelubin, à
la tête de quarante galères (6j, partirent pour les Baléares,
et de Formentera comme base d'opérations, semèrent la
(1) Procès du baron de La Garde (B. IN., Moieau 778, toi. 159 v"). —
30,000 livres avaient été remises au trésorier de la marine du Levant pour
l'ent.'etien de la Hotte turque. 29 novembre 1543 (Archives des Bouches-du-
Rhône, B38, foL 19 v").
(2) P. JovE : L. Dorez, p. 335.
(3) B. N., Moreau 770, fol. 107.
(4) Lettre de François I" à La Garde. 12 novembre 1543 (B. N.,
Moreau 778, fol. 163 v").
(5) Lettre de François 1"^ au baron de La Garde. 6 janvier 1544 (B. N.,
Moreau 778, fol. 164, analyse).
(6) Lettre du baron de La Garde au roi. Toulon, 24 mai (Ibidem,
fol. 245\
388 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
terreur tout le long des côtes espagnoles. Gadaqucs, Anipu-
rias, Palumos, Rosas, Villajoyosa devinrent la proie des
flammes; les habitants s'étaient enfuis éperdus. Alicante,
au contraire, (^uardamar et Iviça évitèrent ce triste sort
par une vigoureuse résistance. Une nef espagnole, chargée
de gens de guerre, fut covilée à fond; trois autres furent
capturées (1). Après escale en Afrique, en Sardaigne, Salah
Raïs touchait le 23 mai à Toulon, annonçant l'arrivée pro-
chaine de vingt voiles algériennes et du contingent de
Djerbah, sous les ordres d'Hassan Aga, lieutenant de Bar-
berousse à Alger.
Pareils renforts permettaient de répartir la flotte franco-
turque en deux escadres, dont la moindre serait encore
plus forte que la flotte impériale (2).
La flotte française, assemblée en rade d'Antibes, ne com-
portait pas moins de cinquante-deux bâtiments (3). Après
le départ du comte d'Enghien, Adhémar de C4rignan,
investi d'une autorité suprême sur les officiers de ma-
rine (-i), avait destitué de son commandement Orsini delT
Anguillara et confisqué ses six galères, qu'il fit toutes tim-
brer des armes royales (5) . Et en dépit des intrigues d'Orsini
et de ses beaux-frères, les Strozzi, malgré l'intervention de
la duchesse d'Etampes (G), le protégé de Grignan était
devenu général des galères. Les patentes qui conférèrent
au baron de La Garde cette haute charge, sont du 23 avril
1544 (7). Dès le 9 mars, François I" avait donné ordre à
(1) F. DuRO, t. I, p. 266. — P. JovK.
(2) Lettre de La Garde citée (B. N., Moreau 778, foL 245).
(3) Compte des trésoriers de la marine du Levant : 32 {jalùres, 12 na-
vires, 4 Lrigantins, 2 galions, 2 galéasses fB. N., Franc. 17329, fol. 192 v°).
(4) 19 janvier 1544 (Archives des Rouches-du-Rhône, B38, fol. 84 v°).
(5) 22 avril 1544 (Ibidem, B 2546, fol. 17).
(6) .Ican Gaufiik, Essai sur ta vie du havon de La Garde, dit le capitaine
Polin, 2"^ partie, chap. 1.
(7) L Lk LànounEun, Les mémoires de Messire Michel de Caslelnau
(1659), t. II, p. 11.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS 1" ET DE CHARLES-QUINT. 389
Grignan de lui fournir « bon nombre de pyonnjcrs pour
besoigner en toute dilligence à fortiffier certain lieu fort à
propos, que nous ne voulions estre cy déclaré : le capitaine
Polin congnoisl l'affaire " , ajoutait pour toutes explications
le roi (I).
Des objectifs possibles d'une campagne navale, le plus
important était, sans contredit, la soumission de Gênes.
Aux termes des instructions royales (2), le baron de La
Garde avait expédié dans la place le seigneur d'Antibes,
afin d'y nouer des intelligences, et en Piémont deux gen-
tilshommes italiens, afin de donner rendez-vous aux
troupes de Pietro Strozzi et Orsini comte de Pitigliano.
Corps d'armée et compagnies de débarquement franco-
turques devaient coopérer à " l'entreprise " , on ne la dési-
gnait pas plus explicitement. Barberousse avait été seule-
ment prévenu que nos « forces seroient telles qu'il auroit
occasion de s'en contenter (3) " ;et à titre de réciprocité pour
son concours, nous promettions de l'aidera reconquerirson
royaume de Tunis (4).
Les (iénois, en fins diplomates, surent parer nos coups.
A l'ultimatum royal de verser cent mille écus et de mettre
leurs ports à notre merci, ils répondirent par l'envoi d'une
ambassade chargée de traîner les choses en longueur et de
détourner ainsi l'orage. François I" donna dans le piège.
Tandis que le plénipotentiaire français Luigi Alamanni se
laissait berner, un mois durant, par le doge sans recevoir
de réponse (5), le baron de La Garde avait ordre de sur-
(1) Vallet dk ViniviLLK, Catalogue des archives de la maison de Gri-
gnan. l*aris, 1844, in-S", p. 14.
(2) 1" décembre 1543 (B. N., Moreau 778, fol. 173, analyse).
(3) Lettre de François I*"^ au baron de La Garde. 6 janvier 1544 (Ibidem,
fol. 164).
(4) Ibidem, fol. 156.
(5) Parti de Paris le 29 mars 1544, Alamanni n'avait pas dépassé Mar-
■seille le 1'^'' mai et Antibes le 8, négociant pour que le doge lui fournit sauf-
conduit et escorte (H. Hauvkttk, Luiqi Alamanni, p. 123).
3<tO HlSTOIIUi DE LA MARINE FRANÇAISE.
seoir à rexpédition (1). Puis, le corps d'armée de Strozzi et
Orsini alla renforcer en Piémont les troupes du duc d'En-
p^hien, vainqueur le 1-4 avril à Cérisoles : et la flotte turque
reçut avis d'intercepter dans les eaux sardes un coua oi de
soldats espagnols à destination d'Italie (2). Gênes était
sauve.
De part et d'autre, les alliés se quittèrent en termes plus
que froids. Inquiet des sourdes menées qu'il croyait exis-
ter entre Barberousse et les Impériaux (3) , ému de la répro-
bation universelle (4) que son alliance avec les Turcs
faisait peser sur lui, excédé des plaintes des populations
provençales, François I" avait hâte d'être débarrassé d un
voisinage aussi compromettant qu'onéreux. Déçu lui aussi
et u grandement irrité " contre nous. Barberousse se saisit
de la flotte royale comme d une " proye (5) » , se fit délivrer
tous nos rameurs turcs ou barbaresques pour rafraîchir ses
chiourmes, et, pour se ravitailler, mit à sac cinq bâtiments
français au port de Toulon; il ne consentit à laisser aller la
plus grande partie de notre escadre, sous les ordres du
vice-amiral Villiers dAncicnville-Révillon, qu'après s être
assuré de la personne du général des galères et de son lieu-
tenant (6).
Le baron de La Garde et Leone Strozzi furent emmenés
en quelque sorte comme des coupables condamnés à con-
fesser au sultan notre inertie et le résultat négatif de la
campagne. Mais Barberousse ne porta point atteinte à leur
dignité. La Garde montait la Réale, escortée à\\ Saint-Pierre,
(1) 31 mars (B. N.. Moieau 778, fol. 165).
(2) 8 mai (Ibidem, fol. 169).
(3) Lettre à La Garde. 12 novembre lôW (B. N., Moreau 778, fol. 163 v").
— Léon DoRKz, Itinéraire de Jérôme Main-and, p. xxxviii.
(4) Archives des Affaires étrangères, Suisse, 3 suppl., p. 489.
(5) B. N., Moreau 778. fol. 162 v°.
(6"! Ibidem, fol. 163. — .Jean dk Vam)Eî«esse, Journal des voyages de
CharleS'Quiiit, dans la Collection des voyaç/es des souverains des Pays-Bas,
par GAcuAno, t. II, p. 286.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS 1" ET DE CHARLES-QUINT. 391
et Slrozzi la Capitane, qui ctaitaccompagnéc de la Colombe,
de la Guidetta et d(î la nef Tahoga de Raguse pour le trans-
port des vivres. Le prieur de Capoue emmenait nombre de
fnorusciti florentins, entre autres les capitaines de ses
galères, Baccio Murtelli et Guidetto. La Garde avait près
de lui Gaspard de Castellane, sieur d'Entrecasteaux,
(rabriel d Aramon, Beltramo d'Udine, Cesare Frangipani,
les chevaliers de Bevnes et d'Albisse, un drogman et le
médecin anglais Alban Hill. Il avait pour aumônier un
touriste imbu de réminiscences antiques, Jérôme Maurand,
dont le pittoresqiîc récit de vovage, agrémenté de nombreux
croquis, est un bon spécimen de la science archéologique
de la Renaissance (l .
Barberousse et ses compagnons d occasion appareillèrent
le :2;i mai, à l'île Sainte-Marguerite. Le lendemain, un
coup de canon des éclaireurs signala une découverte sus-
pecte. Vingt galères, aux aguets dans le golfe de Roque-
brune, venaient de détaler avec Gianettino Doria ; on ne
put les rattraper. A Savone, Barberousse arrêta la pour-
suite; des présents envoyés fort opportunément par la Ré-
publique génoise le détournèrent de sa route. A File d Elbe,
une démarche semblable de Jacopo d'Appiano eut le même
succès; le présent consistait dans un captif cher à Barbe-
rousse, le fils de son vieux compagnon d'armes Sinan le
Juif, que le seigneur de l'île d'Elbe retenait prisonnier.
Pourtant, a Barberousse béait, — selon la pittoresque
expression de Paul Jove, — après les ports du rivage de
Toscane " .
Il porta son effort contre les places fortes qui avoisinent
le massif de l'Argentario, cette tête jetée dans les flots, que
(1) Cf. l'édition avec notes et planches, qu'en a donnée M. Léon Dores.
— En dehors de Maurand, plusieurs sources sont à consulter pour l'hislo-
rique de la compagne : un rapport du baron de La Garde, daté de Reggio,
17 juillet 1544 (Archives nationales, K 1485, n" 64). — P. Jove, livre XLV.
— Adriam, Storia, p. 99.
392 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
deux minces ligaments retiennent au continent (1). Tala-
mone, dans la partie du nord, Port'Ercole, au sud, furent
pris d'assaut et occupés par une garnison française (2). Le
baron de La Garde les offrit au pape dans l'espoir d'obtenir
son alliance; mais le capitaine Baccio Martelli, chargé des
négociations, ainsi que Gabriel d'Aramon, rapporta de
Rome une réponse évasive. Pour compléter notre système
de fortifications autour de l'Argentario, il eût fallu enlever
Orbetello, une ville que baignent de trois côtés les eaux
d'un lac. Leone Strozzi l'avait compris; et des compagnies
franco-turques, en bateaux et en barques, allaient accoster
par le lac, les pièces de siège montées sur radeaux allaient
tirer, les gens de Strozzi prenaient terre, quand la cavalerie
de Giovanni de Luna arriva au galop dans l'isthme qui rat-
; tache Orbetello à la terre. Force fut aux alliés de battre en
retraite. La prise de l'île fortifiée du Giglio, à quinze milles
au large du massif montagneux (3), ne compensa point cet
échec. Averti de Rome que la flotte espagnole menaçait les
côtes de Provence, La Garde tenta de faire rebrousser che-
min aux Turcs. Mais les sandjaks n'y voulurent point con-
sentir.
Il avait été convenu avec Barberoussc qu'il ne serait
commis aucun attentat contre les terres de l'Eglise. Le cap
fut donc mis sur le royaume de Naples; le lendemain du
jour où Gianettino Doria venait d'arriver dans le golfe, les
Turcs ravagèrent les îles d'Ischia et de Procida; une foule
d'insulaires furent emmenés en captivité. Un coup de
canon tiré sur la galère de Barberoussc, comme elle passait
devant Pouzzoles le 25 juin, déchaîna contre cette ville la
colère des Turcs.
Barberoussc tourna aussitôt contre elle la proue et
(1) P. JovE, livre XLV, trad. Sauvage, p. 632.
(2) 11 et 12 juin.
(3) 17 juin.
RIVALITE DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 39^
les canons de trente galères; le palais du vice-roi fut dé-
truit; laissant quinze autres galères à la garde des trans-
ports derrière le cap Misène, Salah Raïs amena le reste de
la flotte pour bombarder la ville. L'attaque durait depuis
douze heures, lorsqu'une sonnerie de trompettes éclata
dans le lointain, en même temps qu'apparaissait derrière
l'îlot de Nisida une escadre de vingt-cinq galères. Le
vice-roi de Naples, Pedro de Tolède et Gianettino Doria
accouraient à la rescousse. Cette double diversion sauva
Pouzzoles. Barberousse dut sonner la retraite et Salah Raïs
donner la chasse à Gianettino, qui menaçait la division
laissée au cap Misène. Salah Raïs, le baron de La Garde et
le prieur de Capoue, avec soixante galères, serrèrent de si
près le fuyard, qu'ils n'étaient plus qu'à une portée d'ar-
quebuse, lorsque Doria trouva un refuge sous le château
de rOEuf.
Il Rambarré à canonnades " , Doria eut même la mortifi-
cation de voir frapper sa capitane par l'éperon d'une de
nos galères (l).
Lipari n'eut pas le même bonheur que Pouzzoles. Sur
un rocher isolé de la côte orientale, dans l'île du même
nom, Lipari passait pour imprenable. Pendant dix jours,
elle résista au bombardement de seize grosses pièces, qui
lancèrent trois mille cinq cents boulets, chiffre énorme
pour l'époque. Malheureusement, la dissension était parmi
les assiégés, et ce ne fut pas la première fois qu'elle fut
pour une cité une cause de ruine. Le 11 juillet, Lipari
capitulait : quelques heures plus tard, elle n'était plus;
elle était détruite de fond en comble, et sa population —
près de dix mille âmes — emmenée captive, telles ces cités
asiatiques que d'autres Orientaux rayaient du monde. Des
vieillards, dans la cathédrale, avaient été ouverts tout
(1) Rapport de La Garde, du 17 juillet, cité.
394 llISTOIlJi; DE LA MARINE FRANÇAISE.
vivants, et de leur corps, on avait retiré un médicament
d'une vertu souveraine, leur fiel. Le baron de La Garde
sauva quelques victimes à beaux deniers comptants : le
reste fut revendu en bloc à des citoyens de Messine, qu'api-
loyait le sort de leurs voisins.
Durant le sièjjie, raumônier de la Réale excursionnait
dans l'archipel du Roi des Vents, évoquant au Stromboli
Éole et à Volcano Vulcain et les Cyclopes. Ce fut non loin
de là, à Reggio, que Barberousse rendit toute liberté d'al-
lures à nos marins : il restait en-deçà du Phare, avec
soixante-dix de ses galères, pour « donner une estroicte " à
Gianettino Doria, embusqué à Messine, et pour accomplir
certaine entreprise dont François I" était averti. Les trans-
ports, sous l'escorte de son lieutenant ou chachaia, allaient
charger des provisions à Lépante; l'escadre française con-
tinuait sur Constanlinoplo (1).
Délivrés de contrainte, n'ayant plus le cauchemar de ces
rafles d'esclaves qui provoquaient des scènes déchirantes,
nos compatriotes goûtèrent en paix les beautés de l'art
antique, éparses sur le littoral de Grèce etd'Asie : les lions
marmoréens de Modon, à Cvthère, le temple où Paris enleva
Hélène, à Délos, l'île du Soleil, les colonnes du temple
d'Apollon, renversées dans les flots. Ghio éveilla dans les
souvenirs l'églogue de Daphnis, Mételin l'élégie d'Ovide à
Sapho. Les ruines de Troie furent honorées d'une visite de
tout l'état-major de 1 escadre; et on dîna, au milieu d'un
concert d'oiseaux, au pied du mont Ida.
Le 10 août, l'escadre française faisait dans la Corne d'Or
une entrée triomphale, les galères pavoisées à chaque banc ;
l'étendard de France battait à la poupe de la Réale et dé-
ployait, sur champ de damas bleu fleurdelisé, la couronne
impériale, que supportaient deux anges aux ailes diaprées
(1) Rapport de La Gaido, du 17 juillet, cité.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I " ET DE CHARLES-QUINT. 395
de soie et d'or, étincelantes comme les ailes d'un phénix,
lorsque le soleil les touchait (1). L'accueil du sultan fut
tout différent de ce qvie le baron de La Garde craignait au
départ, au souvenir de cet ambassadeur impérial que les
Turcs " firent morir pour avoir failly à une chose pro-
mise (2) " . A la suite d'une audience très cordiale de Soli-
man II, nos marins furent fêtes par les pachas, qu'ils
festoyèrent à leur tour, soit à Gonstantinoplc, soit à Ghal-
cédoine, sur la rive asiatique. Le 0 septembre, ils prirent
congé et qvuttèrent avec le même appareil triomphal qu'au-
paravant la fastueuse cité byzantine.
Le 2 octobre, ils apprirent, à la hauteur de Calvi, que
l'escadre de Gianettino Doria assiégeait Antibcs. A la som-
mation de capituler, le châtelain avait bravement répondu :
<t Jamais (3). » Avançant dès lors avec précaution, notre
petite division navale découvrit, le 4, les nombreuses ga-
lères de Doria embusquées dans le port de Villefranche.
Elle échappa facilement à leur poursuite, en gardant le
large et, le jour même, gagna Toulon. Ce fut pour apprendre
(pie la paix était signée, depuis le 18 septembre, avec
C.harles-Quint.
III
L'ALLIANCE ANGLO-ESPAGNOLE
Il est imprudent, pour un débiteur, de narguer son créan-
cier. François I" en fit l'expérience à ses dépens. Ayant
(1) L. Dorez, Itinéraire de Jérôme Maurand, p. 183.
(2) B. N., Moreau 778, fol. 163 : cf. la note de M. L. Dorez, Itiné-
raire..., p. XLiii, note 1.
(3) 26 septembre. Le lendemain, une barque génoise vint avertir Doria
que la paix était signée (Instructions de Charles-Quint à Saint-Mauris :
K. N., Franc. 7122, p. 30).
396 MISTOUIE DE LA MARINE FRANÇAISE.
néglige de continuer à servir pension au roi d'Angleterre,
il l'exaspéra en mettant sourdement obstacle au mariage
de Marie Stuart et du prince de Galles, et par suite à l'an-
nexion de l'Ecosse. Il détournait ainsi sur la France les
colères et les convoitises de Henri VIII, dont l'alliance
avec l'empereur (I) eut pour objet la conquête de la Nor-
mandie et de la Guyenne. Et la guerre prit plus d'extension
que jamais.
François I" fit appel à ses alliés, au Danemark, à l'Ecosse.
Avec trois galions et trois cents soldats, Jean de Clamorgan
alla quérir à la côte danoise le secours promis par le traité
de 1541 (2), six vaisseaux de guerre et mille hommes de
troupes. Comme il n'apportait pas de fonds, Ghristiern III
refusa de faire bonneur à ses engagements (3). Clamorgan,
qui plus est, eut à s'ouvrir un passage à travers luie flotte
de dovize bàtimcnls, dont le vaisseau amiral, puissant vais-
seau à triple bune, avait foncé sur lui. D'une volée à fleur
d'eau, la plus petite de nos galères coula le colosse, et le
reste du convoi, à part un bâtiment, fut enlevé : il portait,
sous pavillon espagnol, une ricbe cargaison de draps et
d'épices en provenance d'Anvers (4).
En dépit de cette brillante action, l'cchec de la mission
de Clamorgan entraînait la ruine de notre plan de cam-
pagne dans la merduNoid. Au lieu de la jonction escomptée
(1) En date du 11 février 1543.
(2) Fontainebleau, 29 novembre J541 (B. JM., Franc. J5966, fol. 239;
publié en tête des Mémoires du sieur Riciikr).
(3) Mémoires du sieur RiciiER, ambassadeur pour les rois François I" et
Henry II en Suède et en Dnncmarch. Troycs, 1625, in-8", fol. 11 v".
(4) Dk Ij.4 Gkrmonikrk, La triomphante victoire faite par les Français sur
la mer. Rouen, J899, in-S". - — Il semble bien, par le nombre des na-
vires capturés, qu'il s'agit de la capture du Petit Coq d'Anvers et de non
bâtiments flamands par cinq navires d'Ango. La déclaration de bonne prise
est du 14 juin 1543 (Gos.sklin, Documents authentiques pour... l'histoire
de la marine normande. Rouen, 1874, in-8", p. 25. — « Chanson faicte
sur le triomphe que les Dicpois ont fait sur la mer. h Asselink, Les anti-
quitez de Dieppe, t. I, p. 241).
RIVALITK DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT. 397
entre l'escadre franco-écossaise et une vingtaine de vais-
seaux danois pour intercepter la flottille flamande des
pêcheurs d'Islande (î) etlesconvoisdeblésde la Baltique (2),
s'opérait la fusion des onze croiseurs du vice-amiral Van
Meckeren (3) avec les bâtiments britanniques. Et c'étaient
nos propres relations avec l'Ecosse qui se trouvaient cou-
pées.
Un de nos petits bâtiments essaya de forcer le passage.
Cerné le 9 avril par deux vaisseaux de guerre britanniques,
il se défendit avec une bravoure telle que ses adversaires
avouèrent n'en avoir jamais vu de pareille. Pas un homme
sur trente n'était sans blessure, quand le bateau baissa
pavillon (4) .
Une escadre dieppoisc de seize voiles fut plus heureuse.
Les faibles troupes qu'elle apportait avec des dépêches
urgentes pour la reine douairière, le cardinal Beaton et
Lennox, débarquèrent sans encombre à Aberdeen. Mais le
retour fut terrible (5). Attaquée le 6 juillet à la hauteur
d'Oxfordness par six vaisseaux de la marine royale, l'escadre
fut coupée en deux : une partie continua sa route vers la
France ; un bâtiment, monté de cent vingt hommes, fut la
proie de la Lesser Galley ; huit navires seulement restèrent
groupés autour du pavillon amiral arboré sur un navire
(1) Lettre de Sadier au Conseil d'Angleterre, 21 juin; déclaration de
marins français à Leith, l'-'"' juillet (Lelters and papeis foreigu and domes-
tic of the reiqn of Henry VIII, dans la collection des Calcndaix, t. XVIII,
1'^ p., n"' 747, 807).
(2) François I*"" comptait affamer les Espagnols et les Anglais (Cf. ses
instructions à Riclier, 21 nov. 1542 : RiciiEn, fol. 9-10)
(3) Van Meckeren recevait avis, le 2 avril 1543, de rallier la flotte an-
glaise : il avait les bâtiments suivants : Ursule (250 hommes), Trinité, Sat-
vator, Marie de la Vere, Marie de Middclbourg, Ange, Adolphe, Romain,
Boot, Cœur-Volant, Cygne (Van Bruysskl, Histoire du commerce de Bel-
gique, t. III, p. 18).
(4) Lettre de l'ambassadeur impérial Chapuys. Londres, 17 avril
{Letters... of Henry VIII, t. XVIII, 2'= p., n°^ 576,' 646).
(5) Lettres de Rice Mancell, de l'amiral Lisle, 11 juillet, etc. (^Ibidem,
t. XVIII, 1^" p., n°' 796, 807, 810, 827, 844; 2" p., n"» 69, 70, 84, 85).
398 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
d'Ango, le Sacre. Investi par le Prinirose et le Minion,
deux fois attaqué à l'abordage, son capitaine blessé et
soixante hommes hors de combat, le Sacre se dégagea néan-
moins de Tétreinte de Rice Mancell et de Baldwin Wil-
luoghbv. non sans leur faire subir de grosses pertes; et, so
repliant sur TEcosse, il amena une prise à Leith et Burn-
tisland. Le 9 août, il appareillait de nouveau, mais pour
tomber encore au milieu de la croisière anglaise. Le Fran-
çois., le Jacques et le Martin, de cent hoiames chacun, tous
de Dieppe, se sacrifièrent pour sauver le convoi qu ils escor-
taient; le Faucon se fit pourchasser jusqu'à Montrose, près
dWberdeen. Le reste passa, fuyant devant le Sweepstake,
capitaine Woodhouse.
Les fugitifs apportaient une grave nouvelle : 1 un des
chefs du parti français, Lennox, soupiiant éconduit de la
reine douairière, avait passé aux Anglais; lalliance s en
trouvait ébranlée. Il fallait à tout prix la consolider, mais
comment? La mer du ^îoI•d nous était interdite; dans la
mer d'Irlande, huit vaisseaux britanniques de fort ton-
nage (1) barraient les abords de Dumbarton. Ce fut de ce
côté pourtant qu'une nouvelle division tenta le passage,
sous la conduite de pilotes du Conquet. habiles à se guider
dans les régions du nord avec de petits almanachs xvlogra-
phiques, où étaient enchâssées boussole et cartes ma-
rines t:2'. Forte de sept bâtiments, dont le plus grand attei-
gnait à peine la taille du plus petit des croiseurs anglais,
elle avait à bord de hauts personnages, un légat, Marco
(i) Le moindre de deux cents tonneaux. Ils croisèrent depuis juillet jus-
qu'à la mi-septembre ( « Discours des affaires d'Ecosse depuys le jour que
nous Jacques de La Brousse et Jacques Mesnaige, sieur de Caigny, sommes
arrivez à Domberton. Estrelin, " 24 novembre 1543 : B. N., Franc. 17330.
fol. 5 y").
(2) Cf. G. Marcel, Sur un almanach xyloffraphique à l'usa ce des Dinrins
Bretons. Paris, 1900, in-8" ; extrait de la Revue do géoqiaphie octobre
1900).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT, 399
Grimani, des ambassadeurs, Jacques Mesnage et Jacques
de La Brosse, le capitaine de la garde écossaise, cinq cents
hommes et tout un parc d'artillerie (1). Esquivant La croi-
sière anglaise, Fescadre partie de Brest (2) aborda sans
encombre à Dumbarton. » Marry, comme s'il avoit perdu
une grosse bataille, » d'avoir laissé passer u les finances et
monicions " françaises (3), Henri VIII mobilisa contre les
forceurs de blocus une nouvelle division de dix vaisseaux
bristolais (4),
C'est que tout danger n'avait pas disparu pour nos
marins à leur arrivée en Ecosse. Lennox tenait nos envoyés
en échec et tentait de les intimider en les sommant d'exhi-
ber leur commission. — Nous ne le ferons que devant l'as-
semblée des États, avaient répliqué Mesnage et La Brosse,
bien résolus à ne point laisser tomber notre matériel de
guerre entre les mains de l'agent britannique. Ils gardèrent
jusque-là leurs bâtiments tout chargés à Dumbarton. Et ce
fut le 7 janvier seulement, au port de Garrick, qu'ils
remirent au comte d'Argus douze pièces de canon, cent
quatre-vingt-une coulevrines et arquebuses, des piques
par milliers et de nombreux barils de poudre (5). Ils avaient
préalablement renouvelé, par un traité en bonne et due
forme, l'alliance franco-écossaise (6).
(1) 3 canons, 2 doubles canons, 40 faucons, 80 quarts de faucon. Lettre
de Chapuys à Charles-Quint. Londres, 18 octobre l^iZ (Lettcis and pape rs...
ofthe teign of Henry VIII. t. XVIII, 2^ p., n" 286, 257 et 275).
(2) La Marie, de 200 tonnes et 90 marins, maître Pierre Persac, le
Jacf/ues de Saint-Valéry, 80 hommes, la Catherine, de 100 hommes, la
Magdeleine, le Jacques du Polet, In Françoise et la barque la Vollandière
(Sommes payées par Jean de Vymont, trésorier de la Marine, pour le pas-
sage d'Ecosse. Brest, 27 sept 1543 : B. N., Franc. 17890, p. 18, 19).
(3) « Discours des affaires d'Ecosse » (B. N., Franc. 17330, fol. 5 v°).
(4) 12 novembre (Letters and papcrs... of tlie reiçn of Henry VIII,
t. XVIII, 2"= p., n"370).
(5) État de l'artillerie débarquée à Carrick de la Marie, la Françoise et
la Magdeleine le 7 janvier 1544 (B. N., Franc. 17890, p. 41).
(6) Edimbourg, 15 décembre 1543 (Archives nat., .1 679, n° 54).
400 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Cependant, les Anglais attaquaient. Le 14 février 1543,
les bourgeois de Cherbourg, marchant au canon avec les
sires Du Maresq et Du Coudray, reprenaient, après quatre
heures de combat, un bâtiment breton que deux croiseurs
flamands amarinaient en face de Cosqueville, à la Roque-
Blanche (1). Le 22 juillet, les Bretons s'acquittaient de
leur dette de reconnaissance en chargeant résolument avec
deux vaisseaux de guerre une escadre anglaise qui avait
mission de raser la ville. L'ennemi reculait. Mais, un de
leurs capitaines tués, les Bretons allaient faiblir, quand le
sieur du Tourp (2) et les gentilshommes du Val de Saire
accoururent à la rescousse avec deux navires barfleurais.
Des premiers coups de canon, les Bas-Normands coulèrent
le Grand-Martin de Londres; les Anglais battus prirent la
fuite, laissant entre nos mains quatre-vingts prisonniers,
un lord et le pilote de l'expédition, un Français, hélas!
dont on fit bonne justice (3) .
Défendue par quarante mortes-paies seulement, Cher-
bourg aurait pu être enlevée en moins de trois heures,
sans l'intervention résolue des Bretons. La leçon profita.
Quatre jours après, le vice-amiral Charles de La Meilleraye
et le lieutenant-général Joachim de Matignon réclamaient
l'envoi de cinq cents soldats et de cent cinquante-six pion-
niers et canonniers pour mettre la ville à l'abri d'un nou-
veau coup de main (4). Des bâtiments de guerre vinrent
(1) Estienne Doleï, Les faits et gestes du roy François I", 154-4, in-fol.,
fol. 73: appendice : « Deffaicte des Flamens devant... Clierebourg » .
2) Voyez sur lui le Journal du sire de Goubcrville, p. 24. — De Pon-
TAUMONTj Notices hislori(jues sur The'villc, dans les Mémoires des anti-
quaii-es de Normandie, t. XXII, p. 192. — D'Estaimot, La Ligue en Nor-
mandie, p. 154, 266.
(3) Z-a prinse et deffaictc des Angloys par les Bretons devant la ville de
Barfleu près La Hoque au pays de Coslenliu, duché de Normendie. Nouvel-
lement imprimé à Paris, 1543.
',4) Lettre du 26 juillet (B. N., Franc. 3020, fol. 93. — Lctters and
papers..., Henry VHI, t. IX, p. 285, 345).
RIVALITÉ DE FRANÇOIS l" ET DE CHARLES-QUINT. 401
également de Dieppe, Quillebeuf et Fécamp; et, le mois
suivant, le port se trouvait en mesure d'expédier contre
Guernesey un détachement de deux cents hommes, que
seconderaient les Malouins (1). Les Bretons armaient en
masse, ayant offert eux-mêmes de doubler leurs équipages
pour courir sus à l'ennemi (2). Et il en était partout de
même.
En novembre 15W, Tapparition de « deux flouques
d'Angleterre, venant de la coste de su droict à la Hève du
chef de Caux », jetait l'alarme au Havre. Un terreneuvier
en partance, la Catherine de Rouen, fut prestement armé
de cent dix combattants et cinq pièces de canon et envoyé,
en compagnie d'une autre nef, à la poursuite des Anglais.
Le capitaine Nicolas LescoUier d'Ambreville mena si vive-
ment la chasse que les assaillants ne réussirent à lui échap-
per qu'en vue de Portland, au delà de l'ile de Wight. En
leur courte campagne de cinq jours, les Havrais « rengèrent
la coste d'An.jjleterre " sans rencontrer le moindre navire
ennemi. De part et d'autre, les rivages étaient à la merci
d'une attaque; le Havre avait dû parer de ses deniers au
« bien de la choze publique » , car le roi n'avait consacré
aucune somme à la défense de la côte de Caux, malgré les
croisières fréquentes de l'ennemi (3).
L'ennemi, de toute évidence, cherchait notre point faible!
Or, depuis que le roi levait des droits de gabelle pour
l'entretien des armées, la guerre civile couvait parmi les
populations des marais salants. A Marennes, Oléron, Saint-
Jean d'Angély, Bourg, Lil^ourne, Bordeaux, la rébellion'
avait éclaté contre les agents du fisc; une dizaine de mille
(i) Lettre de Cornysshe et Fysscher. Jersey et Guernesey, 9 août (Letters
amlpapers..., Henry VIII, t. XVIII, '2' p., n"' 23, 24).
(2) Lettre du vicomte René de Rohan. 20 août (Dom Morick, Mémoires.. .
de Bretagne, t. III, col. 1049). !■■
(3) Mandat de paiement au receveur des deniers communs de la Ville FranU
çoise de Grâce. Le Havre, 10 janvier 1544, n. st. (Archives du Havre, EE 78).
m. 26
402 HISTOIRE DE LA MAUINE FRANÇAISE.
insurfjés tenaient la campagne, ensei.jjncs déployées (1).
Une ville surtout avait « dressé les cornes " contre la
royauté et la religion ensemble : et Ton se familiarisait
ouvertement, à La Rochelle, avec le mot de République (2).
Les armées étaient aux frontières, la répression impossible.
François I" espéra désarmer les mutins par sa mansuétude.
Il vint parmi eux, des mots de pardon sur les lèvres... Que
dis-je? A l'occasion du 1" janvier 15-43, il offrit, comme
étrennes aux dames, des coupes de Venise et de la vaisselle
de Valence, que des corsaires normands venaient d'ap-
porter, comme butin, à La Rochelle (3).
Cette situation anormale n'avait échappé ni aux Impé-
riaux, ni aux Anglais. De France même, leur étaient venvis
de mystérieux avis sur les moyens de s'emparer de La
Rochelle (4). Dès le 2 avril, vingt-huit voiles espagnoles
voltigeaient en vue de la ville et faisaient une démonstra-
tion navale dont l'effet fut paralysé par l'apparilion de six
cents arquel)usiers d'Yves du Lion f5). Trois mois après,
le ban et l'arrière-ban de Saintonge se massaient à La
Rochelle (6); Henri d'Albret, roi de Navarre, y rassemblait
vingt galères, zabres et barques de guerre, dont il prenait
le commandement comme amiral de Guyenne (7) ; cinq
autres galères, aux équipages renforcés, lui apportaient de
Bayonne de nombreuses munitions (8).
(i) « Arrest et jugement donné par le l\ov à 1 encontre des Ilocheloys.
Chisay, 17 décembre ISiS » : p. 13 de l'ouvrage ti-dessous.
(2) Le voyaqe du Roy F. I en sa ville de La Rochelle, eu iau 1542,
avec l'arrest et jnfjcDteiit. .. Paris, 1543, petit in-8", fol. 2 v°, 3 et 24.
(3) Cronique du roy Françoys L", éd. Guiffrcv, p. 421.
(4) Avis adressé à Charles-Quint (Archives nat., K 1485, n° 44\ — Nous
allons voir par qui étaient renseignés les Anglais^.
(5) Amos Barbot, Histoite de La Rochelle, t. 11, p. 43.
(6) Par ordre du gouverneur Charles Chabot. 10 juin (Barbot, t. II, p. 45).
(7) A vrai dire, il avait résigné son ofHce le 11 février 1532 et ne reçut
de nouvelles lettres de provisions que le 9 novembre 1543, après la mort
de Chabot (Cf. ci-dessus, t. II, p. 443, note 1).
(8) Liste de notre flotte du sud-ouest par un agent espagnol : 12 galères
RIVALITÉ DE FUA^ÇOIS I" ET DE C H A RL KS-Q U IN T. 403
Cestque La Rochelle courait un pëi'il extrême. L'amiral et
le vice-amiral de Flandre, Maximilien de Bourj>;o};ne et Van
Meckeren, se dirigeaient vers les côtes d'Aquitaine, où les
deux plus grands vaisseaux de la marine britannique, Great
Henry eiMary-Rose, devaient leur amener, sous La Rochelle,
dix-huitcents hommes et un parc de siège de dix-huit pièces,
dont la mise en batterie serait dirigée par un Iraîtrc fl) !
Et quel traître! le neveu de Prégent de Bidoux, le vice-
amiral Lartigue! Écrouc à Darmouth pour piraterie à son
retour d'Ecosse f:2), cet homme scrupuleux, que révoltaient
les abus commis dans la marine (3), achetait sa liberté au
prix d une trahison. Dans le temps même oii le gouverne-
ment français faisait table rase de son incarcération à la
conciergerie 4 et tentait de le tirer des cachots anglais
en lui décernant un brevet d'honnêteté ''5i, il divulguait
les secrets de nos relations avec TEcosse, où il avait été par
sept fois; il offrait de pourvoir la flotte anglaise de {>alères
construites en cent jours, tel Noé pour larche; et surtout
Pierre de Bidoux mettait au service de 1 ennemi l'expé-
rience acquise comme vice-amiral de Bi'etagne, en traçant
un plan d'attacjue contre Brest et La Rochelle ((>). (le fut
aux informations de notre agent à Londres (7) et du vice-
neuves .«'aclievaient à Bavonnc, Ca|(ljrrtiiii Pt Saint-Joan-do-l-iiz. '?t-h' juin
(Arcliives nat., R 1485, p. 58\
(l'i Août [Letters and pi/pcrs... <>/ Henry VIII. \ XVIIl, 1" partie,
n° 973; 2^ pallie, n" 39).
(2) Où il avait conduit à bord de la Ferronnière le cardinal Hcaton. ?so-
vembre 15V2.
(3) >< Mémoire, de LAnxicrK, pour informer sur les abus commis sur le
fait de la marine en Guvenne, " Bretagne et Normandie (R. N., coll. Doat,
t. 117, fol. 190).
(4) En 1529 (Archives nat., R-. carton 46, n" 384).
(5) Slate papers. Kinçj Henry the Eiçfhth, t. IX, p. 265, 309.
(6) Proposition de Lartigue; délibération du conseil d'Angleterre,
5 juin, etc. (Letters... of Henry VIII, t. XVIII, 1'' partie, n°' 62, 125,
163, 648; 2'" partie. Appendice, n" 15, p. 384).
(7) Lettre de d'Aspremont. Londres, 7 juin {^Calendur oj- State papers,
Spanisli, t. VI, 2'^ partie, p. 150, 373).
404 HISTOIRE nr. la marine française.
amiral de (Miyennc que nous dûmes le salut des villes
menacées.
De Bavouiic, le vice-amiral de Burve écrivait le 17 juin
à Chabot de Jarnac (l) : « Monsieur, j'ay esté tout à ceste
heure adverty que les ennemys, tant Espaignolz que
Anglois, ont entreprinse sur La Rochelle, et la doivent
excécuter le jour Sainct Jehan; je n'ay voullu faillir à vous
advertir... Debvez retenir tous les gens qui sont dedans les
galères du rov, qui sont plus de sept cents bons hommes...
Pour cinq ou six jours seullement, l'entreprinse de M. de
Viviers n'en sera point retardée (2). "
Et de fait, La Rochelle fut épargnée. L'amiral Maximi-
lien de Bourgogne passa outre; ce fut dans la Gironde qu'il
commit des ravages, détruisit des bâtiments, pilla les vil-
lages, enlevant des cloches en guise de trophées, et capturant
quatre terre-neuviers (3), maigre butin quand on songea
l'objectif de la campagne, qui était de créer sur les côtes
de rOcéan un nouveau Calais.
Mais qu'était donc cette mystérieuse expédition de M. de
Viviers dont parlait le vice-amiral de Buryc? Un épisode
du duel acharné qui se livrait entre Basques français et
Basques espagnols. Surpris, au début de la guerre, par le
vice-roi de Navarre et le capitaine de Fontarabie, au point
de voir Cii])turcr dans leur port même onze bâtiments (4),
les marins de Saint-Jean-de-Luz avaient riposté par une
attaque contre Laredo, enlevé un beau vaisseau (5), et
coulé un bâtiment anglais de cent hommes d'équipage et
(i) Jarnac était {[ouvcrneur de La Rochelle.
(2) B. N., Clairambault, vol. 341, fol. 34-4.
(3) Annales iJe la Société d'émulation de Bru(jcs, "%' série, t. VI, p. 321.
— Van BnnvssKh, Histoire du commerce de Belcji(jue, t. III, p. 18.
(4) Novembre 1542 (G-'^ciiard, Collection des voyages des souverains des
Pays-Bas, t. II, p. 248).
(5) Que le vice-amiral do Burye vint voir à Saint-Jean-de Liiz (Archives
nat. K 1485, p 59i.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE GHARLESQ UINT. 405
huit chaloupes du capitaine Ladroii de Leyva, qui accou-
rait à la rescousse. Mais la vengeance leur avait semblé
insuffisante. Et de grands armements à Gapbrcton, Bayonne
et Saint-Jean-de-Luz, sous la direction du vice-amiral de
Burye, avaient permis de constituer une escadre de trente
bâtiments (1), que montaient cinq cent cinquante arque-
busiers de la légion de Bayonne.
Après avoir couvert La Rochelle, cette Hotte s'ébranlait
\e 8 juillet 1543 vers l'ouest, enlevait deux nefs eu vue de
Fontarabie, saccageait Laja, Corcubion et doublait le cap
Finisterre. On prêtait à son chef l'intention de rallier dans
la Méditerranée la flotte de Barberousse. Il n'en eut pas le
loisir. Il levait rançon à Muros, au sud du cap Finisterre,
quand le capitaine généial Alvaro de Bazan le Vieux, lancé
à sa poursuite à la tête de seize grands vaisseauxct de cinq
cents arquebusiers de la garnison de Fontarabie, fondit sur
lui. C'était lejour de la fétc nationale des Espagnols, la vSaint-
Jacques (25 juillet) : aussi les marins de Bazan attaquèrent-
ils avec plus de fanatisme que jamais. Le commandant de
la flotte française, « M. de Sana " , comme on l'appelle dans
les relations espagnoles, était un des meilleurs capitaines
de la flotte royale, Jean de Glamorgan, sieur de Saane; il
avait pour second le fameux corsaire Hallebarde, dont
aucun texte ne nous a transmis les exploits, mais qu'on se
glorifiait alors d'avoir eu pour chef {'2). Tous les deux se
battirent avec acharnement contre la capitane de Bazan,
qui perdit cent hommes et subit de grosses avaries, avant
de parvenir à couler l'amirale française. Après deux heures
de combat, la victoire se dessina du côté des Espagnols : ils
l'avaient chèrement achetée; si nous laissâmes seize navires
(i) 12 galères neuves s'aclievaient à Bayonne, au Boucaii, à Capbreton
et à Saint-Jean-de-Luz. Avis en espagnol des 3 et 4 juin 1543 [Ibidem,
,p. 58).
(2) Cf. plus bas (p. 571), la relation d'un corsaire, Menjouyn de laCavane,
au dernier cliapitre du livre : u les isles du Pérou " .
406 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
entre leurs raains, les vainqueurs avaient plus de cinq
cents hommes hors de combat et trois cents cadavres (l).
Mais les malheureux prisonniers, mis à la chaîne sur les
galères de Laredo, ne purent supporter le régime de
poissons salés du bord et succombèrent presque tous en
captivité (2) .
A la défaite de Muros, fît contre-partie la victoire des
Bretons sur la flotte basque qui transportait en Flandre les
troupes de Pedro de Guzman (3j. Le 18 juillet, le capitaine
de Brest transmettait la nouvelle que " nombre d'Espa-
gnols " étaient tués ou pris (4). Le galion de Lope de
Ugarte Galderon, entre autres, avait été enveloppe près de
PouldaA^'^ (5) par quatre de nos vaisseaux et une frégate.
Malgré la belle défense du capitaine Carlos de Zuniga. il
avait dû mettre pavillon bas, avant dix-neuf tués et de
nombreux blessés à bord sur les deux cent quarante hommes
d'équipage.
Au milieu des difficultés de toutes sortes où nous nous
débattions, nous ne perdions point de vue les obligations
que nous imposait Falliance des Ecossais. Malheureuse-
ment, les troupes que nous envoyâmes en Galédonic, en
janvier 1544, se mutinèrent en mer et durent être ramenées
dans le plus grand désordre aux ports de Normandie (6).
L'amiral John Dudley mit à profit cette circonstance pour
pénétrer dans le Forth et s'emparer de Leith le 5 mai 1544.
La Salamandî^e et lUtiicorne^ les beaux vaisseaux que
François I" avait mis dans la corl)eille de sa fîlle, le porl,
(1) Acadciiiia de la Historia, coleccion Munoz, t. XCII, fol. 245 \'\ et
autres sources dans F. Duno, Armada espafwla, t. I, p. 271.
(2) Il en mourut une centaine en neuf mois. INote du 28 avril 1544 en
date de Laredo (Archives nat., K 1485, p. 63).
(3) Elle comptait quinze bâtiments. Juillet (F. Duro, t. I, p. 271).
(4) Dom MoniCK. Mémoires... ilc Ihctafjtic, t. IM, col. 1047.
(5) Le texte porte Pont du Lys. Rapport du 19 janvier 1544 en vue des
échanges qui précédèrent le traité de Crépy (Archives nat., K 1485, p. 65).
(6) Lcllers aud papers... of Henry VIII, t. IX, p. 606.
RIVALITÉ DE FRANÇOIS I" ET DE CH ARLES-Q UI^ T. 40T
la ville basse d'Edimbourg tombèrent aux mains du vain-
queur. Seul, le château, par sa résistance, sauva la fortune
de l'Ecosse (l).
Et maintenant, c'était la France qui se trouvait exposée
aux horreurs de 1 invasion. Jeter en Normandie trois
colonnes de dix mille hommes chacune et reprendre le
berceau des conquérants de l'Angleterre, avait été la pre-
mière idée de Henri VIII. Mais il ne s'y arrêta point. Et,
le 14 juillet 1544, sous la protection de l'amiral Lisle,
revenu d'Ecosse, une armée de trente mille hommes, com-
mandée par Henry VIII en personne, franchissait le pas
de Calais. Nos forces navales étaient tellement dispersées
que 1 ennemi put achever, sans encombre, ses préparatifs
d'invasion. Il ne perdit qu'un vaisseau à triple hune et
deux autres bâtiments dans une rencontre contre les cor-
saires dieppois (2). Quatre de nos meilleurs vaisseaux de
guerre croisaient de lautre côté de la Manche et captu-
raient, après plusieurs heures de combat, onze l)àtiment8
hispano-flamands réfugiés à Falmoulh f^îi .
Henri ^ III renouvela contre Boulogne le plan de cam-
pagne inauguré deux siècles avant contre Calais. Jacques
de Coucv-Vervins, son adversaire, gouverneur de la place,-
n'avait pas l'étoffe de Jean de Vienne. L'armée du dauphin
arrivait à la rescousse ; par mer, Saint-André tentait d'intro-
duire dans la place une poignée de braves, que la tempête par
deux et trois fois repoussa au large. Le 14 septembre 1544,
sans attendre davantage, le lâche gouverneur capitulait (4)^
(1) I^KSLiK, J)c lehiis fjcstis Scotonmi, t. X, p. 472. — Clowiis, The
royal Niivy, t. I, p. V60.
(2) Le dimanche 23 juin 1544 (Dk La GermokiÈre, La triomphante vic-
toire faite par les Français sur la mer. Rouen, 1899, in-8°).
(3) Lettre adressée d'Angleterre à l'ambassadeur Vénitien à Rome.
7 juillet [Calcndar of Stale papers, Venetian (1534-1554), n" 312).
(4) Rymkr, Fœdera, t. VL 3'' partie, p. 119. — Martin Du Bellay, dans
la Collection Michaud, p. 550.
408 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Le 30, Henri VIII rebroussait brusquement chemin vers
Calais et retournait mettre en état de défense la Tamise et
les côtes (I).
Voici ce qui s'était passé dans Tintervalle. Nous avions
engagé des négociations simultanément avec Henri VIII
et Charles-Quint. Le roi d'Angleterre n'avait voulu lâcher
ni sa pension ni Boulogne, François I" avait refusé de
sacrifier ses alliés d'Ecosse (!2j. Mais tandis que les négo-
ciations anglo-françaises échouaient, l'empereur trouvait
un terrain d'entente avec le roi de Fiance, et le 18 sep-
tembre était signée la paix de Crépy. " Sa Majesté pensoit
avoir beaucoup fait de sauver son royaume, et l'Empereur
son armée ruinée. La paix se fait : l'un se contente de
paroles, l'autre d'en donner. L'Empereur continue ses arti-
fices, promet Milan, sa fille ou sa niepce à M. d'Orléans...
Incontinent Sa Majesté donne sept villes, partie de Luxem-
bourg. Le Roy, esant saoul de la guerre, se contentet
d'estre trompé (3). »
(1) Letters and papers... Henry VIII, t. IX, p. 606.
(2) RiBiER, Lettres et mémoires d'Estat, t. I, p. 574.
(3) Mémoires de Gaspard de Saulx, seigneur de Tavannes, dans la Col-
lection de 7né7noires Michaud et Poujoulat, t. VIII, p. 125.
L'INVASION DE L'ANGLETERRE
Les Espagnols hors de cause, la guerre changeait de
face. C'était désormais, entre les adversaires en présence,
le corps à corps classique de la guerre de Cent ans, et,
comme riposte au débarquement de Henri VIII, la descente
en Angleterre à la faveur d'une diversion en Ecosse.
A peine Henri VIII eut-il regagné son royaume que le
vice-amiral Thomas Seymour, laissé en croisière (1), rap-
portait à Douvres des nouvelles alarmantes (2). La flotte
française, jusque-là éparse, se concentrait dans la Manche.
Dix-sept navires de guerre avaient interdit aux chaloupes
et autres légers bâtiments de Seymour Taccès d'Etaples.
Pareil nombre de vaisseaux étaient embossés dans le port
de Dieppe, autant à Tenibouchure de la Seine; Seymour
s'en rendit compte dans une seconde campagne qu'il vou-
lait pousser jusqu'en Bretagne. Mais un violent coup de
vent le saisit, tandis qu'il faisait ses préparatifs d'attaque
contre notre escadre de la Seine, et il fut rejeté vers
Wight (3) et Dartmouth; un vaisseau se fracassa sur la
côte; un autre sombra avec trois cents hommes. De ces
(1) Avec ordre d aller de l'avant, selon les instructions du 29 octobre 1544.
(2) 6 novembre.
(3) 9 novembre. Lettres de Seymour au Conseil privé, datées du Peter.
Douvres, 6 novembre; Wight, 9 novembre; Portsmouth, 13 novembre
(^State papcts. Kinq Henry the Eiqhtii. London, 1830, in-4'', t. I,
p. 772-780j.
410 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
échecs, Henri VIIl eut un mécontentement extrême (1), et
il V avait de quoi. Une invasion s'annonçait prochaine ; à
l'estime du maréchal de Tavannes, il ne fallait pas plus de
vinjjt mille hommes d élite pour conquérir l'Angleterre.
Pour se figurer lépouvanle que provoquait outre-mer,
après un siècle de sécurité, la menace d'un débarquement,
qu'on se rappelle l'émoi causé naguère, au lendemain de
la gvierre de 1870, par la simple hypothèse d'une invasion
allemande. Il avait suffi qu un écrivain ébranlât l'aveugle
confiance du peuple dans son invincible Armada pour que
1 opinion crût le pays à la merci de l'envahisseur. Lisez la
Bataille de Dorking (2j . Si l'ingénieuse fiction n a point le
dénouement de la campagne de 1545, elle contient toutes
les péripéties du début : troubles en Irlande, revue de la
flotte par le roi, anxiété sur l'endroit de la descente, attaque
de Brighton, fléchissement des lignes de défense.
■" Ces lignes se l)ornaient, en 1545, à des batteries de
côtes, servies par cinq canonniers et deux soldats, à des
tours féodales un peu mieux garnies, enfin, à des milices
si peu aguerries que le contingent du Kent n'osa jamais
pousser jusqu'au lieu de la descente (3). Un agent, chargé
d'inspecter les défenses de Wight, exprimait même la
crainte de voir pactiser avec nos marins la population
itisulaire (4). Le duc de Suffolk renchérissait par cette
déclaration alarmante : " Je n'ai jamais rien vu de si mal
organisé; ici, nous n avons rien de prêt, ni armes, ni ins-
truments, ni outils (5 . « La capitale pouvait être enlevée
(1) Caleiidar of State papers, Domcstic, t. I, p. 772, 774, 778. —
Clowks, The royal Navj, t. I, p. 461.
(2) Bataille fie Doikinq. Invasion des Prussiens en Angleterre, trad.
Gh, Yiiarte. Paris, 1871, 'in-8".
(3) Londres, Record Oftice, BB 387, n" 166.
(4) Ilndem, n"' 152-153.
(5) La guerre de 1544-1546 a fait l'objet d'une thèse très fouillée, que la
mort de l'auteur a laissée manuscrite : Georges Sallks, Guerre et négocia-
tions entre François I" et Henri VIII, du traite' de Crépj au traité
L'INVASION DE L'ANGLETERRE. 411
d'un coup de main; précisément, les rapports des espions
signalaient, en France, la formation d'une armée qui devait
débarquer à 1 embouchure de la Tamise, à Margate et
Sheppey (1).
Et, pour comble d'infortune, la flotte, suprême espoir
des sujets britanniques, n'était plus que l'ombre de la
puissante marine que Portzmoguer et Bidoux avaient eu à
combattre au début du règne. (.Complètement négligée
depuis lors, elle n'avait été renouvelée en partie qu'au
moment de la guerre de 1522, et l'on voyait battre le pavil-
lon amiral sur un vénérable débris, l Henry-Grâce-à-Dieii,
qui datait de Tannée 1514! Henri YIII tentait, avec une
hâte fébrile, de réparer sa faute : au cours de la nouvelle
guerre, il renforça sa flotte de trente-deux vaisseaux et
treize rowbarges légères (2j. Mais était-ce suffisant pour
faire face sur trois points à la fois? Ravitailler Bou-
logne que le maréchal Du Biez avait tenté d'enlever dès le
mois de janvier 1545; empêcher le lieutenant-général de
Montgommery de Lorges de gagner l'Ecosse avec vm corps
expéditionnaire; entraver enfin toute tentative de débar-
quement en Angleterre, telle était la tâche très rude de la
marine anglaise.
Elle débuta par un échec. Montgommery apprêtait à
Brest une petite armée de trois mdle hommes et cinq cents
chevaux. En dépit d'une croisière i)ritannique de quatre-
vingts voiles f3), qui enleva dans les parages de Belle-Isle
une quinzaine de bâtiments, en dépit d'autres croiseurs
d'Amiens (septembre iSW-juin 1546V Oa en trouvera le résumé dans les
Positions des thèses soutenues par les élèves de la promotion de l'Ecole des
Chartes de 1893, p. 65-76.
(1) Février 1545 (Letters and papers, Henry VIII, t. X, p. 303, 368).
(2) Liste de la flotte de Henri VIII (OpPKSuEni, History of the admi-
nistration of the Royal Navy, t. I (1509-1660). London, 1896, in-8°,
p. 50).
(3) En croisière dans les parages de La Rochelle dès le 17 mars 151'5
(Amos Barbot, Histoire de La Rochelle, t. II. p. 49).
A\2 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
qui le guettaient au cap Lands End (1), son convoi,
piloté par des marins du Croisic, passa (2) : il arriva à
Dumbarton, le 3 juillet, sous la conduite de René de Cha-
teau-Chalon La Chattière, capitaine de Brest (3). Aux
termes du traité d'alliance conclu peu auparavant 4;, les
highlanders prenaient aussitôt les armes et entamaient les
hostilités avec une armée de vingt-huit mille hommes (5j .
C'était une armée d'égale force, vingt-cinq mille hommes,
que François I" s apprêtait à jeter dans le sud de 1 Angle-
terre (6). Une enquête lui avait révélé la faiblesse de la
flotte du Ponant en bâtiments de haut bord : dans toute la
Bretagne, on n'aurait pu trouver un seul vaisseau de trois
cents tonnes, à l'estime de Jacques Cartier, ni même un de
deux cents, ajoutait un autre capitaine malouin (7l . Or, d'un
coup, le roi supprimait cette infériorité et gagnait l'empire
de la mer, en appelant du Levant (8j vingt-quatre vaisseaux
ronds etvingtgalères, flanquées de quatre galiotes d'avis (9).
(1) Lettres de Beinardo de Medici. llomorantin, 8-22 avril (A. Dksjar-
Di>s, Négociations de la France avec la Toscane, t. II, p. 153).
(2) En récompense des services rendus durant l'expédition, les marins
du Croisic furent exemptés de l'aide. 2 avril 1546 (Archives de la Loire-
Inférieure, B, mandements royaux, t. III, f(il. i()7V
(3) B. N., î>anç. 5503, fol." 215 v°.
(4) Le 15 décembre 1543 (Teui.p:ï, Papiers d'Etal, t. I, p. 137).
(5) Dk Thou, liv. III, chap. xiv. — Epistolac Jacobi Ouarti, t. II,
append. IX, p. 313. — Francisque Michel, Les Français en Ecosse et les
Ecossais en France, t. I, p. 448. — Belation de Marine Cavalii (Tommaseo,
Jiel. des ambassadeurs ve'nit., t. I, p. 337.)
(6) Quittance de Jean de Milleville, qui a assis la taille pour les vivres
de 25,000 hommes, que le roi a fait embarquer au Havre de Grâce.
20 septembre 1545 (B. N., ISouv. acq. franc. 3644, pièce 1043).
.''7) Dépositions faites à la suite de l'envoi de lettres royales « pour faire
rolles de navyres de troys cents tonneaux. » Saint-Malo, 17 décembre 1544
(Jocox DES LoîîGR.\is, Jacques Cartier, p. 59V
(8) Et non toute la flotte, car une vingtaine de bâtiments restèrent comme
garde-côtes en Provence. La liste entière des navires armés, cette année-là,
dans la Méditerranée comprenait : 32 galères et quelques frégates, 2 ga-
léasses, 1 galion, 6 carracons, 22 autres navires (Compte de Michel Veyny ;
B N., Franc. 17329, fol. 193).
(9) Déposition du baron de La Garde (B. jN., Morcau 778, fol. 175-176).
L'INVASION DE L'ANGLETERRE. 413
. Le baron de La Garde, investi de la surintendance de
ces forces navales (1), avait son pavillon sur la Réale,
magnifique quinquérème, capable de transporter 490 sol-
dats, outre sa chiourme, et toute tendue « de drap d'or
doublé de satin cramoysi, avec cinq parasolz de mesmes
drap » ; et ce ruissellement d'or qui rutilait partout, au
fanal de commandement, au gaillard d'arrière, aux cour-
tines, s'harmonisait avec les tons bronzés des canons, tous
aux emblèmes royaux, salamandre, fleur de lis et F cou-
ronné (2).
Dès le mois de décembre L544, le baron avait eu l'ordre
de " haster Féquippaige de l'armée de mer » provençale (î^),
y compris trois mille hommes de troupes de débarque-
ment (A). Et il allait appareiller avec la première division,
celle des galères (5), quand le président d'Oppède le requit
de prêter main-forte à la justice dans la répression de
l'hérésie vaudoise. La réquisition, soumise au roi, fut
transformée en un ordre formel de marcher en personne
et (i d'extirper entièrement ceste secte jusques aux ra-
cynes (6) " . Porteur de cet ordre insolilc 7 , Leone Strozzi
en était le bénéhciaire, le commandement de la flotte lui
(i) Des lettres de provisions spéciales lui conféraient tous pouvoirs tant
sur les vaisseaux ronds que sur les officiers d'artillerie. 22 janvier et
20 mars 1545 [Ihideni, fol. 176, 207). — L' « Estât de la provision qu'il
fault pour l'armée de mer que le Roy veuit dresser " énumère tous les bâ-
timents, les galéasses Réah, Dauphine, Dncltcsse, les galions de Vento,
Sermanne, Rcnteria, six nefs, etc. (B. N., Moreau 737, fol. 169).
(2) Inventaire de la Réalc. Marseille, 24 avril 1545 (Archives des Bouches-
du-Rhône, B J260, fol. 440. — B. 2^., Moreau 737, fol. 169).
(3) Lettre de François P'" à Grignan. 7 décembre 1544 (Jhùlcm, fol. 426).
(4) Compte pour le passage de ces trois mille honimes levés en Provence
(Archives des Bouches-du-Rh6ne, B1534).
(5) Selon des ordres rovaux en date des 22 mars et 24 avril 1545 (B. N.,
Moreau 778, fol. 179, et Moreau 737, foi. 167).
(6) B. N., Moreau 778, fol. 209 v°, 210.
(7) Il Instruction du s'' Pierre Strozzy et prieur de Cappoua contenant
l'exécution des Lutériens. » Amboise, 22 mars 1545 (B. N., Moreau 737,
fol. 167, et Moreau 774, fol. 147").
414 I1IST(JIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
revcnauL de droit, en cas d'al)8ence du ^Miéral des galères.
Mais plutôt que de céder ses préro^jatives à un rival,
avec lequel il venait d avoir la plus violente des alterca-
tions (1), le baron de La Garde différa le départ jusqu'à
l'achèvement de sa mission de justicier. Et le massacre
des Vaudois eut pour conséquence immédiate de compro-
mettre l'invasion de l'Angleterre par un retard que le roi
et l'amiral déploraient à l'envi (2). La haine du l»aron
pour Strozzi eut un autre fâcheux effet : au lieu de confier
à son lieutenant le commandement des vaisseaux ronds,
La Garde réunit capitaines et patrons pour leur présenter
un chef de son choix, une créature du comte de Tende, le
capitaine Claude (3). C'est ainsi qu'on nommait par abré-
viation Claude de Manville, comme on l'appelait lui-même
le capitaine Polin. Or, rien ne justifiait et rien ne justifia
par la suite, hélas! pareil passe-droit.
Au dél)ut de juin, douze galères, quatre galéasses et
trois nefs de lavant-garde étaient signalées au large de
Malaga; lanière-garde ne passa le détroit que deux mois
plus tard (4) .
Le rendez-vous de la Hotte et de l'armée d'invasion était
au Havre. Une division de six galères neuves, sorties des
chantiers du Havre, de Rouen et de Damps, près de Pont-
de-l'Arche, s'y trouvait déjà, sous le commandement d'un
chevalier de Malte, Pierre de Blacas d'Aulps, nommé capi-
taine général des galères du Ponant ^5 . I*ar le style sobre
de ses lambris et des bas-reliefs de ses cai)ines, la Capi-
(1) JjCttre de Saint-Matiris an cfmiiiiandcur (\c Léon. 31 inars 15V5 (Ai--
chives nat., K 1485 6 4.11" 69).
(2) Lettres de Fianioi.^ V a La Garde, 5 mai et 18 juin; leltres do
l'amiral d'Annebault, 18 juin, [" et 2 juiUel (^Ibidem, fol. 180).
(3) Ibidem, fol. 178 : les vaisseaux ronds étaient au nombre de di.\-neuf.
(4) F. DuBo, t. I, p. 432-433.
(5) Dès le 10 décembre 1544, il avait ce titre (Archives nat., X^" 97,
à la date du 10 mars 1545V
L'INVASION DE L' AN GLET K H RE. 415
lanc, dite la Couronne^ contrastait avec le luxe insolent do
la Ré aie (1). Les j^alèrcs de Pierre d Aulps et de ses lieutc-
nanls, Pierre de Saint-Martin et Alexandre de Manille (2),
partageaient, avec deux brigantins armés aux frais de la
ville du Havre, le soin d'aller observer les mouvements de
l'ennemi le long des côtes britanniques (î^) .
Le gros de la Hotte des voiliers était formé par le contin-
gent de Dieppe, qui ne comprenait pas moins de quarante-
six bâtiments, les meilleurs et les plus {grands du port (4) ;
et nous avons vu quel nom, quelle abnégation de patriote
s'attachait à ce gigantesque armement (5). D'autres esca-
drilles arrivaient de l'Océan. La Garde avait pour instruc-
tions de rallier en route le contingent d'Aquitaine et les
transports chargés de sel à Brouage (6). En vain, les croi-
sières anglaises parties de Plymouth et Portsmouth, —
1 escadre de l'ouest commandée par Georges Garew et
Hawkins, et dix vaisseaux de John Wynter (7), — avaient-
elles essayé d'entraver notre rassemblement. Wynter avait
du plier et battre en retraite devant la division de La Garde
renforcée de trente hourques flamandes qui passaient de
La Rochelle au Havre f8). Hussve et Baldwyn Willoughby,
(l) GossKiax, Documents rc/utifs à la ninrinc norntiiiulc, \). 49. Celait
le Savonais trop connu I^atlisla Auxilia qui en avait eu l'entreprise.
(2j L'un capitaine de trois galères, en place du baron de Saint-Hlancard.
l'autre de deux : leurs galères étaient prêtes à appareiller, soit à llouen,
soit au Havre, dès le mois de mars 1545 (Go.sselik, p. 46-49, 88). — Deux
de nos galères, chassées par la tempête, se réfugient en mai à Dunkerque
(B. N., Franc. 7122, p. 236).
(3) En retour de larniement de ces deux bâtiments-éclaireurs, François 1""
déchargea Le Havre de sa quote-part à l'impôt levé pour l'entretien de
50,000 hommes de pied. Avril 1545 (Bouki.y, Histoire du Havre, t. I, p. 509).
(4) Qui rallièrent Le Havre en juin (r)KSM.vnQUETS, Mémoires chronolu-
(p (lues pour servir à l'histoire de Dieppe, t. L p. 117).
(5) Cf. le chapitre Ango.
(6) B. N., Moreau 737, fol. J67.
(7) Qui tenaient la mer en juin (Calcndar <>f State papers. Acts of the
Privy Council, p. 173, 177, 179).
(8) Rapport du 29 juillet 1545 (Archives nat., K 1485, n" 95». ( Le
41(i HISTOIUE DE LA iMAIUNE FRANÇAISE.
envoyés en reconnaissance du côté de Dieppe (1), n'avaient
point réussi davantage à surprendre les capitaines d'Ango.
Il y avait plus de deux siècles que les Normands n'avaient
assisté à une paredle manifestation navale, à «l'ordre triom-
phant (:2) )) de vingt-cinq galères, cent cinquante voiliers
réunis à l'embouchure de la Seine (3) et pavoises des pavil-
lons les plus variés : fleurs de lis, au milieu des salamandres
et des faucons; dauphin, entre la croix et le croissant sym-
bolique de Diane; lambel d'Orléans, entre le porc-épic et
la guivre milanaise; ou frelte d'or, sur champ de gueules
timbré aux coins d'une ancre et ceinturé d'une cordelière.
Car on avait trouvé ce moyen ingénieux de distinguer entre
elles, par les armes et les emblèmes du roi, du dauphin, de
Charles d'Orléans et du vice-amiral de La Meilleraye, les
différentes divisions de la flotte (4-).
Pour chef suprême de l'armée navale, on avait songé au
vainqueur de Cérisoles, François, comte d'Enghien, dont
les vieilles bandes, amenées du Piémont par ses vaillants
compagnons d'armes, le colonel Jean de Taix (5) et le lieu-
18 juin, au moment où François l" lui écrivait, le baron de La Garde était
arrivé à I.a llochelle (B. N., Moreau 778, fol. 180).
(1) Avec la Neiu liark, In Jcunett. et deux bateaux de Rye^ en juin. Lettre
de Lisle au Conseil privé [Slatc papers . Kincj Henry tlie Eiqlith, t. I, p. 792).
(2) Cf. dans le P. Lklo?(0, n" 17600, l'indication d'un opuscule ainsi
intitulé : « L'Ordre triomphant et. grand nombre des navires écjinpés pour
le fait de la guerre par nier à l' encontre du roi d' Angleterre . Rouen,
1545, in-8" .. .
(3) Marino Cavalli parle même de '250 voiliers (Ïommaseo, Relations des
ambassadeurs vénitiens, t. I, p. 'Vu).
(4) De 78 enseignes connnand('es le 5 juin, 30 étaient aux armes du roi,
18 aux armes du Dauphin, autant au blason de son frère Charles, 12 aux
couleurs de La Meilleraye (Gosseun, p. 51). — Cf. ci-joint un dessin du
temps représentant la flotte ou du moins ses plus gros vaisseaux sur les
côtes normandes : Joluvet, « La carte généralle du pays de Normandie.
1545 » (B. N., Géographie A 79). T.,e nom du comte d'Harcourt a été
ajouté, par erreur, au cravon sur 1 un des vaisseaux.
(5) Nommé colonel général de l'infanterie française le 1"'' mai 1543
(PiSARD, Chronologie historique militaire, t. III, p. 480. — i*icces orig.,
vol. 278G, Tais, p". 12).
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L'INVASION DE L'ANGLETERRE. 417
tenant-général Guigues de Guiffiey-Boutières (1), consti-
tuaient le noyau de Farmée d'invasion.
Au dernier moment, le 27 juin, parut une nomination
qui déroutait toutes les prévisions : et pourtant, le lieute-
nant-général choisi par le roi n'était autre que l'amiral de
France, Claude d'Annebault (2). L'homme sur lequel tom-
bait cette lourde responsabilité avait été maréchal de
France et gouverneur de ^Normandie, avant de succéder à
Brion-Chabot. Mais aucun de ses métiers successifs, pas
plus que celui de capitaine des toiles de chasse du roi (3),
ne l'avaient lamiliarisé avec la mer. Et son premier soin,
lors de s;i nomination à l'amirauté, avait été de faire
régler, par un édil, ses fonctions et ses droits (4).
Son adversaire, John Dudlev, lord Lisle, profita de cette
inexpérience pour nous porter un coup droit. Dûment ren-
seigné par des éclaireurs sur la position de nos vaisseaux à
la Fosse de Leure, près du Havre, il transforma en brûlots
les huit medieures hourqucs d un train qui allait charger
du sel à Brouage. Quelques légers bâtiments leur donne-
raient la chasse et, par cette poursuite simulée, leur per-
mettraient de gagner rembouchure de la Seine sans éveiller
les soupçons. Là, elles s'attacheraient, deux par deux, au
carracon et à trois de nos plus grands bâtiments, et leur
feraient une tunique de Nessus (5). Or, le hasard servit si
l)ien les projets de 1 ennemi, que rien ne décela et que rien
ne prouve encore aux historiens son intervention.
D un beau pavillon de feuillages qu il avait fait édifier
sur la falaise du Chef de Caux pour s'abriter des ardeurs
(1) Bulletin du Coinile des travaux historiques (1891), p. 33.
(2) Pi.NARi), t. II, p. 235.
(3) Qu'il exerçait encore en juin 1ÔV5 (H, N., Franc. 26129, p. 2431).
(4) Fonlainebleau, février lâW |A. Fontasox, Edits et ordonnances.
Paris, 1611, in-foi., t. 111, p. 18).
(5"! Lettre de Lisle à Henri VllI State papers. Kinq Henry the Eighth,
t. I, p. 788).
m. 27
418 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
du soleil, François I" conlempliiit la Grande armée de la
mer^ dont le nom était comme une réminiscence de cette
autre Grande Armée formée deux siècles auparavant pour
la conquête de l'Anglelerre. Tout à coup, le ;i juillel, des
boulets sifflèrent au-dessus du pavillon roval. Soixante-
quatre voiles anglaises, en reconnaissance, envovaient Tune
après l'autre leurs volées. Elles furent promptement
assaillies par les jjalères de Pietro Strozzi, qui les chargea
deux ou trois fois, et perdit même dans l'action « le cheva-
lier Ferrarais. " Tun de ses capitaines. L'ouragan ayant
chassé les vaisseaux anglais, Strozzi. avec deux galères, les
suivit et garda le contact [l] .
Mais alors advint le malheur prémédité par les Anglais,
où la bonne humeur de François I" ne vit qu une façon
de conjurer la mauvaise fortune. Le 12 juillet 1545, au
moment d'appareiller, le vaisseau amiral le Philippe, ma-
gnifique carracon de douze cents tonnes que Philippe
Chabot avait légué au roi, prit feu. Imprudence d'un cui-
sinier, disaient certains: manœuvre plus coupable, suivant
d'autres gens; on ne sut jamais en France la cause de Tin-
cendie. Gomme les flammes avaient gagné les artifices de
feu grégeois dans la sainte-barbe, l'amiral d Anneliaull.
son capitaine de pavillon Jacques de Fontaines, sieur de
Mormoulins, les gentilshommes de leur suite, les matelots
n eurent que le temps de lévacvier et de gagner au plus
vite la terre. Accroché par les galères, le volcan fut remor-
qué en hâte jusqu à la Fosse de Leure, tandis que les
pièces de ses trois batteries, encore chargées, faisaient rage.
De ce magnifique vaisseau, il ne resta bientôt que la quille.
On avait sauvé à grand'peine le trésor de guerre. Les
chevaux, les uniformes, deux cents armures dorées (h'
grande valeur disparurent dans les flots.
(i) Leilre de Bcrnardo de Medici. Montivilliers, i4- juillet (A. Des.i ui-
DiNs, Négociations de la France avec lu Toscane, I. III, p. 166).
L'I.WASION DE L'ANGLETERRE, 419
Par une fatalité nouvelle, la Grande Maistresse^ sur la-
quelle d'Annebault transporta son pavillon, toucha le len-
demain en quittant la rade; et un ouragan, le 15 juillet,
acheva d'ébranler les vaigres d'une carène déjà vieille (1).
Pis encore! La division des vaisseaux mandés de Provence
avait fondu presque entièrement en route, par Timpéritie
du capitaine Claude de Manville. Certains bâtiments avaient
péri sur les côtes d'Espagne; six carracons magnifiques,
qu'Albisse d'Elbène amenait de Gènes chargés de muni-
tions, restèrent en panne à La Rochelle f2) : la nef Impé-
riale et d'autres bâtiments s'échouèrent à l'embouchure de
la Seine, si bien que deux navires seulement, sur dix-neuf,
purent être incorporés dans la Hotte (3). La révocation,
trop méritée, de l'incapable capitaine Claude (4-) ne pou-
vait réparer l'énorme dommage que causait à la France la
perte de plusieurs vaisseaux de premier rang et que ne
compensa point 1 entrée en ligne des bâtiments bretons,
mandés d'urgence (5) à leur retour d'Ecosse.
Toute la Hotte enfin était en mer. Le 18 juillet, on eut
connaissance de la côle anglaise, dont l'amiral et ses capi-
taines, penchés sur leurs cartes juarines, étudiaient depuis
longtemps les sinuosités (6).
Comme une division de quelques galères, épaulée par de
grandes nefs (7j, jetait quelques troupes à Brighton pour
(i' Guillauim' Lii; Marckii.lks, Mémoires de la fondation et origine de la
ville Françoise de Grâce, éd. Morlent, p. 19-20,
(2) Où ils furent déchargés par ordre du lieutenant-général du Poitou,
comte du Lude. Quittance datée de La Rochelle, 20 novembre 1545
(B. N., Franc. 26130, pièce 2461. — Moreau 737, fol. 167 v").
(3) B. N., Moreau 778, fol. 147, 180.
(4) François i" enleva même à Claude de Manville le commandement
des galères Dauphinc, Saint-Pierre et Comtesse, qu'il lui avait confié deu.v
ans auparavant. 7 avril 1546 (Archives des Bouches-du-Rhône, B 1260,
fol. 454 et 407).
(5 4 juillet (B. N.. Franc. 20510, p. 11).
(6) Culeiidar of State papers, Spanish, éd. M. Hume, t. VIII, p. 222.
|7) Dessin du British Muséum, Eepresentation of the attack made hy the
*20 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE
brûler la ville, de toutes parts les signaux d'alarme s'al-
lumèrent dans leurs brûloirs. De Lewes et de Hove accou-
rurent en colonnes serrées les milices anglaises, qui contri-
buèrent beaucoup plus que l'antique baliste à feu grégeois
disposée sur le rivage, à repousser nos troupes de débar-
quement.
La flotte ennemie était un peu plus à l'ouest. Quatre de
nos galères, détachées en éclaireurs, la découvraient à
l'ouvert du canal qui sépare Wight de Portsmouth. Le roi
Henri Vlll, qui dînait à la table de son amiral, débarqua
précipitamment, alors que nous n'étions qu'à cinq lieues.
Le baron de La Garde avait compté une soixantaine de
vaisseaux de guerre. Au moment d'être cerné par quatorze
d'entre eux, il fut dégagé par l'amiral d'Annebault, qui
accourait à la rescousse avec le reste des galères, de même
que la flotte anglaise débouchait en masse de la rade de
Chichester pour appuver son avant-garde. Devant notre
supériorité numérique, l'ennemi se replia en serrant la
terre, afin de s'abriter sous les forts de Portsmouth, dans
une rade protégée par des bas-fonds, qui ne laissaient
pénétrer qu'un à un les navires, par un chenal étroit et
sinueux. Cette retraite, à la tombée de la nuit, mit fin à
l'escarmouche. A son retour dans les eaux de Wight,
Claude d'Annebault appi'it que la Maistresse faisait eau
de toutes parts, sans que les pompes parvinssent à fran-
chir. Le vice-amiral avait eu la présence d'esprit de la
décharger immédiatement pour l envoyer se radouber au
Havre.
Son pavillon bissé sur un autre bâtiment, Claude d'An-
nebault arrêta pour le lendemain son ordre de bataille : il
serait au front avec trente vaisseaux de choix, flanqués, à
Frcitch Fleet upoii Ihii/lilliclitistoiie, A. D. 1545, reproduit en estaiiij)e
dans V Archaeoloqia or Misccllaiicous. . . Society of anli<fuaries of Lon-
don, t. XXIV (1832), p. 298.
L'INVASION DE L'ANGLETERRE. 421
Tailc droite, du héros de Pavie et de Cérisoles, Guigues de
Guiffrey-Boutières (I), et à l'aile gauche de Joachim deCha-
bannes, baron de Carton, qui avaient chacun trente-six
voiles sous leurs ordres. Quant aux galères, elles iraient
agacer l'ennemi dès l'aurore et chercheraient, par une vive
canonnade, à l'attirer sous le feu des trois escadres.
Le 19 juillet au matin, la mer était calme, le flot plat :
point de vent (2j. Les navires anglais, masses inertes,
offraient une belle cible au tir des galères qui attaquèrent
îiardiment sous les veux du roi Henri VIII, venu encou-
rager ses hommes. Au bout d'une heure, un des plus grands
vaisseaux, la Mary-Rose^ coulait bas en essayant de virer
bord sur bord, pour tirer de l'autre flanc; l'eau avait péné-
tré à flots par les sabords mal fermés de la batterie basse
et l'avait fait chavirer : Georges Carew, qu'on distinguait
de loin à son uniforme étincelant d'or, périt avec ses
hommes; il n échappa que trente-cinq matelots sur cinq à
six cents (3) . Quant à \Henry-Grâce-à-Dieu ou Greal-Henry,
vaisseau amiral de Lisle, malgré ses 122 pièces de canon
et sept cents hommes (i), ce magnifique bâtiment était
(1) Lettres de Boutières. ihkh (Bulletin du comité des travaux liistorifjues
(1891), p. 33).
(2) The encampnicnt of tlic cnqlish forces near Portsniouth, toyether
unth a luiew of the english and french fleets ai the commencement of the
action between thcrn on the A'/A* of july MDXLV, engraved by James
Basire, sumptibus Societatis antiquarionim Londini. Grande estampe d'après
un ta!)Ieau du temps, à Cowdry, dans le Sussex, chez lord Montagne. —
On pourra lire, sur la série des engagements qui eurent lieu du 19 au
24 juillet, la relation qu'un neutre, Van der Delft, adressait à l'empereur.
Portsmouth, 23 et 24 juillet (Calendar of State papers, Spanish, éd. M. Hume,
t. VIII, p. 190), et Gu.iRAS, Spanish chronicle of Henry VIII).
(3) GoDWiN, Rerum Anijlicarum Henrico VIII ^ Edivardo VI et Maria
regnantibus annales. Londini, 1628, 4", p. 147. — Quelques jours après,
la Mary-Rose ne continuait pas moins à figurer sur les contrôles de la flotte
anglaise, parce qu'on essayait de la renflouer.
(4) On peut en admirer les formes sveltes et puissantes à la fois dans une
gravure exécutée d'après un tableau contemporain (Clovves, The Royal
Navy, t. I, p. 406). — Un autre dessin contemporain représente l'un des
vaisseaux vice-amiraux des Anglais, la galéasse Anne Gallaunt, que nous
422 HISTOIRE 1)1", LA MARINE FRANÇAISE.
il Icllement afflij'c " par notre tir, selon la pittoresque
expression de Du Bellay, que, sans l'intervention oppor-
tune des navires voisins, il succombait. Un tableau du
lenips, où les deux flottes se déploient tout entières, nous
montre combien était critique la position des Anglais.
Mais voilà que le vent de terre, se levant subitement,
donne dans les voiles de la flotte anglaise qui fonce, à son
tour, sur les galères. Engagées fort avant, tant 1 action
était chaude, les galères voltent prestement et regagnent
à toute vitesse la haute mer, puis ralentissent leur allure,
afin d'attirer 1 ennemi hors de son repaire. Une meute, en
effet, s'élançait derrière elles.
Moins longues qu'elles, mais plus droites, plus manial)les
encore, les robergcs anglaises les accablent de boulets avec
une rapidité incroyable, les pièces do chasse étant accou-
plées de telle sorte que le recul de 1 une après le feu met-
tait l'autre en batterie ili. A celte artillerie à tir rapide,
les galères ne pouvaient riposter, faute de canons en poupe.
Virer de bord et faire face, c'était s'exposer à recevoir un
coup d'éperon dans le flanc. Leone Strozzi tenta néanmoins
cette périlleuse manœuvre et se j(^la sur la roberge de tète,
au moment où elle allait frapper l une de nos galères.
Courte de taille, la roberge esquiva le coup et s'arrêta net.
L'amiral d'Annebault faisait le signal aux voiliers d'avan-
cer en bataille, quand l'ennemi se relrancha précipitam-
ment derrière les écueils.
Dans l'espoir que les marins anglais s'ébranleraient au
spectacle des incendies, Claude d'Annebault donna Tordre
aux galères dexécuter trois débarcjuemenls simultanés à
quelques portées de canon de l'ennemi. Slrozzi brùUi un
mimes à mal un peu plus tiud (Cf. la gravuir dans Conr.KTT, J)?ahc and
the Tudor Navy, t. I, p. 55).
(i) Manuel d'arlillerie présenté à M. de Nevers, en 15()7, par IjA Treille
(B. N., Franc. 16691, fol. J02).
L'INVASION DE L'ANGLETERRE. 423
foiiin qui batlail en flanc nos galères; le baron de La
Garde et le colonel général d'infanterie (Ij Jean de Taix,
après avoir perdu quelques hommes dans une embviscade,
s'emparaient d'un autre point de la côte, tandis que les
(;api laines de galères Pierre Bon et de Marsay se faisaient
l)lesser dans une troisième attaque, dirigée probablement
contre le havre de Chichester ("2).
La diversion la plus importante se fit en face de Ports-
mouth, de l'autre côté du canal. Le 21 juillet, vin débar-
quement en forces eut lieu dans 1 ile de Wight; l'arête des
collines insulaires avait été occupée et plus d'un cottage
livré aux flammes, lorsque la cavalerie anglaise, soutenue
par l'infanterie, chargea. Refoulées vers la mer, nos
Iroupes reprirent le dessus avec l'appoint des matelots du
chevalier de Blacas d'A.ulps, capitaine de la division des
galères du Ponant, qui périt dans rengagement, assommé
d'un coup de voulge (3). Elles ne se retirèrent que sur
l'ordre du colonel de Taix.
Henri V III s était ému de ces ravages. Il avait prié l'ami-
ral Lisle de détacher c[uatre roberges en observation vers
Wight, afin d'incommoder nos galères, voii'cde les brûler (4) .
Et il mandait d cnvover en hâte à Portsmouth les renforts
disponibles, l'artillerie de la Tour de Londres (5j, des trou-
pes, les bâtiments â rames de 1 amirauté occidentale, en
vue d'opposer â nos galères une escadre légère (6j . Gomme
(1) Nomme le i^"^ mai i543 (Pisard, Chronologie historique militaire,
t. Itl, p. 480 : Pièces orig., vol. 2786, doss. Tais, p. 12).
(2) Où deux bateaux français étaient signalés le 21 juillet (Acts of Privy
Council, dans les Calondar of State papers, p. 213).
(3) Enseveli dans un coffre de plomb, le chevalier d'Aulps fut ramené en
France et son corps inhun\é dans l'église Saint-Martin de Harlleur (Guil-
laume DE Marceilles, Mémoires de la fondation de la ville Françoise de
Grâce, p. 20. — Nostradamus, Histoire de Provence).
(4) Portsmouth, 21 juillet (Acts of Privy Council, p. 213).
(5) Acts of Privy Council, p. 214.
(6) Lisle à Paget (State papers, t. I, p. 805).
424 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
le vent Jivait fraîchi dans la nuit du 20 au 21, soufflant de
l'ouest, et que nos voiliers se trouvaient exposés à faire
naufrage sur les hauts-fonds de Selsea et des Owers,
Lisle demanda à ses pilotes si les Français attendraient
le choc à Fancreou sous voiles. Sous faible voilure, fut leur
réponse (1).
Et de fait, deux jours plus tard, capitaines et pilotes,
assemblés en conseil de guerre par d'Annebault, déconseil-
laient le combat à Tancre, — c'eût été s exposer à échouer
svir la côte, si les câbles venaient à se rompre. Mais atta-
(fuer, c était courir le risque d'être broyés par lartillerie
de la flotte ennemie : la passe était inaccessible à plus de
quatre navires de front, sinueuse et semée de dangers;
trois pilotes et autant de capitaines s'en convainquirent
dans une reconnaissance nocturne. Occuper Wighl et blo-
quer de là Portsmouth? il n'y fallait pas songer : trois châ-
teaux a construire pour fermer la baie de Sainte-Hélène,
ti'ois mille pionniers et une garnison de six mille hommes,
voilà ce que pareille opération exigerait, déclara le colonel
de Taix, et nous n'avons pas les moyens de la faire (2).
Restait la retraite. L'amiral s'y résigna. Un calcul, chez
Cromwell, bouleversa plus tard les destinées de l'Angle-
terre : un abcès à l'oreille de l'amiral de France lui épar-
gna peut-être une invasion (3). Petites causes, grands
effets !
Tandis que son adversaire, croyant à une feinte, restait
couvrir Portsmouth, d'Annebault se repliait réellement
sur la côte boulonnaise, sous le prétexte de coopérer au
siège de Boulogne. Il débarqua dans ce but 4,000 soldats
et 3,000 pionniers au Portel, et s'embossa devant le port,
(1) Lisle à Henri VIII. 21 juillet (Burqhley State pnpers. éd. Havnes.
p. 51).
(2) Martin dv Bkllay, p. 522-424.
(3) Calendnr of State papers, Spaitish, éd. M. Hume, t. VIII, p. 223.
l'invasion de L'ANGLETERRE. 425
jusqu'à ce que le vent, soufflant grand frais du sud, le
chassât de son mouillage. Sa flotte fut poussée en vue de
Rye, où elle était signalée le 9 août : on lui prétait un total
de deux cents voiles.
Durant ces trois semaines, la Hotte britannique, considé-
rablement renforcée, avait porté ses effectifs à 104 voiles et
12,000 hommes (1). Aussi Tamiral Lisle reçut-il Tordre
formel de ne pas laisser échapper 1 occasion d'une
attaque (2), et d engager la l)ataille le lendemain, 10 août.
Des renforts étaient expédiés à Rye en vue de le seconder
ou de combler ses vides après le premier choc. Sans se
laisser retenir par la considération que tous les vaisseaux
n'avaient pas encore rallié et qu'il n'avait que douze cents
soldats de troupes de débarquement, Lisle arrêta son ordre
de bataille, sur trois lignes : avi front, six grandes hourques
hanséatiqueset la Mary-Rose (3), pavillon de Saint-Georges
au trinquet d'avant; au centre, dix vaisseaux et l' Henry -
Grâce-à-Di'eu, battant pavillon au grand mât; en arrière,
seize autres bâtiments, ayant leui's couleurs â l'artimon;
à chaque aile, onze navires légers, leurs bannières arl)orées
dans la hune, servaient de flanqueurs. Les navires en ligne,
à demi-encablure les uns des autres, la Hotte foncerait
toutes voiles dehors sur le front de bataille des Français,
où elle pénétreraitcomme un formidable coin : la première
ligne le traverserait, puis, serrant le vent, prendrait nos
bâtiments â revei'S, mais sans déranger les manœvivres de
la seconde et de la troisième ligne, qui aborderaient nos
plus grands vaisseaux, chaque bâtiment se maintenant à
petite distance de son matelot. Les navires de charge sui-
(1^ Oppenheim, The adminiUration of the Royal Navy, \.. I, p. 77.
(2i Au conseil royal de Henri VIII le 11 août, quelqu'un dit que Lisle
avait déjà pris la mer, au moment oîi on rédigeait à son adresse l'ordre de
se porter immédiatement contre la flotte française à Rye (Calendar of State
■papers : Acts of Privy Council, p. 227).
(3' Ou plutôt la Mary de Hambourg, l'autre n'ayant pu être renflouée.
426 HISTOIKi: Dl. LA MARINE FRANÇAISE.
vraienl dans les eaux de la troisième Hj^no : aux ailes, les
croiseurs, sans prendre part au choc, seraient toujours
prêts à porter secours aux l)àhnient8 qui viendraient à Hé-
chir. Il va sans dire que Lisle se réservait Ihonncur d'atta-
(juer 1 amiral français fl).
Claude d Annehault, apprenant que 1 ennemi s ébran-
lait, s'était hâté de regagner les parages de lioulogne, dans
la crainte de se voir couper la retraite. IjC lîJ août au soir,
quelques voiles parurent à l'horizon ; les {jalères, envoyées
en reconnaissance, rapportèrent qu'elles étaient llamandes,
mais que l'ennemi suivait de près. Claude d'Annel)aull se
forma en bataille, les nels acculées au rivage, comme s il
se fût douté que le plan de Lisle était de le doubler d'une
division pour le prendre entre deux feux : les galères de La
Garde s'al)ritèrent du vent derrière une petite langue de
terre (2j. Bien décidé, malgré tout, à désarmer au plus tôt,
1 amiral avait envoyé messager sur messager au roi de
France pourdemander l'autorisation de regagner Jjc Havre.
« Gomhaltez d'al)ord! " fut la réponse que l'ietro Slrozzi
rapporta de la Cour le I i août.
Les galères eurent donc ordre, dans la soirée, de chercher
les Anglais iSj, et, après avoir pris contact, de les amuser
jusqu'à 1 arrivée des voiliers. Elles dc'couvrirenl l'ennemi
le 15 août à la hauteur de Shoreham : vers trois heures de
l'après-midi, en faisant iorrv de ranu^'S, elles parvenaient
à portée de canon. Et l'on putenleiulre résonner au loin le
cri de ralliement de l'ennemi :
i) Manu.scrit de hi i-olK ctioii I^Mcniiiij;, ]nil)lir en |p;iili<' <laii.> Opi'KMIKIM,
TIte administration of tlie Royal Xavy, t. 1, p. iS\, dans Vkcciii, Storia
générale delta marina militare, t. 1, p. 306; cl analysé dans Julian-
S. CoBiîE'JT, J)ral,e and l lie Tiidor Navy. London, t898, 8", I I, |>. 51.
(2) Martin Du Bellay, p. 423.
(3) « Nous partismos le 14 aoust sus le tard, les galères devant et les
naulx venantz. « Lettre d'Escalin de La Garde au Dauphin, llarlleur,
23 août (Jhil/etiii du loinilo des travaux liisloriipies (1891), p. 325).
LINVASION DE L'ANGLETERRE. . 427
» (iod save the king Ilenrve.
— Antl long to reign over us (1). »
La tête de colonne à Test, la queue au nord, les rol)erges
cl autres croiseurs sur les ailes, la Hotte anglaise, en route
pour Douvres, était dans Tordre de marche suivant : vingt-
quatre hourques du vice-amiral Thomas Glère à l'avant-
garde, quarante vaisseaux de ligne avi corps de bataille
avec l'amiral Lisle, une escadre légère de quarante
galéasses, roberges et chaloupes en flanc-garde, manœu-
vrant de façon à rester toujours au vent (2j.
Ce fut à l'escadre légère de soutenir notre choc, dès que
se dessina le plan de l)alaille arrêté par notre général des
galères avec ses chefs de division : La Garde gagnait de
vitesse la tête de colonne ennemie pour l'avoir sous le vent
et la foudrover. Les galéasses de flanc-garde, Graund Mis-
tress^ battant pavillon amiral de William Tyrrel,^nne Gal-
lau7it, vice-amiral JjCgge, Greyhoundj capitaine William
l>roke, et Galley subtil, capitaine Edward Joones, s opposè-
rent à notre marche par un feu violent. Un de leurs boulets,
emportant un trompette de la Réale^ aux côtés du l)aron de La
(■Jarde, passait entre le comte François de La Rochefoucauld
et le vidamc de Chartres (3) . Mais la riposte avaitété prompte
et heureuse : la Girntnd Mistress et la Galley subtil, les deux
plus forts bâtiments de l'escadre, équipées de i50 hommes
chacune, étaienl hors de service, ainsi qu une roberge (4).
(i) Stali' Papcrs, (. I, |). 81V.
(2) Clère, qui avait son pavillon sur V Araçjosia, de 450 hommes, dispo-
sait de 34 vaisseaux et 3,800 hommes, Lisle de 40 vaisseaux et 6,846 hommes,
dont un dixième des effectifs sur V Heuij-Grâce-à-Dieu, Tyrrell et Legge de
40 galéasses et chaloupes et 2,092 hommes. 10 août 1545 (State papers, t. I,
p. 810).
(3) D'après une relation, aujourd'hui perdue, de Jean Morct, capitaine
de la galère Saint-Pierre appartenant au baron de La Garde, et acteur au
combat du 15 août (Cf. 1. Le L.vnoriiF.rn, Les Mémoires de messire Michel
de Casteliiaii. Paris, 1659, in-fol., t. II, p. 12).
(4) Lettres de Lisle. Bcauchef, 17 et 18 août (State papers, t. I, p. 816,
819, 826; et t. X, p. 585 .
428 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Ses bordées lâchées, La Garde volta, comme à Wight,
afin d'attirer Fennemi. Pietro Strozzi, dans ce mouvement,
n'avait pas suivi son chef : il v avait eu une saute de brise;
jugeant que ce fait modifiait forcément le plan d'attaque et
qu'il importait de garder l'avantage du vent, Strozzi, gou-
vernant au nord, se porta, avec sa division de quatre ga-
lères, contre 1 arrière-garde anglaise, par conséquent contre
le gros de la flotte, contre l'amiral Lisle. Il espérait être
suivi des autres capitaines : mais son frère Leone, prieur
de Capoue, avait été seul à s'apercevoir de ce brusque
changement de front; il accourait, à la tête de cinq ou six
galères, seconderl'attaque à fond de larrière-garde. Furieux
de n'être pas soutenu davantage, Strozzi allait quitter le
champ de bataille, quand il vit que La Garde retournait
au combat pour la troisième fois (1). Ce n était encore
qu'une feinte, afin d'attirer Lisle et de donner aux voiliers
de l'amiral d'Annebaultle temps denti^er en ligne. Mais les
Anglais continuèrent, sans arrêt, leur retraite vers Beachy
Head (2). Le combat avait duré une couple d'heures, et
s il n'avait eu d autre résultat que de désemparer quelques
bâtiments, du moins nous gardions le champ de bataille.
Clavide d'Annebault, se tenant pour satisfait de ce maigre
résultat, revint aussitôt désarmer au Havre. L'accueil qu'il
reçut de la population fut des plus froids : aucune salve ne
fut tirée en son honneur : François I" ne lui fit pas meil-
leur visage et songea même à rendre au connétable de
Montmorencv la direction des affaires. Les officiers de la
flotte étaient divisés en deux partis qui discutaient passion-
nément la conduite de La Garde et de Strozzi à la bataille
(1) [P. Strozzi]. Relation du combat naval entre les François et tes
Anqlois en Vannée 1545, le jour de Notre-Dame d'aoust. Sénarpont,
27 août : puliliée dans le Bulletin du comité des travaux historiques (1891),
p. 325-329
(2) Ou Bcauclicf, d'où T^isle expédia une dépêche à Henri VIII le 17 août
(State papers, p. 816).
L'INVASION DE L'ANGLETERRE. 429
du 15 août. Strozzi accusait publiquement son chef de
lâcheté (1) : le baron de La Garde, au moment de repartir
en croisière le 26 août, jetait son gant à tous ceux qui par-
laient contre son honneur (2). Et Coligny, le futur amiral,
présent à Taction sur l'une des galères, crachait son mépris
au capitaine florentin : « J'aimerais mieux être mort,
disait-il, et à cent pieds sous terre que d'en avoir fait
autant que vous! " (3). Il fallut, pour mettre fin à ces
violences de langage, que le roi intervint : il couvrit tout
le monde en déclarant que ses officiers avaient agi sur ses
ordres exprès.
Une dernière fois, 1 amiral Lisle revint à la charge, après
s'être ravitaillé à Rye. Il avait ordre de balayer de nos der-
niers bâtiments le pas de Calais (4). Pour leur ôter tout
asile, il débarqua près du Tréport, le 2 septembre, la moi-
tié de ses effectifs : ses troupes culbutèrent trois enseignes
garde-côtes et se déployèrent en bataille en prévision de la
contre-attaque des ducs de Nevers et d'Aumale, tandis
qu une des ailes brûlait le Tréport (5). Et pourtant, son
retour à Pcrtsmoulh fut tragique, avec treize vaisseaux
marqués de la sinistre croix noire des épidémies; la dysen-
terie etle scorbut y faisaient rage, couchantbas, en quelques
jours, trois mille cinq cents hommes (G). Il abandonnait au
vice-amiral Thomas Glère la garde du pas de Calais (7).
Les flottes adverses ne s'étaient plus rencontrées. L'une
(1) 20 août 1545 (Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 2003).
(2) Lettres de La Garde au dauphin. Ilarfleur, 23 août, et Le Havre,
26 août (Bulletin du comité des travaux historiques (1891), p. 327).
(3) Comte J . Dki.aborde, Vie de l'amiral de Coliqny. Paris, 1878-1882,
3 in-8°, appendice XVL p- 577.
(4) 18 août (Acts of Privy Couneil, p. 232).
(5) Lettre de Lisle à Henri VIIL Henry-Gracc-a-Dieu, par le travers
d'Arundell, en allant vers Portsniouth, 3 septembre (State papers, t. I,
p. 829. — Calendar of State papers, Spanish, t. VIII, p. 255).
(6) Lettre au Conseil privé (Oppksheim, t. I, p. 77).
(7) Avec cinq vaisseaux et huit chaloupes (Acts of Privy Couneil, p. 242,
24(5, 258).
430 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
croisait dans le passage de l'est; l'autre, notre escadre,
courait des bordées à 1 ouest de la Manche où elle signalait
sa présence sur la côte de Galles, par la capture de deux
vaisseaux vénitiens en route pour Londres, la Foscarina et
la Contarina flj .
Dés la fin de l'hiver, les galères de La Garde rentrèrent
en scène. Vingt d'entre elles, après avoir secouru le fort
d'Outreau, enlevèrent dans le pas de Calais tout un convoi
à destination de Boulogne, sept navires chargés d'armes et
de munitions ('!' . François I" ne cachait point son pro-
jjramme naval : partie de ses galères, affectées à l'Océan,
séjourneraient à Nantes, où un nommé Escofre prétendait,
par certain procédé, conserver indéfiniment leur carène;
les autres stationneraient dans le port d'Etaples, appro-
fondi en conséquence, et, par un l)locus sévère, rédiù-
raient Boulogne à la famine. Elles devaient être ralliées,
vers la mi-mai, par vin.;;t vaisseaux de jjuerre 3j .
Mais avant que la jonction fût accomplie, le 18 mai, huil
de nos galères, en croisière devant Ambleteuse, se trou-
vèrent aux prises avec quatre vaisseaux et (|uatre pinasses
britanniques. Après un sanglant combat, 1 une d'elles, la
galère du baron de Saint-Blancard, fut capturée, avec ce
qui restait de ses deux cent trente soldats et de ses quarante
rameurs, et incorporée à la flotte anglaise sous le nom de
Galley Blanchard il.
Ce fut le dernier acte de la ;juerre. Le 17 juin L5-4G, la
(i) Kclalion de Marino Cavalli. iô-VG (Tommaseo, Relations des anibus-
sddeurs vénitiens, t. I, p. 318).
(2) Lettre de Paris, 17 mars 1546 fCalcndur of Stale jjapers, Venelimi
(1534-1554), n" 375).
(3) Lettre de l'ambassadeur de Saint-Mauris à (Jharlcs-Quint. Meliiii.
il avril 1546 (Archives nat., K 1486, B% p. 18, 33).
(4) Stowe, Chronic, p. 591. — R. HoussuEi>, Chiouicles of EngUnide,
Scotlande and Irelandc. London, 1577, in-fol., t. II, p. 1608. — Dès !»■
mois d'avril, la Salamandre, de Rouen, avait été enlevée par /e White Ilind .
de Londres (Acts of Privy Council, p. 376).
L INVASION DE L'ANGLETERRE. 431
paix était sijjiiée entre la France et 1 An,;;leterre. Et c est
avec le caducée de paix, au milieu de manifestations de
sympathie, que l'amiral d'Annebault débarqua près de la
Tour de Londres : d était escorté d\i Sacre et de douze .;',a-
Icres fl) .
Nous avions déjà rappelé d Ecosse notre corps de troupes.
Le commandant de l'escadre de transport, llené de Chà-
teau-Chalon, accusé de forfaiture par Mont;;ommcrv ,
avait été réintéjjré après enquête dans sa capitainerie de
Brest f:2) . Montjjommery, pour rapatrier ses soldats, eut
recours aux bons offices du vice-amiral écossais John Abrc-
ton (3). Il n'y eut d autre accroc au vova;;e de retour que
la mésaventure advenue à une compajjnle du ré^^iment du
colonel de Saint-Germain : l'enseigne Jean Deschères Du
Feuillon dériva avec son vaisseau jusqu'en Norvè^^je, où
.ses soldats furent contraints de prendre des cantonnements
d'hiver (4).
(1) Thevkt, Cosmographie, livre 16. — Assi;i.im;. Les anliqiiités de
JUcppe, t. I, p. 21l-5.
(2) 5 avril 1536 (li. IN., Franc. 5503, fol. 215 v ' .
(3) Ouittance de John Abreton pour vivres reçus du contrôleur de
Montgoniniery de I^orges, atin d'avitaillcr les navires qui doivent ramener
Montgoinnicry en France. 1"=' janvier 1546 (B. N,, Frani;. 26130, p. 2503).
(Il-) Lettre de Hiclier à l^'rancois l". De Norvège, 6 mars 1546 (B. ]N.,
Brienne340, fol. 33).
INTERVEMION EN ECOSSE
I
Campagnes d'égosse
Les Ecossais, demeures seuls aux prises avec l'Angleterre,
continuèrent la lutte. Mais tandis que leurs vaisseaux guet-
taient au raz de Saint-Mahé les convois anglais chargés de
vins de Bordeaux, une sédition, soudoyée par leurs adver-
saires et bientôt appuyée par 1 amiral Andrew Dudley,
éclatait à Saint-Andrew : les rebelles pendaient aux cré-
neaux le cardinal Beaton (1). La régente, Marie de Guise,
fit appel à ses frères, tout-puissants à la cour de France.
Mais son escadre se heurta, le 7 mars 1547, près d'Yar-
mouth, à la division DudJey. Mal garnis d'artillerie dans
leurs hauts, le Lion d'Ecosse, la Lionesse et la Marie-Galante
succombèrent sous le feu en rafales de la Pensée, de la
Mignomie et des autres navires britaniques (2).
Un de nos agents, qui s'était insinué en qualité de cos
mographe dans l'intimité de Dudley, "le paintre françois»
des dépêches de noire ambassadeur, Nicolay d'Arfeuille de
(i) Octobre 1546.
(2) La Jeannette, le Lion, te Dragon et le Hart (Slatc papers, t. V,
p. 563-565. — Correspondance politique d'Oclet de Selve, ambassadeur de
France en Angleterre (1516-1549), publiée par Germain Lefèvre-I'onlalis.
Paris, grand in-8", 1889, p. 41, 118, 191, 211).
INTERVENTION EN ECOSSE. 433
son vrai nom, avait été témoin du combat : il se hâta d'en
mander en France les désastreux effets. Il expédiait en
même temps un portulan des côtes calédoniennes, traduit
d'un manuscrit écossais, que l'amiraUchn Dudley lui avait
innocemment remis, sans se douterque c'était nous fournir
des armes (1) .
Nous ne pouvions laisser écraser ainsi nos fidèles alliés.
Mais à quel titre intervenir, sans rouvrir les hostilités
contre Tx^ngleterre? Gomme policiers? Châtier les meur-
triers du cardinal Beaton était, après tout, prétexte assez
plausible pour motiver une expédition. De cette mission
délicate, Leone vStrozzi, prieur de Capoue, s acquitta avec
une admirable dextérité. Avec seize galères françaises, il
investit le château de Saint-Andrew et, après quatorze
jours de bombardement, le 30 juillet 1547, l'enleva d'as-
saut. Sans laisser aux Anglais le temps de le bloquer, avant
que fussent postés à Holyland les douze vaisseaux du vice-
amiral Clinton (2) et, au débouché de la mer d'Irlande, les
di.x-sept bâtiments du corsaire Thomassin le Galaisien (3),
le prieur de Capoue reprenait la route de France et décon-
certait les larrons par la rapidité foudroyante de sa cam-
pagne. Les assassins du cardinal, les rebelles John Knox,
Lessetey et autres, qu il ramenait prisonniers, furent
ri) La navigation du roy d'Escosse, Jacques cinquicsme du nom, autour
de son royaume et isles Hébrides et Orchades, soubz la conduite d'Alexandre
Lyndsay, excellent pilote escossois, par [Nicolas] de Nicolay, sieur d'Ar-
feuille, recueillie et rédigée en forme de description hydrographique et
représentée en carte marine, et routier ou pilotage. Paris, 1583, in-4",
préface. — Nicolay nous aurait également fourni des vues de tous les ports
d'Angleterre. Lettre de Wotton, Paris, 7 mars 1548 (Calendar of State
pape/s, Foreiqn séries, of the reiqii of Edward VI f 1 547-1553], éd.
William B. Turnbull. London, 1861, in-8°, p. 15).
(2) Instructions du vice-amiral Clinton. 1''' août 1547 i Calendar of the
State papers relatinq to Scotland (1547-1603), éd. bv Joseph Bain. Lon-
don, 1898, in-8", t. I, p. 13).
(3) Correspondance politique d'Odet de Selve, p. 170, 173, 188, 207,
234.
in. 28
434 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
écroués au château de Cherbourg et au Mont-Saint-Mi-
chel (l).
Loin d'enrayer les progrès britanniques en Ecosse, la
reprise de Saint-Andrew les précipita. Le 10 septembre,
Farmée anglaise remportait, aux portes d'Edimbourg, la
sanglante victoire de Pinkie. Deux enfants régnaient alor.s
sur les deux royaumes insulaires : Edouard VI, fds de
Henri VIII, avait dix ans : Marie vStuart, fille de Jacques V,
en avait six. Leur mariage eût rendu les rovaumes plus
qu'amis. C'était le rêve du protecteur, Seymour de Somer-
set, et l'on voitqu'il mettait au service de son rêve l'action.
Vaincue, réduite à la dernière extrémité, mais décidée mal-
gré tout à empêcher cette union, Marie de Guise, la bonne
Lorraine, veuve et mère à la fois, adressait à la France un
appel éperdu. Les traditions séculaires qiii nous liaient
aux highlanders, la défense de la foi catholique contre le
schisme, tout nous faisait une loi d intervenir, en dépit des
relations pacifiques que nous venions de resserrer avec
l'Angleterre par une convention qui stipulait la restitution
mutuelle des prises ("2).
En décembre L">i7, un petit corps cxpédionnaire, rapide-
ment formé sous le commandement du lieutenant-général
André de Montalembert d Essé et du colonel de La Cha-
pelle-Biron, appareillait à bord do cinq vaisseaux de Brest
et de quatre galères d'escorte (3). Comme nous passâmes
parla mer d'Irlande, le vice-amiral Wyndham, malgré qu il
disposât de huit grands croiseurs, ne put nous barrer la route.
D'un ton protecteur, Seymour raillait notre ambassadeur à
(1) Trois d'entre eux furent écroués à Cherbourg le 6 octobre, suivant un
acte de constat du 7 décembre (Cherl)ourjf, registre de Le Yalloys, tabellion
à Cherbourg, pour l'année 15 V7 : Communication de M. Amvot).
(2) Octobre 154-7.
(3) [Jean Du Tii.i.et], la Clu-onir/tte des Hnys de France et des cas mé-
morables adveuuz depuis Pharamond jusqites au Roy Henry Second. Rouen,
1551. \n-k\ fol. 121 v°.
INTERVENTION EN ECOSSE. 435
Londres sur le mauvais placement de nos capitaux :
l'Ecosse, disait-il? C'est une éponge à tirer de l'argent (1).
Mais en vain voulait-il cacher son inquiétude. Un de nos
émissaires comptait sur la côte, de Portsmouth à Rye, plus
de deux cents pièces en batterie : près de chaque poste,
dans une guérite, veillait une sentinelle prête à embraser
les bûchers d'alarme (2).
L'anxiété britannique s'accrut au printemps de 1548,
Les vice-amiraux de Normandie et de Bretagne avaient
reçu un ordre de mobilisation générale (3). Et les rapports
d'un espion britannique n'étaient pas faits pour rassurer
nos voisins : vingt-quatre vaisseaux à deux, trois et même
quatre hunes s apprêtaient au Havre, où quatre bâtiments
Ecossais étaient venus les renforcer. Caudebec en armait
cinq autres et Dieppe trente, dont une dizaine de navires
de guerre. Tous les légionnaires bretons et normands
avaient ordre, sous peine de mort, d'être prêts à marcher.
Les fourriers préparaient des logis pour cinq mille hommes
d'infanterie dans les paroisses voisines du Havre, et un
régiment allcmiind déHIail vers la côte dans un ordre impo-
sant, compagnie par compagnie, vingt-cinq rangs d'arque-
busiers suivis de vingt-cinq rangs de piquicrs. A une ques-
tion insidieuse de l'espion, un pilote avait répondu : "Nous
n allons pas plus loin que Boulogne ;> , et un capitaine avait
repris avec brusquerie : a II nest pas question de l'Ecosse.
Nous allons à Calais (-4) " .
La vérité était qu Une armée de cinq mille quatre cent
(i) Correspondance politiniie d'Odet de Selve, p. 249.
(2) Ibidem.
(3^> Commission donnée par Mérv de Sépoys, vice-amiral de Bretagne, de
mettre arrêt sur tous les navires propres au service du roi. 29 mars 1548
(P. FouRxiEB, Hydrographie, 2" édition, p. 248\
(4) llapports envoyés au Protecteur par un espion. Boulogn^ 14 et
15 mai yCalettdar nf State papers, Foreiqn séries, of the reign of Edward VI
(1547-1503), éd. William B. Turnbull, p. 342. 345j.
436 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
quarante fantassins (1), sans compter les autres troupes,
s'apprêtait pour l'Ecosse : elle comprenait le régiment de
lansquenets du Rhingrave Philippe (2), les aventuriers de
François de Goligny d'Andelot et les compagnies italiennes
de Pietro Strozzi. La concentration de la Hotte se fit à
Brest, où le vice-amiral de La ^Icillerave amena les vais-
seaux du Havre (3). Baccio Martelli, lieutenant du prieur
de Capouc, y conduisit également les galères stationnées à
Nantes et les transports équipés à La Rochelle (4). Aucune
flotte anglaise n'était capahle de se mesurer avec notre
convoi, encadré comme il l'était par les dix-huit galères de
Pietro Strozzi et Baccio Martelli et par les vingt-six vais-
seaux de guerre de La Meilleraye, ce qui faisait en tout
cent quarante voiles (5).
Aussi le vice-amiral Clinton, qui appuvait les opérations
de Lord Grey, se déroba et se tint prudemment à l'abri
d'Holy-Island, lorsque notre avant-garde fut signalée au
large de Berwick. Le 17 juin, après une traversée sans
(i) Ordre de Henri II de paver 2 44'i 554 livres à 5,440 hommes de
guerre à pied, faisant partie de l'armée de Montalembert d Essé (B. N.,
Franc. 5085, fol. 184).
(2) Quinze cents hommes qui s'embarquèrent au Havre sur neuf vais-
seaux (Jean Du Tillet, La Chronique des Boys de France (1551), fol. 122.
— B. N., Franc. 4552, fol. 8).
(3) Lettre de La Meilleraye disant que les vaisseaux du roi sont en rade
et qu il va sembarquer. Le Havre, 24 mars 1548 (B. N., Clairambault 341,
fol. 209).
(4) Affrètement par Baccio Martclli des navires : la Marie de Pouldavid,
le Petit-Nicolas de Saint- Valéry, le Jésus de Morbihan, la Bonnadventure
de Penmarc'h, rVvon, le Jésus de Saint-Pol. La Rochelle, 25 avril-3 mai
(G. Musset, Historiens de La Bochelle, 1892, in-8», p. 20).
(5) Lettre de Saint-Mauris au prince d'Espagne. 1548 (Archives nat.,
K 1488, n" 47 : A. Teulet, Belations politiques de la France et de l'Fs-
pagne avec l'Ecosse, t. IV, p. 186). — Lettres de Grey et Palmer à Somer-
set. Berwick, 12 juin et l'^^"' juillet [^Calendar of thc State papers rclatin</
to Scotland, t. I, p. il9, 134). Suivant I^almer, la Hotte française se dé-
composait ainsi : 18 galères et 1 briganlin, 2(i vaisseaux de guerre dont
8 de deux cents tonnes et au-dessus, 80 transports d'une cinquantaine de
tonnes.
INTERVENTION EN ECOSSE. 437
encombre, toute la flotte de La Meilleraye jetait l'ancre en
rade de Leith, le port d'Edimbourg (1). Une semaine plus
lard, la Réale des galères, avec trois compagnes et cent
quarante soldats de renfort, partait sans bruit, dans les
ténèbres, sous couleur d'inspecter les rivières du Nord,
mais en réalité avec la mission secrète de contourner
l'Ecosse et d'embarquer à Dumbarton la petite reine Marie
Stuart (2). Ce départ mystérieux demeura d'abord ina-
perçu des Anglais, bien qu'ils fussent sur leurs gardes :
interrogé, l'année précédente, « sy lesdictes gallayres pour-
roient pas faire le tour d'Ecosse et s'en retourner par le
ouest, " Jean Ribaut, l'un de nos marins dieppois les plus
capables, " avoit répondu que ouy (3). n Lorsque Grey
donna enfin l'éveil (-4), la proie convoitée par le protecteur
lui échappait. Accompagnée de quatre jeunes filles de son
âge, des plus nobles familles écossaises, Fleming, Seaton,
Beatou et Livingstone, de quatre Marie dont la poésie a
consacré le gracieux souvenir (5), la petite reine avait pris
passage à bord de l'escadrille du chevalier de Villegagnon. Le
13 août, elle mettait le pied sur la terre de France, à Ros-
coff. On V voit encore la chapelle votive élevée en mémoire
de son heureuse traversée (6). «Dieu continue à être bon
François " , écrivait Montmorency (7) .
Tandis que Montalembert d'Essé marchait sur la ville
(i) Lettre de La Meilleraye. Lislebourg, 25 juin (B. N., Franc. 20457,
p. 69'. — De oriqine, inoribus et rébus gestis Scotorum libri decem,
authore Joannc Leslaeo [Lesley], Scoto, episcopo Rossensi. Rornse, 1578,
in-4», p. 491.
(2"! Lettre de Clutin. JJslcbourg [Edimbourg], 24juin (B. N., Franc. 20457,
(3) Correspondance potitif/iic d'Odetde Selvc, p. 170.
(4j Berwick, 7 août [Calendar... relating lo Scotland. t. I, p. 157\
(5) Francisque Michel, Les Ecossais en France, t. I, p. 459.
(6) Prince LàBANOFF, Recueil des lettres de Marie Stuart, t. I, p. 37. —
Lettre de Brezé. Roscoff, 18 août (B. N., Franc. 20457, p. 121). — Arthur
Heuluard, Villegagnon, roi d'Amérique (1510-1572). Paris, 1897, in-8°.
(7) Décrite, p. 76.
438 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
d'Haddlngton, Pietro Strozzl harcelait le vice-amiral Clin-
ton, bombardait Broughty Graig, et, le 21 juillet, prenait
contact avec la flotte anglaise, qui se repliait sous 1 abri
des canons de Berwick. Nos galères, dont un calme favori-
sait les évolutions, coulèrent la Pensée et infligèrent de
graves avaries à la Galère d'Angleterre. Le 3 août, ce même
bâtiment et la Maîtresse, entraînés à la poursuite de deux
de nos galères qui opéraient une reconnaissance du côté
de Scater, tombaient dans une embuscade de cinq autres
navires : ils n'échappèrent qu'à grand'peine, criblés de
boulets (1) .
Mais l'arrivée de renforts amenés de Londres par l'amiral
Thomas Seymour permit à Clinton de prendre l'offensive
avec quarante-deux voiles. Cernés par lui le 10 août, une
douzaine de transports, un grand terreneuvier de La Ro-
chelle entre autres (2), furent brûlés en rade de Leith, et
une de nos galères fortement avariée (3). Mais les boulets
anglais allèrent mourir dans les levées de terre qui proté-
geaient le port et deux débarquements à Saint-Ninians et
Montrose coûtèrent à Seymour treize cents hommes (4).
Nos marins ne jugèrent plus le golfe du Forth assez sûr
pour hiverner. Du reste, la maladie faisait rage à bord, les
vivres manquaient, et contrairement au bon renom de
l'hospitalité écossaise, nos hôtes ne donnaient pas le
moindre morceau de pain. Sur les instances de ses capi-
taines, sur leur réquisition signée, le vice-amiral de La
Meillerayc appareilla, après avoir attendu vainement durant
dix-huit jours Pietro Strozzi et ses galères. Il laissait égale-
(1) Conespondancr politùjiie d'Odet de Selve, p. 429, 431.
(2) C'était un terrc-neuvier de 250 tonneaux, appartenant à Matliuiln
Denebaucl et Louis Gargouilleau (B. N., Franc. 20537, fol. 8).
(3) Lettre du vice-amiral Clinton à Grey. Rade de Leith, à bord de lu
Great Barke, 10 août {^Calendar of tlie State papers i-elating lo Scotluiid.
t. I, p. 158).
(4) Clowks, Royal Navy, t. I, p. 4(i8.
INTERVENTION EN ECOSSE. 439
ment derrière lui le galion Saint- Jacques du. capitdiinc Auvray,
noyau d'une division de galions que la régente réclamait
d'urgence. La traversée de retour fut épouvantable : tous
les jours, on jetait des cadavres par-dessus bord. Dans le
pas de Calais, on ne put naviguer que de nuit (1).
Les traînards se trouvèrent aux prises avec l'amiral
anglais du sud-ouest, William Howard, en croisière dans
le pas de Calais à la tête de dix-huit vaisseaux. Douze de
nos voiliers furent capturés à Douvres, sans que le vaisseau
d escorte, monté de cent combattants en sus de l'équipage,
piit faire autre chose que de fuir vers le Crotoy (2).
Pietro Strozzi, peu après, le 12 septembre, eut à se faire
jour à travers les lignes anglaises : de ses huit galères, l'une,
la iSerine, restait aux mains de l'ennemi (3) .
A peine de retour de l'expédition d'Ecosse, le vice-amiral
de La Meilleraye recevait l'ordre dese diriger en toute hâte
sur la Gironde, dont les marins du Croisic occupaient déjà
1 embouchure. Il s'agissait de barrer la route à deux ou
trois mille hommes de troupes qu'une flotte anglaise devait
jeter en Guyenne (4). Averti des événements qui se dérou-
laient dans le sud, La Meilleraye refusa de donner congé
aux équipages gascons du sieur de Rambures qui montaient
trois des galions royaux (5) .
Une émeute avait éclaté en mai dans la Saintonge : de
proche en proche, gagnant l'Angoumois, le Poitou, la
(J.) Lettre de Ija Meilleraye au duc d'Auniale. Brest, 16 septembre
(B. N., Glairambault ;3V4, fol. 226j.
(2) J. Lesley, p. 496.
(3) Correspondance politique d'Odet de Selve, p. 447, 461.
(4) Lettres de Henri II au gouverneur de Bretagne. 6 septembre (B. N.,
Franc. 20510, p. 18). Le roi avait déjà donné ordre d'armer en course
contre les Anglais tous les navires bretons. 10 août (B. N., Glairambault
825, fol. 103).
(5) Lettre de La Meilleraye. Brest, 16 septembre (B. N., Glairambault 344,
fol. 226). Les lettres royales qui lui mandaient daller bloquer les ports de
Guyenne étaient en date du 7 septembre (B. N., Glairambault 342, fol. ^^.
440 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Guyenne, elle dégénérait en révolution. Une fois de plus, la
gabelle en était cause. Sous la pression d'une jacquerie
formidable, Saintes, Angouléme capitulent; à la somma-
tion « du coronal de toute la commune de Guyenne, Pierre
Bonamy, » les paysans prenaient partout les armes au son
du tocsin (1). La citadelle de Blaye est cernée par eux : le
lieutenant du roi, Tristan de Moneins, est massacré dans
Bordeaux le 21 août 1548. Le cri national de « Vive
France " est étouffé par le cri révolutionnaire de « Vive
Guyenne. " C est le signal de la terreur : seize mille rebelles
campent aux alentours de la ville (;2). Et l'on devine, par
le précédent de Saint-Andrew, sur quelles sympathies
étrangères ils peuvent compter.
Mais le vice-amiral de La Meilleraye amène toute sa
flotte à La Rochelle et à 1 embouchure de la Gironde «pour
prendre tout ce qui en vouldroit sortir et entrer" (3j . Le
corps d armée du duc d Aumale arrive par le Poitou ; le
connétable de Montmorencv descend la Garonne depuis
Toulouse : la révolution est prise dans vine souricière. Les
Bordelais épouvantés cherchent à désarmer le connétable
en lui envoyant, " sur un bateau pavoisé à ses armes, les
clefs de leur ville » . Le terrible justicier rejette dédaigneu-
sement leurs offres et, le 19 octobre, entre en ordre de
bataille, dans Bordeaux (4j . On sait à quelle sanglante
série d'exécutions fut attaché dès lors le nom de patenôtres
(i) B. jN., Dupuy 775, fol. 20.
(2) BonoESivE, Histoire de Béarn et de Navarre (éà. 1873), p. 46. —
Archives historiques de la Gironde, t. X, p. 24-28. — Belleforkst, Chro-
nifjues et annales de France (éd. 1585), p. 445. — F. Décrue, Anne, duc
de Montmorency, p. 57.
(3j Lettre du vice-amiral de La Meilleraye. Thorignv, 24 septembre
(B. N., Clairambault 342, fol. 53). — Entre autres croiseurs, était la Bon-
nadventure d Ecosse, commandée par le Pérugin Giovanni Jaconne, fami-
lier de Baccio Martelli. La Rochelle, 14 novembre (G. Musset, Historiens
de La Rochelle, p. 23).
(4) F. Décrue, p. 63.
NAVIRE FRANÇAIS BATTANT PAVILLON AMIRAL (154^)
(B. N., Fianç. 25.374, fol. 28 \° ; Almaiiacli breton de Biouscoii. 1548.)
INTERVENTION EN ECOSSE. 441
de Monsieur le Connétable : " le grand rabroueur » égrena
les têtes humaines comme les grains d'un chapelet (1). La
paix régnait en Guyenne. Bordeaux, en guise de pénitence,
était condamnée à payer 200.000 livres d'amende, à fournir
de quoi fondre cinq cents canons, de quoi faire deux
bateaux de guerre (2).
Dès qu'il avait appris par La Meilleraye la requête de
Marie de Guise, Henri II avait donné ordre à Villegagnon
de reprendre la route de l'Ecosse (3). Douze cents Gascons,
aux ordres de Raymond de Pavie-Fourquevaulx et de Fies-
chi, s'embarquaient en même temps à Brest à destination
de Dumbarton (4). D'autres renforts suivirent, en mai 1549,
amenés par le nouveau lieutenant-général Paul de Termes
et par les capitaines Cerf et Gilbert Quentin, Beaumonl-
Brizay et Nègre-Pelisse; ce millier d'hommes escortait la
solde énorme que le roi de France envovait au corps d'oc-
cupation (5) .
Les deux régiments du Rhingrave et de La Chapelle-Bi-
ron avaient pour quartier- général Leith, pour postes
avancés l'île de Golm au fond du golfe du Forth et la ville
de Dundee sur la Tay (6). Par une brusque attaque, la
flotte anglaise tenta de nous déloger de notre quartier-
(1) Brantôme, t. III, p. 299.
(2) 26 octobre (B. N., Fontanicu 259, fol. 193.) —Archives nat.,K91,
n" 10').
(3) Lettre de Henri II à Montmorency, 19 septembre (Hetjlhard, Villc-
ga(jnon, p. 46). — Lettre de Villegagnon se plaignant de n'être pas payé.
Lislebourg, 2 février 1549 (B. N., Franc. 20457, p. 229).
(4) La vie de plusieurs grands capitaines français, recueillis par M. F. de
Pavie, baron de Forquevaclx. Paris, 1643, in-t», p. 334.
(5) 267,500 livres. Ce second convoi comprenait 100 chcvau-le'gcrs,
600 hommes de pied et 300 pionniers [R. N., Franc. 20510, fol. 23;
Franc. 18153, fol. 68). — Vie du maréchal Paul de La Barthe, sieur de
Termes : B. N., Moreau 770, fol. 50. — Paul de Termes avait été nommé
lieutenant-général en Ecosse le 15 mai 1549 (B. N., Franc. 3115, fol. 68).
(6) Le régiment du Rhingrave était de 1,500 Allemands et le régiment de
La Chapelle de 3,000 aventuriers français (B. N., Franc. 18153, fol. 68).
.i42 HISTOIRE DK LA MARIINE FRAN(;AISE.
général, qui couvrait Edimbourg. Mais les six flouins d avaiil-
gardc, chargés d'ouvrir le bombardement, avaient leurs
canons trop au ras de l'eau et leur mire trop basse pour
atteindre la ville. Une batterie de trois pièces, qu'auraient
soutenue au besoin quatre galères et une soixantaine de
bateaux-pécheurs armés en guerre, eut tôt fait de repousser
l'agression. Les Anglais se résignèrent à un blocus.
En face de Leith, se trouvait un îlot escarpé, Inch-Keith,
que nos gens appelaient l'Ile-aux-Chevaux à cause de ses
gras pâturages. En moins de quinze jours, l'ennemi assit
sur la cime de 1 ile un fort, que des précipices environnaient
de trois cotés et qui commandait les rares descentes pos-
sibles. Une forte garnison y fut laissée, et la flotte anglaise
se retira près de Berwick.
Avant de passer le commandement à Paul de Termes,
Montalembert voulut se couvrir de gloire. Le colonel de La
Chapelle de Biron, chargé de reconnaître l'île, partit sur la
galère de Villegagnon et s'approcha à portée d'arquebuse :
comme le tirant d'eau de la galère l'empêchait de serrer la
côte de plus près, il descendit sur la frégate qui servait de
vedette, et nota noa seulement les abords du fort, mais
encore la force de la garnison.
Tandis que les galères, commandées par Villegagnon et
par le clicvalier Michel de Seurc, successeur du capitaine
Baccio Martelli (I) dans le commandement de l'escadrille,
décrivaient un grand circuit pour se porter sur les der-
rières de l'ennemi, des bateaux chargés de troupes sor-
taient de Leith et gouvernaient droit sur l'île. Les compa-
gnies françaises, énergiquement enlevées par Montalembert
d'Essé, s'emparèrent du rivage que balayait le feu des
galères et refoulèrent pied à pied la garnison vers la cime
du mont. Le capitaine anglais, nommé Gotton, fut tué; ses
(1) Marlclli avait quitti' 1 l^^cos.'ic en avril. Lettre de Marie de Lorraine,
30 mars (B. N., Frani;. 20457, p. 167).
INTERVENTION EN ECOSSE. 443
j',ens, pris de panique, lâchèrent pied et se réfugièrent sur
une pointe, où ils se laissèrent prendre comme des mou-
tons. Ils étaient cependant huit cents, dont sept enseignes,
avec dix-huit grosses pièces, et nos gens sept cents à peine,
(^utre l'artillerie et les munitions, Montalembert d'Essé
conquérait une grande hourque chargée de malvoisie, de
matelas et de draps de toutes sortes, qui venait ravitailler
le fort. Aussitôt après cet exploit, en juillet, Montalembert
s'embarquait pour la France, laissant le commandement
des troupes françaises à Paul de Termes (1).
II
LA RUPTURE AVEC L'ANGLETERRE
Les Anglais devenaient de plus en plus agressifs. Dans
Ihiver de 1549, leur Hotte avait croisé aux abords du golfe
du Morbihan, pour couper lune de l'autre les deux divi-
sions royales, les grosses nefs, à Brest, les galères de Pietro
Strozzi, à Nantes, qui s'apprêtaient pour l'Ecosse (2) : elle
avait brûlé Locmariaker, saccagé les îlots de Houat et
Hacdic, enlevé, après un combat de deux jours, un vais-
seau de Pouldavid et poursuivi une flottille, qui avait pu
se ranger sous l'abri des canons de Belle-Isle (3). En mai,
elle revenait dans la Manche, oii dix-huit de ses vais-
seaux (4) opéraient une concentration menaçante du côté
( l) Jean dk Bkatjgué, Histoire de la querre d'Ecosse, publiée avec un
avant-propos par le comte de Montalembert. Bordeaux, 186-V, in-i2, p. lit,
125, 127, 142, 178, 185, 236, 245, 269, 274.
^2) Lettre de Pietro Strozzi. Nantes, 28 mars 1549 (B. N., Franc. 20537,
loi. 78). — GosSELis, Docianents pour servir à i histoire de la marine iior-
iininde, p. 55.
(3) Lettre d'André de Sourdeval au duc d'Étampes. 21 février (Dom
MoRicK, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire de Bretagne, t. III,
col. 1061).
(4) Liste de la flotte anglaise au 22 mai 1549 : onze autres bâtiments de
/t44 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
du Cotcntin (1). Des fortifications, jetées dans Tîle d'Au-
rigny, lui constituèrent une base d'opérations excellente
pour « guetter le pas " .
Tout faisait présager une rupture, quand une vague
ambassade britannique, en juin, vint nous proposer d'apla-
nir, par une «amvable composition, tous différends. » Quel
«venin caché" v a-t-il là, se disait avec inquiétude Henri II.
Et de fait, il l'avait deviné, la proposition anglaise n'était
qu'un bluff. Sachant combien l'empereur a s'ébattait " à
cette guerre d'Ecosse et qu il était résolu à entraver de
tout son pouvoir un accord entre les deux rivaux, le secré-
taire dEtat William Paget était allé lui poser comme un
ultimatum de nous déclarer la guerre; sinon, l'accord
redouté par lui serait chose faite. Si jamais diplomate eut
à mettre en jeu toutes les ressources de son art, ce fut
notre ambassadeur à Bruxelles, Marillac. Henri II vivait de
mortelles heures d'angoisse, dans la crainte d'une inter-
vention impériale, lorsqu'une dépêche de Marillac, en date
du 2 août, vint enfin le rassurer : Charles-Quint restait
neutre. Le bluff britannique avait échoué; et, le 8 août,
nous prenions les devants sur notre ennemi en lui décla-
rant la guerre (2) .
Toutes les mesures étaient arrêtées dans cette éventua-
lité. Le Cotentin, où l'on redoutait que se prononçât l'at-
taque, était en état de défense, les postes de la côte avaient
reçu des renforts. On construisait en toute hâte à la Fosse
d'Omonville, vis-à-vis d'Aurignv. un fort d'arrêt. Les
guerre croisaient dans la mer du Nord (Archacolocjia, t. VI, p. 218. —
OppEîiUEiM, Historj ofthe administration of the Royal JSavy (1509-1660).
London, 1896, in-8", 1. I, p. 100).
(1) Lettre du lieutenant de Granville, 27 juin (Dom Morice, Ibidem,
t. III, col. 1075).
(2) Cf. la correspondance de Marillac avec le roi et le connétable, de
février à septembre 1549 (B. N., Franc. 3098 et 3099 : Pierre de VaissiÈhe,
Charles de Marillac, p. 121).
INTERVENTION EN ECOSSE. 445
quatre galères de Pierre Bon avaient été envoyées en re-
connaissance du côté de l'île suspecte, que le roi croyait
(i voisine de La Hogue (1) " et que ses courtisans pensaient
proche de Gaen (2). L'amiral d'Annebault se tenait en per-
manence à La Hougue, prêt à repousser une agression
soudaine venue de l'île a attendu qu'il y a si peu de des-
troit à passer (3). » Et le capitaine de marine François Le
Clerc élevait une tour de défense dans l'île Talihou (4).
Dans une lettre touchante, Henri II avait supplié Vil-
legagnon de lui ramener intacte son escadre de quatre
galères, dont la France avait un impérieux besoin (5). Vil-
legagnon et Montalembert d'Essé, sans perdre un moment,
quittèrent Leith : enveloppés par la flotte anglaise de beau-
coup supérieure en nombre, ils couraient le plus grand
danger, lorsque le feu prit aux poudres d'une des roberges
ennemies, qui sauta. Ils proHlèrent du désarroi pour s'es-
quiver (6) et, après neuf jours de traversée, ils gagnaient
Dieppe (7j. Le 21 juillet 1549, Villegagnon ralliait au
Havre une flotte en formation sous le commandement de
Leone Strozzi, général des galères. Aux dix galères et aux
huit navires légers de la flotte, l'annexion d'un transport
chargé d'outils, de hottes, de briques et de munitions lais-
sait assez deviner le but de la croisière (8) .
(1) Instructions de Henri II au sieur Contay. 7-9 juillet (B. N., Clai-
rambault 342, fol. 151, 153).
(2) Lettre de Villars à Du Bouchage. 22 juin (B. N., Clairambault 340,
fol. 205).
(3) Instructions de Henri II citées.
(4) François Desrues, apud Société des aiitir/. de Noi-maiiclie, t. XXXII
(1895), p. 24.
(5) Lettre de Henri II à Villegagnon. 23 juin (Collection Belcarres à
Edimbourg : lettre publiée par Francisque Michel, Les Ecossais en France
et les Français en Ecosse, t. I, p. 459, note 3).
(6) Jean Du Tillet, Chronicjue des Boys de France (1551), fol. 127.
(7) BoucHET, Annales d'Aquitaine, année 1549 : A. Heulhard, Villega-
gnon, 7'oi d'Amérique, p. 46.
(8) Dix galères de Montagu, Villegagnon, Pierre Bon, Seure, Carcès,
'(46 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
L'expédition se dirigeait, à travers l'archipel anglo-nor-
mand, vers une roche « terriblement haulte et d'horrible
regard" (I), « l'ilc des forbans, des larrons, des brigands,
des meurtriers et assassineurs, tous extraits du propre ori-
ginal des basses fosses de la Conciergerie (2) d , C'est de
cette étrange façon que Rabelais stigmatise l'île de Sercq.
Les abords en étaient si difficiles qu'un de nos galions, la
Fécampoise, chargé de munitions et d'artillerie pour forti-
fier la place, y avait fait naufrage f3). Fâcheuse aventure,
que le capitaine de la Fécatupoise, François le Clerc (4), dit
Jambe de Bois, mit à profit, pviisqu'il devint le guide du
général des galères.
Le 27 juillet, quatre cents hommes débarquaient à Sercq,
sous le commandement du capitaine breton François Du
Breil (5) ; ils transformèrent Tile en une véritable forte-
resse, en hérissant de fortins les rares échancrures de la
cote : la rade de rÉperqucric. l'entrée de la Coupée et le
promontoire qui domine la baie de Dixcart. Dans une anse
qui doit son nom à des sécheries de poissons, le blockhaus
de l'Eperquerie servait de réduit central : entouré de
fossés profonds, il communiquait avec le havre par un
Marsay, La Gripièrc, Baccio Martclli, navires de François Le Clerc, Gillet
Anger, Simon Guillou, llogcr Cuqucnielle, Robert Le Conte, Guillaume
Hérault, Thomas Martin, tlouins xlieppois des sieurs de Raffauville et Har-
naville. Le Havre, 21 juillet 1549 (B. JN., Franc. 3118, fol. 11, 15, 26)
— La galère du j)rieur de Capoue dans le Ponant était une quadrirèmc.
Quittance de Leone Slrozzi, 15 février 1549 (B. N., Pièce orig. 2730, doss.
Strozzi, p. 6).
(1) Lettre de Cornil Scepperus. 1553 (Bullcliii de i Académie de Bruxelles,
t. XL, p. ^5Z, note).
(2) Rabelais, Pantagruel, 1. III, 24 : cf. Abel Lefraxc, Les navigations
de Pantagruel. Paris, 1905, in-8", p. 163.
(3) Jean du Tili.et, La chronique des lioys de France (éd. 1551),
fol. 125 V".
(4) B. ^., Franc. 18153, fol. 34.
(5) « Estât des vivres et artilleries livrés en l'isle de Sercq. « Sercq,
27 juillet (B. N., Franc. 3J18, fol. 11, 26).— Le comte de Palys, Le capi-
taine Breil de Bretagne (1503-1583). Rennes. 1887, in-8".
INTERVENTION EN ECOSSE. 447
large chemin couvert 1 j. Dix canons de galères formaient
Tartillerie de la place (2 .
L'escadre du capitaine Wvntcr, inférieure à la nôtre,
puisqu'elle n'était montée que de deux mille hommes, ne
fit aucune tentative pour nous entraver (3). Bien mieux,
elle se laissa surprendre, le 31 juillet, à l'aube, par le
prieur de Gapoue. Elle était alors dans le port Saint-Pierre
à Guernesey : les officiers pour la plupart dormaient à
terre et les vaisseaux en rade, quand le canon commença à
tonner. Sous nos bordées répétées, les bâtiments éventrés
sombraient; le vaisseau amiral, la Mignonne, allait suc-
comber à son tour; et des Anglais, il ne fut pas échappé un
seul homme, si le château ne les avait protégés de son feu.
Nos gens, décimés à leur tour, durent se replier; une
galère coulant bas, mais soutenue par deux compagnes,
parvint à se traîner jusqu à Sercq (4). Une autre emporta
en toute hâte les blessés à Rouen (5).
Leone Strozzi pénétra ensuite dans la baie de Boulay, à
Jersev : une compagnie de débarquement marcha sur le
village de Trinité, où elle brûla la maison du justicier juré.
Après une relâche de quelques jours à Saint-Malo, le prieur
de Gapoue passait, le 8 août, à Sercq, v laissait une frégate
et deux cents hommes de renfort aux ordres du frère cadet
de Breil (6), et se dirigeait vers le pas de Calais.
(1) Dupont, Histoire dit Coleutin et de ses îles, t. III, p. 302.
(2) Chaque galùrc avait débarqué un canon, une bâtarde ou une coule-
vrine (B. N., Fram;. 3118, fol. 11, 26).
(3) Ledyard, Histoire navale d'Angleterre, t. I, p. 343.
(4) Lettres de Scepperus, 27 septembre 1553; à Strozzi, cette lettre joint
à tort l'aniiial d'Annebault et le baron de La Garde (Bulletin de V Académie
de Belgique, t. XL (1875), p. 854, note).
(5) Jean Dr Tilf.et, La chronique des Bojs de France, fol. 128. — Chro-
nique des îles, p. 68. — Dupont. Histoire du Cotentin, t. III. [>. 300. —
Thomae Cormerii, Alenconii, Reruin gestarum Henrici H, régis Galliae,
libri quinque. Parisiis, 1584, in-fol., fol. 42 v°.
(6) 8 aoiit 1549 (B. 1S\, Franc. 20510, fol. 31).
448 HISTOIRE DE LA MARIÎNE FRANÇAISE.
III
LE SIÈGE DE BOULOGNE
Henri II avait entrepris d'arracher Boulogne à l'Angle-
terre. Le 17 août 1549, lors de son arrivée au camp, à
Montreuil, un héraut impérial vint lui interdire de toucher
à Calais — possession anglaise d'ancienne date, — sous
peine d'être traité comme un u jeune homme » : et moi,
j'accommoderai votre maitre « en vieux resveur " , riposta
Henri II (1). On conçoit, dans ces conditions, quelle fut
l'anxiété de la population de Middelbourg, en Zélande,
quand apparurent onze galères de Leone Strozzi : l'escadre
y avait été poussée par un coup de vent ; mais ce qui n'était
qu'un accident, parut une réponse à linsolent procédé de
l'empereur (2). Au retour, et comme par bravade, Strozzi
enleva, en vue même de Calais, plusieurs bâtiments bri-
tanniques chargés de soldats flamands, de vivres et de
munitions (3).
Du côté de terre, pour isoler Boulogne de Calais, l'armée
du roi, du connétable Anne de Montmorencv et du duc
François de Guise attaquait et enlevait du 22 au 26 août
les lignes de la Slack, Marquise, le fort Slack à l'embou-
chure de la rivière et le port d'Ambleteuse. En dépit de ses
quatre bastions et d'une garnison de six compagnies,
(1) ViEiLLEviLLE, p. 98. — F. Decrue, Àuiie, duc de Montmorency,
p. 83.
(2) Dépêche de Marillac au connétable. Bruxelles, 5 septembre (B. N.,
Cinq-Cents Colbert 288, fol. 262).
(3) Jean Dd Tillet, La Chronùjue des Roys de France (1551), fol. 124 v".
— Dès le mois de juin, des corsaires commandés par Compiègne étaient
sortis en croisière. Lettre de Compiègne à Montmorency de La Roche-
pot. Dieppe, 17 juin (Catalogue de livres et autographes, n" 107, librairie
Dumont. Paris, juin 1900, n" 2788).
INTERVENTION EN ECOSSE. 449
Ambleteuse s'était rendue dès les premières volées de
canon ; le fort Blackness, moins près du cap Blanc-Nez,
malgré son nom, que du cap Gris-Nez, capitulait de même;
il fut occupé par Jean de Sénarpont, tandis que le com-
mandement d'Ambleteuse était remis à Gaspard deColigny-
Châtillon (1).
Ces précautions prises dans le nord, l'armée du conné-
table entama le siège de Boulogne, en ouvrant des tran-
chées au sud, sur la rive gauche de la Liane. Ses lignes
s'étendaient depuis le fort d'Outreau, en face de la ville,
jusqu'au fort de Châtillon, que Vicilleville et Goligny-Ghâ-
tillon construisirent pour battre l'entrée du port et tirer
sur la tour d'Ordre. On peut s'en rendre compte par a il
vero ritratto di Bologna,al présente assediato dal Ghristia-
nissimo re di Francia " , belle gravure d'Henricus Van
Scholl (2).
Mais les assiégés n'étaient point pris au dépourvu. Sous
l'active impulsion du vice-amiral Clinton, ils avaient
complété la défense par deux ouvrages nouveaux : un fortin
de briques, appelé le Paradis ou le Jeune Homme, par
opposition au Vieil Homme de la tour d'Ordre qu'il reliait
à la citadelle, couvrait au nord-ouest le port et la ville
basse. Une muraille de cent pieds de long, haute de vingt-
six, garnie de casemates et de batteries avec une garnison
de cent hommes, s'avançait en pointe à l'entrée du chenal,
afin d'abriter les vaisseaux anglais contre les feux de notre
fort de Châtillon (3). Cette dunette, en blocs massifs arra-
(1) Lettre du duc de Guise. Du camp près d' Ambleteuse, 28 août (Bul-
letin du comité des travaux historiques (1891), p. 35). — Décrue,
p. 84. — Lettre du 30 août (B. N., Clairambault 343). — Ribier,
t. II, p. 241.
(2) Reproduite dans le magnifique Album historique du Boulonnais, de
M. A. DE RosNY. Paris, 1893, in-fol. long. — Cf. également Correspon-
dance politique d'Odet de Selve, p. 237, note.
(3) Ainsi Henri II lui-même avait fait braquer le canon sur trois vais-
seaux anglais, chai'gés de vivres et de munitions, qui tentaient de ravitailler
III. 29
450 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
chés à la colline que surplombait la tour d'Ordre, semblait
ù l'épreuve du canon. Le plan d'attaque comportait pour-
tant sa destruction au moyen d'une batterie de six pièces,
tandis qu'on essaierait de couler dans le chenal, pour
(i l'estoupper 1) , de vieux vaisseaux remplis de pierres (1).
Simultanément, on donnerait l'assaut aux deux positions
qui dominaient le port et servaient de « bouclier à la
Haulte-Boulloigne II , à la tour d'Ordre et au Paradis (2).
Mais le Vieil Homme était un redoutable adversaire, qui
usa les efforts du jeune roi. Au bout de trois semaines,
Henri H leva le camp; et le siège se transforma en un
blocus (3), que dirigèrent le lieutenant général Gaspard de
Coligny et le capitaine Nicolas de Villegagnon, nommé
surintendant des galères et autres vaisseaux en la côte de
Boulonnais. Les galions des capitaines Saint-Sauveur et
La Roche, pourvus d'artihciers pour incendier au besoin
les transports anglais, se tinrent en observation à Amble-
teuse (4) ; deux galères remplirent le même office dans le
sud, à Etaples (5) .
Au lieu de bloquer à distance le port de Boulogne, une
mesure radicale eût été de l'obstruer, comme on y avait
la tour d'Ordre (Jean Bouciiet, Annales d'Ar/uituine, éd. 1644, p. 590).
(i) Lettre du duc de Guise du 28 août citée. — Jean Du Tilleï,
fol. 124 v°.
(2) " L'advis de la qualité de ceux qui sont dedans Boullongne » (B. N.,
Franc. 3127, fol. 42).
(3) «Double d'une lettre missive envoyée par le seigneur Nicolas Nicolaï,
géographe du roy, à Mgr du Buys, vice-baillif de Vienne, contenant le Dis-
cours de la guerre faicte par le Roj nostre Sire, Henry deuxiesme de ce
nom, pour le recouvrement dit pays de Boulon gnoys, en l'an mil cinq cens
quarante neuf. Lyon, 1550, in-4'' ».
(4) Selon marché passé en octobre par Villegagnon, chaque galion devait
avoir 30 u tant mariniers que ofliciers et gens d'artiftice, pour la conduicte
et dcffense d'iceulx, oultre le nombre de gens de guerre qu'il plaira y mettre
de renfort. " Mandat de paiement de Coligny et certificat de Villegagnon.
Ambletcuse, 8 novembre et 22 décembre 1549 (B. N., Franc. 27297,
Pièces orig. 813, doss. Coligny, pièce 42 : Collection A. de Rosny, à Bou-
logne). — Ces galions tirent des prises (B. N., Franc. 18153, fol. 148).
(5) Lettre de Coligny. 22 janvier 1550 (B. N., Franc. 6616, fol. 144).
INTERVENTION EN ECOSSE. 451
songé dès le début et comme Villegagnon y songeait tou-
jours, à telle enseigne qu'il apprêtait de vieilles galères
remplies de maçonnerie. De Dieppe, le lieutenant d'Ango
lui envoya trois bateaux; François de Montmorency de La
Rochepot prêta son aide; à l'estime du surintendant, il
suffisait, pour aboutir, d'être maître de la mer l'espace
d'une marée (1). Mais décembre, janvier s'écoulèrent, sans
que Villegagnon pût mener à bien une entreprise que son
collègue, Coligny, jugeait impraticable (2).
Gaspard de Coligny avait de son côté pour objectif de
ruiner la Dunette. Cet îlot fortifié était encore intact à la
date du 26 janvier 1550, ainsi qu'en témoigne un curieux
dessin achevé ce jour-là (3). Mais sous le feu violent de
l'artillerie du fort Châtillon, la Dunette ne tarda point à
tomber en ruines (4) .
L'investissement complet de Boulogne était imminent,
les marchés pour le ravitaillement de l'armée de siège
étaient déjà passés (5), quand des pourparlers s'engagèrent
avec les Anglais. Pour ravoir Boulogne, on ne se battit
pas, on traita en février, on paya en mars (6) : le rachat
de la ville fut de 400.000 livres, moitié de ce qu'il aurait
coûté aux termes des conventions de 1546. L'Ecosse, com-
prise dans le traité, respirait enfin; six galères, aux ordres
du prieur de Capoue, allèrent quérir notre vaillante alliée;
la régente, accompagnée du lieutenant-général Paul de
Termes, débarquait à Dieppe le 19 septembre 1550. Sous
couleur d'un voyage d'agrément pour revoir sa fille, Marie
(i) Mémoire de Villegagnon au duc d'Auuiale envoyé en Boulonnais.
Sainl-Gerniain-en-Laye, 2 décembre 1549 (B. N., Franc. 20577, fol. 33).
(2) Lettre de Coligny citée, du 22 janvier.
(3) Et publié dans le niagnitique Album histori(]ue du Boulonnais, de
M. A. DE ROSNY, pi. XVU.
(4) D'Hautefeuille et BÉnard, Histoire de Boulogne, t. I, p. 266.
(5) 27 janvier 1550 (B. N., Franc. 18153, fol. 142).
(61 24 mars (Boucuet, Annales d'Aquitaine, p. 592. — Hecluard, Fi7-
lecja())ion, p. 50).
452 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
de Guise venait demander à Henri II les moyens de main-
tenir en Ecosse la suprématie de la politique française (1).
(1) Francisque Michel, Les Ecossais en France, t. I, p. 471. — Dix
compagnies françaises et gasconnes, aux oi'dres du colonel de La Chapelle-
Biron, restèrent tenir garnison en Ecosse. Octobre-décembre 1550 (B. N.,
Franc. 4552, fol. 50).
HENRI II
PRÉCURSEUR DE GOLBERT
La marine de guerre dont avait hérité Henri II était
dans un état lamentable. Le matériel valait peu, le moral
moins encore. Tristes fruits des scandaleux exemples
donnés par trois officiers à la solde du Portugal et de
l'Angleterre, par 1 amiral Chabot, le vice-amiral Lartigue
et le capitaine Auxilia, la concussion était partout, les dis-
sensions incessantes; à Fanarchie, aucun frein; au dé-
sordre, aucun contrôle. Il y avait des contrôleurs de la
marine : et " les voleries des ministres " parvenaient à
réduire de moitié l'armée levée pour l'invasion de l'Angle-
terre (1). Les commandants de l'expédition d'Ecosse, Mont-
gommery et Chàteau-Ghalon, se querellaient en présence
de nos alliés; et, en face de l'ennemi, le général des galères
jetait son gant à la figure d'un de ses officiers. La paix
venue, une soixantaine de nos meilleurs marins, le capi-
taine Jean Ribaut, l'hydrographe Rose, les cosmographes
Sécalart et Nicolav prirent du service en Angleterre. Il
fallut user de subterfuge pour les rapatrier (2).
(1) Relations des ambassadeurs vénitiens (Coll. des doc. inédits), t. I,
p. 337.
(2) Sécalart, stylé par Odet de Sclve, notre audjassadeur, ramassa à
Southainpton tous ses compatriotes pour les rapatrier. Et Ribaut s'évada
454 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Do cl(''ploral)les aventures avaient dissipé la belle escadre
des vaisseaux du capitaine Claude dans le simple passage
de Marseille au Havre, parce que le commandement avait
été donné à la faveur et non au talent. Quant aux };alères,
François I", avec sa prodigalité habituelle, avait fait cadeau
de deux des plus neuves au duc de Savoie, oubliant qu'elles
n'étaient point à lui, mais à un de ses capitaines fl) ; et il
avait cassé aux gages les galères du Ponant (2).
Au lendemain des formidables armements dirigés contre
l'Angleterre, nos côtes du Ponant étaient à la merci de
l'ennemi. Chargé en 154() d'inspecter la défense du littoral
breton, le grand architecte Philibert de Lorme constata
partout, à Saint-Malo, à Concarneau, à Nantes, la négli-
gence et le " maulvais ménaige " des capitaines. A Hresl,
Chàteau-Chalon La Chatière avait enlevé Tartillcrie du
château dont il avait la garde, pour en garnir ses propres
navires, armés en course. Par une prise, rcnncmi apprit
le déplorable état de la place, devant laquelle parurent
bientôt soixante bâtiments anglais. Sans les précautions
du vaillant ingénieur, l'artillerie traînée aux remparts, la
fausse artillerie exposée en montre, la population de Brest
assemblée au tocsin, notre grand port de guerre était
emporté ÇA).
c]c Londres avec sept ou liuit inarijis, sous prétexte trallcr enlever à Dieppe
un de ses fils séquestré par Ango. 1547 (^Correspondance d'Odct de Selve,
éd. Germain Lefèvre-Pontalis (1889), p. 42, 84, 117, 243).
(1) Henri II dut rembourser de ce clief 7J,700 livres au capitaine Cabas-
soles (B. N., Franc. 11969, fol. 369).
(2) En conséquence, l'architecte Philil)ert de ]>oruie et le président du
parlement de Rouen mirent en liberté 540 forçats (cf. la note suivante).
(3) Instruction de M. d'Ivrv, dit de Lorme, publiée par Berty, Les grands
architectes français de la Renaissance. Paris, 1860, in-8", p. 51.
HENRI II PRECURSEUR DE COLBERT. 453
I
UNE FLOTTE MODÈLE
Henri II n'eut rien de rinsouciance et de l'inconstance
paternelles. Et, povir la marine, ce fut le précurseur de
Golhcrt. Dès le début de son rcj^ne, il avait arrêté un vaste
plan de constructions navales, dont il poursuivit l'exécu-
tion, à travers les vicissitudes de la guerre, avec un esprit
de suite admirable et une comprébension de notre rôle
maritime que n'avait eue aucun Valois. » Considéré que
l'une des principallcs choses dignes de nostre grandeur,
disait-il, c'est d'estre fort et grossement équippé par la
mer, nous avons advisé de faire fère ung bon nombre de
vaisseaulx ronds en la mer de Ponant et quarante gallères
en celle de Levant, oultre ce cpie nous avoit laissé feu
nostre seigneur et père (1). " On mit donc d'un seul coup
en chantier, à Marseille et Toulon, vingt-six galères (2),
escadre homogène et d'une mobilité d'effectifs telle qu'elle
pût porter indifféremment tout son effort dans la Manche
ou dans la Méditerranée. Les instructions royales conte-
naient en effet ceci :
(i Le Roy ayant dellibéré et résollii d'entretenir armée de
gallaires, non seulement pour deffendre ses lieux et places
maritimes, mais aussi pour offendre oii et ainsi que l'oc-
casion se pourroit offrir et présenter, aura tant en Ponant
que en Levant, es portz de Nantes et Marseille, jusques au
nombre de quarante gallères... Et auront tousjours les cap-
(1) Lettres patentes datées de Fontainebleau, 13 septembre 15V7 (B. N.,
Franc. 25724, pièce 11).
(2) 2 juin 1547 (Bibliotbèque du dépôt des cartes et plans de la marine,
87", t. I, p. 27). — - Compte des trésoriers de la marine (B. N., Franc.
17329, fol. 194).
45<> HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
pilaincs les corps et ëquippaiges de leurs gallaires désar-
mées, prestz et fourniz toutes et quantes foiz que ledit sei-
gneur s en vouldra servir, soit en Levant ou en Ponant,
sans user d'autre délay que le temps pour conduire la
cheurme d une mer en l'autre, quarentejours au plus (1). »
Si le budget ordinaire de la marine, réglé par ordon-
nance royale, ne comportait pas un nombre plus grand de
galères, soit trente en Levant et dix en Ponant [2), 1 une et
l'autre escadres disposaient d une division de réserve. Dans
un cas d'urgence, quarante-deux galères ou galiotes s'ali-
gnèrent eu rade de Marseille fSj, cependant que vingt
autres croisaient dans le Ponant; la revue passée par
1 argousin royal en fait foi (4) . Disséminées partout, à
Bayonne (5), Rouen, Edimbourg, celles-ci avaient comme
arsenal un simple hangar, construit dans la cour du Vieux-
Palais à Rouen. Leone Strozzi, en les ramenant au chiffre
réglementaire de dix galères, eût bien voulu renforcer du
surplus la flotte méditerranéenne, qu un projet audacieux
portait à soixante galères, dont cinquante eussent été
entretenues à effectifs réduits (6) ; mais le roi refusa de
donner autre chose que les chiourmes des bâtiments dé-
sarmés (7).
(i) Début d'une ordonnance de Henri II u sur le faict des gallères «
(B. ]\., Franc. i9065, fol. 137).
(2) « Ordonnance faite par le roi sur le fait des gallères, tant de la nier
de Levant que de Ponant, n Dijon, 12 juillet 1548. Elle affectait 30 galères,
1 galiote, 1 fuste et 2 frégates au Levant, 10 galères et 1 frégate au Ponant
(B. N., Franc. 18153, fol. 38 v°).
^^3} Suivant les instructions de Henri II à Strozzi, 28 juillet 1548 ^B. N.,
Franc. 3050, fol. 108 .
(4) Certificat de largousin Jean de La Motte dénombrant les galères étant
pour le service du roi en Ponant, en Bretagne, Normandie et Ecosse, 27 oc-
tobre 1548 ,B. X., Franc. 26132, pièce 211).
(5) 1548 (B. A., Franc. 26132, p. 265\
(6) Stolouovne [B. ]X., Franc. 2133, fol. 38 v°).
(7) Réponse de Henri II au mémoire de Strozzi. Saint-Germain-en-Laye,
6 janvier 1549 ,B. A'., Franc. 18153. fol. 52).
HEMU II PRECURSEUR DE COLBERT. 457
C'est que Henri II, imbu de lidée de « se mettre sur
mer aussi fort pour le moins que ses ennemys fl) " , voulait
être en mesure de faire face aux cinquante bâtiments de
guerre de la marine britannique (2). En quoi il réussit
pleinement. Aux grosses nefs Maîtresse. Cardinale, Ché-
riffe, Fécampoise, aux galions Saint-Jean, Saint-Jacques
et Saint-André que lui laissait son père 3;, il ajouta cinq
grands vaisseaux neufs, sortis en mars 1549 des chantiers
normands de Bcaurepos et de Tancarville. Leur construc-
teur, Jean de Glamorgan, conduisit à Brest l'Hermine, le
Henry-le-Grand, le Normand et la Négresse pour former,
avec la Maîtresse et la Cardinale, une division homogène
de grands vaisseaux i . Aux galions restés en Norman-
die (5), s'adjoignit une escadre de croiseurs, dont le roi
annonçait en ces termes la création : « J'espère pourveoir
à la construction et équipaige dune vingtaine de roherges,
oultre les aultres vaisseaux de guerre que j'ay desjà (6). d
Ces bâtiments, mis dans leurs bers à l'automne de 1549,
devaient être livrés au printemps de Tannée suivante. Des
marchands de Dieppe, Gabriel de Bures, gendre d'Ango,
(1^ Lettre de Henri II au roi de 2Savarre, 25 octobre 1549 (Champollion-
FiCKAT, Mélanges hiatoriqucs. dans la Collection des documents inédits,
t. III, p. 600).
(2) Liste de la flotte rovale d'Angleterre au 5 janvier 1548 : 32 vaisseaux
jaugeant ensemble 10,600 tonnes^ 1 galère, 13 row-barges, 4 barques (Ar-
chœologia, t. VI, p. 218. — Oppenheim, Hixtoiy of the Administration of
the Royal Navy. London, 1896, t. I, p. 100).
(3) Liste de cette escadre au 6 mars 1547 (B. N., Franc. 18153, fol. 34).
^4) GosSELix, Documents inédits pour servir à l'histoire de la marine
nonnande, p. 55. — Jean De Tillet, La Chronique des Boys de France,
appendice.
1^5) Henri II entretint douze garde-cotes en Normandie, dont le Saint-
Jean, capitaine Jean de Glamorgan, premier capitaine en la marine de
Ponant. l'Aventureux, capitaine Guyon dEstimauville, le Claude, capi-
taine François Le Clerc, l'Esj)érance, capitaine La Chapelle, le Sacre,
capitaine Bassefontaine, le Sacret, capitaine L'aisné La Roche, le Chériffe,
capitaine Charles Jauldin de Caumont Guillaume de Marceh.les, Mémoires
de la fondation de la Ville Françoise, p. 27).
(6) Lettre au roi de Navarre, citée, 25 octobre 1549.
458 HISTOIIIE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Jean Rose, riiydrographe, et Jean de Montpeley, avaient
passé marché pour quatre roberges ; Biaise Fructier du
Croissant, pour autant; Marin de Marcille et le capitaine
François Le Clerc (l) en avaient soumissionné deux autres.
Brest, Saint-Malo (:2), Rouen, Bordeaux eurent chacune
leur roberge, qui de gré, qui de force; en guise d amende
pour leur rébellion, les Bordelais eurent à couvrir le prix de
revient du Croissant (3). Le général des galères ('i),ramiral
de Guyenne (5), de grands seigneurs, comme Albert de
Gondi (6), tinrent à honneur d'avoir leur rol)erge. Bref, au
terme fixé d'avance, le programme royal se trouva réalisé.
Quel que fût leur tojinage, variant entre 80 et 300 ton-
neaux eu morte-charge, quel que fut l'adjudicataire, les
nouveaux bâtiments étaient sur un modèle unique et tel
que les constructeurs déroutés ne savaient à quel tvpe de
navire le comparer. Si les roberges de Fructier nageaient
« en forme de galère » , si Arnaud de Cascmajor n'avait
qu à rehausser les bordages d'une galère pour en faire une
fort belle roberge (7), à Dieppe, on qualifiait les roberges
de galions (8), et, à Bordeaux, de frégates (9).
(1) Les roberjjcs de 80 tonneaux et 25 avirons revenaient à 3,500 livres
pièce; celles de 120 tonneaux à 4,000 livres; la galéasse promise par Jean
Rose, de 200 tonneaux et 70 pieds de long, coûtait au roi 9,000 livres; les
roberges de Fructier, de 100, 150, 200 et 300 tonneaux, étaient livrables à
la fin de février 1550 pour 18,000 livres. Marchés passés au nom du roi par
Jean de La Chesnaye et ratifiés les 16 octobre, 20 et 26 décembre 154-'.),
8 janvier 1550 (B. N., Franc. 18153, fol. 106, 136).
(2)1551 (TiiEVKT, Cosmofjraplnc (1575\ p. 598 v°, 665).
• (3)Arch. nat., K91, n» 10'.
(4) B. N., Franc. 3118, fol. 11, 26.
(5) Lettre d'Antoine de Bourbon au duc de Guise, 11 juillet 1553 [Mc-
moires-Joui-naux du duc de Guise, dans la Collection Michaud et T'oujou-
lat, 1^<^ série, t. VI, p. 200).
(6) Lettre d'Albert de Gondi au roi (H. IN., Cinq-cents Colbcrt 7,
fol. 353).
(7) Au Havre (Guillaume de Marckillks, Mémoires de lu foiidulioii. de la
Ville Françoise, p. 28).
(8) B. N., Franc. 18153, fol. 136 v».
(9) Arch. nat,, K91, n" 10'.
HENRI II PRKCURSEUR DE COLIîERT. 459
Qu'était donc ce navire-protée, et pourquoi sa réputa-
tion? Ce bâtiment exotique, qui avait montre à la bataille
de Wight Téclatante supériorité de son tir, était la row-
barge anglaise. Un de nos commissaires d'artillerie en
appréciait ainsi les qualités : » La pluspart des robergies
d'Angleterre ont deux bastardes à la proe, par bas, sur des
rouUeaux, accommodées de telle industrie que, tirant, le
recul de l'une pousse l'autre dans la canonnière, sans que
personne v soit empesché (1). »
Le devis des roberges de Henri II n'indique pas si les
pièces de chasse avaient une mise en batterie automa-
tique comme leurs modèles. Mais l'accouplement des cou-
levrines à l'avant et à l'arrière, sur une plate-forme d'un
pied et demi de ravalement, le laisse supposer. Pont
volant cnlre les deux gaillards ou pont de corde lors
d'un branlebas, des bordages à l'épreuve des tarets, parce
qu'ils avaient subi sur un pouce d'épaisseur l'action du
feu, une laille plus courte, et par suite un virage plus
facile, avec une vélocité aussi grande, grâce à ses vingt-six
avirons, tels étaient les avantages que la roberge avait sur
la galère.
Tant (le soin avait été apporté au choix des types de nos
vaisseaux qu'un voyageur, familier avec la plupart des
marines de l'Europe, disait d'un galion royal construit par
le capitaine La Salle : c'est le navire " le plus beau, le
mieux faict et le mieux équippé de tous ceux que je veis
jamais, et le plus furieux à veoir (2) » .
La réfection de la flotte, échelonnée sur trois exercices,
coûta un million, somme relativement faible, quand Ion
songe que notre marine fut dotée de cinquante bâtiments
neufs, capables de porter une dizaine de mille hommes.
(1) Discours baillé à M. de Nevers par La Treille, commissaire de l'artil-
lerie, 156^ (B. N., Franc. 16691, fol. 103).
(2) Nicolas de iSicolay (B. N., Franc. 20008, fol. 12).
4C0 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
On en couvrit les frais, moitié sur le budget ordinaire (1),
moitié par la levée d'une aide (:2). Les abus, les coulages
habituels au règne précédent s'atténuèrent; on en dut
rheureux résultat à une institution nouvelle : le secrétariat
d'Etat. Glausse eut pour attributions l'administration des
affaires maritimes et militaires (3).
Il ne fut rien changé au régime des vaisseaux ronds;
entretenus à forfait par leurs capitaines, moyennant une
allocation proportionnelle au tonnage, ils devaient être
prêts à appareilher à la première réquisition et subissaient
chaque trimestre l'inspection d'un délégué de l'amiral (4).
Quant aux galères du Ponant, Henri II eut l'intelligente
initiative d'employer leurs chiourmes aux fortifications du
littoral. Dirigées, deux par deux, sur les principaux ports
de la Manche, Boulogne, Dieppe, le Havre, elles fournirent
en chaque endroit un effectif de trois cents pionniers, en-
cadrés de soldats, qui réparèrent les bastions sous la direc-
tion des capitaines de marine (5j . L'île de Sercq avait été,
(1) Voici quel fut le liudget de la marine durant les trois premières
années du règne :
Marine du i'onanl. Budget ordinaire (i548) : 302,150 1. 4 s. 10 d.
— — (lôW) : 283,543 1. 13 s. 4 d.
Marine du Levant. Budget ordinaire (1548-1550) : 168, 835 1. 1 s.
— Budget extraordinaire (1547-1548) : 245,8421. 18 s. 4d.
_ _ (1549) ; 57,877 1. 13 s. 4 d.
(B. N., Franc. 17329, fol. 97).
(2) Henri II mande de lever 400,000 livres pour renforcer l'armée de
mer et la défense des côtes, 31 décembre 1549 (B. N., Collection Dupuy,
vol. 590, fol. 19).
(3) 1" avril 1547 (B. N,, Franc. 23937, fol. 207).
(4) Suivant marché passé par l'amiral et ratifié le () mars 1547, Adam de
Bréaulté, cap. de /« 71/«zfres,çe, devait entretenir son vaisseau pour . 8,0001.
Jean de Boislambcrt, sieur de Précarre, cap. de la Cardinale . 4,600 1.
Charles Jauldin, sieur de Caumont, cap. du Sériffc .... 4,5001.
François Le Clerc, cap. de la Fécampoisc 1,600 I.
Jean de Clamorgan, sieur de Saanne, cap. du Saint-Jean . . 2,000 1.
Trisland Auvray, sieur de Bonnechosc, cap. du Saint-Jacques. 2,0001.
Florent Monnet, sieur delà Vallée, cap. du Saint-Anilre . . 1,6601.
(B. ]N., Franc. 18153, fol. 34).
(5) Par ordre de Henri II, 21 décembre 1550 {Ilndcm, fol. 200, 211).
HENRI II PRÉCURSEUR DE COLRERT. 461
de la même façon, transformée en une forteresse que sou-
tenait tout un réseau de défenses côtières en Cotentin :
une garnison de vingt-quatre mortes-payes à Tombelaine,
de cinquante hommes aux îles Chausey, de vingt à la fosse
d'Omonville (l), et les capitaineries gardes-côtes de Gran-
ville, Nielles, Grandcamp, Neufville, Cherbourg (2). Ce
fut un capitaine de galère, Villegagnon, qui mit Brest en
état de défense, et ce fut peut-être faute de galériens que
la tour de Cordouan, l'imposant ouvrage de Louis de Foix
dont les devis étaient sovimis dès 1552 au roi (3), fut plus
d'un demi-siècle inachevée (4).
Utilisant les forçats aux travaux publics, Henri II les
protégea contre les sévices arbitraires par une ordonnance
où il faisait preuve à leur égard d'une véritable sollici-
tude (5). Pourvu d'un uniforme, rasé tous les quinze jours,
suffisamment nourri, le galérien ne fut plus la victime de
la brutalité des matelots; le battre pouvait entraîner pour
son bourreau trois mois de chaîne. Mettre les armes à la
main était puni d'un an de la même peine sans préjudice
de deux estrapades. L'ordonnance royale, loin de s'en tenir
aux forçats, fixait les règles de la discipline à bord. Tout
capitaine, au moment d'entrer en campagne, fut obligé
d'embarquer, en sus de l'équipage du pied de paix, un
pilote, deux conseillers, un bombardier et son aide, huit
nochers et dix soldats. Les officiers, au nombre de qua-
(1) Compte spécial à ces garnisons pour 1551 (B. N., Franc. 4552,
fol. 34).
(2) Lettre de l'amiral à ces capitaines, 31 mars 1552 (B. N., Pièces orig.,
vol. 475, doss. de Bousquet, pièce 3).
(3) Ainsi que le projet de réparation du Château-Trompette (xlrch. nat.,
K91, n" 10'). Cf. dans la Bibl. de l'École des Chartes (1905, p. 401),
l'article de M. Cloczoï : Un voyage à l'île de Cordouan au A'F/*^ siècle.
(4) Cf. ci-dessus, t. II, p. 539.
(5) « Ordonnances que le Roy veult estre doresnavant observées par les
capitaines de ses gallaires. « Saint-Germain-en-Laye^ 15 mars 1549 (B. N.,
Franc. 18153, fol. 62).
462 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
torze, et les gens de cap, qui étaient vingt, se pai'tageaient
le quart. Chaque soir avait lieu l'appel, chaque matin la
visite du barbier.
De l'ordonnance royale, nous avons le commentaire dans
un ouvrage anonyme dédié à Henri II, la Stolonomie (1),
Œuvre étrange où, pour la première fois, nous trouvons
l'idée et presque le nom de deux institutions dont on fait
honneur à Colbert : l'inscription maritime et les gardes-
marines (2). La « description » des matelots par toute la
côte méditerranéenne, de Narbonne à Antibes, devait four-
nir, moyennant « certaine paye par manière d'entretene-
ment 1) en temps de paix, des hommes prêts à marcher au
moindre signal. La « description de six vingtz jeunes gen-
tilshommes, de l'eage de douze à quinze ans " , mis en
apprentissage jusqu'à vingt ans sur les galères, sauf à les
remplacer au fur et à mesure des vacances, eût initié aux
choses de la mer la noblesse française, à l'exemple de l'aris-
tocratie vénitienne. Et l'on vit, dès 1552, deux cents gen-
tilshommes faire une croisière d'un an h pour leur plaisir,
sans aulcune solde (3) n . C'est qu'il y avait à la tète de la
flotte des galères, un nouveau général, homme d'initiative,
qui eût pu réaliser, sans certain accroc advenu à sa car-
rière, le programme de la Stolonomie, si même ce pro-
gramme n'était pas son oeuvre.
(1^ B. N., Franc;. 2i33, anal, par A. Jal, Documotts inédits sur l'his-
toire de la marine au XVP siècle. Paris, 1842, in-S", p. 2i (extrait des
Annales maritimes et coloniales).
(2) B. N., Franc. 2133, fol. 45, 78.
(3) B. N., Moreau, vol. 770, fol. 63.
HENRI II l'RKGURSEUR DE COLBERT. 403
II
VICTOIRE SANS COMBAT
Réor^^aniscr la flotte élail bien; remonter le moral des
marins en réformant le commandement indijjne ou cou-
pable fut mieux. Le revirement des faveurs et des disgrâces
à Tavènementde Henri II eut quelque chose de foudroyant.
" Ce sont choses ordinaires à la cour des princes, écrivait
philosophiquement Monluc; le reccullement d'un sert
d'avancement à l'autre... Chacun son tour (1). »
Elargi et pourvu, comme dédommagement, de la sei-
gneurie de Pontoise, l'e.x-général des galères Orsini delT
Anguillara eut la satisfaction de voir frapper le trio de ses
accusateurs, ïournon, Grignan et La Garde, qui de dis-
grâce, qui de destitution. A grand'peine, l'amiral du Levant
évita la Bastille; mais le général des galères remplaça son
prédécesseur en prison, u Tout estonné u de son infortune,
et il non plus tant insolent comme il souloit, La Garde fut
desgoutté plattement " de se voir charger (:2), durant son
procès, par le capitaine Claude, sa créature (3).
Et ce fut aggraver l'amertume de sa déchéance que de
lui donner pour successeur un rival exécré. Cousin de la
reine, Leone Strozzi reçut la capitainerie générale des ga-
lères, tant en Levant qu'en Ponant (4), dans l'instant où
(1) Commentaiics, à l'année 1555.
(2) Dépêches de Giustiniano au doge. Poissy, 16-18 avril 1547 (B. N.,
Italien 1716, p. 108). — Nouvelles de France, 1547 (Arch. nat., K 1486,
B*, n° 59). — Dans sa thèse sur le baron de La Garde ^Position des thèses
de l'Ecole des chartes, 1902), M. Gaudin a fort bien étudié ce revirement
de la politique.
(3) Cf. le procès du baron (B. N., Moreau, vol. 778, fol. 18).
(4) l'^"' juin 1547 (lettres de provision publiées par Joseph Fournier, les
Galères de France sous Henri II, extrait du Bulletin de géographie histo-
j-ique et descriptive, n° 2 (1904), p. 13).
464 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Claude de Savoie, comte de Tende, remplaçait le baron de
Grignan, protecteur de La Garde, à la tête de l'amirauté
provençale (1). Dans notre marine, il n'y eut point de
changé que les personnes, il y eut l'esprit. Strozzi n'avait
rien des personnalités effacées du règne précédent. En en-
levant d'assaut Saint-Andrew, en Ecosse, après quatorze
jours de bombardement naval (2), il avait débuté avec
éclat comme général des galères; un incident fortuit lui
permit de donner toute la mesure de son mâle courage.
En pleine paix, deux de nos galères, que la tempête avait
forcées de chercher abri en Sardaigne, furent pourchas-
sées par douze galères impériales. Au lieu d'accueillir en
amis l'escouade de marins français descendue à terre, les
Impériaux l'accablèrent de mauvais traitements. Leone
Strozzi réclama aussitôt satisfaction en termes très éner-
giques : que si le prince André Doria entendait, en dépit
de la paix, se conduire en adversaire, il trouverait toujours
à qui parler, car Sa Majesté Très Chrétienne était résolue
à ne plus tolérer d'outrage à son pavillon (3). Ce n'étaient
point de vaines paroles. Doria allait s'en convaincre sur
l'heure.
Dépêché à Marseille pour dresser l'inventaire de la flotte,
l'archivaire Borilly apprit qu'elle était au large (4). Une
galère de Malte, montée par le prieur de Saint-Gilles, avait
(1) 18 mai 1547. Claude de Tende était nommé simultanément gouver-
neur de Provence, comme il était d'usage.
(2) Le 30 juillet 1547.
(3) Lettre de Leone Strozzi, 31 mai 1548 (Piero Sïnozzi et jàrnaldo
PozzoLiNi, Memorie pcr la vita di fra Leone Strozzi, priore di Capiia.
Firenze, 1890, gr. in-8'', p. 21). Je dois la connaissance de ce per nozze,
aussi curieux que rare, à l'obligeance de M. Léon Dorez.
(4)30 juillet 1548 (Arch. des Bouches-du-Rhône, B 232, fol. 3-47;
publ. par M. Joseph FouRKiEn, les Galères de France sons Henri II, extrait
du Bulletin de géographie historique et descriptive, n° 2 (1904). Nous
devons à M. Joseph Fourmeii une autre bonne étude sur Y Entrée de Leone
Strozzi au service de la France (1539) (extrait du Bulletin de géographie
historicjue..., n° 2, 1902).
LEONE SrUOZZI, PRIEUR DE CAPOUE
^Galerie Stroizi.)
HENRI II PRECURSEUR DE COLBERT. 465
apporté, le 24 juillet 1548, une nouvelle sensationnelle :
l'armée navale d'André Doria avait quitté Gênes avec l'ar-
chiduc d'Autriche ; l'avant-garde était déjà aux îles d'Hyères.
Bien décidé à faire respecter nos eaux territoriales, le prieur
de Gapoue, Strozzi, sort sans balancer, dans la matinée du
surlendemain, avec toutes les galères en état de combattre.
A la tête de vingt-deux bâtiments, il se tient à l'ombre du
château d'If, afin d'observer la contenance de son adver-
saire éventuel, lorsque la flotte impériale paraît. Elle est
double de la sienne : quarante-deux galères relâchent à la
Groisette pour faire aiguade. Comme Doria veut avancer
davantage et mouiller pi-ès du château, Strozzi lui barre
résolument la route.
Le combat va s'engager. Les deux flottes sont si proches
que, d'un bord à l'autre, les matelots s'invectivent. Le
prieur de Gapoue a donné l'ordre d'ouvrir le feu, quand le
chevalier de Malte s'entremet pour empêcher le carnape.
Décontenancé par notre fière attitude, Doria recule, et,
rebroussant chemin en désordre, malgré la supc'riorité
écrasante de ses forces, il reprend la route de l'Espagne (1) .
De ce beau fait d'armes, qui fut une victoire sans effu-
sion de sang, l'histoire a conservé le souvenir précis, et
l'inventaire, dressé au retour par l'archivaire, nous apprend
quels furent les valeureux compagnons du prieur de Gapoue :
les chevaliers de Grandval et d'Albisse, le commandeur
de Beynes, le grand prieur Glande d'Ancienville, lieute-
nant-général de l'escadre du Levant (2), les capitaines de
Sainte-Marie, lieutenant de l'amiral, La Bastide, André de
Marsay, Jean de Lévis, Jean de Pontevès de Garces, Pierre
de Saint-Martin, Pierre Bon, Jean Vestiarity, Andréa de
(1) Lettre de Leone Strozzi au roi. Marseille, 28 juillet 1548, et relation
du capitaine Pierre Bon (B. N., Franc. 3118, fol. 2, 7). — Tuevet, Vie
des hommes illuslres, p. 443.
(2) Suivant lettres de provision du 5 novembre 1545 (Arch. des Bouclies-
du-llhône, B38, fol. 188).
"i- 30
466 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Sasso el Scipione Fieschi (1). Le dernier était l'ennemi
mortel, l'ennemi héréditaire des Doria. Il était venu en
France dans des circonstances tragiques, qui se rattachent
à un épisode légendaire... Dans la nuit du 2 janvier 1547,
Gènes était éveillée par des hruits d'émeute. La fameuse
conjuration de Fiesque éclatait. La domination des Doria
sombrait; Gianettino frappé à mort, le vieil André en
fuite, l'émeute était triomphante, quand le chef de la con-
juration, Gian-Luigi Fieschi, glissa en traversant le pont-
levis de son bâtiment et disparut sous les eau.v. Son frère
Girolamo, qui commandait une escadre de quatre galères,
engagée au service de la France (2), périt à son tour en
cherchant à rallier ses hommes. Seul le dernier frère, Sci-
pione, parvint à s'échapper et gagna sur la C aterinetta , le
port de Marseille (3).
Par l'humiliation infligée à Doria, Fieschi vengeait le
massacre de sa famille (4), et Strozzi l'outrage de notre pa-
villon. Non contentde ce succès d'amour-propre, le prieurde
Capoue songea à récidiver pour un plus palpable profit. La
proie convoitée n'était rien moins que l'héritier de Charles-
Quint, que le vieu.x condottiere allait quérir pour le rame-
(1) Voici quelle était la composition de l'escadre, qui comprenait 22 ga-
lères : Leone Strozzi, Diane, quadrirème réale, et Boiinadveiituie ; — che-
valier de Grandval, Saiitl-Jean ; — commandeur de Beynes, Fortune; —
de Sainte-Marie, liàtardelle et Sainte-Marie ; — chevalier d'Albisse, Cathe-
rinette ; — André de Marsay, Macjdnlène et Sainte-Barbe ; — Claude d'An-
cienville, Martjarite, Paraçjone et Clémence ; — La Bastide, Françoise et
Levrière ; — Jean de Lcvis, Harpie et Syhile ; — Carcès, Saint-Jérôme;
— Pierre de Saint-Martin, Lionne; — Jean Vcstiarity, Comtesse ; — Pierre
Bon, Saint-Pierre et Salamandre; — Andréa de Sasso, Vipère; — Scipione
Fieschi, Arf/us. Août i5V8 (Joseph Focrnikr, art. cit.).
(2) Moyennant 12,000 écus d'appointements et la solde d'une garnison
au rocher de Montobbio (Agostino Mascaudi, Cont/iura del conte Gio. Luigi
de Fieschi. Anvers, 1629, in-4'', p. 45. — Attidclla Societa ligure di storia
patria, t. VIII, p. 170).
(3) Petit, Doria, p. 233.
(4) Sur Scipione Fieschi, cf. l'article de M. É. Picot, Les Italiens en
France au XVF siècle, dans le Bulletin italien (1901), p. 135.
HENRI II PRÉCURSEUR DE COLBERT. 467
ner en Italie. Et voici le plan que Strozzi soumit confiden-
tiellement au roi : une frégate expédiée en Espagne, sous
couleur d'y transporter certains chevaliers, reviendrait avec
des notions précises sur la date du départ de l'infant Phi-
lippe et sur la force de son escorte. Pendant ce temps,
ajoutait le prieur, je rallierai sous ma bannière les quatre
galères de la Religion et lescadre musulmane de Dragut;
la jonction faite à Tripoli de Barbarie, avec vingt-neuf ga-
lères et six galiotes, je me jetterai sur André Doria (1) .
A la réception de la missive, Henri II éprouva un certain
désappointement. Il croyait, selon les engagements anté'
rieurs de Strozzi, que sa flotte, grossie de galères neuves,
atteignait quarante-deux bâtiments à rames (2) et se trou-
vait en état de se mesurer avec l'escorte du prince. Dans
une critique très fine, il fit observer les défauts du plan de
campagne. Dès qu'il serait averti du départ des galères fran-
çaises pour Tripoli, Doria se mettrait à leur poursuite,
sachant que, notre flotte défaite, l'Italie serait hors de
danger.
Dragut, en paix avec lempereur, n'irait pas s'exposer à
perdre pour autrui le fruit de ses peines. Donc, au lieu
d'aller quérir les galères des Hospitaliers ou des Musul-
mans, le prieur de Capoue tâcherait de les faire venir à
Marseille; mais il devait compter surtout sur lui-même en
pressant l'armement des galères neuves. Le roi accordait,
pour les équiper, tel contingent qui serait nécessaire sur
2,958 hommes levés en Provence, ajoutant, comme troupes
d'embarquement, quatre bandes de soldats du Dauphiné.
Le général avait, du reste, carte blanche pour agir et se
poster en embuscade. Qu'André Doria attaquât, persuadé
que nos forces navales étaient les mêmes que précédem-
ment, et que cette erreur d'appréciation lui valût un échec,
(i) B. N., Franc. 3118, fol. 7.
(2) 39 galères, 2 galiotes et i fuste (B. N., Franc. 3050, fol. 108).
468 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
OU même qu'il désertât, furieux de l'avancement donné par
l'empereur à Centurione, c'étaient des rêves que le roi
n'osait trop caresser. Et, dans l'hypothèse où ses équi-
pages ne fussent pas en état de comhattre, Henri II dictait
au prieur de Capoue une tout autre ligne de conduite :
envoyez saluer le prince d'Espagne, disait-il, et offrez-lui
des rafraîchissements. Les Impériaux ne pourront se
plaindre de notre déploiement de forces, qu'on croira
destiné à la protection des côtes. Mais, en Italie, on saura
notre puissance navale, et les potentats rechercheront
notre alliance (I).
Dragut, dont le roi faisait bon marché, donna tort à ce
scepticisme, tout en montrant, par la capture d'une galère
des Hospitaliers, combien il était machiavélique d'unir
sous le même drapeau la croix de Malte et le croissant. Par
une frégate bien armée, il envoya prévenir Strozzi que les
corsaires barbarcsques étaient prêts à rallier le pavillon
français, tant leurs convoitises étaient allumées à l'idée
d'enlever cette proie fabuleuse, l'héritier du trône de toutes
les Espagnes. Mais le roi Henri II, que le prieur de Capoue
était venu trouver en toute hâte, ne vovilut point en laisser
courir la chance; et, de ce refus, le prieur ne sut point
cacher son dépit. « Dieu nous a tenu la main sur la tête i> ,
écrivait un partisan de l'empereur (2). Au lieu de l'escadre
accoutumée, toutes les divisions navales de la Méditerranée
défilèrent en ordre de bataille et comme par manière de
défi devant les plages provençales. Garcia de Tolède était
à lavant-garde, à la tête delà flotte des Deux-vSiciles, Doria
(i) Instructions de Henri II au comte de Tende et au prieur de Capoue,
en réponse h leur mémoire, 15 août 1548 (B. N., Franc. 3118, fol. 1;
CiiARRiÈiiK, Négociations de la France clans le Levant, t. II, p. 75).
(2) Strozzi s'était ouvert de son dessein le 5 septembre à Caivacanti.
Lettre de Montemerio de Montemerli. Pigneroi, 6 septembre 1548 (Lettere
di Bartolomco Caivacanti. Bologna, 1869, in-lS", p. 36, dans la Scclta
di ctn-iosita letterarii inédite n i-are dal secolo XIII al XVII, dispensa CI).
HENRI II PRÉCURSEUR DE COLBERT. 469
au corps de bataille avec les contingents génois etMendoza
à l'arrière-garde avec l'escadre espagnole (1).
Pareille bravade n'incita que davantage nos marins à
tenter la capture du prince d'Espagne. Notre ambassadeur
à Rome envisageait ouvertement cette éventualité en de-
mandant au pape Jules III le concours de l'escadre ponti-
ficale, au besoin même son incorporation dans notre Hotte.
Il s'agissait des quatre galères du comte Orsini delT Anguil-
lara, dont le chevalier de Villegagnon avait passé l'inspec-
tion préalable à Civita-Vecchia (2). Ce ne fut point notre
ancien général des galères, Virginie Orsini, mais le prieur
de Lombardie, Carlo Sforza, qui accepta de les amener au
service de la France. Il signa un engagement de six ans aux
conditions suivantes : haute solde, insignes de capitaine
général, sauf à masquer les feux du fanal, et commande-
ment effectif en l'absence du général des galères (3).
Instruit, comme le prieur de Capoue, à la rude école
d'André Doria, le prieur de Lombardie revenait d'une
longue croisière contre El Mehediah, la cité d'Aphrodite,
qui avait résisté des mois entiers aux assauts des troupes
hispano-pontificales et aux feux convergents des batteries
de siège et d'une batterie ilottantc établie sur une couple
de vaisseaux (4). Sforza amenait avec lui, en mai 1551,
Orazio Farnèse, frère du général de notre cavalerie, le
(1) En novembre (Manfrosi, Sloiia délia maiiiia Ilaliana dalla caduta
di Costantiiiopolt, p. 368).
(2) Lettre de François de Rohan, ambassadeur à Rome, 24 février 1549
(v. st.) (B. jN.. Franc. 20441, fol, 19).
(3) Conseil du roi, 27 septembre 1550 (B. N., Franc. 18153, fol. 285 v°).
Plus tard, il demanda encore quelques avantages, outre la ratification de la
convention passée à Rome avec d Urfé. Henri II les lui accorda. Blois,
15 mars 1551 (B. N., Franc. 20441, fol. 71).
(4) El Mehediah ne succomba le 11 septembre 1550 qu après la mort du
gouverneur Hassan Raïs (.Joannes Ghristophorus Calvetus Stella, De expu-
gnato Aphrodisio. Basilea, 1556, in-fol., et Pedro de Salazar, Historia de la
querra y presa de Africa. Napoli, 1552, in-4". — P. Guglielmotti, Guerra
dei pivatif t. Il, p. 189).
-410 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
colonel Aurelio Fregoso et le capitaine Antonio da Gubbio,
qui firent naufrage à Viareggio (1) ; les naufragés purent,
du reste, continuer leur route vers Marseille, et Farnèse
signer un traité d'alliance qui nous ménageait une diver-
sion en Italie.
Ace moment, la politique temporisatrice de Henri II prit
une tournure nettement offensive contre le vieil empereur,
dont la toute-puissance, à son apogée, allait jusqu'à s'im-
poser dans le domaine spirituel aux hérétiques et au pape.
Assuré de la neutralité bienveillante, sinon du concours de
la marine anglaise, le roi de France fit passer dans le Levant
les chiourmes des galères de la Manche et porta sa flotte
provençale à une quarantaine de galères. Il ne craignit point
de faire appel à la coopération des forces musulmanes, et
son ambassadeur à Constantinople, après l'avoir obtenue,
revint hâtivement en France concerter l'action commune
des deux flottes.
Selon les instructions reçues de la cour le 17 mai 1551,
Gabriel d'Aramont devait insister auprès de la Porte pour
la reprise d'El Mehediah. Une partie de la flotte turque serait
ensuite détachée à Alger et, jointe au contingent du dey
Hassan, viendrait rallier l'escadre française à un point
déterminé. Notre ambassadeur aurait en conséquence le
soin, à l'escale d'Alger, de s'entendre avec le dey, qui avait
des intérêts communs avec les nôtres, étant serré de près
par l'empereur et par le chérif marocain (2).
(t) Lettres des Lucquois des 15 et 19 mars 1551 (I'. Guglielmotïi, t. II,
p. 249).
(2) RiBiEn, t. II, p. 297. — CnAntiiÈRE, Nér/ociations de ta France flans
te Levant, t. II, p. 154', n. 1.
HENRI II PRÉCURSEUR DE COLBERT. ATI
III
LES CONSÉQUENCES D'UN ACTE D'INDISCIPLINE
Cependant, une lutte suprême se livrait entre les deux
partis opposés de la cour : le parti de la paix, dont le con-
nétable de Montmorency était le chef, et le parti de la
guerre, qui englobait les Guise, les Strozzi et la jeune cour.
Le conflit prit un caractère d'acuité terrible entre le con-
nétable et le prieur de Capoue par suite d'une singulière
aventure. Malade d'une fluxion dans le Dauphiné, le prieur
se crut à l'article de la mort, et, en guise de testament, il
chargea Vendôme de dire au roi de sa part : « Ne laissez
point tant d'autorité au connétable, sire; j'ai connu plus
d'une fois par expérience combien c'était dangereux. " A
peine Vendôme se fut-il acquitté de la commission que
Strozzi eut à se repentir de sa franchise : il guérit (1). Et
Montmorency lui garda une mortelle rancune.
Sous prétexte de refréner les dépenses exagérées de la
marine du Levant, le connétable proposa la suppression de
douze galères, à un moment où l'imminence de la guerre
rendait invraisemblable une pareille mesure (2) . Soutenu
par la faction des Guise qui traitait Montmorency de lar^
ron (3), Strozzi parvint pourtant à maintenir sa flotte au
complet et à faire adopter un plan de campagne, qu'il vint
lui-même développer à la cour en mai 155L II tint ses pro-
(1) Piero Strozzi, Memorie per la vita cli Fra Leone Strozzi, p. 33.
(2) Cf. la lettre de Capponi à Cosme l" de Médicis, datée de Blois, févrief
1551. Capponi considère cette suppression comme un stratagème (Desjar-
DixSj Néqociations de la Fiance avec la Toscane, t. III, p. 249).
(3) Ibidem. — F. Décrue, Anne, duc de Montmorency, connétable et
pair de France sous les rois Henri H, François II et Charles IX. Paris,
1889, in-8% p. 40.
472 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
jets si secrets, tout en donnant lechange à Topinion, qu'on
en était réduit aux conjectures les plus variées: on lui sup-
posait des vues sur l'île d'Elhc (1). A une question de Tun
de ses capitaines les plus fidèles, Baccio Martelli, il ne
répondait que par cette phrase évasive : « J'ai idée que
Monseigneur de Guise médite quelque chose contre
Parme (2) . »
Mais, hélas, le général des galères n'avait point à comp-
ter qu'avec les ennemis de la France. Quand il revint à
Marseille, l'inimitié du connétable avait porté ses fruits.
L'amiral comte de Tende, épousant la querelle de son
beau-frère, cherchait beaucoup plus des griefs contre
Strozzi que des moyens de l'aider. Et, tandis que le mal-
heureux général se débattait contre les fournisseurs, s'ex-
ténuait à trouver des soldats et à quérir jusque chez eux
ses marins, quasi de force, il était épié et bafoué par ses
officiers. L'armée navale, divisée en deux factions, s'apprê-
tait beaucoup plus à la guerre civile qu'à la lutle contre
l'ennemi (3).
Pontevès de Carcès, le lieutenant du général des galères,
donna le scandaleux exemple de l'indiscipline. Au lieu
d'attendre son chef à Marseille, paré à tout événement,
comme il en avait Tordre formel, il était parti pour Por-
querolles. Mandé d'urgence, il se dit malade; plusievirs
jours après, quand il daigna obéir, ce fut à la tète d'une
nombreuse suite tout armée qu'il se présenta à la poupe de
la Capitane.
A l'invitation amicale de son chef de venir s entretenir
seul à seul, il eut l'impertinence de dire à haute voix au
commandeur de Gharlus de rester comme témoin des
(i) Lellre de Giu&ti. Avril (Dksjahuiss, t. 111, p. :265).
(2) B. N., Fran.;. 3129, fol. 16.
(3) Lettre de Leone Strozzi à son frère l'évéque. « Dalle Sanijuinarc, »
18 di settenibre 1551 (Piero Strozzi, Meniorie per la cita di Fra Leone
Strozx^i, p. 27j.
HENRI II PRÉCURSEUR DE COLBERT. 473
paroles qu'il avait à faire entendre. La scène se passait au
port, c'est-à-dire dans la juridiction de l'amiral de Tende.
Strozzi, plutôt que de se plaindre à un adversaire, dévora
l'affront. Mais, trois jours après, lorsque la flotte fut en
pleine mer, en route pour Toulon, le général jugea le mo-
ment venu de faire acte d'autorité et de montrer par un
châtiment exemplaire qu'il entendait se faire respecter de
ses inférieurs. Il convoqua à son bord tous les capitaines;
en leur présence, il convainquit Carcès d avoir trois fois
désobéi, et, comme de pareils manquements s'aggravaient
du fait de limportance de ses fonctions, il le suspendit
séance tenante. « Je vous parle où je dois, devant qui de
droit et comme votre supérieur, ajouta-t-il ; hors du service,
si vous croyez que je vous fais quelque tort, je serai prêt à
vous rendre raison, je vous en donne ma parole devant tous
ces gentilshommes. En attendant, retournez à terre sur la
frégate. " De retour à son bord, Pontevès de Carcès envoya
dire qu'il comptait suivre l'étendard et obéir. — a Pensez-
vous donc suivre l'étendard contre ma volonté? riposta le
général. — Non. — Eh bien! regagnez Marseille (Ij. »
Cependant, les retards apportés par une pareille indisci-
pline compromettaient le plan de campagne élaboré par
Strozzi et le duc de Guise. « Si les galères de Sa Majesté ne
sont pas à la voile ce mois-ci, écrivait le premier au
second, l'occasion de servir le roi échappera. Mes galères
seront prêtes le 25 juillet; pour embarquer l'infanterie, il
n'y a pas de lieu plus propice que les bouches du Rhône;
vos troupes pourront arriver par eau à Arles (Guise était
lieutenant-général en Dauphinéj. Fixez-moi le jour où vous
pensez être ici (2), » ^lais, déjà, escomptant un échec,
(i) « Informazionc clelle parole di Mon^ijjnoie di Caises col sig. Piiore »
(Piero Strozzi, Memorie per la vila di Fia Leone Slrozzi, p. 22).
(2) Lettre de Leone Strozzi en italien. Marseille, 2 juillet 1551 (B. N.,
Franr. 3129, loi. 16j.
414 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Montmorency tournait en ridicule l'expédition, une entre-
prise que vous avez trop « peu de moyen » d'exécuter,
écrivait-il à Guise (1).
Elle était pourtant bien tentante. C'était d'attaquer au
passage la flotte qui allait conduire à Barcelone le roi de
Bohême, les princes d'Espagne et de Savoie et quérir en
même temps des troupes espagnoles pour l'armée de Pié-
mont. Le vieil André Doria revenait, fatigué et déçu, d'une
campagne contre Dragut. Au moment où il croyait tenir
le redoutable corsaire, cerné dans son repaire de l'ile de
Gerbah et enfermé comme dans une cage dans le cul-de-
sac de la Cantara, le rusé renard creusait un étroit chenal
à l'extrémité sud-ouest de l'ile, et, de nuit, tirant à brasses
galiotes, il s'évadait (:2) .
Avant que l'embuscade du prieur de Capoue et de Guise
fut prête, la brusque apparition des quarante galères de
Doria à Porquerolles, le 9 juillet 1551, déconcerta les
deux conjurés. Ne sachant quelle contenance tenir, l'ami-
ral comte de Tende envoya offrir des rafraîchissements aux
princes lors de leur relâche à Fréjus; il se proposait d'en
faire autant à l'escale de Marseille, il prenait soin d'en
aviser le duc de Guise : » A ceste heure, le temps n'est
propre pour exécuter l'entreprise, il la fault tenir couverte
pour une autre fois, " concluait le cardinal de Lorraine
dans une lettre à son frère (3).
L'occasion ne se fit point trop attendre. Le mois suivant,
Leone Strozzi quittait Marseille avec une douzaine de
galères bien armées, après de bruyantes manifestations
d'adieu; les espions aux aguets rapportèrent à l'empereur
que l'escadre se rendait pour plusieurs mois dans le Levant.
(1) 27 juillet (Mémoires-Journaux du duc de Guise, dans la Collection
Michaud et Poujoulat, t. VI, p. 66).
(2) Avril 1551 (Manfrom, p. 373. — F. Duro, p. 285).
(3) 17 juillet (Mémoires-Journaux du duc de Guise, t. VI, p. 66).
HENRI II PRÉCURSEUR DE COLBERT. 475
Leur défiance ainsi endormie, hors de vue des côtes, le
prieur de Capoue met brusquement le cap à l'ouest et,
dans la soirée du 24 août, paraît devant Barcelone (1) . Tant
au drapeau espagnol qu'ils voient flotter qu'aux sérénades
joyeuses dont le bruit leur parvient, les habitants ne
doutent pas que c'est André Doria. Du rivage se détachent
pour le complimenter une galère et une frégate, chargées
de gentilshommes; la seconde était un léger aviso envoyé
de l'avant par Doria lui-même ; l'autre, la Porfiada, appar-
tenait à dom Antonio Doms.
Enveloppés silencieusement par notre flotte, les gentils-
hommes catalans, avant même d'avoir le temps de se
reconnaître, deviennent les prisonniers de Moretto de Vil-
lefranche, capitaine de la galère de Pietro Strozzi. Par
malheur, aux dernières lueurs du soleil couchant, un Espa-
gnol, longtemps prisonnier à bord de la Capitane française,
a reconnu les nôtres et donné l'alarme. Les salves répétées
de notre artillerie ne laissent plus le moindre doute sur
notre identité. Dames et cavaliers, venus respirer au bord
de l'eau la fraicheur nocturne, s'enfuient dans une panique
folle, poursuivis par les bandes de soldats que débarquent
nos esquifs. Si toutes les vieilles troupes que le duc de
Guise avait envoyées à bord avaient donné, Barcelone était
enlevée d'un coup de main. Mais Strozzi ne poussa pas
plus loin son avantage : relâchant galamment les dames,
il emmena les hidalgos, les deux bâtiments de guerre et
sept navires marchands richement chargés.
Au lieu d'un accueil triomphal, le vainqueur trouva à
Marseille un guet-apens dressé contre lui par des soldats
de Carcès. Le chef des bandits, Gian-Batista Gasella, dit
(1) ÀDRIANI, Storia de suoi tempi. Firenze, 1583, lib. VIII, p. 559. —
Varillas, Henry Second (B. N., Franc. 6197, fol. 84). — Brantôme, Vie des
hommes illustres, p. 131 . — Thevet, Histoire des plits illustres et sçavants
hommes (1671), p. 178. —F. Duro, t. II, p. 387.
476 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Corso, délivre par lui des fers de Dragut, avait été longtemps
son confident. Exaspéré d'une pareille trahison, le prieur de
Capoue le fit arrêter à terre et jeter tout garrotté sur la
Bàtardelle . En vain des complices essayèrent-ils de tendre
la chaîne pour empêcher la Bàtardelle de quitter le port,
en vain Tamiral de Tende réclama-t-il le coupable qu'on
enlevait à sa juridiction. Strozzi se fit justice. Convaincu
de tentative d'assassinat, Corso prétendait, dans les affres
de la torture, qu'il avait agi de l'aveu du comte de Tende
et qu'à terre la vie du prieur de Capoue n'était plus en
sûreté (1). Assommé d'un coup de maillet, achevé d'un
coup de poignard, il fut jeté par-dessus bord, lesté de deux
mascles d'artillerie, près d'If, en vue de Marseille (2).
Les événements se précipitaient; le désarroi sans nom
qui régnait dans le commandement supérieur toumiaità la
débâcle. L'amiral de Tende jurait qu'on verrait bientôt de
grands changements dans l'armée de mer : Carcès ne
cachait point son contentement. Il avait été sauvé d'une
révocation, grâce à l'inlervention du connétable de Mont-
morency, qui avait averti secrètement Strozzi de ne plus
molester les capitaines, dans le moment même où un
exprès de la Cour remettait publiquement à la discrétion
du général des galères le sort de l'officier rebelle. Or, le fils
du connétable, François de Montmorency, et le frère cadet
du comte de Tende, Honorât de Savoie, comte de Villars,
arrivaient de compagnie à Marseille.
La nouvelle fut le signal de l'insubordination, car on
considérait Honorât de Savoie comme le nouveau général
des galères. Carcès courut au-devant du soleil levant, après
s'être fait porter malade pour ne point suivre Strozzi à
Toulon. Le prieur de Lonibardie, Sforza, jusc(ue-là fidèle à
(i) Lettre de Leone Strozzi à Catherine de Médicis. Marseille, 4 sep-
tembre 1551 (B. N., Franc. 3129, fol. 25).
(2) llcquisitoire du procureur du roi (B. jN., Franc;. 3129, fol, 49),
HENRI II PRECURSEUR DE COLBERT. 477
son compatriote, le quittait au large et regagnait Mar-
seille (I). Victime des criminelles intrigues d'une coterie,
se croyant ignominieusement dégradé d'une charge qu'il
avait remplie avec tant d'éclat, Leone Strozzi s'enferma
seul pendant trois quarts d'heure pour délibérer sur la
résolution à prendre. Plus d'un projet s'offrait à l'esprit :
se venger, entraînant dans la révolte l'armée navale, se sai-
sir de Marseille ou de tel autre port, ravager les côtes de
Provence et former entre l'Italie et l'Espagne un repaire de
pirates. Trahir, comme Doria, en passant au service de
l'empereur avec ses galères et celles du roi, qu'il eût pu
débaucher, se loger dans Villefranche et couper toute
communication par mer entre la France et l'Italie. La
trahison, la vengeance étaient sentiments trop bas pour
un cœur généreux. Le prieur de Gapouc sacrifia son res-
sentiment à la reconnaissance; il ne voulut point frapper
une nation qui, dans les jours d'épreuve, avait offert un
asile à sa famille traquée et chassée de Florence : il pré-
féra s'exiler.
Dédaignant de se servir de ses pouvoirs expirants pour
faire ouvrir la chaîne du port de Marseille, il la franchit à
force de rames {"2) et, dans la nuit du IG septembre 1551,
il partit avec la galère de son frère aîné, la Levantine, com-
mandée par son neveu Scipione, et la Porfiada ou Cata-
lane, dont les chiourmes avaient été renforcées avec des
forçats de la Réale et de la Bâtardelle (3). A ses frères, il
adressait xin mémoire justificatif, afin qu'on ne pût le soup-
çonner d'avoir terni le blason familial (4) en devenant ce
(J ) Lettre de Leone Strozzi à l'évêque son frère. « \n galera, nel porto
di Marsilia, al 15 di gennaio 1551 » (P. Strozzi, Memorie per la Vita di
Fra Leone Stioz::,i, p. 39. — TiiEVET, Histoire des plus illustres et sçavans
hommes (1671), p. 179).
(2) B. N., Franc. 6197, fol. 85.
(3) Réquisitoire du procureur (B. N., Franc. 3129, foi. 49).
(4) « Dalle Sanguinare, " 18 septembre 1551 et 2 janvier 1552 (Letterc
418 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
que le procureur du roi l'accusa d'être, « déserteur mili-
taire» en face de l'ennemi. Au roi, il renvoyait son drapeau
de général soigneusement plié, que son envoyé Jean Capiny
avait ordre de remettre en mains propres. Quand on déplia
le drapeau, longtemps après, il en tomba une lettre mouil-
lée de larmes (1) ; Strozzi excusait son départ par la néces-
sité où l'avaient réduit la calomnie et la haine de ses enne-
mis. Il ne se plaignait de rien, rejetant sur la fortune, qui
lui avait permis de servir la France avec gloire, le malheur
de se retirer avec honte. Il allait à Malte retrouver ses
frères en religion que les Turcs menaçaient. » Plux à Dyeu
l'avoyr fayst neyer » , fut le souhait de voyage que formula
Catherine de Médicis, sa cousine (2). Doria profita du dé-
sarroi ou, comme disait Henri II, du « grabuge » provoqué
par ce départ (3) pour gagner l'Espagne et repartir de Bar-
celone avec ses hôtes princiers, le roi et la reine de
Bohème. Pontevès de Carcès s'était jeté à sa povirsuite
avec quatorze galères : il atteignait à Villefranche autant
de grands vaisseaux. Après un violent combat, il enleva,
sous le feu du bastion et des défenses du port, une galère
et six vaisseaux de charge, les bagages royaux, des meubles
de prix, des chevaux arabes; et il faillit prendre, on jugea
le détail assez curieux pour le noter, un éléphant qu'on
venait seulement de débarquer (4) . Qu'il y avait loin de cet
engagement d'arrière-garde à la victoire décisive que le roi
(lei Priiicipi, t. III, p. 192; P. Strozzi, Memoric per la vita di Fia Leone
Strozzi, p. 47).
(i) B. N., P^ranç. 3129, fol. 22; cette lettre est datée « di galera, alli xvi
di setternbre 1551 >> .
(2) Lettics de Catherine de Médicis, t. I, p. 47.
(3) Lettre de Henri II à d'Arainont, 5 novembre (RiniEn, t. II, p. 310).
(4) Lettre du connétable de Montmorency au duc de Guise (Mémoires-
Journaux du duc de Guise, dans la Nouvelle collection Michaud et Pou-
joulat, t. VI, p. 69). — Lettre de Trotti au duc de Modène, 31 octobre (M.vn-
FROM, p. 378, n. 2. — Thomae Cormerii, Bertnn gcslarum Henrici II lihri
quinque, fol. 63 v°. — Cais de Pierl.^s, Chronique niçoise de Jean Badat,
dans la Romania, t. XXV (1896), p. 69).
HENRI II PRÉCURSEUR DE COLRERT. 479
attendait, » la plus belle chose et la plus notable qui eût
esté faite de nostre siècle (1)! "
De ce léger succès, au contraire, Montmorency exultait
autant que de la désertion de Strozzi. Inconsciemment, —
car ce n'était pas un malhonnête homme, — le connétable,
dont l'étroitesse des vues égalait la toute-puissance, venait
de commettre un méfait de plus. Il avait été le fléau de
notre marine depuis le jour où on l'avait chargé d'enlever au
large François I", qui passait en Espagne après Pavie. Au
lieu d'attaquer les Espagnols, il avait remis sa flotte en
otage, sur l'injonction royale, il est vrai; mais que vaut le
libre arbitre d'un prisonnier? Dans le cas présent, il sacri-
fiait Strozzi à sa rancune, comme il avait sacrifié Doria à ses
intérêts (2). Dans cette reprise de la rivalité entre la France
et l'Empire, il nous enlevait la suprématie navale, comme
il nous en avait dépossédés un quart de siècle auparavant.
Car Strozzi ne put êlre remplacé. Pontcvès n'avait pas l'en-
vergure d'un amiral. Il fallut relaxer le baron de La Garde
et lui rendre, — avec quelle autorité au sortir d'une pri-
son ! — le généralat des galères. L'épreuve de sa valeur fut
bientôt faite. Avec des forces moindres de moitié, le prieur
de Capoue avait obligé Doria à battre en retraite. Avec des
forces égales, La (nirdc n'osa livrer bataille. Ainsi fut com-
promise, faute d'un chef, l'œuvre admirable du précurseur
de Golbert.
(1) Lettre de Henri II du 5 novembre, citée.
(2) André Doria, redoutant pour sa patrie la concurrence de Savone,
demandait la remise de celte ville à Gènes. Montmorency, intéressé dans la
gabelle de Savone, refusa. Quelques jours plus tard, Doria passait au ser-
vice de l'empereur. Il est inutile de dire que je ne partage pas l'enthou-
siasme de M. Francis Decruh pour son héros (^Aiiiie, dite de Monlnioreney,
p. 104).
DERNIERE GUERRE
CONTRE CHARLES-OUINT
I
CROISIÈRES DANS LE PONANT
Le rival malheureux de Strozzi, Paulin de La Garde,
expiait, par une longue détention et un interminable
procès, tant le massacre des Vaudois que les malversations
commises (l). Il s'étiolait dans une prison « fort contraire
pour sa santé » , quand l'amiral d'Annebault, ému de com-
passion, supplia le duc de Guise de « faire gecter dehors le
posvre baron (2) » . Il fut assez heureux pour obtenir gain
de cause. L'ancien général des galères trouva aussitôt l'oc-
casion de s'occuper.
C'était au printemps de L'io L Depuis quelc[ues mois, nos
relations avec les Pavs-Bas étaient très tendues; sous pré-
texte de protéger les Flamands contre les pirates écossais,
le stalhouder de la flotte, Gérard Van Meckeren, avait fait
une démonstration navale en vue du Conquet et capturé
(i) Procès de La Garde (B. N., Morcau 778. — Jean <I\udin, Essai sur
la vie du baron de La Garde, dans les Positions des ilièses de l'Ecole des
chartes (1902).
(2) Lettre au duc de Guise. Paris, 13 février 1551 (B. N., Clairanibault
3-W, fol. 32).
DERNIERE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 481
de nos bâtiments non loin de Brest (l). Et noua apprenions
que l'amiral Maximilien de Bourgogne préparait sourde-
ment une expédition nouvelle : à la Vère en Zélande, les
compagnies d'embarquement arrivaient sans bruit, à la
file, la gouvernante des Pays-Bas ayant défendu de sonner
le tambourin de ralliement (2). A une demande d'explica-
tions, elle répondit que l'amiral de France en faisait autant
en Normandie. D'Annebault s'en défendit (3) ; et pourtant
à ce moment, il chargeait Paulin de La Garde d'aller sou-
mettre au roi un plan de campagne, où il comptait donner
de sa personne, avec quinze vaisseaux, contre son collègue
flamand. Il redoutait une attaque soit contre le Havre,
dont la garnison fut renforcée de deux cents hommes (4),
soit contre l'escadrille qui portait en Angleterre le maréchal
de Saint-André (5). Le maréchal allait cimenter le traité de
Boulogne par ces menus présents que se font les souverains,
un échange des colliers de leurs ordres. Le malheur voulut
que, pour empêcher l'escadre flamande aux aguets d'être
avisée de son départ, nous retînmes à Dieppe, le temps de
traverser la Manche, trois navires des Pays-Bas. Aussitôt
la régente d'entrer dans une feinte colère et, en représailles,
de saisir tous nos bâtiments de commerce (6).
La riposte eut quelque chose de foudroyant. Le baron de
(1) Mai 1550 (L. de BiECKEn, Etude bioqrayhùjue sur Gérard Van Mec~
hercn, vice-amiral de Flandre, dans les Annales de la Société' d'éniulalion
pour l'histoire et les antiquités de la Flandre. Bruges, in-S", t. VI, 2' série,
p. 347).
(2) Lettre de Bassefontaine au roi. Bruxelles, 21 juin 1551 (Mémoires-
Journaux du duc de Guise, dans la Nouvelle collection de Mémoires Mi-
chaud et Poujoulat, t. VI, p. 54).
(3) 26 juillet. Lettre du connétable au duc de Guise, 27 juillet (^Ibidem,
p. 66).
(4) u Mémoire et instruction de ce que M. de La Garde aura à dire au
Roy de la part de Monseigneur l'amiral » (B. N., Moreau 778, fol. 259).
(5) Juin 1551 (GosSELiN, Documents pour l'histoire de la marine nor-
mande, p. 58).
(6) Brantôme, t. V, p. 34.
m. 31
482 HISTOIRE DK LA MARINE FRANÇAISE.
La Garde sortit du Havre; et le 20 août 1551, à une lieue
de Falmouth, uu convoi de vingt-deux hourques flamandes,
qui se dirigeaient vers Lisbonne et Cadix, tombait en son
pouvoir : deux voiles seulement s'étaient dérobées. Le
baron s'était avisé d'un stratagème. Il avait demandé aux
Flamands de saluer la reine d'Ecosse embarquée à son
bord : et la fumée de leurs salves dissipée, voiles basses
comme il était dusage pour un salut, les hourqvies, se trou-
vèrent, masses inertes et sans défense, la proie de nos onze
galères. Elles durent se rendre, pour n'être point cou-
lées (1).
Une grosse flotte de hourques et de navires hispano-por-
tugais, qui revenait de la péninsule, pensa venger l'hon-
neur du drapeau, en chargeant résolument notre petite
escadre (2). Mais le sort lui fut encore fatal. Cornil Floris
se battit jusqu'à la dernière extrémité pour sauver sa riche
cargaison, où des lingots d'or et d'argent se dissimulaient
sous des sacs et des monceaux de sel; son équipage hors de
combat, sa hourque en feu, il dut se rendre. Et cette fois
encore, le retour du baron de La Garde, le 12 septembre,
fut triomphal : il ramenait au Havre un butin de six à sept
cent mille écus, et une douzaine de hourques (3), des
« croisades » d'or, des marchandises « exquises » et des
armures splendidement auvragées, dont l'une alla orner le
château que l'amiral d'Annebault se faisait construire à
Aubecour (4).
(i) Ch. PiOT, La diplo)iialic coiiccninnl les affaires niaiitiiues des Pays-
Bas vers le milieu du XVI" sièele, dans le Bulletin de l'Académie de Bel-
gir/ue. Bruxelles, 1875, in-8", t. XL, p. 847.
(2) Vaisseaux portugais et autres « tous ensemble chargèrent indifférem-
ment sur... icelluyI)aron de T^a Garde. « Réponse de Henri II aux plaintes
du Portugal. 12 janvier 1552 (B. N., Franc. 18153, fol. 294).
(3) Lettre de Martin Du Bellay. 18 novembre 1551 [Bullelin du comité'
des travaux historicjues (1895), p. 29).
(4) Guillaume de MaRCKILlks, Mémoire de la fondation de la Ville Fran-
çoise, p. 28.
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. /i83
Henri II eût voulu circonscrire le conflit en mettant hors
de cause les Espagnols, qu'il renvoya sans rançon (l). Mais
ce n'était plus possible. Tandis que la régente des Pays-Bas
organisait, avec le concours d'Anvers (2), une escadre de
couverture pour les convois, Gharles-Quint prenait fait et
cause pour elle en donnant ordre à ses marins de nous
courir sus (3). Et la guerre navale se déchaîna partout à la
fois.
Contre quatre-vingt-quatre de nos bâtiments de guerre
disséminés sur leur route, les capitaines flamands Adolphe
de Hamstede, Gillot, Binchorst, Vranck et le vice-amiral
Jean de Croesere avaient la plus grande peine à protéger
les convois qui passaient d'Anvers en Biscaye (-4).
Le 21 mars 1552, au retour du printemps, le guetteur du
sémaphore de Dunkerque, posté sur le clocher, épiait
anxieusement l'horizon. On s'attendait à tout instant à lui
voir hisser le signal d'alarme, le petit foc qui indiquait
l'apparition des navires ennemis et, dans l'espèce, de vingt-
cinq de nos vaisseaux signalés du côté de Douvres (5) .
C'était la Hotte du baron de La Garde qui reprenait sa
croisière, les vingt-cinq galions et roberges dont un pri-
sonnier espagnol admirait de son cachot du Havre les
formes sveltes, l'agilité de la palemente et l'armement uni-
forme de six pièces par flanc (6). Tout un convoi d'Anvers
(i) Commission à l'amiral pour vendre 16 prises flamandes et renvoyer
sans rançon les matelots espagnols. 18 septembre 1551 (P. Fournikr, Hy-
drographie, 2" édition, p. 249j.
(2) Septembre (Bibl. de Bruxelles, ms. 17260).
(3) 24 novembre (F. DuRO, t. l, p. 417).
(4) En 1552 (Van Brdyssel, Histoire du eoininerce et de la marine de
Belgique, t. III, p. 37).
(5) Extraits des Archives de Dunkerque, par V. Derode, La marine
dun/iert]uoise avant le XVII" siècle, dans les Mémoires de la société dun-
kerquoise, t. XI, p. 208.
(6) Le Havre, 13 septembre 1551 (Bulletin de la société historique de
Normandie (1879), p. 327). — Sur les garde-côtes de Normandie, cf. ci-
dessuSj p. 457.
484 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
fut encore sa proie. Nous ne perdîmes, par contre, que deux
légers bâtiments, le Petit-Henri et le Yacht de Fécamp, dont
les marins des Pays-Bas eurent la maigre satisfaction d'af-
ficher les noms dans leurs ports (l) .
Pour les marchands ennemis, la Manche devenait un
coupe-gorge : là, c'étaient les malouins Julien Protêt,
Guillaume Pépin de La Broussardière et François Cormier,
capitaines de la Jehanette, du Jacques et du Daulphin^ qui
enlevaient trois bâtiments basques (2) ; ailleurs, les boulon-
nais Jean Rémon, Jacques Loysel, Pierre Bourdel, Pierre
Lenfant et Adam du Four amenaient dans leur port d'at-
tache une flottille de Lûbeck (3) ; et le gascon Arnaud de
Casemajor, à bord de la roberge de Rouen, inspirant une
telle terreur qu'on le fuyait du plus loin qu'on l'aper-
cevait, faisait en une campagne pour cent mille livres de
prises (4) .
Entre Basques français et Basques espagnols, la lutte
revêtit un caractère d'acharnement inoui. G était, entre
frères ennemis, un duel à mort. Seize pataches espagnoles
dévastaient le Boucau en juillet 1552, lorsque les Bayon-
nais, se jetant sur elles avec leurs coraux bien armés, les
forcèrent à fuir (5). A la même date, un grand vaisseau, de
cinquante pièces de canon, se battait un jour entier contre
(1) Derode, ouv. cité.
(2) Le Faucon blanc, l'Assomption et le Griffon déclarés de bonne prise
par jugement du sénéchal de Saint-Malo. 23 décembre i55i (Dionne,
Jacques Cartier, p. iO, note).
(3) Le Lion rouqe, le Petit-Lion, la Licorne, la Vache, déclarés de bonne
prise par le lieutenant de Boulogne, le 4- juillet 1552 (B. N., Franc. 18153,
fol. 329 \°), furent restitués par ordre du Conseil royal le 2 novembre
(Ibidem); et défense fut faite de molester les Hanséates, le 20 janvier 1553
(P. FOURMER, p. 249).
(4) Guillaume de Marceilles, Mémoire de la fondation de la Ville Fran-
çoise, p. 28. — 11 Estât des pièces concernant la prise faite sur les Espa-
gnols par la roberge de Rouen, dont étoit bourgeois Arnault de Caze-
uiajor. .) 1553 (B. N., Franc. 32614, p. 280).
(5) Archives de Bayonne, CG 164, p. 508.
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CH ARLES-Q t INT. 483
Talcade de Deva, Domingo de Gorocica, qui ne s'en rendait
mailre qu'api'ès la mise hors de combat de tout l'équipage.
Curieuse figure d'alcade que ce Gorocica! comme plus
tard le tapissier de Notre-Dame, il pavoisait des pavillons
capturés son église, et des tambours, des fifres et des clai-
rons de ses prises, il se constituait un musée. Ces Basques
semblaient avoir juré de ruiner nos ports. En mars 1552,
on signalait une douzaine de leurs chaloupes dans le Mor-
bihan (1) ; ils pénétraient dans la Loire, à Saint-Nazaire,
insultaient La Rochelle, Marennes, que sais-je. Sept de
leurs galions jetaient une colonne infernale de trois cents
arquebusiers sur les rives de la Gironde et se retiraient
avec sept prises, au travers de trois vaisseaux de guerre de
Saint-Jean-de-Luz. D'autres fois, c'était une dizaine de
zabres de Pasajes, qui tentaient de ruiner Capbreton ; c'était
Miguel de lUnain, qui enlevait dans la nuit de la Pente-
côte la grande galère de Saint-Jean-de-Luz; c'étaient six
bàlimentsde Saint-Sébastien, qui livraient un long combat
à un nombre égal de vaisseaux de Saint-Jean-de-Luz pour
reprendre un magnifique carracon. Le seul galion de Juanot
de Villaviciosa nous enleva, au cours de la guerre, soixante
bâtiments et cinq cents pièces d'artillerie; mille navires,
quinze mille marins, au dire des Basques espagnols, seraient
tombés, de 1551 à 1555, entre leurs mains. « A peine voit-
on un homme sur la côte de France, qui n'ait été notre
prisonnier (2) . »
Voici comment étaient organisées les croisières d'es-
cadres qui servaient de soutien aux corsaires ennemis :
(i) Lettre du duc d'Étampes. Nantes, mars i552 (Dom Morice, Mé-
moires... rie Bretagne, t. III, col. t083).
(2) " Inforniacion hecha en la villa de San Sébastian, para acreditar las
acciones marineras de los capitanes armadorcs de Guipuzcoa durante la
guerra con Francia. >> 15 octobre 1555 (publiée par F. DuRO, Arca de Noé,
libro sexto de las disquisiciones nauticas. Madrid, 1881, in-8°, p. 355. —
DccÉnK, Les corsaires sous V ancien régime, p. 333).
486 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Alvaro de Bazan couvrait les côtes d'Espagne, depuis
Gibraltar jusqu'aux côtes basques; Luis de Carvajal, à la
tête de douze vaisseaux de Biscaye, assurait les communi-
cations avec la Flandre (1) ; l'amiral de Flandre, Adolphe
de Bourgogne, et ses vice-amiraux, Gérard de Meckeren et
Antoine de Levi, convoyaient les marchands des Pays-Bas
jusqu'en Espagne, avec des croiseurs dont le nom disait
la légèreté, l'Aigle, l'Hirondelle, le Faucon, le Lévrier,
le Renard, l'Esprit-Volant, le Bateau-Mouche, le Cerf-Vo-
lant (2).
Ils eurent bientôt à mi-route un poste de vigie doù l'on
pouvait (i veoir passer toutes les navires de France et les
endommaiger. » x\vec des yachts dun faible tirant d'eau,
le célèbre marin néerlandais, Adrien Crol, dEnkhuysen,
réussit une opération qu'avaient manquée les capitaines
Robert Scliotsman et Schoonen Dieric : l'occupation (3)
par surprise de l'île de Sercq. Mais avant qu'il eût reçu
comme renforts «trois navires aventuriers" de Flessingue,
il fut contraint de brûler les fortifications, de jeter à la
mer les grosses pièces et d'emporter les autres, avec les
munitions, qu'il vendit à la garnison anglaise d'Aurignv (^j .
Il n'eût pu résister à un millier de Normands qui arrivaient
à la rescousse ; et dans les premiers jours de novembre 1553,
l'île de Sercq était réoccupée par le lieutenant-amiral Mar-
tin du Bellay (5) .
(1) F. DuRO, Armada espanola, t. I, p. 417.
(2) Partis le 23 mars 1553 de Walchoren, avec un convoi de vingt-quatre
bâtiments marchands, ils revinrent d'Espagne en octobre (V.\n Brcyssel,
Histoire du commerce en Beltjicjiie, t. III, p. 38). Le 22 mars, un de nos
corsaires, le Mercure, de Dieppe, avait été capturé par un navire-éclaireur
le Lévrier.
(3) Lettres de Cornil Scepperus. Flessingue, 27 septembre, et La Vère
2 octobre 1553 [Bulletin de l'Académie de Bruxelles, t. XL (1875), p. 853
note).
(4) Lettres de Simon Renard. Londres, 1'^'' et 8 novembre (Gacuahd,
Voya(^es des souverains des Pays-Bas, t. IV, p. 179, 197).
(5) Papiers d'Etat du cardinal de Granvelle, t. IV, p. 137.
DERNIÈRE GLERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 487
Mais les Anglais des îles anglo-normandes avaient un
intérêt capital à supprimer notre gênant voisinage. Quel-
ques mois plus tard (1), le capitaine de La Bretonnière,
que le roi envoyait à Sercq, était enlevé par trois navires
flamands, montés en bonne partie de Jersiais. Il fut écroué
au château de Jersey, qui fêta par des salves répétées la
victoire des Flamands. Au chancelier d'Angleterre qui ré-
pondait à nos plaintes en revendiquant la propriété de
l'îlot, notre ambassadeur répliqua : " Je pourrois dire le
semblable povir le roy des isles de Gersay et Gucrnesay,
qui dépendent de sa duchié de Normandie, estant icelles
du diocèse de Constance. Par les derniers traictéz, ladicte
isle de Sarck est demourée au roy, " n'en demandez donc
pas davantage (2). La question de la propriété des îles
anglo-normandes, longtemps assoupie, se posait à nouveau,
en même temps que celle de la neutralité anglaise. La
sympathie des marins britanniques pour nos adversaires
était tellement patente que le gouverneur de Bretagne
donna ordre de leur courir sus (3).
II
COMiMENT NOUS F.\ILLI.MES ENLEVER L'INFANT D'ESPAGNE
Dans ces conjonctures difficiles, l'homme qui présidait
aux destinées de notre marine, depuis la mort de l'amiral
d'Annebault, depuis que La Garde avait repris dans le
(1) Le 18 avril 1554 {Amhassadcs de MM. m: Noailles en Anqleterre^
éd. Vertot. Paris, 1763, in-12, t. III, p. 195).
(2) Lettre d'Antoine de î^oailles au connétable sur la conférence qu'il a
eue avec le roi d'Angleterre. 24 mai 1554 [Ihidem, t. III, p. 242).
(3) Mandement du duc d'Étampes. 12 août 1553 (B. N, ¥<= Colbert 292,
fol. 20 v°).
4S8 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Levant le généralat des galères (1), était rancien colonel
de l'infanterie (2).
Gaspard de Coligny n'avait servi sur mer que durant la
campagne de 1545; mais la force des choses, la valeur de ses
capitaines, la direction qu'il sut imprimer aux idées d'expan-
sion coloniale, allaient donner à sa charge un grand éclat (3) .
Yillegagnon fut de ceux qui y contribuèrent le plus. Il
sortait des prisons espagnoles, quand on le chargea de
parer à une attaque éventuelle contre Brest, en aidant de
ses lumières le vice-amiral breton, Marc de Carné (4).
Geindre la place de batteries couvertes et le donjon d'une
courtine, armer en galères les grands bateaux du roi qu'il
garnit d'une pavesade de gros cables, ne lui suffirent point,
Villegagnon parlait d'aller combattre la flotte de l'infant
d'Espagne, où qu'elle fût. Reprendre une place perdue
coûte beaucoup plus cher que de dresser une armée navale,
surtout que « par là, écrivait-il, nous garderons non seu-
lement Brest, mais toute la Bretagne, Guiene et Nor-
mandie (5) . »
Sur ces entrefaites, la vice-amirauté de Bretagne vint à
vaquer : et Villegagnon, qui en fut pourvu, se trouva à
même d'exécuter ses plans. Il se fit dépécher de nouveau à
Brest avec l'ordre de radouber les gros vaisseaux du roi (6),
(J) Lettres patentes du 10 juin t552 (B. N., Moreau 778, fol. 23i).
(2) Coligny fut nommé amiral de France par lettres en date du 11 no-
vembre 1552 (B. N., Franc. 18153).
(3)J. Del.\bot^de, Gaspard de Coliquy, amiral de France. Paris, J879-
1883, 3 in-8°.
(4) Marc de Carné était encore vice-amiral et capitaine de Brest à la date
du 10 mai 1558 (B. N., Franc. 5128, p. 181).
(5) Lettre de Villegagnon au duc d'Étampes. Brest, 9 décembre 1552
(Dom MoRicE, Mémoires... de Breta<^ne, t. III, col. 1088. — Hkcluard,
Villegagnon roi d'Amérique (1510-1572). Paris, 1897, 4°, p. 68). — Cf.
l'inventaire de l'artillerie de la place de Brest. 16-19 août 1553 (B. N.,
Franc. 22326, fol. 787).
(6) Lettre de Montmorency au duc d'Etampes. 16 juillet 1553 (Dom
'^lomcv.. Mémoires... de Bretagne, t. III, col. 1095).
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 489
tandis que Tamiral de Goligny chargeait un autre lieute-
nant d'inspecter le reste de la flotte du Ponant (1). Deux
souricières furent établies aux deux extrémités de la
Manche, huit vaisseaux dieppois à la hauteur de Ply-
mouth (2), treize ou quatorze navires de guerre dans le
pas de Calais (3). Mais à Tune comme à l'autre, un bâti-
ment agile échappa : le Lévrier portait en Angleterre le
comte d'Egmont, chargé de négocier le mariage de Tln-
fant d Espagne avec la reine (4).
Et bientôt nous arriva d'Angleterre la nouvelle très
grave que la négociation avait réussi. La reine Marie
signait, le 12 janvier 1554, son contrat de mariage avec le
fils de Charles-Quint. Cette union matrimoniale n'était
point populaire. On le vit de suite par le soulèvement de
Thomas Wvatt, qui entraîna dans son parti le vice-amiral
John Wvntcr et les marins de cinq grands vaisseaux armés
pour aller au-devant de Philippe d'Espagne (5). A portée
des rebelles, à l'embouchure de la Tamise, croisait une
escadrille française (6), où l'on distinguait la frégate de
Villegagnon (7), l'apôtre de l'offensive.
Lorsque Wyatt fut arrêté à Westminster par l'amiral
HoAvard, ses lieutenants Piet Caro, Gourtnay, Ellegrey et
(1) Aux termes d'une commission royale en date du 31 juillet (B. N.,
Franc. 3115, fol. 81).
(2) Londres, 17 novembre (Citleiidar of State papers, Venctian (1534-
1554), éd. Rawdon-Brown, p. 831).
(3) Lettre de Simon llenard à Charles-Quint. Londres, 21 octobre (Ga-
cu.\HD, Voyaqes des souverains des Pays-Bas, t. IV, p. 160).
(4) FArLcosxiER, Description historique de Dunkerque) t. I, p. 55.
(5) Ambassades de MM. de Noailles, en Angleterre, éd. de Vertot
(1763), t. III, p. 46 : lettre d'Antoine de Noailles. Londres, 28 janvier 1554.
(6) Le dimanche 14 janvier, deux navires de Dieppe, un de Fécamp et
un de Boulogne enlevaient à l'embouchure de la Tamise sept bâtiments
néerlandais. Lettre de l'ambassadeur impérial Simon Renard. Londres,
18 janvier (Gacuard, Voyages des souverains des Pays-Bas, t. IV, p. 300,
217).
(7) Qui fut détruite à Margate par les Flamands (Lettre de Noailles.
11 février : Ambassades, t. III, p. 61).
490 HISTOIRE DE LA MARINE FRAiNÇAISE.
nombre de gentilshommes coururent la mer à bord du
Sacre et autres bâtiments dieppois (1), cherchant à nouer
des intelligences à Wight et dans les districts de l'ouest (2).
Et de fait, une nouvelle mutinerie éclatait à Plymouth
parmi les matelots que la reine envoyait au-devant de son
fiancé : l'amiral Howard d Effingham se vit sommer par
eux de n'y point aller, sous peine de mort; et ce qui com-
pliquait sa tache, c'est qu'il avait reçu de la reine l'ordre
de ne molester aucun de nos vaisseaux (3), au moment où
l'arrivée d'auxiliaires semblait l'entraîner à des hostilités
ouvertes. Sous couleur de le renforcer, mais en réalité
pour contenir les mutins anglais, quatorze navires de
guerre flamands rallièrent son pavillon. Bien que l'amiral
Adolphe de Bourgogne-Wacken consentît à n'être qvie le
vice-amiral d'HoAvard (4), les Anglais n'épargnèrent point
à ces singuliers alliés les quolibets et à leurs coquilles de
moules un hautain mépris (5).
Une dernière sédition enfin paralysa Fescadre britan-
nique. « Les saulvaiges » Irlandais s'étaient soulevés, avec
le concours de Jean Le Fer et autres corsaires malouins,
qui s'intitulaient plus tard les Guerriers d'Irlande (6). En
vain, un vice-amiral anglais avait-il essayé d'enraver le
mal par l'arrestation de quelques-uns de nos marins, qu il
traita indignement (7). Il fallut dépêcher dans Tîle le comte
d Ormond pour réprimer l'agitation.
(i) Février-mars [Ambassades..., t. III, p. i09, 136).
(2) Lettre de Charles-Quint à Renard. Bruxelles, 2 avril {Papiers de
Granvellc, t. IV, p. 230).
(3) Lettre de Noaillcs. 18 mai (Ambassades..., t. III, p. 220).
(4) Lettre de Charles-Quint du 2 avril, citée. Wacken, sur le Faucon,
partit de Hollande le 16 avril pour rallier l'escadre anglaise (Vax Bhuyssel,
Histoire du commerce en Belqique, t. III, p. 40).
(5) Papiers de Granvelle, t. IV, p. 274.
(6) « Jehan Le Fer et aultres de la guerre d'IIirlande. » Audience du
8 janvier 1555 à Saint-Malo (.louos dks Lokgr.ms, Jacques Cartier, p. 169).
(7) Lettre de Henri II à Noailles. 12 mai 1554 (Ambassades..., t. III,
p. 207).
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 491
Cependant, toutes les escadres de la Vieille et de la Nou-
velle Espagne, depuis les galions des Indes et les garde-
côtes des Antilles, jusqu'aux divisions métropolitaines de
Bazan et Carvajal, s'assemblaient à La Corogne pour passer
en Angleterre. Sur la nef de Bertendona, parée de soie et
de damas cramoisi, et peinte, le long des bordages, de
tableaux historiques qui formaient la galerie généalogique
du futur époux (1), Philippe d'Espagne avait l'air d'un
triomphateur romain (1). Tel, Charles-Quint s'était fait
représenter à la proue d'une galère, en imperator vêtu à
l'antique et couronné parla victoire (2); tel, son fils par-
tait pour la conquête de l'Angleterre, conquête pacifique,
il est vrai, mais qu'évoquaient les scènes qui se déroulaient
sur les voiles des cent cinquante bâtiments de son escorte,
toutes empruntées à la vie de Jules César et autres ùnpe-
rator. Cette attitude théâtrale ne dura guère. Durant la
traversée, du 15 au 19 juillet, une des pinasses-avisos
ayant rapporté qu'elle avait découvert une escadre fran-
çaise, le prince manda expressément à toute la flotte de ne
tirer aucun coup de canon pour le saluer et de ne faire
aucun signe qui décelât où il était (3).
Pour entraver l'union de l'Espagne et de l'Angleterre,
Yillegagnon avait en effet préconisé un moyen énergique :
enlever le fiancé. Et depuis longtemps, à l'entrée de la
Manche, aux Sorlingues, se massaient nos forces navales,
les gros vaisseaux de Bretagne radoubés par Villegagnon (i) ,
(i) Andrcs Munoz, Viaje de Felipe II a Inqlaterra. Zaragoza, 1554 :
l'éimprimée pour la Sociedad de bibliofilos espaîïoles. Madrid, 1887. — Ochoa
DE L\ Salde, la Cnrolea. Lisboa, 1585, fol. 430. — Correspondances diplo-
matiqnes et actes officiels concernant le mariage entre Philippe, prince
d'Espaqne, et Marie, reine d'Angleterre. Bruxelles, 1882, in-8". — F. DuRO,
t. I, p. 311, 446.
(2) Cf. la description de ce trophée qui se trouve à l'iVriueria, dans
F. Drno, t. I, p. 320, note 1.
(3) Ambassades de MM. de Nouilles, t. III, p. 297.
(4) I! avait été dépêché à Brest dans ce but, dès le 16 juillet 1553. Lettre
492 HISTOIIiE DE LA MARINE FRANÇAISE.
la flotte écossaise que le sieur Glutin d'Oysel et onze de
nos capitaines avaient été mobiliser (l), et une vingtaine
ou une trentaine de vaisseaux dieppois commandés par
Jean de Clères, colonel du ban et de Tarrière-ban de Nor-
mandie (2) .
Le 6 juin 1554. un navire vénitien, en rovite pour
Londres, tombait au milieu d'une immense flottille qui
courait des bordées entre la Bretagne et le cap Lizard.
L'écrivain du bord compta avec stupéfaction trois cent
vingt voiles, des chasse-marées en majeure partie. Comme
la Bemha tentait de s'éclipser à la faveur du crépuscule,
l'amiral français, par un coup de canon à blanc, lui intima
l'ordre d'arriver et d'exhiber son sauf-conduit. Après con-
ciliabule avec le capitaine écossais de son plus grand vais-
seau, l'amiral vicomte « d'Albanova (3j " demanda aux
Vénitiens s'ils avaient connaissance de la flotte espagnole.
Gontarini et l'écrivain du bord arguèrent d'ignorance;
mais en revanche, ils apprirent de l'amiral qu il y avait
dans la flotte en croisière quatre-vingts vaisseaux de guerre,
partie dans la Manche, partie au cap Land's End. Ils n'en
comptèrent pourtant qu'une douzaine du port moyen de
trois cents tonnes, durant le défilé de la flottille. Moyen-
nant cinq bottes de vin et quelques compas de route, qu'un
de nos détachements prit de force, la Bemha obtint licence
de poursuivre son chemin (4). Six semaines plus tard,Phi-
d'Anne de Montmorencv au duc d'Étampes (Doin Morice, Mémoires pour
servir de preuves à l'histoire de Bretagne, t. III, col. 1095).
(1) Lettre de l'ambassade Renard. Londres, 18 janvier 155V (Gacii.\rd,
t. IV, p. 300 et 217).
(2) Lettre de lord Grey à la reine Marie. 6 mars (^Calendar of State pa-
pcrs : Foreign, éd. Turnbull, p. 64). — Lettre de Marc-Antonio Daniula
au doge de Venise. Bruxelles, 20 juillet {Calcndar of State papers : Vcne-
tian, t. V, p. 523, n" 920).
(3) Faut-il lire Villegagnon sous ce nom déformé?
(4) Récit de l'ambassadeur vénitien Giovanni Michiel. Londres, 11 juin
{Calendar of State papers : Veiietiait, t. V, p. 508, n"' 894, 895).
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 493
lippe d'Espagne passait indemne : lasse de l'attendre, notre
immense flotte s'était disloquée.
En dépit du mariage de leur reine, les Anglais restèrent
d'abord neutres, sauf à faire respecter la liberté des mers
par les deux belligérants : leur amiral signifia à notre
ambassadeur que toute violation de neutralité du pas de
Calais serait tenue pour une rupture de la paix (1). A tout
événement, nous prenions des mesures de défense : trans-
port de quinze cents hommes de renfort en Ecosse (2) ;
mise à la disposition de l'amiral de tous les gentilshommes
normands qui demeui^aient à une demi-lieue du rivage (3) ;
assemblée des petits États de Bretagne ou, comme l'on
disait, " des plus apparens » des Etats en vue d'organiser
l'escorte des convois (4) ; car les Bretons, jaloux de leurs
privilèges, avaient maintenu leur autonomie en matière
navale (5). Et l'apparition de cinq flouins ennemis, chargés
de monde, qui « voltigèrent " toute la journée du 24 août
1555 autour du Bé (6), montra combien il était urgent
d'aviser à la garde des côtes. L'alerte eut pour effet d'ob-
tenir des Maloviins l'armement de six croiseurs (7).
(1) Lettre de Renard à Charles-Quint. Londres, 13 octobre 1554 (Pap/e/s
de Granvelle, t. IV, p. 321).
(2) Papiers de Granvelle, t. IV, p. 400.
(3) Patentes royales du 5 juillet 1555 (P. FounxiER, Hydrographie,
2<=éd., p. 249).
(4) Ordre au gouverneur de Bretagne de u congreger les plus apparens »
des États. 21 mars 1555 (Doni MonicE, Mémoires... de Bretagne, t. III,
col. 1127).
(5) Ils avaient refusé de payer le droit de convoi de 20 sols par tonneau :
et Henri II, par lettres du 17 janvier 1555, avait dû enregistrer sa défaite
(B. N., coll. Brienne, vol. 321, fol. 70).
(6) Lettre du vice-amiral Bouille au duc d'Etampes, gouverneur de Bre-
tagne. Saint-Malo, 24 août 1555 (Dom Morice, t. III, col. 1145).
(7) B. N., Franc. 22310, fol. 79.
494 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
III
MÉMORABLE COMBAT NAVAL LIVRE PAR LES DIEPPOIS
AUX FLAMANDS
A l'autre extrémité de la Manche, les magistrats boulon-
nais réclamaient avec instance les navires de guerre affectés
à la protection des pêcheurs de harengs. Ils députèrent
deux bourgeois aux capitaines de ces bâtiments, alors à
Dieppe, Fécamp et Saint-Valéry, pour les inviter à venir
croiser dans le pas de Calais (1). A défaut de la flotte
rovale, trop longue à équiper, une escadre de six vaisseaux
« des plus commodes etdeffensables " s apprêtait à Dieppe.
Le lieutenant général de Tamirauté, Charles de Ponsard
de Fors, patriotiquement en avança les frais ; et le capi-
taine Beaumont allait appareiller en juillet 1555, quand
Henri II congédia équipages et bâtiments. Navré de trans-
mettre cette décision, l'amiral de Coligny fit savoir qu'il se
substituait au roi; il participerait de ses deniers à l'arme-
ment (2) .
La nouvelle provoqua parmi les hardis corsaires une
(1) A. d'Hactefeuille et Bénard, Histoire de Boulogne-sur-Mer (1860),
t. I, p. 297.
(2) Histoire de la bataille navalte, faicte par les Dicppois et Flanicns,
qui est l'une des plus furieuses et soudaines expéditions de mer, qui ayt
esté entreprise de nostre temps sur les ennemis du Roy Henry II. Paris,
1557, in-8" : réimprimée par Cimber et Danjou, Archives curieuses de
l'Histoire de France, i'" série, t. III, p. 141-168. — L'ouvrage publié par
P. J. Feret sous ce titre. Histoire navale. Antiquités de Dieppe, mémorable
combat livré par les Dieppois aux Flamands l'an 1555, i-estitution du
récit fait par Martis le Mescissier (Dieppe, 1834, in-fol.), n'est qu'un
résumé de l'ouvrage précédent, tiré de David Asselixe, Antiquités et chro-
niques de la ville de Dieppe (1682). En tête, Feret a placé une gravure
représentant un vaisseau dieppois du seizième siècle, d'après un vitrail de
l'église de ÎMeuville-les-PoUet.
DERMÈRK GUERRE CONTRE GHARLES-Q UIN T. 495
explosion d'enthousiasme. Dix-huit navires, au lieu de six,
se trouvèrent parés à sortir à « la prochaine vive eau " . Le
Làtiuient amiral ne dépassait pas 160 tonneaux, les der-
nières unités de combat 25 et même 15 tonnes.
Sur le iSicolas, battant pavillon amiral, Louis de Bures,
sieur d'Espineville et parent d'Ango, allait soutenir digne-
ment un grand renom. Le commandement en second était
dévolu à Denis Guillas, capitaine du galion royal l'Eméril-
lon. Tous les bâtiments amatelotés deux à deux, un petit
avec un grand (1), capitaines, quartiers-maîtres, marins
jurèrent de se prêter un mutuel appui, arrêtèrent leurs
signaux de reconnaissance et appareillèrent le 5 août 1555.
La population dieppoise avait travaillé nuit et jour à les
remorquer en rade, tant le port était dde difficile ouverture,
spécialement pour les grands vaisseaux, ainsi que vérita-
blement sont tous les autres havres le long de la coste de
Normandie " .
Dans la soirée, Louis de Bures apprit d'un navire anglais
qu il y avait dans la partie du nord une douzaine de
hourques flamandes, en route vers l'Espagne. Il en avisa
tous les capitaines venus le saluer » avec trompettes,
tabours et coups d'artillerie" et, le cap à l'ouest-sud-ouest,
alla se mettre en embuscade. Le lendemain, des hourques
apparurent par le travers de Wight : à l'examen de leurs
connaissements, on acquit la certitude qu'elles étaient
(i) L'Aiiqe (100 tonneaux), capitaine Jean Le I\ou.\, et le Faucon, galion
du roi (60), des Bigas ;
La Barbe (140), Vincent Bocquet, et la Comtesse (GO), Bertrand Caillot;
Le Soleil (100), Adrien Le Vilain, et la Gentille (50), Nicolas Ruault;
Le Saint-Jean (90), Jean de La I^lace, et l'Once (45), Jean Lubias;
La Levrièie (120), Adrien Leconte, et la Belette (60), Anthoine Varin ;
La Palme (100), Louis Beaucousin, et le Petit-Cocj (40), Mathieu
Cauvin ;
Zc Bedoulé (30), Simon Saquespée, et le Dragon (35), Michel Clé-
mence ;
Le Byays (25), Vincent Colas, et la Ferqate (15), Denis du Jardin.
496 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
allemandes, c'est-à-dire neutres. Comme Tescadrc « cou-
rait au lis du vent, le cap au su-su-est » , le galion du baron
de Clères la croisa, pavillon de commandement arboré. A
l'amicale observation de Louis de Bures, que lui seul avait
commission de l'amiral, le capitaine Mase ne voulut point
se rendre et préféra chercher aventure pour son propre
compte plutôt que de se ranger sous pavillon d'autrui.
L'occasion le servit à souhait. Une hourque, au crépus
cule, profila à l'horizon ses formes gigantesques. Elle
était, soit-disant, de Dant/.ick; Mase la garda à vue, afin
de la mieux reconnaître et, au jour, fit sonner le clairon.
a Mesurant sottement les courages à la grandeur ou à la
petitesse des navires, » son adversaire attendit avec mépris
l'attaque d'un minuscule galion. Fort heureusement pour
Mase, le Soleil, la Palme, le Saint-Jean et le Petit-Coq
étaient restés en arrière, tandis que Louis de Bures, revi-
rant à l'autre bord, s'éloignait dans la nuit. Ils joigni-
rent leur feu à celui du galion de Clères, dont le maître
d'équipage, Christophe Simon, venait d'être tué; après
un sanglant combat, qui fit surtout des victimes parmi les
canonniers du Saint-Jean et du Soleil, la hourque suc-
comba.
Cinq autres hourques, sur lesquelles Louis de Bures
était tombé, s'étaient formées en bataille, serrées les unes
contre les autres; cette velléité de résistance dura peu :
elles envoyèrent leurs connaissements. Elles étaient de
Hambourg. Des papiers, dont elles s'étaient débarrassées
en les jetant à la mer, furent repéchés, mais n'apprirent
rien d'autre.
Le 9 août, comme l'escadre s'abritait en rade de Douvres
contre les vents du nord, quelques hommes du Petit-Dragon,
descendus à terre, furent mis aux arrêts; les Anglais espé-
raient Il leur tirer des dentz quelque secret de l'entre-
prise » . Louis de Bures, par deux coups de canon sur un
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 407
petit navire anglais, le fit arri^'er et le garda comme otage
jusqu'au retour de ses hommes.
« Tost après, le bateau passager de Douvres se mit en mer
pour aller à Calais. Ce que voyant, nostre amiral envoya
la Frégate et le Ryays après, pour scavoir s'il n'y avoit
aucun des ennemis, qui allât donner advertissement de
nostre armée en Flandres » . Rattrapé par les deux flouins,
en dépit des coups de canon tirés contre eux du château
de Douvres, le paquebot fut amené à l'amiral. Mais on n'y
saisit rien de suspect, et pour cause : plusieurs paquets
avaient été jetés par-dessus bord.
Le 1 1 août, à l'aube, la vigie signala vingt-quatre grandes
voiles, (c lesquelles avec flot louyoient au vent pour passer
le détroit de Calais. » C'était l'ennemi cherché. Vingt
hourques flamandes revenaient d'Espagne avec une car-
gaison de 350,000 couronnes pour le compte de l'empereur :
elles avaient comme consei'ves trois bâtiments de Civita-
Yecchia chargés d'alun (1). Le dernier navire, battant
pavillon britannique, a amena toutes ses velles et jetta
l'ancre hors, pour voir à son aise l'exécution de cette
bataille » . Sa manœuvre laissa penser aux nôtres que ses
compagnes étaient encore des hourques allemandes, " joinct
qu'elles ne mettoient leurs vergues en bataille, ny faisoient
aucun préparatif de combat. Mais si les nostres furent
déceuz de leur penser, les B'iamens ne le furent pas moins. »
Confiants dans la force de leurs vaisseaux, ils ne pouvaient
imaginer que des bâtiments aussi petits, fussent-ils au
nombre de cinquante, oseraient les charger. Force leur
fut de se rendre à l'évidence, en voyant que les nôtres
avançaient toujours, leurs ponts-volants dressés, et que
(1) Lettre de Giovanni Micliiel, ambassadeur en Angleterre, au doge.
Richinond, 19 août (Caleiidar of State Papers and manuscripts, relating
to english affairs, existing in the archives of Venice, éd. Rawdon-Brovvn,
t. VI, p. 167, n" 190). — Lettre de Badoer. Bruxelles, 16 août ylbidem,
p. 162, n° 186).
m. 32
408 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
« c'estoit à bon jeu bon argent » : ils préparèrent en toute
diligence les grappins d'abordage et la grosse artillerie
tirée de l'overlooper (1). Il était huit heures du matin. De
Douvres comme de Calais, on apercevait les flottes en pré-
sence, à six lieues en mer.
Une hourque, qui marchait à l'écart, fut emportée par
ta Levrière. Sans se soucier des bâtiments relativement
petits qu'il avait sous le vent, l'amiral de Bures, gouver-
nant sur le vice-amiral Melis Claesson, riposta à son feu
par une bordée qui emporta la tête de Claesson : mais
il manqua l'abordage, » parce qu'en l'accostant de son
épaule de tyebort. Ferre que portoit le navire, le repoussa » .
A peine avait-il accroché une autre hourque, « qu'il en
eustdeux ou trois sur les bras" . Impressionnés par un duel
aussi disproportionné, nos capitaines commençaient à
« resserrer au vent » , quand le second de l'amiral, le capi-
taine Guillas, les rappela au sentiment du devoir et de
l'honneur : « Qu'allons-nous faire à la guerre, dit-il?
Est-ce pas pour mourir aussi bien que pour faire mourir!
Qui a crainte maintenant, il est trop tard... Aussi ay je
délibéré de me perdre, ou il se perdra. i> Et le petit Emë-
rillon, suivi de la Barbe et de tAtige, se jeta résolument
(i au milieu de la troupe des hourques, lesquelles char-
geoient désespérément " . Deux autres bâtiments, hi Com-
tesse et le Petit-Dragon, vinrent à la rescousse de leurs
camarades, presque écrasés sous un monceau de quatorze
vaisseaux de haut bord. Puis, à la voix du capitaine Adrien
Lecomte, qui se lamentait d'avoir dégarni la Levrière pour
amariner sa prise et suppliait ses voisins de lui donner des
hommes, les autres commandants entrèrent à leur tour
dans la fournaise. Seuls, le Soleil, le Saint-Jean et lOnce
(1) « Tesmoings examinez par le bailly de Middelbourg en Zecllande,
17 août 1555, « sur la bataille livrée près de Beverley et Douvres (Bulletin
de V Académie de Belgique, t. XL (1875), p. 861, note).
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 409
" tindrent toujours au vent pour voir le passetemps de
loing » .
L'épouvantable passe-lemps! De leurs piques de dix-
neuf pieds, de quatre ou cinq pieds plus longues que
celles de leurs adversaires (l), nos gens assaillaient, sous
un violent feu de mousqueterie, les hourqucs bien munies
et bien closes, qui les dominaient de leur haute stature.
Le plus grand de nos bâtiments paraissait près d'elles tel
qu'un âne près d'un coursier. Au milieu de nombreux morts
et blessés, un vaillant corsaire, dont nous verrons ailleurs les
exploits, Vincent Bocquet, capitaine de la Barbe, tombait la
poitrine trouée d'une balle; le maître du Nicolas, Nicolas
Lebon, s'affaissait, les deux cuisses transpercées. Mais nos
gens forçaient peu à peti les quatorze hourqucs, qui, une
fois accrochées, ne pouvaient résistera l'abordage : l'amiral
Herman Hens, d'Enkhuysen, tombait entre levirs mains (2).
Afin d'amuser les vainqueurs et de donner aux autres
hourqucs le loisir d'entrer en scène, les prisonniers avaient
répandu sur les tillacs des sacs de réaies et de perles. Le
stratagème réussit : nombre de matelots s'attardaient à
butiner sur les prises, au moment où la réserve ennemie
donna. Ce fut encore aux quatre premiers vaisseaux engagés
de soutenir le choc, parce qu'ils avaient le plus dérivé avec
le jusant. L'Émérillon reçut à moins de quatre-vingts pas
les bordées de six hourques fraîches, qui revirèrent au
vent, après avoir tiré en ligne de file, et s'accrochèrent,
deux aux hanches de l'Émérillon, quatre aux flancs du
Nicolas, de la Barbe et de l'Ange.
Atteint d'une balle sous l'aisselle, " à l'endroit de l'ou-
verture du gousset de son âme " , l'amiral de Bures est
tvié. Le sieur de Domménil s abat à ses côtés, la jambe
emportée par un boulet : sur le dos, ce brave entre les
(1) Ibidem.
(2) Ibidem.
500 HISTOIRK DE LA MARINE FRANÇAISE.
braves continvie à tirer des coups de pistolet sur les gabiers
ennemis, tout en parant avec sa rondache les pierres qu'ils
font pleuvoir des hunes svir lui. Aussi pressé que l'amiral,
le capitaine Guillas n'a plus qu'une dizaine d'hommes sur
le pont, quelques canonniers dans les batteries. Bientôt,
il reste presque seul : frappé d'une balle au bras droit,
d'un boulet à l'épaule, la pertuisane coupée par un projec-
tile, il tient tête encore aux Flamands qui montent à
l'abordage par la poupe : avec une lance à feu qui lui
tombe sous la main, il les arrête et les refoule. A bord de
PAnge, le capitaine Jean Leroux reçoit une balle dans la
tête, l'enseigne Claude Doublet a les bras et la poitrine
labourés par un boulet; la Barbe a failli sauter; le lieute-
nant Jacques Dubois, qui a succédé au capitaine Bocquet,
est blessé à la jambe. La situation devient critique. Les
matelots qui fourrageaient sur les prises s'en aperçoivent,
et, sautant de navire en navire, ils assaillent à revers les
six hourques qui, sur l'heure, sont prises.
La victoire est décisive! un incident vulgaire, un acte de
rapacité sordide, va tout remettre en question. Les plus
lâches au feu, les marins du Soleil, de l'Once et du Saint-
Jean furent les plus âpres au gain. Une rixe survenue entre
ces pillards dans la chambre d'arrière dune des prises,
laisse croire au capitaine de la Palme que des Flamands s'y
sont barricadés. Il jette par les fenêtres quelques lances à
feu, qui embrasent soudain tant la hourqueque son propre
bâtiment. Et comme les navires sont accrochés les uns aux
autres, il y en a bientôt une douzaine en flammes. Affolés,
les vainqvieurs cherchent à sortir du cercle de feu; ils se
jettent au nombre de trois cents dans le Redouté, petit
flouin de trente tonnes, qui chavire sous ce poids énorme
et coule à fond. Les pillards, alourdis par leur butin, sont
entraînés dans l'abîme, et avec eux périssent le lâche capi-
taine du Soleil, Adrien Le Villain, et le capitaine de la
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CIIARLES-QUINT. 501
Palme, Beaucousin. Deux autres flouins, te Ryays, le Petit-
Dragon, et le galion le Faucon succombent, moitié broyés,
moitié brûlés au milieu des hourques. Enclos de même
entre ses quatre prises, PÉmérillon s'ensevelit au milieu de
ses trophées et périt avec eux, sans qu'il soit possible de la
dégager (1). Resté le dernier à bord, le capitaine Guillas
gagne le navire amiral et descend dans la chambre-hôpital
pour y faire « acoustrer ses playes » . Nombre de blessés s'y
étaient traînés sur leurs moignons. Le Nicolas n'était plus
qu'une épave, sans un officier à bord, sans une voile entière,
sans un bordage; Guillas le tira comme il put du foyer de
l'incendie.
" Je vous laisse à penser quel espouvantable et piteux
spectacle c'estoit de voir tant de navires en feu, si grand
nombre d'hommes à l'entour, tant des nostres que des
ennemys, emmy la mer, les uns sur un bout de mast, les
autres sur une escoutillc" ; le sang coulait à flots par leurs
blessures. La i^eûie Frégate de Denis Dujardinen recueillit
un bon nombre. Nos autres bâtiments avaient quitté, tout
délabrés, le champ de bataille; quatre d'entre eux se réfu-
gièi'ent à Douvres, les autres s'acheminèrent vers Dieppe.
Il était quatre heures du soir. Cinq des hourques, aban-
données dans un mouvement de panique durant l'incendie,
parvinrent à s'échapper avec les trois bâtiments flamands
demeurés intacts : les prisonniers enfermés dans la cale,
n'entendant plus personne sur le pont, avaient repris leur
liberté. Ni le Soleil, ni ses deux lâches compagnons, seuls
en état de combattre, ne poursuivirent les bâtiments
désemparés.
Le lendemain, 12 août, l'escadre victorieuse jetait l'ancre
(1) Henri II donne décharge à l'amiral de Coligny pour la perte du
Faucon, submergé dans le conibal contre les Flamands, et de VÉmérillon,
péri par tourmente. 1555 et 27 noveniijre 1556 (Inventaire des archives de
Chastiilon : b. N., Franc. 32014, fol. 279).
502 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
à Dieppe. Cinq grandes hourques chargées de sel et d'alun,
quatre cents prisonniers, étaient tout ce que le feu avait
laissé. Le débarquement des blessés dura tout le jour, au
milieu des sanglots de la population, que consternait lap-
parition de ces corps défigurés et " si brouis " par le feu,
qu'on eût dit « gens masquez » . Le 113, on eut la joyeuse
surprise de voir arriver une dernière prise, avec quatre
cents hommes dont le sort était resté un problème (1).
Informé de la victoire. Henri II écrivit aux Dieppois de
chaudes félicitations, en les priant de reprendre la mer
pour ruiner les pêcheries des Pays-Bas (2). En sujets
obéissants, les vainqueurs armèrent vingt-huit vaisseaux
qu ils placèrent sous le commandement dun des hommes
les plus familiers avec les côtes d'Angleterre, et réputé
outre-Manche pour « ung des meilleurs hommes de mer de
la Ghi^estienté " (3), Jean Ribaut. C'était, en effet, au large
d'Yarmouth que se trouvaient les lieux de pèche du hareng.
Mais une violente tempête, le jour de la Saint-Michel,
déjoua nos projets en dispersant la flotte sur les côtes bri-
tanniques (4) et en l'empêchant de prendre contact avec les
dix-huit vaisseaux de guerre qui couvraient six cents
barques de pèche (5) .
(1) Giovanni Micliiel, ambassadeur de Venise à Londres, évalue les
pertes, de chaque côté, à six bâtiments brûlés et deux coulés; en plus de
ces huit bâtiments, les Flamands perdirent encore cinq bâtiments capturés.
Richmond, 19 août (Calendar of State papcrs, Venetian, t. VI, p. 167,
n" 190). — .Soranzo, ambassadeur à l'aris, chiffre à 3 bâtiments brûlés nos
pertes et à 15 navires celles des Flamands (B. N., Italien 1717, fol. 114).
(2) Lettres de Henri IL Vigny, 13 août 1555.
(3) Ambassades de MM. de Noailles, t. V. p. 142.
(4) Histoire de la bataille navalle... (1557), dernier feuillet.
(5) Lettre de Giacomo Soranzo, ambassadeur de Venise en France. Poissv,
14 août 1555 (B. N., ItaUen 1717, fol. 115).
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 503
IV
ATTENTAT DÉMASQUÉ
Luis de Carvajal eût voulu prendre sa revanche par une
croisière sur nos côtes. L'autorisation sollicitée de l'empe-
reur fut refusée (1). Charles-Quint lui réservait une mis-
sion de confiance, dont nous n'aurions pas eu le moindre
soupçon, sans certaine visite que reçut, un matin de jan-
vier 1556. notre ambassadeur à Londres. Le visiteur mati-
nal de notre diplomate, Hollinshed, était un gentilhomme
anglais passé de la suite de l'amiral Howard à notre service,
et voici quelle grave révélation il venait faire.
Suivant entente avec Ruy Gomez et l'amiral de Flandre,
Hollinshed devait obtenir de Goligny une licence de cor-
saire. Un vaisseau anglais décent vingt hommes de guerre
lui serait tenu prêt par les soins de Figueroa. Par diverses
prises, Hollinshed endormirait la défiance des Havrais : il
amènerait même au Havre un heu flamand avec une
dizaine de vieux soldats d'Espagne, qvi'il ferait enfermer
dans la tour de la jetée; traités largement, en faisant
miroiter l'espérance d'une forte rançon, les prisonniers
trouveraient le moyen d enivrer les gardiens et, à un signal
donné, ils encloueraient Tartillerie.
Cependant, la flotte de Luis de Carvajal serait apostée à
Wight, avec deux grandes hourques, chargées en apparence
de marchandises et en réalité de douze à quinze cents sol-
dats cachés sous les tillacs. Hollinshed simulerait un retour
victorieux en rade du Havre avec les deux hourques comme
prises. La nuit venue, les soldats espagnols gagneraient
(i) Lettre de l'ambassadeur de "Venise à Londres. 6 de'cerabre 1555 (Gu-
lendar of State papers, Venetiait, t. VI, p. 271, n" 301].
504 HISTOIRE DE LA MARIJiE FRANÇAISE.
silencieusement une maison louée d'avance non loin de la
chaîne du port; l'alarme serait donnée au point du jour, la
ville forcée et occupée par les marins de Garvajal, qui arri-
veraient avec la marée pour prêter main-forte. Trois mille
ennemis seraient alors dans la place. Hollinshed ne con-
naissait que trop bien son rôle : à l'appui de son palpitant
récit, il exhiba un plan détaillé du Havre et révéla que
l'événement devait se produire en février (1).
En février, le 5, eut lieu un autre événement qui y mit
obstacle : un traité de paix.
V
LA FLOTTE TURQUE ENTRE EN SCÈNE
Cependant, en 1551, dès l'ouverture des hostilités,
Gabriel d'Aramont s'était acheminé vers les puissances
musulmanes dont il avait mission de coordonner les arme-
ments navals avec les nôtres. Et à toutes les étapes, il
éprouvait déception sur déception. Au lieu de l'accueil
cordial attendu du dey d'Alger, il faillit rencontrer un guet-
apens : un jour de juillet 1551, toutes les batteries de la
ville et de la flotte algérienne se trouvèrent braquées sur
ses deux galères et sa galiote, parce qu'on le soupçonnait
d'avoir donné asile à des esclaves fugitifs (2). D'Aramont
apprit à Malte un fait plus grave : la flotte turque avait
paru; mais au lieu de saccager les provinces impériales,
Sicile, Fouille ou Calabre, comme il en avait l'ordre formel
(i) Ambassades de MM. dk Noaii.i.ks en Angleterre, rédigées [éditées]
par feu M. l'abbé dk Veiitot. Lcyde, 1763, in-12, t. \% p. 291.
(2) Les néqociations, perc(jriiuttions et uoyaijes fuicls en lu J'iiii/uic pui-
Nicolas DE ^'iGOL.VY, Daulphinoys- Anvers, 1576, iii-4", p. 7.
DERNIEIIE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 505
du sultan (l), Sinan Pacha attaquait les possessions des
chevaliers de Malte, leur île d'abord, puis celle de Gozo et
enfin Tripoli de Barbarie, qu'il tenait assiégée depuis les
derniers jours de juillet. D'Aramont promit d'intervenir en
faveur d'un Ordre dont le roi se disait le protecteur : et il
partit incontinent pour Tripoli (2).
Dupé par l'ambassadeur impérial à Constantinople, qui
lui avait fait espérer la remise à l'amiable d'El-Mehediah,
Sinan s'était écarté du plan convenu et avait tourné ses
armes contre un Ordre, qu'il reprochait véhémentement à
la France d'avoir soutenu en lui prêtant l'appui d'une
galère de Leone Strozzi. Loin de divertir les Turcs du siège
de Tripoli, d'Aramont se trouva contraint d assister, comme
ingénieur, au bombardement dirigé par Dragut et Salah
Raïs, et comme médiateur, à la capitulation du maréchal
Gaspar de Vallières, commandeur de Ghambéry, que
suivit, le 15 août, l'illumination a giorno des cent quarante
bâtiments turcs (3) . Ses bons offices, qui ne se bornèrent
pas à sauver de la captivité la garnison, puisqu'il rapatria
lui-même à Malte deux cents des défenseurs, furent récom-
pensés par la plus noire ingratitude. Le Grand Maitre lui
imputa la chute d'une place qu'il estimait imprenable, et
il fallut que le roi intervint pour obtenir de l'Ordre le
démenti public de cette accusation calomnieuse (4).
Mais tous les mécomptes s'oublient quand le but final
est atteint; et la mission de Gabriel d'Aramont eut près de
la Sublime Porte un plein succès. Si le sultan ne se décida
(1) Lettre du secrétaire d'ambassade intérimaire à Constantinople (Ribier,
t. II, p. 300).
(2) Voici son itinéraire depuis son départ de Marseille le 4 juillet, Alger,
12-19 juillet, Pantellaria, Malte, Tripoli.
(3) Nicolas DE NicoLAY, p. 15-40. — Lettre de Gabriel d'Aramont à
Henri II. Malte, 26 août 1551 (Charrière, t. II, p. 154-. — Villegagnon,
De hello Mclitensi. Bâle, 1553. — Kibier, t. II, p. 486).
(4) Lettres de Henri II au Grand Maître, 30 septembre, et du Grand-
Maitre au roi, 16 novembre 1551 (lliuiEU, t. II, p. 309).
506 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
point à prêter cinquante galères, il promit d'en mobiliser
trois fois davantage afin de nous appuyer. Faites « exploit
sur l'empereur et attaichez avec luy une guerre qui n'aura
pas si tost fin », telles étaient ses instructions à Sinan et
aux autres capitaines de son armée navale, Dragut, sandjak
de Lépante, et Salah Raïs, le nouveau dey d'Alger, hardi
corsaire né à l'ombre du mont Ida (1), que les démarches
de notre ambassadeur pour lui faire attribuer une escadre
avaient entièrement conquis à notre cause (2).
La fatalité voulut que l'empereur fût prévenu avant
nous par les dépêches de notre propre ambassadeur, qui
furent saisies près de Trieste sur le capitaine Coste (3).
Faute de connaître à temps les intentions du sultan et pour
n'avoir appris qu'en mai par le chevalier de Seure l'entrée
en campagne des Turcs, Henri II ne put combiner dans
tous ses détails le plan de conquête du royaume de Naples.
La iiolte de Sinan, entrée le -4 juillet dans le phare de
Messine, mettait à sac la côte italienne; Reggio, Policastro
avaient été la proie des flammes, et si le vent n'avait été
contraire, tout le littoral subissait le même sort. Témoin
de ces "beaux feux (4)," Gabriel d'Aramont, dont les deux
galères voguaient avec Dragut à l'avant-garde, s'apitoyait
sur les " infinies pauvres âmes », emmenées en capti-
vité (5). Au risque de décancerter 1 ardeur de nos alliés en
leur interdisant le pillage, notre ambassadeur obtint qu'on
l'espectàt les terres du prince de Salerne.
(i) De IlAMEn, t. VI, |j. 172.
(2) Lettre de Gabriel d'Aramon. Andrinople, 20 janvier 1552 (CuAnniÈnE,
t. II, p. 178, note).
(3) Lettre de GharIes-«Quint à Ferdinand d'Autriche, son frère. 22 mars
(La>z, Corrcspondenz, des Kaisers Karl F, t. III, p. 137^.
'4' Leltrcj de Gabriel d Aramont à Henri II. Terracine, 22 juillet. Cap
Cireello, 30 juillet (Charbière, t. II, p. 206 et 216).
(5) Nicolas DE NicoLAY, B. N., Franc. 20008. — Amiral Jubien de la Gra-
vière, Les vorsaires barhavfsques et la marine de SoUvian le Grand. Paris,
1887, in-8", p. 219.
DERNIERE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 507
G'était au prince de Salerne, réfugié en France, que le
roi avait confié la lieutcnance générale de Texpédition
napolitaine (1). San-Sevcrino promettait de nous ouvrir les
portes de la capitale, où il ne comptait pas de plus chaud
agent, étrange paradoxe, que le spoliateur de ses biens,
Ascanio Golonna. L'escadre du baron de La Garde, dont il
disposait, avait ordre de rallier dans le golfe de Naples la
flotte de Sinan, tandis que les corsaires algériens, par une
pointe sur les côtes d'Espagne, forceraient Doria à diviser
ses forces (2). Mais le baron, replacé tardivement à la
tête des galères (3), ne fut point en état de prendre la mer
le 6 juillet, comme il l'espérait; et le prince de Salerne se
laissa attarder à Venise par les fallacieuses promesses de
concours de la République.
Sinan attendait impatiemment aux îles Ponza l'arrivée
de notre escadre. Ce fut Doria qui parut dans la soirée du
5 août. Incertain sur la direction prise par ses adversaires,
il avançait vers Naples, avec l'espoir de se glisser à travers
la croisière et de jeter dans la place les troupes du colonel
Madruccio. Ses éclaireurs n ayant rien signalé d anormal,
il était descendu pour la nuit dans sa cabine, quand sou-
dain l'escadre de Dragut, puis toute la flotte de Sinan,
masquée derrière les îles Ponza, fondit sur ses trente-neuf
galères. En quelques instants, six d'entre elles furent cap-
turées; une septième, la Santa-Barbara, opposait une vi-
goureuse résistance qui tomba devant Tentrce en scène des
deux galères de Gabriel d'Aramont. Lutter contre cent cin-
quante bâtiments eût été folie : le reste de la flotte espa-
gnole prit la fuite vers la Sardaigne, laissant entre les
mains des Turcs, outre les équipages des prises, le colonel
(1) B. i\'., Franc. 3115, fol. 39.
(2) Instruction* de Henri lia Paulin de La Gai de. 27 juin (CHAnmtnt,
t. II, p. 202).
(3) Provisions de général des galères pour le baron de La Garde. 10 juin
(B. N., Moreau 778, fol. 231).
508 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Madruccio et sept cents hommes de troupes allemandes (1) .
Si le baron de la Garde avait rejoint les Turcs à ce
moment, aucune force humaine n'eût été capable d'en-
traver la conquête de Naples. Mais Sinan refusa de prêter
plus longtemps l'oreille aux supplications de notre ambas-
sadeur, que soutenait Dragut, et il reprit la route de Gons-
tantinople.
Par suite d'un malentendu, le baron de La Garde atten-
dait de son côté depuis le 18 août en Corse, persuadé que
c'était là le rendez-vous et qu'il verrait apparaître la flotte
turque avant le 25. Il avait vingt-quatre galères et trois
frégates (2). L'inquiétude bientôt le prit; partant en quête
de ses alliés, à Terracine, Ischia, Lipari, il ne rencontra
près de Reggio que l'escadre espagnole de Cicala, qui lu'
échappa en gagnant un abri sous le canon de la ville. Les
Turcs n'avaient que quelques jours, quelques heures
d'avance : ils étaient non loin de Cotrone, comme notre
escadre entrait dans le phare de Messine. La Garde ne par-
vint pourtant à rejoindre leur arrière-garde qu'à Sainte-
Marie, dans les îles Ioniennes. Mais ni lui, ni l'ambassa-
deur de Beaudisné, ni le prince de Salerne ne purent
obtenir de Sinan un retour en arrière ou seulement le prêt
de trente galères. Il fallut accepter la proposition d'un
hivernage dans le Levant, sauf à revenir au printemps avec
une flotte turque de deux cents voiles (3). Beaudisné et le
(1) GuERRAZZi, Vila di Andréa D'Oria, l. II, p. 295. — Lettre de l'am-
bassadeur de France à Venise (Charrière, t. II, p. 225). — F. Duro, t. II,
p. 289. — MiNFROXi, p. 381-382 : excellente critique des exagérations de
Duro sur la prétendue cruauté des Français, qui auraient livré leurs prison-
niers aux Turcs pour les voir empaler!
(2) Il emmenait les galères de Fieschi, Charlus, Beynes, Carcès, Martelli,
Albisse, Pierre Bon, Saint-Martin, La Bastide, La Chambre, etc., ne lais-
sant à Marseille que les six galères de Roussy, Frcgoso, Cabassoles et Sainl-
Blancard (Archives des Bouchcs-du-Rhône, B 236, fol. 174).
3) Rapport du baron de La Garde à Henri II. Golfe de Lépanle, 15 sep-
tembre 1552 ^B. jN., Moreau 774, fol. 260).
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 509
capitaine Velleron, chargés d'aviser le roi de cet accroc
imprévu, devaient rapporter des instructions nouvelles.
Il en était besoin. Dans le temps que le prince de Salerne
affirmait aux Turcs que Naples se soulèverait à son ap-
proche, son agent était brûlé, la conspiration éventée,
Ascanio Golonna trahi par Marc-Antonio Golonna, son
fils (1). Le baron de La Garde n'en savait rien; et durant
l'hivernage à Chio, il rêva de l'expédition de Naples. Il
rêva d'une attaque combinée par terre et par mer, où
feraient merveille ses soldats » extraordinaires » , embar-
qués au nombre de six cent sept en sus des hommes de
cap, et les deux cents nobles volontaires venus à la guerre
navale " pour leur plaisir (2) » . A Marseille, le capitaine
Henri d'Albisse songeait à tout autre chose : avec les
galères restées sur nos côtes, il projetait d'aller rejoindre
l'escadre algérienne et de courir sus aux Espagnols au delà
du détroit de (7ibraltar (3). Mais de l'un comme de l'autre,
de La Garde comme d'Albisse, les instructions royales
déroutèrent les prévisions.
Dès Ghio, le prince de Salerne fît des difficultés. Il vou-
lait les prérogatives du commandement en chef, le fanal,
l'étendard et toute liberté d'allures. Sur le refus de Baccio
Martelli de le mener sans autorisation près de Dragut, le
prince nous faussa compagnie à bord d'une galère musul-
mane. Il fallut lui donner la chasse comme à un déser-
teur.
Pour lui offrir qvielque satisfaction, on relâcha à Cotrone,
presque à l'extrémité de la botte italienne, oii plusieurs de
ses partisans vinrent nous saluer comme des libérateurs.
Quant à arborer notre drapeau et encourir ainsi la colère
(1) Vahillas, Henry second : cf. B. N.^ Franc. 6197, fol. 186.
(2) 11 Mémoire de ce qu'est besoing faire dépescher pour l'armée qui est
à Siou.. [Chio] (B. N., Moreau 770, fol. 64).
(3) Lettre de Henri d'Albisse au connétable. Marseille, 11 mars 1553
(B. N., Franc. 20460, fol. 39).
jlO HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
des Espagnols, les habitants n'osaient s'y décider : les
Turcs voulaient les punir, se promettant un fructxieux pil-
lage d'une petite ville appelée La Roccclla. Pour s'y être
opposé, La Garde faillit provoquer le départ de ses alliés.
Il ne trouva d'autre dérivatif à leurs âpres convoitises
que de les éloigner, par le circuit de la Sicile, de ce royaume
napolitain que le roi considérait comme un patrimoine.
Épié, depuis Syracuse, par des troupes prêtes à repousser
la moindre tentative de descente, il s'impatienta. Tolérer
pareille bravade, c'était compromettre l'honneur national
et la réputation des deux armées. Attaquez les premiers,
nous suivrons de bien près, répondit Dragut à son envoyé.
Velleron, à la tête de onze cents hommes, prit pied près du
cap Passero, sous les charges furieuses de trois escadrons,
soutenus par quatre enseignes d'infanterie. Un instant, la
compagnie de débarquement turque fut en danger; son
chef, un lieutenant de Sinan, fut tué; mais rien ne put
arrêter l'élan de nos troupes, qui infligèrent de lourdes
pertes aux insulaires. Plus loin à l'ouest, Licata, le grand
a réservoir» de blé de la Sicile, fut saccagée et livrée aux
flammes.
Le lendemain, quatre transports chargés de grains pour
Gênes, et le surlendemain, Tile de Pantellaria, que défen-
daient vingt grosses pièces, tombaient au pouvoir des
alliés. A mi-chemin de Tunis, les raïs faillirent ne point
résister à la tentation de s'en rendre maîtres et d'aban-
donner notre escadre. A force de diplomatie et d'adresse,
le baron de La Garde parvint à les entraîner encore; mais
on comprend comment toutes ces péripéties et ces tiraille-
ments retardèrent jusqu'au 9 août son arrivée à Port'Er-
cole (1).
(1) Les leUres au roi, dans lesquelles il rend compte de son voyage,
marquent les dernières étapes de son itinéraire : 31 juillet, île de Tavolara
sur la côte nord-ouest de la Sardaigne ; 7 août, Montecristo ; 9 août, Port'
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 511
Là, le général des galères trouva l'ordre d'acheminer
toutes les forces navales sur la Corse, en persuadant au
prince de Salerne que l'expédition de Naples n'était que
partie remise et que les entreprises projetées étaient « au-
tant d'arrhes gagnés sur le royaume " des Deux-Siciles (I).
VI
CONQUÊTE DE LA CORSE
En cas de tempête, les flottes françaises qui se rendaient
en Italie n'avaient sur leur route aucun lieu de refuge, les
ports de la Rivière de Gènes leur étant interdits. Cette con-
sidération stratégique nous porta à faire revivre nos droits
sur la Corse, qui nous avait été cédée jadis, en 1402, par
Gènes. Le promoteur de la conquête de l'île fut un Corse,
réputé pour le meilleur officier d'infanterie de l'armée
française, tant il avait montré de bravoure aux sièges de
Marseille, de Perpignan et de Landrecies, là en arrêtant
avec trois cents arquebusiers toute la cavalerie légère de
Charles-Quint, ici en sauvant les bagages du Dauphin qui
levait le siège de Perpignan, à Landrecies enfin en ravitail-
lant la ville.
En réunissant sa patrie à la France, le colonel Sampiero
ou Sampietro délia Bastilica, si célèbre sous le nom de
colonel d'Ornano, trouvait aussi le moyen d'assouvir sa
vengeance contre l'aristocratie génoise qui l'avait faitchas-
ser de l'île (2). N'avait-il pas, l'humble soldat de fortune,
Ercole; 14, ile d'Elbe (Ribiee, t. II, p. 442 et suiv. ; B. N., Franc;. 20463,
fol. 45).
(i) Lettres de Henri II au baron de La Garde et au sieur d'Aramont, 2 et
8 juillet (RiBiER, t. II, p. 4; CiiARiiiKnE, t. II, p. 263).
(2) Arrighi, Histoire de Sampiero Corso. Bastia, 1842, in-8°. Henri II
512 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
eu l'audace de préfendre au plus riche parti de la Corse et
d'évincer ses rivaux, les nobles sénateurs de la République,
en épousant la fille du gouverneur d'Ornano ! Ce l'ut lui qui
proposa au Conseil la conquête de la Corse, la représentant
comme une opération d'une facilité extrême (l),qui mettait
aux mains de la France le frein de r Italie f2), la clef de la
Méditerranée (3).
Plus d'un conseiller royal était acquis d'avance à sa
cause. Au château de Saint-Maur, le cardinal Du Bellay en
avait longuement devisé avec le chevalier de Villegagnon,
qui connaissait les points faibles de l'île a aussi bien
qu'homme de France et d Italie " . Trois ou quatre mille
soldats suffiraient à enlever les forteresses du littoral : en
haine des Génois " qu'ils estiment marcadants et canailles
au prix d'eux qui se disent nobles " , ajoutait le cardinal,
les Corses s'enrôleraient en foule sous le drapeau français
et constitueraient une réserve importante, dix mille
hommes au moins, pour nos guerres d'Italie (4). André
Doria l'avouait, par la Corse on tenait Gênes et la Toscane
la corde au cou, et on s'ouvrait sur Sienne, Rome etNaples
un chemin sûr qu'on fermait à l'ennemi.
Or, nous avions pied en Italie. Une révolution avait
éclaté à Sienne; la ville s'était donnée à la France (5); le
11 août 1552, le maréchal de Termes y faisaitson entrée (6).
était intervenu en faveur de Sampiero en menaçant les (iénois, ses persécu-
teurs, de représailles sur leurs marchands.
(1) Variixas, Henry second (B. N., Franc. 6197, fol. 148).
(2) Lettre de Sampiero à Cosme I" (Livi, Coshno de Medici).
(3) Lettre de Rivarola (Tommaseo, Lettere di Pasquale Paoli, p. 159).
(4) RiniER, Mémoires d'État, t. II, p. 467. — A. Heuliiahd, Villega-
qnon, p. 77 : le cardinal Du Bellay expédie au connétable un plan de
descente et renvoie au chevalier de Villegagnon pour plus ample informé
(7 juin 1553).
(5) Cf. le traité passé entre Henri II et la république de Sienne. 20 jan-
vier 1552 (B. N., Franc. 3112, fol. 1).
(6) Sozzixi, Bivoliizioni di Siena, éd. Gaetano Milanesi dans V Aiehivio
storico de Vieusseux, t. II. — Biaise de Monluc, Commentaires, éd. A. de
DERNIERE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 513
Abusant de la confiance qvie nous lui témoignions, le duc
Cosme I" de Alédicis tenta de soulever la population sien-
noise contre la garnison française (1). Il méritait d'être
châtié : et le châtiment était d'autant plus opportun que
les ports de Toscane constituaient une excellente base
d'opérations navales. La Maremma était peuplée de Corses,
qui se seraient soulevés au moindre signe du colonel Sam-
pie tro (2).
Ce fut un motif pour Dragut et le baron de La Garde de
préluder au débarquement en Corse par l'attaque de l'île
d'Elbe. Un seul port résista. Porto-Ferraio donnait asile
au.Y quatre galères du jeune prince d'Appiano, que vint
rejoindre, avec trois cents nouveaux défenseurs, la galère
de Simeone Rossermlni : Rossermini avait traversé intré-
pidement, dans la nuit du 10 août, l'escadre française et
quatre bâtiments turcs en reconnaissance. Malgré l'appât
d'une prime de trente mille écus, Dragut ne parvint pas à
enlever la place. Et, donnant comme défaite que le port
n'en valait pas la peine, il recula devant l'attaque dePiom-
bino, que défendaient les douze cents hommes de Chiap-
pino Vitelli, épaulés par l'armée du marquis de Marignan.
Non sans peine, La Garde le décida à passer en Corse (3).
Laissant au cardinal de Ferrare le gouvernement du
Siennois, le maréchal de Termes embarqua sur la flotte
franco-turque son petit corps d'armée : les douze compa-
gnies italiennes de Gian-Bernardino San-Severino, duc de
Ruble, t. I, p. 438. — Duc de Dino, Chroniques siennoises. Paris, 1846, in-8''.
(i) Lettre de Cosme I" à Pandolfini. 17 août 1552 (A. Desjardins, Né-
gociations diplomatiques de la France avec la Toscane, t. III, p. 321).
(2) Mémoires de Cesare Vajari sur les moyens que le roi peut employer
pour secourir Sienne (Duc de Dino, p. 232).
(3) Lettres du baron de La Garde au roi et au connétable. 12-14 août 1553
(B. N., Franc. 20463, foi. 39 et 51 ; Ribier, t. II, p. 450). — Lettre en-
voyée de Florence au duc de Modène. 22 septembre (Man froni, iVfarùïa rfa
querra del granducato Mediceo. Roma, 1895-1896, 2 in-8'', t. I, p. 39, et
Storia délia marina italiana, p. 387). — De Thod, livre xii, t. II, p. 377
m. 33
514 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Somma, et de Giordaiio Orsini, les six compajjnies gas-
connes de Velleron, aux effectifs de trois cents hommes
chacune, et les irrcguliers corses de Sanipicro. Le 21 août
1553, la flotte française quittait 1 île d'Elbe : Dragut la ral-
liait en roule. Le lendemain matin, Somma et Sampiero,
détachés de l'avant avec une dizaine de galères, débar-
quaient à IWranella. près de Bastia. La garnison de Bastia
parlemente; les Corses désertent à la voix de leur com-
patriote Sampiero ; et l'arrivée du reste de la flotte fran-
çaise dans la nuit décide Gentile da Erbalunga à capituler.
De cette base d opérations, colonnes et escadres rayon-
nent, le colonel Velleron, les Gascons et les Corses de
Sampiero sur Corté, Paul de Termes sur Saint-Florent, la
flotte turque le long de la côte orientale et l'escadre fran-
çaise sur la côte ouest (1). Contournant le cap Corso, le
baron de La Garde invite à son bord le seigneur du pays,
Giacomo Santo da Mare et le force à se déclarer pour la
France. Il débarque une douzaine de canons à Saint-Florent
pour l'armement des bastions que le maréchal y élève,
reconnaît Calvi, de trop forte assiette pour être enlevée,
et jette deux compagnies dans Ajaccio.
Il n'a plus à compter sur les Turcs. Furieux de savoir
que les galères françaises regorgent de musulmans fugitifs
qui ont cru y trouver le salut et sont retombes dans l'escla-
vage (2), Dragut a pris congé : il a consenti toutefois à
réduire, en s'en allant, les ports du sud-est, Porto-Vecchio
et Bonifacio. Mais seize jours de bombardement, trois
assauts qui coûtent aux Turcs quinze cents hommes, n'ont
(1) Du ViLLARS, Mémoires, dans la J\'ouvelle collection MicLaud et Pou-
joulat, p. 129. — Lettre de Paul de Termes. Saint-Florent, 30 août (Ribier,
t. II, p. 452). — CiBO PiECCHi, Historiae Geniienses (B. N., Nouv. acq.
latines 1764, p. 219). — C.4Mbiagi, Istoria di Corsica, t. II, lib. vu. —
Fiuppixi, Istoria di Corsica, l. III, lib. vu.
(2) Lettre de Dragut à Henri II, en italien. De l'ile de Corse, 23 août
1553 (B. N., Franc. 20648. fol. 15).
DERNIERE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 5i:.
pas raison du vaillant défenseur de Bonifacio; Antoine da
Canneto ne capitule qu'entre les mains des Français, intro-
duits par un stratagème dans la place, mais spectateurs
impuissants du massacre de la garnison. Encore Dragut
menaçait-il, si on ne lui donnait trente mille écus, de brû-
ler la ville et d'emmener en captivité les habitants!
Il nous laissait, en partant, un ambassadeur que le
baron de La Garde emmena incontinent à Marseille (1),
afin de s'en prévaloir comme d'une caution à la Cour; il
laissait aussi vm plénipotentiaire près du dey d'Alger, dont
La Garde escomptait le concours pour remplacer la flotte
turque (2); en attendant, l'envoi des cinq galères garde-
côtes de Provence (3j, conduites par Scipione Fieschi, ne
causa pas un médiocre plaisir aux troupes de Corse.
. C'est qu'un redoutable adversaire entrait en scène. Un
demi-siècle plus tôt, en 1503, lorsque l'aristocratie insu-
laire avait essayé de secouer le joug des Génois, elle avait
trouvé, à Gênes, le même ennemi et, en France, le même
accueil. Tandis que Louis XII, alors souverain de la ville
ligurienne, offrait au brave Ranuccio délia Rocca, chef du
parti de 1 indépendance, un asile et le collier de Saint-
Michel, André Doria traquait Ranuccio de maquis en
maquis et le cernait au sommet d'une colline : le prison-
nier aurait péri sans l'intervention du roi (4). Cinquante
ans plus tard, la République remettait l'étendard de la
guerre au capitaine qui avait jadis maintenu la Corse dans
sa dépendance.
Cette tache difficile entre toutes, protéger un État faible
(1) Où il arriva le 10 septembre. L'ambassadeur repartit le 30 avril 1554,
en compagnie du capitaine de La Salle, pour presser le départ de la flotte
algérienne (B. N., Coll. Morcau, vol. 738, fol. 55).
(2) Lettre de Termes. 30 août (Ribier, t. II, p. 453).
(3) Elles appareillèrent à Marseille le 20 août. Lettre de Scipione Fieschi,
19 août (B. N., Franc. 20460, fol. 31).
(4) SicONius, De vita et rcbus gestis Andrew Doriœ, cap. v.
516 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
et mal arme contre les convoitises de denx puissants voi-
sins, du roi comme de Tempereur, un vieillard de quatre-
vingt-sept ans l'assumait. Et que de subtilité diplomatic|ue
il sut déployer pour intéresser Charles-Quint à sa cause,
sans lui donner de gages! Si la Corse venait à succomber,
disait-il, les Génois entravés dans leurs navigations et
ruinés seront contraints de subir les volontés du roi et de
payer de leur indépendance leur fidélité à Tempereur. —
Ma flotte est à votre disposition, répondit Charles-Quint (1) .
Et tout de suite, la situation changea.
Dés le mois d'octobre, Calvi était débloqué par l'avant-
garde génoise : trois mille hommes, amenés par Agostino
Spinola, forçaient les troupes du colonel Velleron à gagner
la montagne. Le mois suivant, Doria, avec huit mille
hommes et un parc de siège, investissait Saint-Florent.
« Si Dieu lie faict ung grand miracle, écrivait un homme
de guerre, il ne demeurera de la Corse au roy que Boni-
face; » la place, il est vrai, « vault plus que tout le demeu-
rant ensemble » .
Le maréchal de Termes, irrésolu et comme perdu dans
un labyrinthe, la guerre conduite à la guise des Corses,
c'est-à-dire subordonnée aux vendettas, un millier d'insu-
laires à peine sous les armes, alors que la population
entière se montrait fort affectionnée à la France, le pays
presque désert et inhabité, telle était l'impression pénible
d'un capitaine qui venait de parcourir toute l'île (2).
Le baron de La Garde, chargé de porter à la Cour ces
sinistres nouvelles, avait passé non loin de trente-deux
galères et de quinze vaisseaux en croisière de blocus devant
Saint-FIorenl. Doria espérait prendre la ville parla famine;
des transports envoyés de Marseille, avec une cargaison de
(1) Capkli.om, p. 174. .
(2) La lettre est vraisemblablement de fictro Strozzi. Elle est datée de
Bonifacio, 8 décembre 1553 (B. N., Franc. 3007, fol. 86).
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 517
vivres, n'y purent pénétrer (1). Mais " Giordano Orsini,
enfermé dans la ville avec quinze cents hommes, mettait
autant d'énergie à la défendre que Doria à rattatjuer (2) » .
Enthousiasmé de cette magnifique résistance, le roi donna
ordre avi général des galères de risquer toute sa Hotte pour
le dégager. Avec quatre mille hommes de renfort, pensait-
il, général des galères et maréchal couronneraient leur vic-
toire en Corse par l'attaque et la prise de Gênes.
La Garde disposait de forces sensiblement égales à celles
de Doria, trente-cinq ou trente-six galères, six vaisseaux et
quatorze enseignes de trois cents hommes à bord (3). Elles
furent réparties en six divisions pareilles, aux ordres du
général lui-même, des commandeurs de Charlus et de
Beynes, du comte de Roussy, de Baccio Marlelli et de
Pierre Saint-Martin; les éléments de chaque division, en
cas de danger, se devaient un mutuel appui. Dans le
groupe du général, formé d une élite de bâtiments, trois
des galères sur les cinq préposées au soutien de la Réale
étaient des capitanes, celles du comte de Tende, du prieur
de Lombardie et de Cabassolles, que flanquait une galiote
■d'avis. Dans la conversion de la colonne de marche en
ordre de bataille, Roussy et Charlus se rangeaient à la
droite de létendard avec treize galères, les divisions du
général et de Beynes formaient la gauche; Charlus et
Beynes étaient aux deux cornes du croissant. Martelli et
Saint-Martin, à la tête de quatre bâtiments chacun, for-
maient la réserve sur les flancs (4).
Faute de signaux convenus, une de nos escadrilles qui
(1) FlUPPIM, t. III, liv. VII, p. 391. — CHARniKRE, t. Il, p. 291.
(2) Jean Gatjdin, Essai sur la vie du baron de La Garde (ms.), 2'^ partie,
«hap. IV.
(3) B. N., Collection Duchesnc 61, fol. 262.
(4) « C'est l'ordre que Mgr le baron de La Garde, général des gallaires
<iu roy, veult et entend estre observé au présent voiaige tant à, la navigation
que pour le combat " (Ibidem, fol. 260).
518 IIISTOIRK DE LA MARINE FRANÇAISE.
arrivait de Corse, avait failli livrer bataille au grand prieur
de Lorraine en partance à Porquerolles (1). La Garde,
pour V parer, munit ses bâtiments de " contresignes » ou
signaux de reconnaissance (2), qui leur permettaient éga-
lement d'apprendre des guetteurs, à l'arrivée en Corse, si
la côte était » nette ou brutte de vaisseaux « ennemis. Le
signal fut qu'elle était « brutte " .
Et le baron de La Garde arrivait devant Saint-Florent
avec trois bâtiments de moins qu'au départ, la galère de
Martelli fracassée sur les rochers d'Antibes et les galères
de Carcès et de Beynes, que la bourrasque avait mises
hors d'état de continuer leur route (3). Prévenu par ses
guetteui's, André Doria s'apprêtait à soutenir le choc avec
trente-deux galères et quinze vaisseaux rangés en ligne de
bataille. La Garde, intimidé par cet appareil, passa outre
et sema le long de la côte, à Ajaccio, Bonifacio, Porlo-
Vecchio, les renforts qu'il amenait. Dans la dernière de
ces villes, il apprit la chute imminente de Saint-Florent.
Le bouillant colonel d'Ornano lui offrit de s'embarquer
avec ses bandes, afin de livrer bataille à Doria : u les
hommes combattent, disait-il, et non le bois (A). »
Mais un nouvel ouragan éclata, comme la flotte passait
par le travers de 1 île Pianosa, et dispersa les bâtiments
dans toutes les directions. Dix galères seulement et un
brigantin suivirent le fanal du jjénéral, qui s acheminait
(i) Le 10 flécembre 1553, selon une lettre du grand prieur ^Meinoiies-
Joui-naitx du duc de Guise, dans la Aouvelle collection Michaud et Pou-
joulat, 1'' série, t. VI, p. 219).
(2) « Ce sont les contresignes que Mgr le baron de La Garde, général des
gallaires du roy, veult et entend estre observez à la présente navigation.
Thollon, 28 janvier 155.3, .. n. st. 1554 (B. N., Duchesne 61, fol. 259).
(3) Ils regagnèrent Marseille (Procès-verbal du naufrage aux Arcbives
des Bouches-du-RhÔne, B 239, fol. 126).
(4) Lettre de La Garde au connétable. 14 février 1554 (B. N., Moreau
778, fol. 257. — Jean Gaudin, Essai sur la vie du baron de La Garde,
2*^ partie, chap. iv).
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 519
de nuil vers Porto-Longone. Dans les ténèbres, un vaisseau
espagnol, chargé de cinq cents fantassins, tomba au milieu
de notre division, qui promptement l'amarina. Tout un
convoi de troupes suivait pour le camp du duc de Ferrare;
La Garde l'apprit par les prisonniers, et de se mettre aus-
sitôt en embuscade. A l'aube, trois vaisseaux parurent,
faisant route sur Pionibino. L'un d'eux ne put échapper
à nos galères, qu'une embellie favorisait et qui rafraî-
chirent leurs chiourmes « des plus belles gens et mieulx
armez que vistes onques; " des quatre compagnies espa-
gnoles qui venaient de Naples, on ne laissa aller que les
blessés, préalablement u dévarizés » selon les cruelles
habitudes de l'époque (1). Les autres bâtiments avaient
fui vers Livourne. Le lendemain, la prise d'une grosse nef
de Raguse, chargée de blé et de sucres, ravitaillait la
flotte.
Mais à l'île Pianosa, un triste spectacle s'offrit au baron
de La Garde. Une partie de sa flotte, cinq galères dont il
n'avait plus de nouvelles, y gisaient fracassées. Les forçats,
Espagnols et Italiens, délivrés par l'ouragan, avaient pris
les armes et refusèrent de quitter la terre. On eut peine à
sauver les naufragés français. Désormais trop faible pour
tenir la mer, le général des galères n'eut d'autre ressource
que de gagner Marseille à la fin de février, après avoir
expédié à Codignac (:2) un avis instant de presser le départ
de la flotte turque : de concert avec les Algériens, on tra-
vaillerait la Sicile et Naples, on empêcherait en tout cas la
jonction des flottes impériales.
Il n'était plus question de la Corse. Après une défense
héroïque qui avait coûté à Doria les deux tiers de son
(1) Lettre de La Garde du 14 février citée. — Du Villars, dans la
Nouvelle coll. Michaud..., p. 139.
(2) Mémoires-Journaux du duc de Guise, dans la Nouvelle coll. Mi
chaud..., p. 201, note.
520 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
armée et avait failli lui faire lâcher prise, Giordano Orsini,
mourant de faim, son dernier caméléon mangé, avait capi-
tulé le 27 février 1554 (1). Il avait si bien forcé Testime
publique, qu'un auteur lui dédiait, comme à un maître
dans Tart, un traité sur la castramétation romaine (2j . Les
troupes du siège étaient trop affaiblies pour continuer la
guerre : une partie fut laissée en garnison à Saint-Florent,
Adamo Genturione emmena quelques compagnies contre
Calvi et Doria l'etourna vers le continent, pour nous donner
le coup de grâce sur les côtes du Siennois (3). Un adver-
saire inopiné se dressa devant lui.
VII
LES DERNIERS JOURS DU PRIEUR DE CAPOUE
Leone Strozzi fugitif avait goûté le pain amer de l'exil.
In propria venu, et sui eum non receperunt, lit-on sur un
parement d'autel qu'il offrit à la Madone de Filermo (4). A
Malte, ses frères en religion, hôtes de l'empereur, ne
l'avaient accueilli, en octobre 1551, qu'avec l'assentiment
du vice-roi de Sicile : et sa nomination dégénérai des galères
de l'Ordre fut encore soumise, pour approbation, au même
lieutenant impérial. Strozzi l'avait pourtant payée de son
sang.
(i) Quatre iiiille lioinmes étaient morts sous tes murs de Saint-Florent
(liCttre de Trotti au duc de Modène, 28 février : Manfroni, p. 389, note 4).
— Lettre de Selve à Henri II, Venise, 8 mars : GnAnniKRK, t. II, p. 307.
— FiLiPPiNi, t. III, p. 394.
(2) 1" août 1555 (Gabriel Simeoxi, Discorso sopra la castranietatione et
disciplina militare de Romani, trad. de Guillaume Du Cuoul : Cf. É. Picot,
Les Italiens en France au XVt siècle, dans le Bulletin italien (1901),
p. 116).
(3) Manfroki, p. 389.
(4) Bacdoin et de Naberat, Histoire des chevaliers de l'ordre de S. Jean
de lliérusalem (1629), t. I, p. 413.
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. r)21
Chargés de compléter les chiourmes de l'Ordre par des
razzias en pays barbaresques, ses douze cents hommes de
troupe, débarquant de nuit en Tripolitaine, marchaient en
trois colonnes sur la ville de Zoara, quand ils tombèrent
soudain au milieu d'un camp turc dont on apercevait con-
fusément les tentes dans un ravin. C'étaient quatre mille
vieux soldats commandés parle l»ey de Tripoli, Mourad-Aga.
Dans le furieux corps à corps qui s'engagea, Leone Strozzi
fut blessé à la cuisse; son neveu Scipione, capitaine de
galère, fut tué : mais les Turcs subirent des pertes terribles,
un millier d'hommes, sans parvenir à empêcher le rembar-
quement (1) .
- Les trois galères de Strozzi, aux ordres de Martines de
Casseda, vengèrent cet échec par des courses fructueuses
et ramenèrent du Levant des prises par dizaine, après avoir
coulé le galion de Roustan-Pacha, gendre du sultan, et
capturé l'aga du sérail de la sultane. Mais le prieur avait
l'âme trop haute pour se contenter d'un gain aussi vul-
gaire. Jaloux de son indépendance, n'ayant d'autre maître
que Dieu, disait-il, il eût voulu disposer pour son propre
compte d'une place forte. Il fit des ouvertures en ce sens à
la garnison espagnole d'Africa, rebelles que le gouverneur
de la place, réfugié dans l'ile de Pantellaria, bloqxiait à
distance (2). Il essuya un refus; et la garnison profita de la
médiation de l'Ordre de Malte pour obtenir le pardon de
l'empereur.
. La mort du Grand Maître Omedès ouvrit au prieur de
Capoue un nouvel horizon. Il avait toutes les chances de
lui succéder. Mais dans le conclave de l'Ordre, une voix
s'éleva, la voix de la peur, pour montrer combien il était
(1) L'expédition dura du 6 au 2i août 1552 (Piero Strozzi, Mcinorie
ver la vita cl i Fia Leone Strozzi, p. 62-73. — Baudoin, p. 416).
(2) Instructions- données à Salvago, qu'il envoyait à Africa. Malte,
24 mai 1553 (Piero Strozzi, p. 76. — B.tDDOiN^ p. 421).
522 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
compromettant d'appeler à la suprême magistrature le
frère d'un général français qui guerroyait contre l'empereur
en Italie. Et ce ne fut pas le nom de Leone Strozzi qui
sortit de l'urne le 1 1 septembre 1553 (1). Le prieur eut
même la mortification d'aller quérir lui-même à Terra-
cine (2), à la tête de l'escadre, son heureux rival, Claude de
La Sengle.
Profitant de son passage dans les Etats pontificaux pour
s'aboucher avec son frère Pietro et négocier son retour en
grâce, il promit de reprendre du service en mars 1554, à
l'expiration du contrat qui le liait à l'Ordre. Le titre de
général des galères d'Italie et le pavillon de commandant
en chef, avec la faculté de se faire suppléer par un lieute-
nant lorsque ses galères rallieraient les galères de France,
lui semblaient des sauvegardes suffisantes pour son indé-
pendance (3). Toute satisfaction fut donnée à ses demandes,
tant ses offres venaient à point : on lui adjoignit pour lieu-
tenant-général des galères Flaminio Orsini dell' iVnguillara,
gouverneur de Port' Ercole (4).
La réponse royale lui parvint à Palerme, en même temps
que des lettres nombreuses de ses frères et parents l'enga-
geaient à venger son père, en attaquant le duc Cosme de
Médicis. Or, le vice-roi de Sicile, Juan de Vega, avait reçu
l'ordre de s'assurer de la personne du prieur (5), plus que
suspect depuis qu'il avait décliné les offres magnifiques de
l'empereur, le gouvernement d'Africa avec trente mille
écus de pension ou le généralat des galères des Deux-Siciles.
(1) Piero Smozzi, p. 86.
(2) 7 décembre 1553.
(3) Lettre de Pietro Strozzi au connétable. Home, 25 décembre 1553
(B. N., Franc. 3129, fol. 19; copie dans B. N., Giairambault 347,
fol. 153). — Réponse du connétable. Paris, 26 janvier 1554 (B. N., Franc.
3129, fol. 46 : Giairambault 347, fol. 136 : Décrue, Aune, duc de
Montmoreucy, p. 149).
(4) 11 mars 1554 (B. N., Giairambault 825, fol. 115).
(5) Piero Strozzi, p. 92.
DERNIERE GUERRE CONTRE Cil A RLES-QUI NT. 523
Strozzi, flairant le piège, s'en tira par un stratagème. Aux
questions du vice-roi, il répondit que le roi et ses frères le
mandaient, leurs lettres — et il les sortit de sa poche — en
faisaient foi, mais qu'il n'avait point la moindre envie de
retourner sous la griffe d'un ennemi comme le connétable
de Montmorency. Sur ces entrefaites, son lieutenant, Frère
Bernardino Scaglia, accourut essoufflé au palais, disant
qu'on avait eu connaissance de galiotes turques et que les
galères de l'Ordre s'apprêtaient à leur donner la chasse.
Strozzi prit aussitôt congé, gagna Malte, car les galiotes
turques étaient une pure fiction inventée pour se ménager
une sortie. Et le 16 avril 1554, il repartait pourPort' Ercole
à la tétc de sa propre escadrille, laLeona, la Santa-Barbara
et la Porfiada, que montaient en grand nombre des cheva-
liers des plus illustres familles toscanes, Soderini, Rucel-
laï, del Bene, Guicciardini, Ridolfi, Asdrubale de' Medici,
résolus comme lui à s'employer désormais au salut de leur
patrie (1) .
De Port' Ercole, le prieur de Gapoue se rendit, en com-
pagnie de son frère Roberto et du duc de Somma, à Gros-
seto et à Sienne, afin d'embrasser d'un coup d'œil notre
situation militaire dans le Siennois. Puis, renforçant sa
base d'opérations par l'érection du fort .Saint-Elme sur la
colline qui domine Port' Ercole, il combina un plan d'at-
taque contre les places ennemies. Aux faibles moyens dont
il disposait, trois galères et trois compagnies d'infanterie,
il joignit plusieurs barques fabriquées spécialement pour
l'attaque d'Orbetello. Mais l'agent chargé de rapporter des
renseignements sur cette ville, sur Livourne, Pise et Piom-
bino, au lieu d'accomplir sa mission, au lieu de s'aboucher
avec le seigneur de Piombinoetde lui faire des ouvertures,
alla tout dévoiler au duc Cosme de Médicis. Andi'é Doria
(1) Piero Sxnozzi, p. 95 : lettre de Leone Strozzi au vice-roi de Naples
lui notifiant sa resolution. Malte, 16 avril.
524 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
n'avait })as détaché moins de dix galères avec des muni-
tions et des troupes pour secourir Orbetello (1) ; il jugea
bientôt nécessaire d'intervenir en personne. Comme il arri-
vait dans les parages de Piombino, il apprit la mort de son
redoutable adversaire (2).
Le prieur de Gapoue n'avait pas eu la patience d'attendre
l'arrivée des renforts de France. Le 24 juin, il débarquait
près du petit cbàteau-fort de Scarlino; ses forçats, auxquels
il avait donné des armes et quatre cents fantassins, amenés
de Grosseto par le duc de Somma, lui prêtaient leur con-
cours pour enlever la place. Soudain, une arquebusade
partit soit d vin buisson où s'était embusqué un paysan (3),
soit d'un moulin où s'était retranchée une patrouille espa-
gnole. Strozzi, frappé au ventre, s'affaissa. Transporté mou-
rant à bord de sa capitane, il eut la force d'écrire au maré-
chal, son frère, une longue lettre d'adieux. Il mourait
comme les héros de Plularque, laissant, en guise de testa-
ment, un plan de campagne (4) : tel, son père Filippo
Strozzi, victime des Médicis, traçait avec son sang sur les
murs de sa prison cet appel suprême à un vengeur :
Exoriaie aliquis nostiis ex ossibus ultor! (5).
Ce déplorable événement plongea dans les plus graves
(1) Avis « escript à Don Bernard de Mandoce, cajipitainc jiféncral des
gallaires d'Espaignc. " 30 juin (B. N., Franc. 20537, fol. 36).
(2) Adbiam, X, 753. — M,\>froni, p. 390. — En avril, treize galères
impériales, commandées par Agostino Spinola, donnaient la chasse a dix
de nos galères qui avaient enlevé un convoi do blé près du Montc-Argen-
tario (CiBO Recchi, B. N., Nouv. acq. lai. 1764, p. 260).
(3) Archivio storico italiano, t. II, p. 560. — Le meurtrier aurait eu
nom Mario d'Antonio da Montieri (Lettre dudit Mario, 27 mai 1556 :
Archivio de Florence, Carlegqio universelle di G. duchi di Toscaiia, Lctta
casa de' Medici, hlza 446).
(4) Settimaisni, Biario, fol. 649-650. — Picro Strozzi, p. 97, 112. —
Récits des principaux faits de la querre de Sienne, par Girolamo Roi-fia,
1554 (éd. duc DE DiNO, Chroniques siennoises, p. 292).
^5) Brantôme, éd. Lalanne, t. IV, p. 137.
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. r)25
embarras le maréchal Strozzi. Les deux frères avaient tou-
jours eu même volonlé, mêmes projets : et déjà, une divi-
sion de l'armée du maréchal marchait sur Piombino, que
l'escadre du prieur devait prendre à revers. Tous ces plans
se trouvèrent bouleversés : Pietro Strozzi dut détourner sa
marche vers Port' Ercole, où il espérait à tout instant voir
apparaître l'escadre et les renforts de France (1).
VIII
LA PERTE DE LA MAREMMA
Les retards de notre flotte étaient imputables au sultan
et à Dragut. Le sultan, engagé dans une guerre meurtrière
contre le sophi de Perse, ne prêtait guère d'attention à
une campagne navale que les Vénitiens lui représentaient
comme désastreuse pour ses intérêts : elle interrompait
tout trafic. Codignac, notre ambassadeur près de la Porte,
pensait y parer et supplanter en même temps les armateurs
vénitiens, en organisant des caravanes de deux navires
chacun vers Alexandrie, Tripoli de Syrie et Constanti-
nople : assurés de la protection du roi et du sultan, les
négociants de Lyon, Paris et Rouen, n'auraient point man-
qué de faire les frais de l'armement (2). Quand Soliman II
se décida à mobiliser sa flotte, ce fut Dragut qui nous
opposa une force d'inertie incompréhensible, soit intrigues
impériales (3) , soit rancune contre les alliés qui l'avaient
frustré de la conquête de Bonifacio.
Faute de Turcs, le baron de La Garde alla quérir les
(1) Girolamo Roffia, dans 1 éd. du duc de Dino, p. 293.
(2) Lettre de Codignac au roi. t6 avril 1554 (Ribier, t. II, p. 93).
(3) Lettres d'Hippolyte d'Esté et de Codignac au. roi (Ribier, t, II,
p. 527; CiiARRiÈnE, t. II, p. 331).
526 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Algériens (1), « non point comme général des gallères,
mais comme amy, pour ne laysser perdre la sayson de fère
dommaige au commun ennemy. " Le beglerbey Salah Raïs
mit à sa disposition, sous promesse de réciprocité, toute sa
flotte : une vingtaine de bâtiments pour la fin de mai, le
double à la mi-juin (2). Rendez-vous pris à Bonifacio, La
Garde comptait courir les côtes d'Espagne et se mesurer au
besoin avec Doria (3). Il ignorait qu une frégate marseil-
laise était à sa recherche (4), avec l'ordre urgent de rallier
la Provence. Les dix compagnies françaises de Biaise de
Monluc et le régiment allemand de Georg Rockrod, expé-
diés au secours du maréchal Strozzi, attendaient le pas-
sage. Dès que La Garde eut atterri à Toulon, les renforts
s'embarquèrent; et, sans avitre incident de route que la
capture de huit ou neuf transports de blé de Sicile (5), les
vingt-six galères de France, doublées de quatorze galères
et seize bâtiments légers de Salah Raïs, arrivèrent le
6 juillet devant Port'Ercole (6). La proximité des troupes
du marquis de Marignan les força à rebrousser chemin
vers Scarlino et à opérer la descente tout près de l'endroit
où le prieur de Capoue venait de trouver la mort (7) . Avec
(1) Le capitaine de La Salle était parti de l'avant, le 30 avril, avec l'am-
bassadeur de Dragut pour " haster de tant plus le partement de l'armée
dudit Argier » (B, N., Moreau 738, fol. 55).
(2) En tout, 25 vaisseaux, 16 galères et 4 galiotes d'Alger entrèrent,
cette annëe-là, à notre service : la Hotte française comprit 40 galères,
16 navires, 4 galions, 3 fustes et 6 frégates (Comptes des irésoriers de la
marine du Levant : B. N., Franc. 17329, fol. 195).
(3) Lettre du baron de La Garde au roi. Alger, 24 mai 1554 (B. N.,
Moreau 774, fol. 263).
(4) Elle était partie le 16 mai (Archives des Bouches-du-Rhône, B 2549,
fol. 31).
(5) Biaise de Moluc, Commentaires, éd. A. de Ruble, V I» P- ^''*^-
(6) Piero SïROZzi, p. 97. — « Du XXX"" juing. Escript à Don Bernard
de Mandoce, cappitaine général des gallaires d'Espaigne « (B. N., Franc.
20537, fol. 36). — Lettre datée de Bruxelles, 19 juin [Papiers d'Etat de
Granvclle, t. IV, p. 261).
(7) Monluc, ibidem.
DERNIERE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 527
le renfort des troupes de Monluc, Je maréchal Strozzi se
crut en mesure de dégager Sienne. Le 2 août, à Scanna-
gallo, près de Lucignano, il se heurtait au corps d'armée
du marquis de Marignan, qui lui infligea une sanglante
défaite : les colonels Yelleron, Ghiaramonte, Fourque-
vaulx restaient sur le champ de bataille, tués ou pris (1).
Biaise de Monluc était malade. Louis de Saint-Gelais-
Lansac avait été pris en cherchant à pénétrer à Sienne; la
situation était des plus compromises (2j .
Dragut pouvait la rétablir : mais il ne fit que paraître
au large des côtes napolitaines. Et sans nous prêter le
moindre appui ni en Corse, ni dans la Maremma, ni contre
Naples. il reprit la route du Levant (3). Ce fut 1 effondre-
ment de toutes nos espérances. Le prince de Salerne par-
ticulièrement escomptait la venue de la flotte turque pour
reprendre l'expédition de Naples tant ajournée : il ne de-
mandait que trois mille hommes au roi : que dis-je? il se
serait contenté de trois cents soldats et six canons; et can-
tonné dans l'île de Tremiti. qui surveille le massif du Gar-
gan, il eût préparé l'insurrection en Fouille (4). André
Doria s'attendait si bien à une attaque devers Naples, qu'il
y avait expédié deux mille deux cents soldats de renfort,
détachés de l'armée de Corse (5).
Il faillit être complètement dérouté. Notre général des
galères eût voulu opérer une diversion contre Gènes et
soulager ainsi le maréchal Strozzi. Jointe à l'escadre algé-
rienne, notre flotte eût enlevé Albenga, que fortifiaient les
Génois : c'était affamer Gênes et Savone (6). Approuvé par
(1) Cf. le récit de la bataille par Girolamo Roffia, éd. duc de Dino,
p. 314.
(2) Lettre d'Odet de Selve au roi. 21 août (Ribier, t. II, p. 506).
(3) Ch.-vrrière, t. II, p. 322.
(4) Lettre du cardinal Farnèse au roi. Août (Ribier, t. II, p. 530).
(5) Avis du 30 juin (B. N., Franc. 20537, fol. 36).
(6) Dr ViLLARS, dans la Nouvelle coll. Michaud et PoujouIat,p. 159, 176.
528 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
le maréchal, secondé par la belle Diane de Poitiers, le
baron de La Garde se vit désavouer par le roi et refuser
toute audience. On lui imputait l'inexplicable retraite de
Dragut, dont il fut le bouc émissaire (1).
De part et d'autre, on se préparait à une action décisive
en Toscane et en Corse. André Doria passa l'hiver à ren-
forcer les troupes d'Agostino Spinola, qui tenait tête au
maréchal de Termes à Galvi, Gorté et ailleurs, tandis que
Gian-Andrea Doria et Bernardino de Mendoza prêtaient le
concours de leurs vingt-cinq galères au marquis de Mari-
gnan (2). Le baron de La Garde, à la tête de vingt-huit
galères, remplissait ce même rôle de ravitailleur. Parti de
Toulon en mars, ayant débarqué à Ajaccio les sept com-
pagnies de Giordano Orsini, il comptait aller sur les côtes
du Siennois faire une démonstration navale (3).
La famine sévissait dans toutes les places de la Ma-
remma. Sur l'ordre du maréchal Strozzi (4), les gouverneurs
des ports, les capitaines des trois galères de garde à Port'
Ercole arrêteraient toutes les barques chargées de vivres,
sauf à rembourser le prix de la cargaison. Dans chaque
place de guerre, on avait fait le décompte des bouches à
nourrir, qui s'élevaient. Sienne non compris, à 4,020 (5).
Et c'était une joie quand un transport parvenait à franchir
le blocus de Port'Ercole, comme ce bâtiment chargé de
grains qui échappa, après neuf heures de combat, à une
galère florentine venue à sa rencontre en se parant fausse-
(1) Lettre de Simon llenard à l'empereur. 23 novembre {Papiers d'État
du cardinal de Granvelle, t. IV, p. 342).
(2) Manfroni, p. 391.
(3) Lettre du baron de La Garde au maréchal Strozzi. Ajaccio, 23 mars
1555 (B. N., Franc. 20463, fol. 61).
(4) Port' Ercole, 20 décembre 1554 (Archivio Estense à Modène, Corres-
pondance du maréchal Strozzi : Copie dans le ms. de la B. N., Italien 1134,.
fol. 206 v°).
(5) A Port' Ercole, il y avait 2,000 marins et soldats, à Grosseto,
2,000, etc. 8 janvier 1555 (B. N., Italien 1134, fol. 206 v').
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 529
ment des coulevirsde Bacclo Martelli (l). Mais aussi quelle
désillusion amère, lorsqu'on apprit que le baron de La
Garde, parvenu en Corse, refusait de pousser plus loin et
de se faire jour à travers la croisière impériale. En vain,
Strozzi essaya-t-il par ses émissaires de le faire revenir svir
sa résolution (2). La Garde entreprit le siège de Calvi.
Le 21 avril 1555, lorsque tous les ânes, chevaux, chats
et rats eurent été mangés dans Sienne, lorsque les soldats
n'eurent plus à se mettre sous la dent l'herbe des remparts,
la ville se rendit au marquis de Marignan : la ville, mais
non le brave Monluc. Il sortit de Sienne, " enseignes des-
ployées, armes sur le col et tabourin sonnant, » ayant juré
que jamais son nom ne figurerait au bas d'une capitula-
tion (3) .
Après une promenade sensationnelle et quasi triomphale
à Rome, l'héroïque Gascon s'embarqua le 4 mai sur une
galère du maréchal Strozzi. A la nuit, il était aux Bouches
de Bonifacio. Il avait appris à Civita-Vecchia que Doria
avait quitté Piombino avec cinquante-deux galères et
quatre mille fantassins, afin de prendre à revers l'armée
qui battait Calvi. Un exprès, dépéché de Bonifacio, arriva
juste à point pour mettre en garde l'armée de siège. Le
maréchal de Termes n'eut que le temps de gagner la mon-
tagne, en jetant ses canons à la mer, et le baron de La
Garde de prendre la fuite. Quelques heures plus tard,
paraissait la flotte impériale. La fuite de nos quinze galères
fut le salut du camp : Doria crut les rattrapera la course...
Le lundi G mai, la galère de Monluc faisait route vers
Marseille par un brouillard épais, quand tomba de la hune
le cri Vellel Vellel et tôt après, Gallere! Gallerel C'était
(1) Lettre de Strozzi au connétable. Montalcino, 17 mars 1555 (Ibidem,
fol. 197 v"). — Le 12 mars, Strozzi demandait au roi l'envoi de 300 hommes
pour renforcer la garnison de Port'Ercole {Ibidem, fol. 197).
(2) Lettre de Strozzi au roi. Montalcino, 17 avril {Ibidem, fol. 201 v"].
(3) Monluc, éd. de Ruhle, t. Il, p. 139.
m. 34
530 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
toute la flotte de Doria qui revenait de chasse, la proie
manquée et hors datteinte. Le brouillard se dissipa... qua-
torze galères enveloppaient la nôtre. Saisis d'une terreur
indicible, nos pilotes parlaient de fuir vers les côtes barba-
resques; Monluc et ses compagnons Bertrand d'Esparbès
de Lussan, Jacques de Forest de Blacons, Gaspard de
Saint-Auban, les intrépides défenseurs de Sienne eussent
«bien voulu estre à planter des choux... Tout à coup, —
raconte Monluc, — quatre des quatorze commencèrent à
tourner les vovles à nous pour nous donner dessus; les
autres amenèrent jusques à la moitié de l'arbre pour
attendre. « Les navires de pointe n'étaient plus qu'à une
portée d'arquebuse, leur proue à la hauteur du t'ougon;
tout le monde hurlait de peur dans notre galère; seul, le
capitaine, un chevalier de Malte, ne disait mot.
« Vous nous perdez, lui criait Monluc. — No, per Dto,
riposta le capitaine, mas io garda la mie. » Je sauve ma
galère. — Les rameurs, excités par lui, se courbent sur leurs
avirons; les marins mettent toutes voiles dehors, et u avec
la peur qui nous donnoit des aisles, il nous sembloit que
nostre gallère volloit. " En un instant, elle avait distancé
de cinquante brasses les plus agiles de ses adversaires,
qvi'elle narguait par des arquebusades. Les ennemis, vite
découragés, levèrent leurs rames. — Le lendemain, l'ami-
ral de Tende, la comtesse sa femme et le baron de La
Garde, qui soupaient dans le jardin de Saint-Blancard,
furent saisis en vovant apparaître le défenseur de Sienne,
tué, pensait-on, dans une sortie suprême « à la désespé-
rade » .
Et La Garde fut plus ébahi encore d'apprendre que
Doria lui avait donné la chasse (1).
Les nouvelles étaient d'une telle gravité que le général
(i) Monluc, éd. de Rublc, t. II, p. 125.
UERXIÈRE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 531
des galères, mandé d'urgence par le maréchal de Termes,
l'ésolut de réappareiller le surlendemain 9 mai : il ne lais-
sait à Marseille, pour parer à tout événement, que les
divisions Baccio Martelli et Albisse (1). Chaque général
tirait à soi dans la détresse commune; et Giordano Orsini,
défenseur de l'ile, se voyait traiter de u parole convenable
à varlet f2j d par le défenseur du continent, Pietro
Strozzi.
Si mauvaise qu'elle fût en Corse, notre situation était
plus critique encore dans la Maremma. Presque au moment
où Sienne succombait, nous perdions le port de Talamone,
livré aux flammes par les marins de Gian-Andrca Doria et
Bernardino de Mendoza (3). Port'Ercole, le dernier refuge
des débris de notre armée, était investi le 31 mai par le
marquis de Marignan et par la Hotte d'André Doria. Une
petite île fortifiée, 1 Ercoletto, qui commandait l'entrée du
port (4, fut enlevée par Chiappino Vitelli, lieutenant de
Marignan (5) .
Pour ne point laisser prendre dans une souricière un
maréchal de France, Pietro Strozzi sortit audacieusement
de la place avec sa seule galère et gagna Civita-Vecchia,
en territoire pontifical. De là, il écrivit une lettre déses-
pérée, demandant des renforts (6). Amiral et général des
galères lui expédièrent Jean de Saint-Estève avec cinq
galères et la compagnie Carrière (7).
(1) Lettre du baron de La Garde au connétable de Montmorency. Mar-
seille, 8 mai 1555 (B. N., Franc. 20463, fol. 63).
(2) Lettre de Giordano Orsini au connétable. Grosseto, 30 avril (B. N.,
Franc. 3129, fol. 93\
(3) M.^NKROXi, p. 391 : lettres de Venise, 15 et 22 avril 1555.
(4) Bi.\xciii, / porti délia Alaremma, dans V Archivio storico italiano,
série II, t. XII, fasc. 2.
(5) Lettre de d'Avanson. Rome, 8 juin (B. N., Franc. 20442, fol. 109 v").
(6) Lettres de Soubise. Civita-Vecchia, 14 juin (Ibidem, fol. 111), et de
d'Avanson. Rome, 14 juin (Ibidem, fol. 112).
(7) Marseille, 20 juin (Mémoires-Journaux du duc de Guise, dans la Nou-
velle collection Michaud et Poujoulat, 1"^ série, t. VI, p. 240).
532 IIISTOIUF. DE LA MARINE FRANÇAISE.
Nou3 comptions, à la vérité, sur une diversion autrement
puissaule. qui devait se produire dans les premiers jours
de juin ; nuiis avant rarrivécde la Hotte turque, Port'Ercole
succomba. A la suite d'une rixe avec des Italiens, les Alle-
mands de la garnison ouvrirent â l'ennemi les portes d'un
des bastions (1) .
La division Sainl-Blancard, — quatre galères, une fré-
gate et un brigantin, — avait été dépêchée au-devant de
nos alliés, qu'elle devait attendre à Prevesa pour les guider
au rendez-vous. Chassée par des galères et des vaisseaux
ennemis aux aguets, contrariée par le mauvais temps (2),
elle dut contourner la vSicile, au lieu de passer par le phare
de Messine. Et par une vraie fatalité, sans qu'elle en eût le
moindre soupçon, la flotte de Piali-Pacha franchissait au
même moment le détroit sicilien (3).
Ainsi, selon la pittoresque expression du roi, les escadres
étaient a travaillées d'vine mesme maladie, qui estoit de
sçavoir des novivelles l'une de l'autre " , quand, le 19 juil-
let, un raïs arriva mander à Toulon que Piali-Pacha était
à l'île d'Elbe. Surpris de voir flotter sur Port'Ercole le dra-
peau impérial, Piali s'était rabattu le 12 juillet sur Piom-
bino, où Ghiappino Vitelli l'avait tenu en échec (4).
Le baron de La Garde expédia incontinent vers les Turcs
la galère du commandeur de Charlus et le baron Gochard (5) ,
afin de leur donner rendez-vous devant Calvi. Lui-même
suivait de près avec toute la flotte : chargeant à Ajaccio
un parc de siège que Gioi'dano Orsini, prévenu d'avance
par le capitaine Baccio Martelli, avait fait apprêter, il le
(1) ClIARRiÈRE, t. II, p. 351.
(2) Lettre de Henri II à Soliman. 22 octobre 1555 (Ribier, t. II, p. 592.)
rS) Lettre du baron de La Garde. Devant Calvi, 29 juillet (B. N., Franc.
20463, fol. 67).
'4) Lettre de Henri II citée : Cino Recciu, B. N., Nouv. acq. latines 1764,
p. 298.
(5) Lettre du capitaine Cabassolles du Iléal au connétable. Toulon, 19juil-
let (B. N., Franc. 20460, fol. 96).
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 533
débarquait à Calvi, laissait devant la place une division
navale pour seconder les travaux d'approche, envoyait
Martelli quérir munitions et troupes à Bonifacio et se por-
tait, avec les vingt dernières galères, au-devant de Piali-
Pacha. La jonction de son escadre avec les soixante-dix
galères et les vingt-quatre galiotes turques se fit à Saint-
Florent, avec de telles démonstrations d'amitié que les
acclamations des matelots couvraient presque la voix du
canon (1) .
Piali était vine créature de la sultane, de la fameuse
Roxelane. Il sentait si bien son insuffisance, qu'il ne voulut
rien décider sans l'assentiment de Dragut, quand le baron
de La Garde lui demanda de rester hiverner. Dragut, au
lieu de répondre aux avances amicales du baron, « entra
en une collère turquesque la plus furieuze du monde » ; le
roi de France, criait-il, a payé mes services par des calom-
nies. Le corsaire s'apaisa pourtant : et des présents habile-
ment distribués le retinrent et permirent de pousser le
siège de Calvi : les Turcs jetèrent dans les vignes des fau-
bourgs trois mille hommes pour soutenir notre attaque.
Mais nos galères, mal approvisionnées, n'avaient de muni-
tions que pour deux mille coups; la place, ravitaillée
depuis peu par Gian-Andrca Doria (2) et fortifiée de nou-
veaux ouvrages, était des plus difficiles à prendre; de plus,
notre base d'opérations, Ajaccio, était menacée : des lettres
saisies sur trois frégates ennemies ne laissaient là-dessus
aucun doute. La Garde détacha donc vers Marseille six
galères pour chercher des munitions, et pour amener au
besoin dans le Siennois les renforts de Paul de Termes (3).
Après plusieurs jours de bombardement, quand la ville
de Calvi eut été foudroyée par le feu de vingt grosses pièces,
(1) CiboReccuï, B. N., Nouv. acq. latines 1764, p. 298-299.
{%)Ibid., p. 297.
(3) Lettre du baron de La Garde citée, 29 juillet.
534 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
non sans avoir riposté si heureusement que Tun des capi-
taines de nos galères, d'Albissc, avait été tué et le baron de
La Garde blessé (1), les alliés songèrent à donner l'assaut
\e 10 aoîit. Mais les défenseurs Guilico Spinola et Martine
Doria étaient prévenus par des transfuges corses de l'en-
droit où porterait l'attaque. La tête de colonne de nos
troupes était déjà sur les remparts, quand une mine formi-
dable éclata sous ses pas : sur les ruines fumantes, semées
de cadavres, Spinola planta un crucifix, le labarum de la
garnison. Sur le signal d'un Gascon, la colonne un moment
ébranlée remontait à l'assaut, suivie à l'arrière-garde par
les Turcs; maîtresse des premiers retranchements, trois
fois en trois heures, elle renouvela ses efforts contre les
remparts; mais l'explosion d'une nouvelle mine la fit
reculer, et Giordano Orsini sonna la retraite. Trois cents
cadavres et trois enseignes restaient sur le chauip de
bataille (2).
Les troupes rembarquées, on tint conseil sur la conduite
à suivre : allons dans la rivière de Gênes, disaient les prin-
cipaux officiers français, et enlevons quelque forte position
pour intercepter les renforts envoyés par les (îénois et
l'empereur. Mais Giordano Orsini insista pour une nouvelle
démonstration en Corse, afin de rendre courage à nos par-
tisans. Le 18 août, les flottes alliées étaient devant Bastia,
défendu par Pallavicini. La plage, de toutes parts exposée
aux vents, n'eût pas permis de rembarquer rapidement
l'ai'mée en cas de surprise : aussi les Turcs, refusant de
mettre du monde à terre, se bornèrent à courir des bordées
en vue de la place. Ils avaient promis pourtant de la bom-
barder par mer au premier jour de bonasse et, le 23 août,
de participer à l'escalade : mais ils trouvèrent que les tra-
(i) Lettre du comte de Tende qui vient de recevoir une lettre du baron
de La Garde. Marseille, 6 août (B. N., Franc. 20460, fol. 99).
(2) CiBO Recchi, B. N., j>}ouv. acq. lat. 1764, p. 301-302.
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT. 535
vaux d'approche, conduits par Giordano Orsini, n'étaient
pas assez avancés pour tenter l'assaut, et, faute de vivres
pour rester davantage, ils signifièrent leur départ. Après
quelques jours de croisière qui permirent aux nôtres de se
rembarquer et d'aller à Ajaccio, Piali-Pacha reprit le che-
min de Constantinople (1).
Une désertion vint encore nous affaiblir. Alessandro
Sforza, avec la complicité du cardinal Guido Ascanio Sforza,
fougueux impérialiste, nous déroba deux des galères
qu'avait commandées leur frère Carlo, prieur de Lom-
bardie, et il les emmena à Naples au service de l'empe-
reur (2). Fail plus grave, le secrétaire du cardinal révéla
dans les tortures qu'une conspiration était ourdie à Rome
pour infliger aux Français de nouvelles vêpres siciliennes le
jour de la Saint-Louis (3).
Au lendemain de cette sinistre conspiration, les cardi-
naux de Lorraine et de Tournon débarquaient à Givita-
Vecchia, en route pour Rome. Après les avoir déposés à
terre, La (îarde reprit la mer par un temps affreux, qui
l'obligea à s'abriter en Corse, près de Saint-Florent. Tandis
qu'il y était, onze grands vaisseaux furent signalés au large,
faisant route sur (Tênes. C'étaient des bâtiments espagnols
chargés de troupes (4). Malgré son infériorité numé-
rique (5), malgré la grosse mer qui donnait l'avantage aux
navires ronds sur les galères, La Garde attaqua, dirigeant
(1) Lettre de Codignac. Bastia, 23 août (RiniEn, t. II, p. 590).
(2) Coleccioii (le docianentos ineditos para la historia de Espaha, t. IL,
(1843).
(3) Lettre de Rabelais, qui était de la suite du connétable Du Bellay,
Rome, 3 septembre 1555 (B. N., Clairambault 348, fol. 313).
(4) Trois vaisseaux espagnols chargés de blé à destination de Calvi,
allaient être attaqués au large de la Corse par la galère de Saint-Blancard et
une autre, quand les deux galères tombèrent au milieu de huit fustes algé-
riennes qui capturèrent la première. Lettre de Soranzo au doge. La Ferté-
Milon, 27 octobre 1555 (B. N., Italien 1717, fol. 154).
(5) Dix galères, selon de Thou. liv. XVI. — Six galères, selon Brantômk,
t. IV, p. 143.
536 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
ses coups sur le plus fort et u le plus brave » des vais-
seaux espagnols: il ne tarda pas à le couler à fond; un
second voilier subit le même sort, si bien que le reste
de l'escadre prit la fuite, protégée contre la poursuite
acharnée des galères par la violence de l'ouragan. Dans
ce rapide corps à corps, les Espagnols n'avaient point
perdu moins de mille hommes, noyés ou prisonniers (l,.
Une de leurs barques d'avis, expédiée en avant durant le
combat, avait été quérir du secours à Gènes : et quinze
galères, montées de six mille hommes, étaient parties en
toute hâte pour le théâtre de l'engagement (2). Mais il
n'était plus temps. Ce fut le dernier acte de la guerre
navale (3) .
Pourtant, dès que les négociations de paix avec l empe-
reur parurent en voie d'aboutir. La Garde manda par
deux avisos dépêchés coup sur coup, à Giordano Orsini,
de se nantir « du plus de pavs qu'il pourroit, et surtout
du cap Corse et Saint-Florent (4) " . Le vieux Doria avait
eu la même idée : et douze de ses galères voguaient vers la
Corse sous le commandement de son jeune neveu Gian-
Andrea. Soit erreur de pilotage, soit effet de la tempête,
nevif d'entre elles vinrent s'éventrer sur les écueils de Porto-
Vecchio; Giordano Orsini recueillit, en fait d'épaves, de
nombreux Espagnols, qu'il retint prisonniers, sept cents
esclaves chrétiens, qui furent aussitôt libérés, six cents
Turcs et Maures qu'il comptait renvoyer au sultan, cL
soixante-dix bouches à feu. De nombreuses échelles trou-
vées à bord ne laissaient aucun doute sur la nature de
l'expédition. Quant à son but. que nous pensions être
(1) Bra>"Tôme parle de 1,500 Espagnols, Dk Tiior de 1.000.
(2) Du ViLLARS, éd. Michaud et Poujoulat, p. 2V8
(3) Durant cette guerre, notre Hotte du Levant tit trente-trois j)riscs Ar-
chives des Bouches-du-Rhône, B 2548\
(4) « Estât au vray de la despence extraordinaire que le seigneur de La
Garde a faicte. « 1556-26 janvier 1557 [B. N., Moreau 778, fol. 237).
DERNIÈRE GUERRE CONTRE C H ARLESQ UI N T. 537
Porlo-Vecchio (1), c'était en réalité Bonifacio, où Doria
avait des intelligences (2). Comme le naufrage avait eu
lieu le 6 février, lendemain de la signature de la trêve
de Vaucelles, André Doria réclama la restitution des
épaves (3) .
Henri II ne cachait point qu'en signant la trêve, il avait
voulu donner à l'empereur, que sa longue expérience ren-
dait redoutable, tout « impotent et décrépit " qu'il fût,
l'occasion de se retirer et de céder la place à un prince
tout il adonné à ses plaisirs, volupléz et délices (4) " . De
fait, le 17 septembre 1556, Charles-Ouinl voyait fuir pour
toujours à l'horizon les côtes des Pays-Bas. El Spùitu Santo,
luxueusement aménagé en cabines et en étuves, le por-
tait; le Venusberg, les Quatre- fils- Aymon, le Chevalier de la
mer, aux dieu-conduits symboliques des légendes du Rhin
et des Flandres, lui faisaient la conduite; et sous l'égide
des reines douairières de France et de Hongrie, sous la
protection du capitaine général Luis de Garvajal et de
l'amiral Adolphe de Bourgogne-Wacken (5), le vieil empe-
reur atteignit l'Espagne : il y allait mourir sous la bure
monastique.
^1) Lettre de Soranzo au doge. Amboise, 9 mars 1556 (B. N., Italien
1717, fol. 199).
i2) AoniANi, lib. XIII, p. 936. — Lettre de Claudio Ariosti au duc de
Modènc. 35 février 1556 [Schede Neri : Manfroni, p. 394).
(3) Papieis d'Etat de Granvelle, l. IV, p. 547.
\k) Lettre de Henri II à de La Vigne, ambassadeur à Constantinople,
13 novembre 1556 (RiitiER, t. II, p 659).
(5) Vas Brdyssel, Histoire du commeice et de la marine en Belgique,
t. III, p. 43. — F. Duno, t. I, p. 316. — Nous possédons pour la tra-
versée, du 17 au 28 septembre, le journal de bord du vice-atniral Gérard
van Meekeren, qui montait l'Eléphant (Annales de la Société d'émulation
tie la Flandre, t. VI, %^ série, p. 384).
GUERRE CO^TRE L'ESPAGNE
ET L'ANGLETERRE
1
L'EXPÉDITION DU DUC DE GUISE A XAPLES
La trêve de Vaucelles fit deux mécontents : le pape et
le sultan. Le sultan n'avait point été consulté; l'armistice
lui paraissait d'autant moins opportun que les Espagnols
en profitèrent pour se retourner contre l'Algérie. Requis
de » faire épaule aux siens » avec notre armée navale (1),
nous éludâmes tout engagement; et, comme il y a parfois
en politique une justice immanente, nous fûmes immédia-
tement payés de retour. A une demande semblable de
Henri II (2), Soliman II répondit par le dédain d'un
homme « superbe et opiniastre comme le diable, fantas-
tique comme un mulet (3) » . De Roustan-Pacha, notre
ambassadeur, n'eut pas meilleur accueil. « Que me parles-
(1) Lettre de Codignac à Henri II. 31 mai 1556 (Ribier, t. II, p. 637).
(2) Lettre de Henri II à Jean de La Vigne, ambassadeur de France à
Constantinople. 13 novembre 1556 (Ribier, t. II, p. 659).
(3) Lettre de Jean de La Vigne à l'évêque de Lodèvc. Constantinople,
8 juin 1557 (CuARRiÈRE, t. II, p. 397). — Autre lettre de Jean de La Vigne.
Andrinople, 20 avril 1557 (Mémoires-Journaux du duc de Guise, dans
la Nouvelle collection Michaud et Poujoulat, l"^" série, t. VI, p. 345).
GUERRE CONTRE L ESPAGNE ET L ANGLETERRE. 539
tu de VOS rois chrétiens! répliqua vertement le ministre,
qu'impressionnait pourtant la rudesse véhémente de notre
diplomate. D'eux tous, mon maître ne fait pas plus d'es-
time que d'un flocon de neige (1). » Et il nous fallut
renoncer à l'intervention navale des Turcs en Italie. 11 v
eut plus dépité que nous. Le véritable évincé, le sollici-
teur réel, qui avait emprunté notre intermédiaire, était le
pape (2).
Paul l\ voulait la liberté de l'Italie : il ne voulait point
de Philippe II d'Espagne. Il avait dépéché un légat en
France, afin de relever nos étendards : il irait de l'avant (3) ,
pourvu que douze de nos galères lui aidassent à tenir tête
à la flotte napolitaine du duc d'Albe 4; .
Des deux côtés des monts, il y avait un parti de la guerre.
A la paix, l'ambition des trois neveux du pape, des Caraffa,
ne trouvait point son compte, et la faction des Guise encore
moins. Cette puissante famille lorraine, qui disposait déjà
de la couronne d'Ecosse, aspirait à la tiare et rêvait, pour
un troisième de ses membres, de faire valoir sur la cou-
ronne de Naples les droits de la Maison de Lorraine-Anjou.
(i) Ambassades et voyages en Turquie et Aniasic fie M. BusiîeQUIL'S^ trad.
Gaudon. Paris, i(j4G, in-8", p. 551.
(2) Le maréchal Strozzi projetait d'employer la flotte turque à 1 attaque
qu'il méditait contre Savone. Novembre 1556 (Du Villars, dans la j.Yoî;-
velle collection de Mémoires Michaud et Poujoulat, t. X, p. 253).
(3) Lettre de Bcrnardo Navagero. Rome, 20 octobre 1556 (Calendar of
State papers... in the coleccions of Venise, éd. Rawdon-Brown, vol. VI,
part. II, p. 721). — Martisetti, Paolo IV e la lega per la libertà d'Italia,
dans la Rivista Europea (1877\ doc. II. — Georges Duruy, le cardinal
Carlo Carafa (1519-1561), étude sur le pontificat de Paul IV. Paris,
1883, in-8».
4) Instructions du pape à Annibale Ilucellai, légat en France ^Boralevi,
I primi mesi del pontificato di Paolo IV. Livorno, 1888, in-8'', p. 24. —
Abbé Garnier, Mémoire sur la ligue entre la France et le Pape Paul IV,
de la maison Caraffa, dans les Mémoires de littérature , tirés des registres
de l'Académie royale des inscriptions, t. XLIII (1786), t. X, p. 598).
(5) Lettre du cardinal Caraffa à Montmorency. Rome, 6 février 1556 (Sci-
pione VoLPiCEi.LA, Note alla storia délia guerra di Paolo IV contro (jli Spa-
gitoli di Pietro ^oj\ks, d»nsVArcliivio storico italiano, sér. I, t. XII, p. 384).
540 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Entre toutes ces convoitises, Tunion se fit. Le cardinal de
Lorraine agitait déjà à Rome son esprit brouillon; le car-
dinal Caraffa vint à Paris prêcher la gvierre. En juin 1556,
Henri II accréditait près du pape François de Lorraine,
duc de Guise, pour diriger en son lieu et place l'expédition
de Naples (1). Le maréchal Strozzi mettait en état de
défense les Etats pontificaux, et le cardinal Caraffa, sur la
Béale de France parée aux armes papales, ramenait quinze
cents Gascons (2), qui prenaient logis partie à Rome,
partie à Civita-Vecchia.
Ainsi encouragé et malgré la déclaration de neutralité
des Vénitiens, malgré les offres de raédiation du duc de
Toscane (3), Paul IV ouvrit les hostilités : ce fut pour son
malheur. Le 1" septembre 1556, le duc d'Albe quittait
Naples à la tête d'une armée de treize mille cinq cents
hommes : le mois suivant, Rome était investie à distance
par l'occupation de Grotta-Ferrata, de Tivoli, et, le 18 no-
vembre, par l'enlèvement d'assaut d'Ostie (4). En vain, le
baron de La Garde avait-il songé à une diversion contre
Port'Ercole (5), appelant même à la rescousse le dey
d'Alger (6) pour contrebalancer les forces navales de Gian-
Andrea Doria; en vain avait-il bombardé Nettuno, près
des ruines d'Antium, et attiré de ce côté tout un corps
(1) Lettres de créance de Henri II adressées au pape. Fontainebleau,
juin 1556 (Archivio storico ilaliaiio, série I, t. XII, p. 390). — Pouvoirs
donnés par Henri II pour commander l'armée d'Italie (B. N., Dupuy 160,
fol. 354}.
(2) Pietro Norks, Ibidem, p. 67, 121. — « Estât de la dcspence du sieur
de La Garde, » 1556-26 janvier 1557 (B. N., Moreau 778, fol. 238).
(3) Babbi, Siirnmarii délie cosc notabili successe dal principio d'aprile
1556 a tittto qiuqiio 1557 (Archivio storico italiano, série I, t. XII,
p. 351).
(4) Pietro NoRES, p. 122, 151.
(5) Cette attaque était réclamée par Pietro Strozzi dans une lettre à
Henri II en date du 12 août {^Archivio storico italiano, Ibid., p. 400).
(6) Il Estât de la despence du sieur de La Garde » (B. N., Moreau 778,
fol. 238).
GUERRE CONTRE L'ESPAGNE ET L'ANGLETERRE 541
d'armée du duc d'Albe (1). Il ne pouvait, à lui seul,
dégager Rome, non plus que les Gascons de Moulue et
Lansac n'auraient pu la sauver, si, le 24 novembre, un
armistice n'avait interrompu les hostilités.
L'armistice ne dura guère. Il prit fin, le 6 janvier 1557,
en même temps que la trêve de Vaucelles. Quel que fût
l'auteur responsable de la rupture (2), Philippe II et
Henri II donnèrent aussitôt à la guerre toute son ampleur
par des attaques multipliées en Flandre, en Italie, sur terre
et sur mer. Au déchaînement des corsaires espagnols (3),
Henri II répondit par la mobilisation en masse de ses
marins pour « la revenge d'une entreprise faite par le roy
d'Espaigne (4) » .
A l'entrée en ligne de l'Angleterre, que la passion amou-
reuse de la reine Marie pour son époux avait entraînée
dans l'orbite de l'Espagne, la ligue franco-pontificale eût
servi de contrepoids, si nous n'avions eu à en supporter
tout le faix. Nos quarante galères furent mises à la dis-
position du pape, à la condition qu'on leur assurât un
point d'appvii à Civita-Vecchia (5). Et au mois de jan-
vier 1557, le duc de (luise, ses frères d'Elbeuf et d'Au-
male , les ducs de Nemours , de Glèves , de Vendôme
descendirent avec quatorze mille hommes vers les Etats
pontificaux (6) .
(1) Les troupes de Marc-Antonio, du comte de Popoli et d'Ascanio délia
Cornia. Octobre (Pietro ÎNorks, p. 143).
(2) Cf. les motifs de rupture allégués par les deux partis (Pietro Noues,
p. 160)
(3) Lettre de L'Aubespinc au roi. 29 janvier 1557 (B. N., Franc. 20991,
fol. 2.'|.7).
(4) Lettre de Henri II à Colignv. 8 février (B. N., Franc. 32614,
foi. 279 v").
(5) Instructions à l'arcbevêque de Vienne, allant comme ambassadeur à
Rome. Janvier (B. N., Moreau 738, fol. 103).
(6) Pietro NoRES, p. 161. — - Cf. le dénombrement de l'armée du duc de
Guise dans le » Mémoire du voyage de M. le duc de Guise en Italie »
(Michaud et Poujoulat, Nouvelle collection de Mémoires, t. VI, p. 323).
542 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Dès son arrivée à Rome, le 2 mars (1), le duc de Guise
discuta en conseil de guerre le plan de campagne à suivre
par les alliés. Monluc souhaitait une revanche en Toscane;
le duc de Paliano, capitaine général des troupes du Saint-
Siège, insistait pour une revanche contre le duc d'Alhe; et
comme l'expédition de Naples cadrait avec les projets am-
bitieux du duc de Guise, il obtint gain de cause. Mais de
nos alliés, nous n'eûmes à attendre ni le « ner de la guerre » ,
ni un concours effectif (2). Tandis que François de Guise
s'enfonçait dans le royaume de Naples, l'attention des Ro-
mains se trouva divertie d'un autre côté; Gosme I" de
Médicis sortait de la neutralité, et, en retour du don de
Sienne en fief, il se vouait corps et àme, avec troupes de
terre et de mer, à la défense des domaines de l'Espagne (3).
Il donna incontinent la preuve de sa vassalité.
Gian-Andrea Doria chargeait à Gènes quatre mille Alle-
mands du comte Lodrone, qui allaient au secours du duc
d'Albe. Le baron de La (îarde, avisé du fait, appareilla le
18 mars, afin de lui couper la route. Il le manqua de quel-
ques heures : Doria avait levé l'ancre dans la nuit. Gagné
de vitesse et attendu dans le canal de l'Elbe, il esquiva
encore notre poursuite, parce que la violence du courant
nous avait forcés à relâcher en Corse, où nous enlevâmes,
le dimanche des Rameaux, la petite bicoque d'Erbalunga,
près de Bastia. Les adversaires se trouvèrent enfin en pré-
sence à Port'Ercole, les trente galères et les deux galiotes
de La Garde, formées en bataille au large, les vingt-sept
galères et les deux galiotes de Doria serrées en ligne à
l'entrée du port, entre deux tours qui les épaulaient. Forcer
la passe sous le feu des forts était impossible; d'autre part,
(1) Pietro NoRES, p. 174.
(2) u De l'entreprise de Naples par Mgr de Guise « (B. N., Moreau 738,
fol. 117 V»).
(3) Masfrom, La marina da querra dcl (jiniiducato Medicco. Roiiia, 1895-
1896, 2 in-8*.
GUERRE CONTRE L'ESPAGNE ET L'ANGLETERRE. 543
les Impériaux, deux jours de suite, refusèrent le combat.
Le baron de La Garde, pour ne point retarder les opé-
rations de Tarmée de terre, se hâta d'aller débarquer à
Givita-Vecchia un millier d'hommes que Charles de La
Rochefoucault-Randan et Gianfrancisco d'Acquaviva, duc
d'Atria (1), amenaient au duc de Guise. Puis il alla se
poster une dernière fois sur la route de Doria : avec sa
flotte et les galères de garde de Civita-Yecchia, il prit posi-
tion aux îles Ponza, « aux bouches de Naples. » Il arrivait
à temps. Le lendemain, les vigies signalèrent du haut de
la montagne qu'une flotte arrivait du nord. La Garde se
mit aussitôt en chasse. Malheureusement, une bourrasque,
qui éclata aux approches de la nuit, l'empêcha de garder
l'ennemi en vue. Avec une habileté consommée, Doria,
dépassant le golfe de Naples, alla jusqu'en vue de Salerne;
puis, l'ennemi dépisté, il revint sur sa route en serrant la
côte.
Le lendemain, comme La Garde louvoyait du côté
d'Ischia et de Procida, il apprit par des barques napoli-
taines qu'il avait été joué, que le régiment allemand était
débarqué à Naples et que la flotte de Doria (2j stationnait
dans le port pour contenir la populace en cas de révolte :
car on soupçonnait le duc de (yuise d'entretenir des intelli-
gences dans la place. Le baron espérait prendre une re-
vanche contre une escadre venue d'Espagne : au bout
d'une semaine de croisière aux iles Ponza, ne voyant rien
venir, il regagna Civita-Yecchia (3).
Compromise par l'arrivée de ces renforts ennemis, l'ex-
(1) Cf. sur lui, É. Picot, Les Italiens en France au XVI' siècle, dans le
Bulletin italien, t. I (1901), p. 109.
(2) 28 galères, 2 brigantins et 3 frégates.
(3) Lettre du baron de La Garde au roi. Civita-Vecchia, 23 avril 1557
(B. N., Franc. 20463, fol. 75). — « Touchant l'armée de mer de M. le
baron de La Garde, pour empesclier le secours de Naples en l'année 1557))
(B. N., Moreau 738, fol. 129 v").
544 IIISTOIKE DE LA MARINE FRANÇAISE
pédition de Naplcs le fut davantage par l'inertie des troupes
pontificales. Depuis le 24- avril, le duc de Guise était arrêté
par la place-forte de Civitella, sise au sommet d'une col-
line que baigne le Salinello (1). Le duc d'Albe accourait
au secours de la forteresse : et loin de nous appuyer, les
troupes romaines faisaient défection. Le marquis de Mon-
tebello désertait avec ses chevau-légers. La ligue était si
ébranlée que nous songions à nous nantir sur nos alliés
d'un gage (2). Nous avions besoin d'un port. Et la prise de
Port'Ercole que Moulue déclarait aisée et pour laquelle le
baron de La Garde avait recruté l'appui de dix galiotes
turques et de huit galères de Giordano Orsini (3), était
impossible depuis qu'un détachement de quatre mille im-
périau.x: était entré dans la place.
La Garde peusait a se saisir doulcement " de Civita-Vec-
chia avec la connivence du cardinal Caraffa. Mais le cardi-
nal refusa de se prêter à une complicité déshonorante; son
oncle, le pape, refusait de couvrir les frais des dix galères
supplémentaires dont la ligue nous imposait l'entretien; et
il ne voulut point davantage donner au duc d'Orléans l'in-
vestiture de Naplcs avant d'avoir Sienne en son pouvoir.
Son ambassadeur enfin, le marquis de La Gava, qu'on
attendait en France, ne parut pas.
En désespoir de cause, le général des galères et le ma-
réchal Strozzi fortifiaient les îles Ponza, afin d'assurer à
nos flottes un point d'appui, quand notre ambassadeur
leur révéla le revirement de la politique rovale, le rap-
pel du duc de Guise, l'abandon de l'expédition de Na-
plcs. Le pape, bouleversé à cette nouvelle, vint à résipis-
(1) Cf. la description et l'histoire fin siège de Civitella par l'ietro Nouks,
p. 183.
(2) Lettre de Charles de Marillac au connétable. Marseille, 17 mai (B. N.,
Franc. 20460, fol. 131).
(3) Lettre du baron de La Garde au duc de Guise. Marseille, 2 juin
1557 (B. N., Franc. 20463, fol. 81).
GUERRE CONTRE L'ESPAGNE ET L'ANGLETERRE. 545
cence et manda en toute hùLe Strozzi, mais trop tard (1).
Dès qu'il avait appris le désastre de Saint-Quentin, la
déroute de l'armée française et la capture du connétable
de Montmorency (2), le roi Henri II avait expédié au duc
de Guise l'ordre de gagner en toute diligence le port de
Civita-Vecchia : La Garde l'y attendrait pour le ramener
en France (3). Il y avait neuf mois que nos capitaines de
galères n'avaient reçu le moindre denier; et pourtant, dès
que leur général leur manda ce qu'on attendait d'eux dans
le péril national, ils se déclarèrent prêts à tout pour le
service du roi. Vu l'urgence, La Garde partit de l'avant
avec une dizaine de galères, les seules en état d'appareiller
à Marseille (4).
Mais comment retourner en France? u Si les ennemys
font ce qu'ilz doibvent, écrivait-il au duc de Guise, il est
impossible que puissiez passer sans avoir chasse (5). u
Il fut donc convenu que nos galères, pour l'cster lestes
et promptes à la fuite, n'embarqueraient à Civita-Vec-
chia que le duc de Guise, son état-major de grands
seigneurs et sept compagnies d'arqueliusiers (6). Un se-
cond convoi reviendrait charger le gros de l'armée, les
enseignes du colonel Chiaramonte, les lansquenets de
Rockrod, etc. (7).
Il était temps pour François de Guise de regagner la
(i) « Lettre esciipte au Roy par ledit sieur de Vienne venant de Rome et
estant arrivé à Marseille « (B. N., Moreau 738, fol. 134).
(2) 10 août 1557.
(3) Lettre de Henri II au baron de La Garde, en date du 14 août, citée
dans la lettre ci-dessous.
(4) Lettre du baron de La Garde au duc de Guise. Marseille, 22 août
(B. N., Franc. 20463, fol. 93).
(5) Lettre du même. Civita-Vecchia, 8-9 septembre (B. N., Franc.
20463, fol. 89, 97).
(6) Calendar of State papers , Vciictian, éd. Rawdon-Brown, t. VI,
2^ partie, p. 1304^ 1309.
(7) Rôles des compagnies à rembarquer (B. N., Clairambault 351, fol. 151,
152, 155).
I". 35
546 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
France (1). A peine avail-il quitté Rome le 9 septembre,
que le duc dAlbe y faisait son entrée ; le 14, le pape se
détachait de la Ligue ; plusieurs nefs françaises, après le
départ de notre escadre, furent mises sous séquestre à
Civita-A^ecchia. Furieux de ce procédé, le baron de La
Garde, qui revenait chercher, avec vingt-deux galères et
treize transports, le gros de nos troupes (ij, parlait d'ar-
rêter par mesure de représailles les galères pontificales. Le
duc de Guise trouva « plus honeste » une protestation
(i par voie diplomatiqvie " . Frappé, lors de son débarque-
ment à Marseille, du mauvais équipement des galères, le
duc proposait d'en réformer dix sur quarante-quatre, afin
de renforcer d'autant l'armement des autres : une dizaine
des meilleures iraient exécuter, sous Baccio Alartelli, cer-
taine entreprise rêvée par le baron de La Garde, — nous
verrons où, — tandis que Charlus ferait sentinelle avec
six auti^es à Antibes (3).
Il y avait quelque chose de plus pressant : c était le ravi-
taillement de nos places de la Corse. Sans la moindre cons-
cience du discrédit qu on jetait ainsi sur elle, n'avait-on
pas eu la fâcheuse idée de transformer lile en un lieu de
déportation pour les malfaiteurs (4'). Les convois succé-
dèrent dès lors aux convois. En octobre L557, trois trans-
ports, escortés par un pareil nombre de galères, s'achemi-
naient vers Bonifacio (5). En décembre L557, le grand
(1) « Discours touchant l'année de Monseijjneur do Guise estant à l'entrée
du royaume de jXaples, en délibération de retourner en France « (B. N.,
Franc. 17826, fol. 30). — Le duc de Guise arriva le 20 septembre à Mar-
seille (Mèmoires-Jouniaux, p. 391).
(2j II passait en octobre dans le golfe de Saint-Florent, en route pour
Civita-Vecchia (CiiiO IIeccih, HIsloriw Jaiiuciises : B. N., Nouv. acq. lat.
1764, p. 334-335).
(3) Avis du duo de Guise sur les projets du baron de La Garde (B. N.,
Franc. 3124, fol. 14. — Clairambault 340, fol. 1).
(4) Ordonnance enregistrée au Parlement le 14 janvier 1557.
(5) Cir.o Recciii, Hitoriw Janucnses : B. N., Nouv. acq, lat. 1764,
p. 335.
GUERRE CONTRE L'ESPAGNE ET L'ANGLETERRE. 547
prieur de France amenait à Giordano Orsini une dizaine de
galères (1), et Baccio Martelli et Cabassolles du Real un
train de munitions (2), sans que Lodrono osât leur barrer
la route, dans la crainte d'une défaite; quittant même
Bastia (;i), Lodrono regagnait Gènes.
II
LA TRAHISON DE PIALIPACHA
A la suite du rapport du duc de Guise sur l'état fâcheux
des galères, le baron de La Garde fut supplanté par le
propre frère et filleul du duc de Guise, François de Lor-
raine, grand prieur de France. En voyant arriver de la
Cour cet adolescent, La Garde avait eu l'intuition, dès
1553, que la maison de Guise lui préparait un successeur.
En dépit des paroles rassurantes du cardinal de Lorraine,
en dépit des protestations du connétable qu'il ne laisserait
jamais « oppresser et rejeter en arrière les bons serviteurs
du Roy (4), 1) le baron se méfiait. Et pourtant, quand le
grand prieur revint de Malte, ses caravanes faites, La
Garde lui céda libéralement « son admiraulté et généralité
des gallères (5j " , au lieu de reconnaître la u prééminence))
nominale du prince, tout en conservant sa charge (6). Il
(1) Lettre de l'ambassadeur vénitien Michiel. Poissv, tO décembre 1557
(Calendar of State papers, Venetian, éd. Rawdon-Brown, t. VI, 3° partie,
p. i399j.
(2) Quittances des deux capitaines. 15 et 20 février 1558 (Bibliothèque
du ministère de la marine, G 182, pièces 4 et 5).
(3) Le 21 décembre 1557 ^^Cibo IIecchi, passage cité).
(V) Lettre de Pietro Strozzi au connétable. 19 novembre 1553 (Brantôme,
t. IV, p. 140j.
(5) Lettres-patentes du 8 mars 1558 (B. N., Clairambault 825, fol. 115).
(()) Lettre de Fourquevaulx. Narbonne, 8 mai 1558 (B. N., Latin 8589,
fol. 56.)
548 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
poussa l'abnégation jusqu'à lui abandonner sa fameuse
quadrirème, la Réale ou la Diane (1).
Voici quels étaient les titres du grand prieur de Lor-
raine au commandement en chef. Nommé général des
galères de Malte dès son arrivée dans l'île (2), parce que ses
deux bâtiments suppléaient à point la flotte de l'Ordre
engloutie par un typhon, il lui avait pris fantaisie de
donner une aubade à la garnison turque de Rhodes. Le
gouverneur Deli-Djafer, renégat corse, lui épargnant moitié
de la route, vint à sa rencontre avec quatre galères, char-
gées à couler de janissaires. François de Lorraine en avait
cinq, presque dégarnies de soldats à la suite de nombreux
amarinages. L'action s'engagea près de Candie : c'était en
juin 1557.
Djafer, que tenaient en échec le tir à mitraille de maître
Langlois et les arquebusades de la S<(int-Plnlippe, amate-
lotée avec la capitane,fut reconnu à son bâton de comman-
dement et abattu d'une balle dans le ventre : la patronne
turque était maltraitée par la Saint-Foy, dont l'artillerie
était pourtant hors d'usage, etla galère de Mustapha Golaxis
allait succomber sous la violente attaque à l'abordajje du
chevalier de Tenance, quand une action héroïque compromit
le succès des chrétiens. La Saint-Jacques avait balayé de
son feu le pont de la galère de Memmi Raïs : maître de la
proue et de la rambade, mais arrêté vers la poupe par un
gros de janissaires, le chevalier provençal de Ghàteausac,
plutôt que de reculer, un tison à la main, fit sauter la
Sainte-Barbe. Il comptait ainsi venger le chevalier de
Gaylus, son parent, tombé mort à ses pieds, et donner aux
(1) Suivant prisée en date du 30 avril (B. N., Pièces orig., vol. 400,
doss. Bompar en Provence, pièce 10).
(2) Le 21 décembre 1555 (Lettre de François de Lorraine au duc de
Guise. Malte, 23 décembre 1555 : Mémoires-Journaux du duc de Guise,
dans la Collection de mémoires Michaud et Poujoulat, 1" série, t. VI,
p. 254).
GUERRE CONTRE L'ESPAGNE ET l'aNGLETERRE. 549
siens la victoire. Il en advint tout autrement. Les Turcs
épargnes par l'explosion refluèrent vers la Saint-Jacques^
dont ils se rendirent maîtres à leur tour; et ils prirent le
large. Les autres équipages musulmans profitèrent de notre
désarroi momentané pour se dégager et s'enfuir. Ils avaient
six cents hommes hors de combat, les chrétiens cent qua-
rante, en dehors de la chiourme. Nombre de chevaliers
français, Aguerre, Glandèves, Montesquiou, Gaylus, Sv-
méan, La Coste, Nogaret, Girèmes, Du Puy-Montbrun,
étaient parmi les morts; les galères de Malte, à moitié fra-
cassées, n'avaient plus forme de navire. François de Lor-
raine avait une balle dans les bras, une flèche au genou ;
mais il était sacré héros (I).
Or, en vertu de ses fonctions nouvelles de général de nos
galères, ce fut à lui qu'échut le devoir d'aller au-devant de
ses adversaires de la veille, devenus nos alliés. Le 20 juin
1558, il quittait Marseille pour la Corse, fixée comme
rendez-vous à l'énorme flotte de Piali-Pacha. Cent onze
galères avaient appareillé à Constantinople le 14 avril, elles
en avaient rallié d'autres en route (2) ; et l'attaché mili-
taire français, le capitaine Dupeyrat, avait pour instruc-
tions de les amener le plus promptcment possible à notre
service (3). Malheureusement, Piali, » perdant le temps à
s'amuzer, " s'oublia au sac de Reggio, de Sorrente, de Torre
del Greco, d'Ischia, de Gaètc, de Santa-Severa (4) , mais, par-
venu aux bouches de Bonifacio, le 25 juin, il n'eut pas la
patience d'attendre notre escadre et poussa de l'avant (5).
(1) I. Baudoin et F. -A. de Nabkrat, Histoire des chevaliers de l'Ordre
de Saint-Jean de Nie'rnsalem. Paris, 1629, in-fol., t. I, p. 431, 438. —
Brantôme, (. IV, p. 151.
(2) LeUre de J. de La Vigne. 15 avril (CharriÈre, t. II, p. 464, note).
(3) 27 avril (Ihidem, p. 462, note).
(4) Lettre de J. de La Vigne. Juin {Ibidem, p. 476, note). — Manfrom,
p. 400.
(5) Lettre de J. de La Vigne (Charrikre, t. II, p. 493, note).
550 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Le grand prieur, dans lldée que 1 amiral turc venait
nous rallier en Provence, avait rebroussé chemin jus-
qu'aux îles d'Hyères (1). Il scrutait vainement l'horizon,
quand un courrier dépêché par Giordano Orsiai arriva
mander quelle direction avait prise l'immense flotte.
Elle s'était abattue comme un fléau sur ^linorque. A
l'extrémité occidentale de l'ile, le P' juillet, les Turcs
débarquèrent par milliers avec vingt pièces de siège qui
furent mises en batterie contre Ciudadela. Les défenseurs,
au nombre de six cent vingt, repoussèrent assaut sur assaut :
le lieutenant-gouverneur Arcjuimbau et le capitaine Negrete
ne voulurent point entendre parler de capitulation. Mais,
incapables de résister davantage, ils évacuaient silencieu-
sement la place pour se retirer à Mahon, quand leur fuite
fut éventée; en vain, engagèrent-ils une lutte désespérée.
Le 12 juillet, Ciudadela n'était plus qu'une ruine fumante
et sa population un monceau de cadavres fi;.
Le surlendemain, la flotte turque était aux lies de Mar-
seille. Un message du grand prieur, dont Garces était por-
teur, l'avait enfin touchée. De Toulon, François de Lor-
raine vint à sa rencontre pour l'amener dans notre grand
port de guerre, où tout était prépai'é pour la recevoir. Un
conseil fut tenu entre Piali et nos officiers généraux, le
général des galères, le baron de La Garde, commandant
les troupes de terre, le colonel Sampieiro et le diplomate
Hurault de Boistaillé : nous pensions dresser immédiate-
ment un plan de campagne.
A notre grande surprise, Piali-Pacha ne voulut rien
(i) Lettre du baron de I-a (iardc. Marseille, 1'''' juillet (H. X., Fram;.
20463, fol. 107).
(2) Arquimbau, Negrete et quelques-uns de leurs compagnons, emmenés
captifs à Constantinople, y rédigèrent en forme authentique un récit du
siège (Victor Balaguer, El Deqolladcro, dans les œuvres de la Academia
de la Historia. Madrid, 1885, t. VII. — F. Dcno, t. II, p. 10 et 12,
notes).
GUERRE CONTRE L'ESPAGNE ET L'ANGLETERRE. 5:>1
entendre; dix jours de pourparlers ne purent ébranler sa
force d'inertie. « Attaquer les forts de Villefranche? disait-
il : impossible; Caram Mustapha en a inspecté les abords;
qu'arriverait-il si les bourrasques m'obligeaient à aban-
donnermes batteries desiègeetmes gens? — Maisle Grand
Seigneur vous a donné ordre de nous seconder; les lettres
que voici en font foi, objecta Bolstaillé. — Si je le juge bon,
répliqua Piali. — Au moins, restez en croisière jusqu'au
15 août, dit en désespoir de cause François de Lorraine,
qui avait été, lui aussi, examiner les abords de la place :
nous enlèverons Villefranche avec nos seules forces. —
Impossible de demeurer jusque-là. .> La discussion fut tran-
chée par l'arrivée subite de huit cents hommes de renfort
amenés par vingt-quatre galères ennemies le 20 jviillct; la
ville était hors de danger. » Allons assaillir Bastia en Corse,
reprîmes-nous. — Même refus. — Alors Port' Ercole en Tos-
cane. — Figure-t-il sur la liste des points d'attacjue cjue
vous avez dû soumettre au sultan? répliqua Piali. Non? Eh
bien, je n'y risquerai point ma flotte (1). »
Ce jour même, le 24 juillet, le grand prieur avait à peine
regagné son bord après un colloque aussi vain, qu'une fré-
gate génoise battant pavillon espagnol vint se ranger sous
la poupe de Piali et offrit aux Turcs force fruits. Surpris
d'un fait aussi étrange, qu'un bâtiment ennemi osât péné-
trer, bannière déplovée, dans un port français, le grand
prieur envoya demander des explications à l'amiral turc.
— Pendez donc les (jénois, si bon vous semble, fut toute la
réponse du pacha, qui ne les fit pas moins escorter jusqu'à
Nice par toute son avant-garde. Trois autres frégates
génoises apparurent le lendemain, chargées de draps d'or
(i) BoiSTAiLi.É (?), " Discours et rapport ilu voyage de l'année de mer
turquesque despuis qu'elle est comparue es mers de deçà, jusques au jour
qu'elle est partie d'avec les gallaires du roy pour s'en retourner sans rien
faire pour le service de S. M. " (B. N., Franc. 39t5, fol. 43 : CuarriÈre,
t. II, p. 509, note).
552 MISTOIKE DE LA MARINE FRANÇAISE.
et de soie et de présents considérables, que la République
de Gênes envoyait à Piali, sans parler d'une invitation à
un festin solennel qu'elle comptait lui offrir. L'armée
navale de Doria était au large pour lui faire la conduite.
Cette découverte inattendue fut un coup de foudre pour
nos marins, qui se hâtèrent de vider les lieux pour se réfu-
gier sous le fortd'Antibes, laissant la flotte turque reprendre
la route du Levant (1) . C'était le dernier acte d'une comé-
die qui se jouait à notre insu et dont le premier acte avait
eu lieu à Gonstantinople. Un soi-disant négociant en grains,
le Génois Tortorino, envoyé à Byzance, avait corrompu les
pachas pour détourner des côtes ligures et de la Corse
l'orage menaçant. Piali venait de toucher le prix de sa
vénalité f2).
III
LA PRISE DE CALAIS
Par son mariage avec la reine d'Angleterre, Philippe II,
roi d'Espagne, des Deux-Siciles, des Indes et des Pays-Bas,
disposait de la plus formidable puissance navale qui eût
existé. Les éléments épars s'en rassemblèrent en 1557 pour
nous porter un coup décisif; l'escadre andalouse d'Alvaro
de Bazan passait en Guipuscoa, capturant en route quatre
de nos vaisseaux (3), tandis que l'escadre basque de Car-
(i) « Discours et rapport du voyage turqucsque " (CuarriÈrk, t. II,
p. 522, note).
(2) Lettre de la Seigneurie génoise au capitaine général de la flotte
turque (20 juin 1558) ; «Instructio domini Francisci Costa-, niissi ad classeni »
à l'Archivio di Stato de Gènes; lettres de Piali au prince Doria, etc.
(Mam-rom, p. 398-401).
(3) Lettre d'Alvaro de Bazan à la reine. Laredo, il juin 1557 (F. DuKO,
Armada espanola, t. TI, p. 449).
GUERRE CONTRE L'ESPAGNE ET L'ANGLETERRE, 553
vajal venait au-devant du British Squadron, et que vingt-
deux croiseurs de Londres et Lee ralliaient le pavillon Ha-
mand de l'amiral de Wacken (1). L'ennemi était maître de
la mer, notre marine hors d'état de livrer bataille (2j , malgré
une mobilisation générale, terre-neuviers compris (3), la
France à la veille d'une invasion. Un émissaire anglais,
Lawrence HoUinshed, avait déjà exploré, en vue d'une des-
cente, les abords de La Hougue et du Havre (A).
Un incident de voyage dérangea l'harmonie de ces plans.
Garvajal s'attarda dans une attaque contre Belle-Isle (5),
puis contre Guérande et Le Groisic, une ville de corsaires.
Mais ses troupes n'avaient pas plus tôt débarqué à Ghé-
moulin, le 4 mai, que le sénéchal de (Tuérande, Ghauvigné,
se jetait sur elles avec trois cents arquebusiers, mille brais
longs, et, en guise de canons, des arquebuses à croc mon-
tées sur charrettes. Force fut aux pillards, le soir même, de
regagner leurs campements de Belle-Isle (6), où les marins
du Groisic brûlaient de leur donner la chasse et d'anéantir
leurs quarante galions et chaloupes (7) .
De fait, on apprit avec stupéfaction à Londres que Gar-
vajal battait en retraite vers l'Espagne, à la suite d'un vio-
lent combat contre un convoi de pêcheurs bretons, escorté
par quelques vaisseaux de guerre. Les six maigres prises
(1) 6 juin 1557 (Kervys de liETTEXHOVE, Relations politiques des Pays-
Bas et de l'Angleterre sous... Philippe II. Bruxelles, 1882, in-i", t. I,
(2) Lettre de l'ambassadeur vénitien Surian. J^ondrcs, 1'"' juin [Calcn-
dar of State papers, Veuetian, t. VI, 2" partie, p. 1131, n" 912).
(3) Lettre du gouverneur de Bretagne au vice-amiral de Bouille. 18 avril
(Doni MoRicE, Mciuoires pour servir de preuves à l'Histoire de Bretagne,
t. III, col. 118V).
(4) Avril (Calcndar of State papers, foreign séries of thc rcirjn of Elisa-
beth (1558-1577), éd. Stevenson cl Crosby. London, 1863, t. I, n" 579).
(5) Le 18 avril {Calcndar of State papers, Venetian, éd. Rawdon-Brown,
t. VI, 2« partie, p. 1827, n° 872).
(6) Dom MoRicE, Mémoires... de Bietugne, t. III, col. 1194.
(7) Dès le 30 avril (Ibidem, col. 1187).'
554 IIISTOIHI': DE I.A .MARINE FRANÇAISE
qu'il avait failes ne compensaient point réchec de la cam-
pagne navale (1) .
Las d'attendre son collègue espagnol, l'amiral anglais
avait paru le 15 juin 1557 devant Cherbourg et brûlé le
vaisseau royal du capitaine Coq, impuissant à lutter contre
seize gros navires de guerre; mais il s'était fait repousser
par les batteries de la Hague (:2j . La croisière anglo-espa-
gnole reprit dès lors pour champ d'action nos côtes de
l'Atlantique; elle signalait sa présence, le 10 décembre, par
l'attaque de Sucinio et de Sainl-Oildas de Rhuys (iV , le 30,
par la capture du plus beau vaisseau de guerre du Croisic,
le Grand-Jésus (4), et de son convoi.
Pour parer aux incursions ennemies dans le sud, le Bor-
delais La Salle, constructeur et capitaine du meilleur galion
de la flotte (5), proposa à 1 amiral de Guyenne tout un sys-
tème de défense mobile : un fort démontable en bois, facile
à transporter sur les points menacés; à reml)oucluire de la
Gironde, une batlcrie flottante de cent cinquante pièces
disposées en trois étages de feux et servies par cinq cents
hommes; enfin, le long du littoral, huit garde-côtes, four-
nis, deux par les ports du sud, de Saint-Jean-de-Luz à Cap-
breton, trois par les ports du nord, de Bordeaux jusqu'en
Bretagne, et les derniers par les villes de la Garonne inté-
ressées au commerce marilime, Toulouse, Agen et Mar-
mande. Du garde-côtes idéal, à l'épreuve du canon et léger
à la course, notre capitaine traçait un devis, inspiré de la
forme des « barques passaigères» ((>j, qui fut réalisé par les
(i) Lettre de l'ambassadeur vénitien Surian. Londres, 8 juin (Calcndar
of Slalc papers, Vcnetian, t. VI, 2'' partie, p. 1147, n" 925).
(2) Journal de Gouberville, p. 497.
(3) Dom MonicK, Mémoires... de fSretarjne, t. III, col. 1206.
{k) Ibidem, col. 1208.
(5) R. N., Franc. 20008, fol. 13.
(6) Mémoire de La Salle au roi de Navarre. 1557 (Archii'ex liisloriques
de la Gironde, t. L p. 120).
GUERRE COiVTRE L'ESPAGNE ET L'ANGLETERRE. 555
Bayoïinais. Leur Coran haj^hotat, en croisière à Tcmbou-
chure de l'Adour, était un navire blindé, portant sous cou-
verte un corps de garde (1). L'escadre garde-côtes de
Guyenne, ajoutait le capitaine, aura pour équipages mille
à douze cents marins d'élite des côtes normandes, pour
artillerie l'airain des cloches enlevées des églises du Bor-
delais et conservées au château de Nantes, pour vivres le
butin fait sur l'ennemi.
En faisant appel aux marins normands, rompus à la
guerre de croisière, on évitait les rivalités locales. Cette
même année 1557, deux galions montés par les échevins
bayonnais et les soldats du gouverneur, ne donnèrent-ils
point la chasse à trois bâtiments de Capbreton, sous pré-
texte qu ils avaient pris port dans l'Adour ailleurs qu à
Bayonne! Ils furent poursuivis eux-mêmes par deux vais-
seaux de guerre de Gapi)reton, aux cris de : « Rendez-vous,
larrons! " et plusieurs bordées ne les arrêtèrent point (2).
Comme riposte aux attaques anglaises, nous avions pro-
voqué outre-mer une sédition. Un outlaw, Thomas 8taf-
ford, petit-fds du duc de Buckinghamet neveu du cardinal
Pôle, avait débarqué une centaine de soldats anglo-fran-
çais dans le nord-est, et, la forteresse de Scarborough
enlevée, s'était proclamé roi. Ephémère monarchie, qui
sombrait dès la fin du mois d'avril sous l'attaque des
milices provinciales (3).
Henri II attendait un tout autre résultat de la diversion
classique des Ecossais. Les Anglais avaient tenté de leur
(1) DucKiiK, Ilisloirc maritinic de Baynune. Les Corsaires sous l'ancien
réqime, xy.hQ. — Dès la tin du quinzième siècle, Léonard de Vinci proposait
au duc de Milan la construction de bateaux blindés, où les bombardes
étaient protégées par des mantelets de palplanches (Cf. Ravaisson-Moi.lien,
Les manuscrits de L^conard de Vinci, ms. 2037 de la Bibl. Nat., fol. 7).
(2) 26 août 1557 (Archives de Bayonne, FF 2, p. 14).
(3) Lettre de l'ambassadeur vénitien Surian. Londres, 29 avril et 6 mai
(Calendar of State papers, Venetian, éd. Ilawdon-Brown, t. VI, 2'' partie,
p. 1026, n°' 870 et 873).
556 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
enlever les îles Orcades; mais l'attaque de l'amiral britan-
nique avait été repoussce; une expédition danoise qui
devait la soutenir avait été contremandée à la suite des
démarches de notre ambassadeur (I) ; et nous envoyâmes
à nos alliés un corps auxiliaire de quatre mille fantassins
français; partie des troupes eurent ordre d'embarquer sur
l'escadre de Glamorgan de Saanne (2), partie sur les trans-
ports apprêtés à Brest par le capitaine de Carné (3).
Avant que la diversion pût se produire, la France fut
envahie par l'armée anglo-espagnole d'Emnianuel-Phi-
libert de Savoie. Coligny se jeta dans Saint-Quentin pour
enrayer l'invasion : Montmorency se fit battre le 10 août
1557 en essayant de dégager la place, qui succomba elle-
même le ^7 : amiral et connétable de France étaient pri-
sonniers, 1 armée et la flotte privées de chef.
Du fond de l'Italie, un sauveur accourut; le duc de
(îuise, nous l'avons vu, avait embarqué sur les galères du
baron de La Garde la Heur de son infanterie, laissé sa
cavalerie au duc d'Aumale, son frère, les autres troupes
au duc de Ferrare, son beau-père, et il revenait précipi-
tamment enrayer l'invasion. Il existait, dans les coffres de
l'amiral de Coligny, un rapport très circonstancié qu'un
agent secret, François de Briquemault, avait fait sur les
fortifications de Calais, en profitant des trêves pour s'in-
troduire dans la ville. Sur ce rapport, l'amiral avait dressé
un plan d'attaque, que sa fâcheuse captivité, qui allait
durer jusqu'à la fin de la guerre, semblait rendre illusoire.
(1) Octobre 1557 {Ibidem, n" 13V7. — Louis Paris, La Clironir/ue tir
Nestor. Paris, 1834, in-8", t. I, p. 337).
(2) Lettre de l'ainbassadeur vénitien Soranzo. Reims, 18 juin {Ibidem,
p. 1174).
(3) Lettres de Henri II au duc d'Etainpes. 4 octobre (Doni MomcE, t. III,
col. 1204). — L'expédition par Brest était de cinq enseignes de fantassins,
selon un mandement du duc dÉlampes. Laniballe, 6 novembre (B. N.,
Franc. 22310, fol. 114).
GUERRE CONTRE L'ESPAGNE ET L'ANGI^ETERRE. :,:n
François de Guise en connaissait heureusement Texistence :
il en obtint communication de la femme du captif. Atta-
quez en hiver, disait le mémoire de Goligny : l'été, les eaux
sont si basses autour de la place que les Anglais, craignant
pour sa sécurité, y mettent une grosse garnison : en hiver,
ils y laissent peu de gens, tant la ville, par la hauteur des
eaux, est de difficile accès (1).
Moins que jamais, les Anglais songeaient à l'éventualité
d'une attaque : les derniers jours de 1557 avaient été si
rigoureux que les rivières charriaient de grands blocs de
glace (2). Le gouverneur de Calais, lord Wentworth ,
avisé du rassemblement dans la Somme de quarante trans-
ports, qu'une escorte de cinq grands vaisseaux de guerre
attendait près de Boulogne, ne soupçonna pas un instant
que Calais fût menacée (3). Son aveuglement eut quelque
chose d'inconcevable. Le 30 décembre, les transports
étaient à Ambleteuse, convoyés par deux navires de guerre;
une armée de douze mille hommes était massée à Bou-
logne; la cavalerie campait dans la vallée de Licques, et
Wentworth était encore à se demander sur quel point por-
terait l'attaque : Guines ou Ardres? (4)
Tandis que Jean de Monchi de Sénai'pont organisait le
ravitaillement par mer de l'armée en campagne, le lieute-
nant d'amirauté à Dieppe ne restait point inactif. Ponsard
de Fors, avec une escadre volante de huit vaisseaux, montés
de huit cent cinquante hommes d'équipage, — le Nicolas et
le Pantagruel entre autres, — devait appareiller lors de la
grande marée du 22 décembre. A la pleine mer du 8 jan-
vier, l'escadre recevrait comme renforts deux vaisseaux de
(1) Brantôme, t. IV, p. 213.
(2) Lettre de René de Sanzay. Nantes, 31 décembre 1557 (^Doni MomcE,
Mémoires de Bretagne, t. III, col. 1208).
(3) Lettre datée de Calais, 26 décembre (Calendar uf Slule Papers
Foreiqn, p. 351).
(4) Lettre à la reine, 30 décembre (Calendar..., Foreign, p. 353).
558 IIISTOIRK DE LA MARINE FRANÇAISE.
fort tonnage et le contingent de Fécamp pour le a voyage
de Monseigneur de Guyse (1) » .
Jusqu'au dernier moment, nous donnâmes le change à
l'ennemi. L'àpretc des compagnies suisses à réclamer leur
solde faillit cependant tout compromettre, en retardant le
duc de Guise à Amiens. Il dépêcha de l'avant le corps
d'armée dvi maréchal Strozzi pour isoler Calais de Grave-
lines (â), arrêta, le 31 décembre, les mouvements combinés
de la flotte avec ses troupes (3), et le 1" janvier 1558, il
investissait inopinément Calais (4-).
Une vingtaine de transports, détachés vers l'armée de
siège avec le capitaine Jean Ribaut, capitaine de la Fleur
de Lis (5), assuraient le service des subsistances, pendant
que l'escadre de Ponsard de Fors, pourchassant les bâti-
ments britanniques, faisait le vide dans le détroit et isolait
la place. Après avoir u rembarré " l'ennemi le long du lit-
toral d'Angleterre, Fors vint, selon qu'il l'avait dit, cher-
cher des l'enforts à Dieppe. Sans attendre la grande marée
du 8, il reprit la mer le G janvier (6j, sur les instances
pressantes de la Cour de ne plus laisser à découvert les
côtes boulonnaises (7).
(1) " Double de lestât des navires que le sieur de P'ors fera tenir prestz
pour le voyage de Monseigneur de Guyse : >' le Nicolas (200 tonneaux), la
Cathctine (i20), le Pantagruel (110), le Lion (100), le Bon temps (60), la
Lézarde (60), l'Esprit (50), le Courrier (50) (B. N., Franc. 3085, fol. 72;
Franc. 3397, fol. 14).
(2) Lettre de l'ambassadeur vénitien Micliiei. Paris, 1'^'' janvier (Calendar of
State papers, Venetian, éd. l\a\vdon-Bro\vn, t. VI, 3" part., p. 1407, n° 1121).
(3) " Vostre lettre du dernier du mois passé au sieur de Fors, » écrit
Henri II au duc de Guise le 7 janvier 1558 (B. N., Franc. 20645, fol. 14).
(4) Sur le siège de Calais, on lira avec fruit l'excellent ouvrage de M. Georges
D.\liiMKT, Calais sous la domination anglaise. Arras, 1902, in-S", p. 37. Le seul
reproche que je ferai à l'auteur, c'est d'avoir omis le rôle de la flotte française.
(5) Lettre de Wotton à Marie d'Angleterre. 27 avril 1557 (Calendar of
State papers, Foreign séries, of the reign of Mary, p. 299).
(6) Lettre de Fors au duc de Guise. Dieppe, 6 janvier (B. N., Franc.
20645, fol. 10).
(7) Lettre de Henri II du 7 janvier, citée.
GUERHE COM'RE L ESPAGNE ET L'ANGLETERRE. 559
C'est qvie, du côté de Calais, les événements se préci-
pitaient. Le 3 janvier, le risban et les positions qui com-
mandaient l'entrée du port et l'accès de la ville, tom-
baient au pouvoir du duc de Guise. Le 8, les vice-amiraux
Ralf Chamberlain et William Woodhouse arrivaient à
toutes voiles pour sauver la ville (1). Les batteries de
siège tiraient encore : mais deux capitaines de vaisseaux
anglais, envoyés en reconnaissance, à voir deux bâti-
ments sous pavillon à croix blanche garder la gorge du
havre, tandis que le drapeau l)ri(annique à croix rouge
avait disparu du risban, flairèrent un piège {''2). Calais
venait de capituler; et si les di.x-huit vaisseaux de guerre
de Chamberlain avaient eu le malheur de pénétrer dans
le port, toutes les dispositions élaicnt prises pour les fou-
droyer.
Au rovaume dont elle était détachée depuis plus de
deux siècles, la place fut solidement rivée par des forces
imposantes : une garnison de quatre mille hommes et une
escadre de garde de quatre vaisseaux (3). Il n'y eut point
de retour offensif de la Hotte anglaise; un ouragan l'avait
si gravement endommagée que Marie d'Anjjletcrrc dut
faire appel à l'amiral espagnol Luis de Carvajal pour
embarquer les troupes du comte de Rutlarul (4j . Mais à la
ruine de la domination anglaise en France, il n'était plus
de remède. L'escadre espagnole de Dunkerque, assaillie à
son tour par une violente tempête, en cours de route pour
(1) Calcudar of Slate papers, acts of tlie Privy Council (30 décembre
1557, 2-8 janvier 1558), p. 222, 227, 235.
(2) Interropaloire des marins d'un vaisseau armé à llye et amené à Calais
par trois navires de Dieppe qui l'avaient capturé. Calais, 27 janvier 1558
(B. N., Franc. 23191, fol. 201).
(3) Daumet, p. 42, d'après les gestes d'Anne de Montmorency (B. N.,
Cinq-Cents Colbcrt 26, fol. 128, 141).
(4) Cinq mille hommes. Lettre de Marie Tudor au duc de Savoie, 18 jan-
vier (IvEnvYN DK Le'xïenuove, Relations politi(jues des Pays-Bas et de l'An-
gleterre, t. I, p. 118).
560 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
l'An^jleterre, perdit deux vaisseaux sur les bancs et dut
chercher un refuge en Zélande.
La chute de Calais causa dans les Pays-Bas non moins
qu'en Angleterre un émoi indescriptible, que trahit lar-
mement de vingt-cinq croiseurs, tandis qu'un capitaine
espagnol, du nom de Guiliano, demandait une escadre et
des troupes pour recouvrer la place : avant un mois,
disait-il, ce sera chose faite (1). Il avait échappé à un
diplomate de Philippe II cette confidence imprudente que.
Calais reconquis, son maître le garderait pour lui (2).
Aussi les Anglais jugèrent-ils bon de ne point laisser leurs
alliés opérer seuls. L'amiral Clinton alla s'entendre avec
son collègue flamand Wacken pour une attaque combinée
contre Calais, Rue et Saint-Valéry, et contre l'expédition
que préparait Vendôme à destination de l'Ecosse (3).
Mais nos marins n étaient plus d'humeur à se renfermer
dans un rôle passif. Ils marcheraient en masse à la ren-
contre de l'ennemi : tel était le mot d'ordre donné en Nor-
mandie et Bretagne par d'Andelot, frère et lieutenant de
l'amiral (4). Par Calais, nous étions maîtres de l'entrée de
la Manche, dont notre poste d'Aurigny gardait l'autre issue.
De la conquête de l'île normande, effectuée le 21 juin, le
gouverneur de Dieppe (5) et le capitaine Malésart, fils d'un
aubergiste de Cherbourg, avaient été les héros. Ils don-
naient à nos corsaires, tels que Jean Ravalet de Side-
ville (6), une base d'opérations navales, que l'ingénieur
(1) Lettres de l'ambassadeur vénitien à Bruxelles. t5, 20 et 23 janvier
(^Calendar of State papers, Vcnetian, t. VI, 3' p., p. 1426).
(2) Mémoire de M. de Rubbav, 6 février (Alexandre Teclet, Relations
de la France et de l'Espagne avec l'Ecosse au XVI" siècle, t. I, p. 298).
(3) Rapport de l'amiral Clinton à la suite de sa mission à Bruxelles, Hn
de mai (Kervyx de Lettenhove, t. I, p. 205, 226).
(4) Lettre de l'ambassadeur de Venise Micliiel. 1*' avril fCalendar of
State papers, Venetian, t. VI, p. 1483, n" 1210).
(5) Journal de Gouberville, p. 437.
(6) Ibidem, p. 504.
GUERRE CONTRE LESPxVGNE ET L'ANGLETERRE, ôGl
Antoine de Maioricy, auteur des forlifieations des îles
Ghausey el de la Houjj,ue, mit aussitôt en état de dé-
fense (l).
A défaut de l'amiral prisonnier, le colonel du ban
et de l'arrière-ban de Normandie se fit chef d'escadre.
Depuis longtemps familier avec la guerre de course (2),
Jean V, baron de Clères, obtint commission royale pour
équiper dix grands vaisseaux et courir sus à Icnuemi,
ainsi qu'un bon et vaillant homme de guerre (3) . Le bruit
de ses armements à Dieppe jeta si loin l'effroi, que dans
la crainte d être attaqué par lui, le commandant du con-
voi des Açores, Alvaro de Bazan, revint en Espagne qué-
rir des renforts (4) ; une escadre anglaise parut le 13 mai
devant Dieppe, dans l'espoir de le paralyser. Yains ef-
forts! le 29 mai, cinq de nos vaisseaux enlevaient, entre
Nieviport et Flessingue, deux bâtiments britanniques ve-
nant d'Espagne; outre trois cent mille francs de prises,
ils rapportaient, par certaines lettres trouvées à bord de
cutters, des renseignements précieux sur la révolte do
l'Irlande (5).
Une seconde croisière du baron de Clères fut plus fruc-
tueuse encore. En juillet, il tombait sur une division an-
glaise qu'une bourrasque avait séparée de la flotte de Clin-
ton et s'en rendait maître après un vif combat. A bord des
neuf prises, cent cinquante grosses pièces d'artillerie, dont
(i) B. N., Nouv. acq. franc. 20030, p. 10.
(2) Dès 1551, le vaisseau de guerre du baron se ravitaillait à Boulogne,
les 17 août et 10 novembre, au cours de sa croisière fructueuse contre
l'ennemi (Archives de Boulogne-sur-Mer, liasse 706).
(3) Commission en date du 20 janvier 1558 fOi-aison fuiièhre sur le très-
pas de Jacques de CU-re : B. N., Franc. 20230, fol. 97).
(4) Lettre du chevalier de Seure. Juin 1558 (F.\i,gairolle. Le rlievalier de
Seure (1896), p. 21, 34).
(5) Lettre de l'ambassadeur de Venise, Michiel. 23 juin (Calendar of
Slate papers, Veiielian, t. VI, 3' p., p. 1508, n" 1242. — Calendar of
State papers, Forcifjn, p. 383).
ni, 36
562 HISTOIRE DE LA MARIEE FRANÇAISE.
moiLic sur affût, appartenant à un parc de siège, ne lais-
saient aucun doute sur les desseins de l'ennemi. Le roi, le
cardinal de Lorraine, auxquels le baron était venu faire
son rapport, attachèrent un g[rand prix à cette victoire
navale, où ils voyaient Feffondrement d'un projet d'inva-
sion (1).
Dans le temps même que les flottes de Glinlon et Wacken
effectuaient leur jonction, l'offensive du maréchal de
Termes, gouverneur de Calais, non moins que la croisière
de Clères, jeta le désarroi dans leur plan de campagne. Au
lieu d'attaquer nos ports, elles furent réduites à défendre
les leurs. — Dunkerque cstbloquée par les Français, écrivait
Clinton à la reine d'Angleterre : envoyez-moi des instruc-
tions par la voie d'Ostende (i!) . La ville de Dunkerque était
déjà enlevée depuis le 6 juillet. Mais le maréchal de Termes
eut le tort de s'attardera embanjuer le butin ; il avait laissé
derrière lui la place forte de (Travelines, dont la garnison
venait d'être renforcée par sept cents hommes de l'escadre
de Carvajal (3). Envoyés en reconnaissance devant cette
ville le 10 juillet, Sénarpont et son collègue d'Estouteville
s'étaient promptemcnt rendu compte que leur chef allait
être pris entre deux feux et l'avaient supplié de l)attre en
retraite : on avait dégarni, pour marcher, Calais, Ardres,
Boulogne, Abbeville; la frontière était ouverte. Le maré-
chal répliqua qu'il s'ébranlerait le lendemain, après avoir
fait partir à la marée de la nuit les navires chargés de
butin (4), entre autres les prises dunkerquoises l'Aigle et
(1) Lettre de l'ambassadeur de Venise, Michicl. La Ferté-Milon, 16 juil-
let (B. N., Italien 17J9, fol. 66 : Calendar of State papers, Veuetiaii,
t. VI, 3« p., p. 1519, n" 1252).
(2) A bord du Lion, 8 juillet (Kkrvyn dk Lkttexhovk, Rr/titions poli-
ti/jnes fies Pays-Ihta et de i Anqlelei-re, t. I, p. 229).
(3) Lettre de Surian. Bruxelles, 26 juin (Calendar of Slale papers, Venc-
tiau, t. VI, 3-^ p., p. 15J1, n" 1245).
(1') Lettre de d'Estouteville à Henri II. Juillet (B. N., Moreau 774,
fol. 123).
GUERRE CONTRE L'ESPAGNE ET L'ANGLETERRE. 563
le Chien, commandées par La Place, un de ses hommes
d'armes (1) .
Il était trop tard. Quinze mille hommes du comte d'Eg-
mont étaient à ses trousses. Goutteux, en litière, le vieux
maréchal fut prévenu par son jeune et fou,yueux adver-
saire, et, l'Aa franchie à son embouchure, près de Grave-
lines, le 13 juillet, il se vit barrer la route parEfjmont, qui
avait passé la rivière en amont. Sautant à cheval et, le
bras tourné vers Calais : " Voilà votre pays, cria-t-il à ses
troupes; battons lenncmi pour y arriver. » Les Gascons,
couverts à gauche par les bagaj];es, à droite par la mer,
chargeaient avec furie, quand le canon tonna soudain sur
leur flanc droit. Dix vaisseaux de Carvajal les accablaient
de boulets, et cinq cents marins du Guipuscoa venaient
renforcer le centre espagnol. La bataille était dès lors
perdue. Quinze cents des nôtres tombèrent, le double de-
meura prisonnier, le maréchal entre autres. Comme tro-
phées de la victoire de (-Jravelines, les marins emmenèrent
deux cents de nos soldats (^) .
La concentration des flottes anglaise et hollandaise avait
chassé nos croiseurs vers l'ouest. Bernardo de Fresneda,
archevêque de Tolède, et le régent Fijjueroa faillirent
l'expérimenter à leurs dépens. Passant de Zélande en Es-
pagne, ils avaient relâché à Falmouth et ils reprenaient
leur route le 21 juillet, quand, à quelques lieues du port,
quatre vaisseaux français aux aguets leur tombèrent dessus.
C'est avec la plus grande peine que les Espagnols échap-
pèrent à l'abordage et regagnèrent le port. Mais notre
petite division, en courant des bordées du cap Lizard à
Dungeness, les perdait si peu de vue, que les Grands d'Es-
(t) Auquel Henri II confirme l'autorisation d'armer en guerre les deux
vaisseaux. 9 août (B. N., Franc. 4588, fol. 18).
(2) Dk Thou, Histoire universelle, t. III, p. 240. — Campana, vita del
Filippo II. — Coleccion de documentos historicos del archiva municipal
de la ciiiddad de San Sébastian. San Sébastian, 1895, p. 23.
564 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
pa^jnc demandèrent à Tamiral d'Angleterre une escorte (1).
L'amiral avait de tout autres soucis.
IV
ATTENTAT CONTRE BREST
D'avoir perdu Calais, la reine Marie Tudor mourait de
désolation : une nouvelle l'eût sauvée, la prise de Brest.
L'amii^al Clinton avait l'ordre de s'en emparer, à peine
d'être pendu. Aux cent vingt bâtiments anglais, Adolphe
de Bourgogne, sieur de Wacken, avait joint ses trente vais-
seaux, dont lallure martiale n'avait rien de cet aspect de
Coquilles de noix qui faisait jadis la joie de leurs compa-
gnons de route.
L'amiral de Wacken, le vice-amiral (rérard Van Mecke-
ren, qui battaient pavillon au grand mat de la Compagne Qi
au mat de misaine de l'Eléphant, et le capitaine Cornélius
de Coninck, signalé par un simple guidon, avaient trois
divisions homogènes parfaitement organisées, les bâtiments
amatelotés en prévision d'une bataille, des tonnes d'eau
parées en proue, au grand mât et en poupe en cas d'incen-
die, des signaux arrêtés en cas de brume (2). Et ce fut l'es-
cadre flamande, en définitive, qui subit tout le faix de la
campagne.
La flotte des alliés, relâchant à Saint-Pierre-Port en
(niernesev, détacha deux escadrilles contre Aurigny et
(1) Lettres de Figueroa et de l'arclievêquc. Falmoulh, 26 juillet (Calen-
tlar of State papcrs, Fotaiçjii, p. 389, 390). — A la tin de septembre, Pon-
sard de Fors mena une division dieppoise au secours de l'Ecosse. Lettre de
Robert de La Marck. Abbeville, 10 octobre (B. N., Franc. 20646, fol. 127).
(2) Ordre de marche adopté le 2 juillet par l'amiral de Wacken (L. dk
Baecker, Étude bioqraphique sur Gérard Van Meckercn, vice-amiral de
Flandre, dans les Annales de la Société d'émulation de la Flandre, t. VI
(2^ série), p. 365).
GUERRE CONTRE L'ESPAGNE ET L'ANGLETERRE. 565
Sercq. Aurigny fut vite reprise par le gouverneur de l'ar-
chipel, Léonard Chamberlain : malgré une prompte re-
traite, les corsaires normands perdirent plusieurs bateaux
et une centaine de prisonniers, dont le capitaine Malésart.
Le capitaine Malherbe s'était fait tuer en tenant tête à
renncmi (1). Contre Sercq avait été envoyé un vaisseau
hollandais avec des guides et un pilote. Notre garnison,
réduite à trente hommes, fut surprise dans son sommeil;
de nuit, les assaillants avaient traversé la Coupée et péné-
tré dans le fort de l'Eperquerie. Tactique bien simple, à
laquelle Walter Raleigh a prêté une allure dramatique en
racontant que les marins hollandais avaient demandé à
enterrer un mort en terre sainte. Le cercueil contenait des
armes. On devine le reste (2).
Le ;29 juillet, à neuf heures du matin, apparaissait tout
à coup devant Le Conquet, sans qu'elle eût été signalée
par les vigies, la Hotte anglo- flamande. Une centaine
d'hommes tentèrent de disputer la descente, mais en vain.
Les ennemis débarquaient par milliers sur les chcvau-légers
de leur flotte, qui balayait la côte de son feu. Tous les
navires en rade, au nombre de trente-sept, trois cents
bouches à feu furent capturés, la ville pillée et brûlée :
il ne resta debout que 8 maisons sur 450 et, à Lochrist-
Plougonvelin, 12 sur un total identique; à Plougonvelin,
220 fuirent la proie des flammes. A Tabbaye de Saint-Ma-
thieu, chaires du chœur, livres, ornements, sacristie, dor-
toir furent détruits, deux buffets d'orgue enlevés (3).
Tandis que les ennemis s'attardaient à piller, les Bre-
tons, nobles, bourgeois, paysans, aux lueurs des incendies,
(1) Lettre de lambassadeur de Venise, Michiel. 25 juillet {Calcndar cf
State papeis, Vcnetian, t. VI, o" partie, p. 1522, n" 1255).
(2) Sir Walter R.hleigh, History of the World, I. IV, chap. u. — Dlpokt,
Histoire du Cotciilin et de ses iles, t. III, p. 338.
- (3) Une enquête fut faite sur les ravages de i'enneuii (Dom Morice,
Mémoires pour L'histoire de Bretagne, t. III, col. 1226L
566 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
accouraient et se rangeaient en foule sous les ordres du
capitaine de l'arrière-ban, Guillaume Du Chastel, sieur de
Kersimon. En une demi-journée, il rallia 9,000 hommes;
alors, Guillaume Du Chastel, à Tinstar de ses ancêtres,
tombe rudement sur les envahisseurs, les pousse l'cpée
dans les reins vers la mer, leur tue 500 hommes et oblige
les Anglais à se rembarquer en hâte, non sans boire " plus
que leur saoul d'eau sallée " (1) . Le vice-amiral Gérard Van
Meckeren, avec quatre compagnies flamandes, essaie de
couvrir la retraite en se battant en désespéré. Il n y par-
vient qu'au prix de nouvelles pertes : 340 prisonniers, dont
le capitaine de vaisseau de Bosschuysen, restent aux mains
des paysans bretons, qui les dirigent sur Saint-Renan (2).
Quatre hourqucs anglaises ont été coulées dans la baie (3).
Bref, la victoire était éclatante. Cette brillante rescousse
sauvait Brest. On apprit, en effet, par l'un des prisonniers,
que l'amiral Clinton avait mission de s'emparer de Brest,
sous peine d'être pendu (4) .
La flotte ennemie se retira du coté de Roscoff, sans doule
en vue de quelque coup de main sur Morlaix ou Saint-Pol-
de-Léon. Mais les communes de Cornouailles et de Léon,
levées en masse, bordaient la côte, et toute velléité de des-
cente eût été accueillie par une armée de vingt mille
hommes aux ordres du duc d'Etampcs. Tenace comme un
Anglais, 1 amiral Clinton avait de plus de bonnes raisons
pour s'obstiner à prendre Brest. Le 25 août, sa flotte était
de nouveau signalée parle travers de l'Aber-Vrac'h; peu
après, elle jctaitdes troupes sur la plage des Blancsablons.
Faute d'artillerie de marine, le vaillant (Tuillaume Du
Chastel ne savait comment armer les galères et les navires
(1) François de Rabutix, Commentaires, dans la Nouvelle collection
Michaud et Poujoulat, t. VII, p. 601. — De Tuou, t. III, p. 242.
(2) Rapport du duc d'Étampes (B. N., Franc. 22310, fol. 350).
(3) De ViLi-ARs, dans la Nouvelle collection Michaud et Poujoulat, p. 296.
(4) Frani^ois de Rabuto cité.
GUERRE CONTRE L'ESPAGNE ET L'ANGLETERRE. 567
du port de Brest pour barrer la route aux deux cents voiles
ennemies (1) .
La situation était critique : par le sort de Saint-Jean-de-
Luz, que le vice-roi de Navarre Bertran de La Gueva, duc
d'Albuquerque, venait de surprendre le 31 juillet et de
brûler avec tous les navires en rade (2), on pouvait prévoir
quelle serait la destinée de Brest. Du Gbastel, heureuse-
ment, veillait : il avait inspiré aux assaillants une crainte
SI salutaire qu'ils n'osèrent se mesurer une seconde fois
avec lui. Mais ils infestèrent la mer de leurs croiseurs et
brûlèrent le port du Blavet (3) : du continent, l'on n'osait
passer à Belle-Isle : arrivé à Quiberon, le porteur de la
solde de la garnison faisait trois signaux lumineux pour
aviser le capitaine de Sourdeval de l'envover hâtivement
quérir (4) .
Dans les îles anglo-normandes, nous avions au contraire
repris pied : le capitaine d'une compagnie de quatre cents
hommes, Léon de La Haie, avait réoccupé Aungny comme
lieutenant du roi (5). De (jucrnesev, le capitaine ^falésart
offrait à Goligny de s emparer, grâce aux intelligences qu'il
y avait nouées durant sa captivité; et le sieur de Glatigny se
cbargeait de faire de Jersey une colonie française (G). Plût
à Dieu que le gain net de celle guerre eût été le rétablisse-
ment de notre domination dans l'archipel ! Mais, avant qu'il
eût été donné suite à ces projets, les hostililcs prirent fin.
(i) Lettre de Guillaume Du Cluistel au gouverneur de Bretajjne. 25 août
(B. N., Franc;. 205i0, fol. 76, 79).
(2) DrcÉRÉ, Histoire niaritime de Bayonnc . Les Cotsaiies sons /'(iiicicii
réqime, p. '2.'^.
(3) Septembre {^Me'morial de Jehan de Ge^'Kes, continué par Rend
Le Coco, sieur des Croix).
(4) Lettre du greffier ^lallet. Vannes, 3i août (Dom Morice, Mémoires...
de Bretagne, t. III, col. 1228).
(5) Quittance, couinie tel, du 7 décembre 1558 (Archives nat., K 92,
n" 15).
(6) 1560 (Calendar of State papers, Elisabeth, t. I, n" 716 : DuP0^T,
Histoire du Cotcntin, t. III, p. 363).
r,r,8 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Accablée de toutes parts, trahie par la désertion de la
flotte turque, la France ne pouvait lutter davantage. Le
12 octobre 1558 s'ouvrirent, entre la France. l'Espagne,
l'Angleterre, la Navarre et la Savoie, des négociations de
paix (|ui durèrent tout l'hiver. Deux de nos plénipoten-
tiaires, le connétable de Montmorency et le maréchal de
Saint-André, encore prisonniers de l'ennemi, manquaient
de leur libre arbitre. Peut-être est-ce là une des causes
occasionnelles du honteux traité qui fut signé les 2 et
3 avril 1559 à Cateau-Canibrésis, etque les contemporains,
Monluc, d'Aubigné, déplorèrent unanimement. " Glorieuse
aux Espagnolz, désavantagevise aux François, redoutable
aux réformés " (1). elle rendait « par un trait de plume
toutes nos conquestes de trente ans " ["2). Si, dans le nord,
nous conservions pour huit ans un droit de garde sur
Calais, nous rendions au duc de Savoie toute la frontière
du sud-est, annexée en 1536, depuis la Bresse jusqu'au
Piémont. Nous rendions le Montferrat au duc de Mantoue,
Montalcino et le Siennois au duc de Toscane, et à Gènes
l'île de Corse (3).
Tandis qu'une partie de notre flotte était occupée à éva-
cuer nos garnisons de Toscane et de Corse, à effectuer la
remise aux (îénois de Saint-Florent, de Bastia, de Calvi,
d Ajaccio (4j, comme si ce n'était point assez de perdre
pied en Italie, nous mettions une coquetterie ridicule à
envoyer saluer chez eux nos ennemis de la veille. Si un
prince de Lorraine entra dans Naples, ce fut pour jeter de
(1) D'AuiiiGXÉ, Histoire universelle, éd. de l\uble. Paris, 1886, in-S",
t. I, p. 50.
(2) Pasquier, Les Recherches de la France, dans ses OEuvres. Trévoux,
1723, in-fol., t. I, p. 76.
(3; Sur l'historique du traité de Cateau-Cambresis, voyez Francis Décrue^
Anne, duc de Montmorency, p. 213.
(4) Lettre de Carcès. De Corse, 5 septembre 1559 (B. N., Franc. J5871,
fol. 286) : lettre du chevalier de Seure. Marseille, 8 août 1559 (B. N.,
Franc. 15872, fol. 141).
GUERRE CONTRE L'ESPAGNE ET L'ANGLETERRE. 569
l'eau bénite sur les tombeaux de la maison d'Anjou, dont
la maison de Lon-aine revendiquait l'iiéritage. Cette sorte
de service funèbre, cet ensevelissement de nos prétentions
sur le royaume des Deux-Siciles, n'eut rien de triste.
Le grand prieur François de Lorraine, qui venait de
mener à Rome son frère, le cardinal de Lorraine, pour
lélection d'un nouveau pape (l), salua Naples de tous les
canons de ses seize galères et accosta le môle sous grand
pavois, les forçats de la Réale vêtus de velours cramoisi et
les soldats de sa garde couverts de mantilles aux passemen-
teries d'argent. L'artillerie des châteaux et des forts ton-
nait de toutes parts : et ce fut dans un cortège triomphal,
sur des coursiers caparaçonnés d or et d'argent, que le
général des galères de France et ses deux cents gentils-
hommes se rendirent au palais du vice-roi duc d'Alcala.
Les grands seigneurs napolitains se disputaient l'honneur
d'héberger leurs visiteurs; et depuis six semaines, la vie
s'écoulait dans les délices de Gapoue, quand un courrier
royal apporta au général des galères l'ordre de passer dans
le Ponant. La guerre avait éclaté en Ecosse (2).
(i) Paul IV était mort le 18 août 1559.
(2) Bramomk, l. IX, p. 365. Brantôme ajoute que les galères ne se ren-
dirent en Ponant que huit mois après.
(( LES ISLES DU PEROU »
Le roman, la légende, riiistoireont rendu populaires les
Uibusticrs du temps de Louis XIV, Montbars rexLermina-
leur, rOlonnais et autres compagnons des rudes boucaniers
de l'île de la Tortue. Des inirépides aventuriers qui avaient,
au siècle précédent, tenté de déloger des Antilles les con-
quistadors espagnols, personne ne sait le nom. Et pourtant,
ils méritaient bien de passer à l'histoire, ces Normands
avises qui cherchaient, comme jadis les vikings leurs
ancêtres, les sites les plus riants du Nouveau-Monde ; ou
ces cadets de Gascogne insouciants, qui partaient à l'aven-
ture sans argent, sans vivres, confiant dans la bonne foi
d un pilote étranger pour se guider et dans leur étoile pour
se ravitailler en roule, toujours prêts, quand la lâcheté
gouvernementale laissait insulter nos couleurs, à Acnger
1 honneur du drapeau outragé.
I
UN' CADET DE GASCOGNE
Un de ces cadets, avant de devenir « capitaine marin » ,
avait fait son apprentissage sous les ordres du corsaire
« LES ISLES DU PÉROU. " 571
Hallebarde, un nom qui était une vraie enseigne. Menjouyn
de La Cabanne, c'était son nom, se reposait à Gapbreton
d une captivité de dix-huit mois sur les galères d'Espagne,
quand des bruits de guerre, en 1549, vinrent réveiller son
ardeur guerrière. On se battait autour de Boulogne contre
les Anglais. Equiper de ses deniers un navire de guerre fut
vite fait; et Menjouyn s'acheminait avec quatre-vingts
marins vers le théâtre de la guerre, quand il apprit, à Bor-
deaux fl), la signature de la paix. La paix, c'était pour lui
la ruine : toute sa fortune avait passé dans l'armement. 11
n'était qu'un moyen de la refaire : aller aux <i isles du
Peyrou », ainsi nommait-on communément les Antilles.
Mais comment s y rendre?
Il n'avait point de vivres, point de fret, plus d'argent.
Qu'importe! Menjouyn a remède à tout. A un navire breton
qui passe, il emprunte des barriques de vin : voici une
cédule, dit-il, nous vous paierons au retour. Un autre bâti-
ment fournit le maigre, des merlues; un troisième navire,
aux Canaries, donna le gras, trois cents lapins salés :
comme celui-ci était sous pavillon espagnol, Menjouyn se
dispensa de bailler quittance, mais les lapins sont de si
peu de valeur aux Canaries! on en tue en un jour des cen-
taines à coups de bâton. D'autres vaisseaux espagnols don-
nèrent, qui du millel. qui du fromage, le dernier quatre-
vingts pots d'huile. " Sans mesfaire, ni mesdire " . nos
corsaires avaient une façon si éloquente de faire com-
prendre leur détresse, qu'on les entendait à demi-mot.
Ainsi allant, on gagna les ilcs du Pérou.
Mais là, la réception des Espagnols manqua totalement
de cordialité. Dix navires saluèrent le notre par des volées
de balles et de boulets : Menjouyn, tout en fuyant, mit le
(i) Il y achetait, le 6 février 1550 (n. st.), un harnais d'homme et une
pièce d'artillerie (Minutes de Douzeau, notaire bordelais; cf. Francisque
Michel, Histoire du commerce de Bordeaux, t. I, p. W6. note 1).
672 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
prappln sur une caravelle qu'il emmena à la Dominique.
Excellente aubaine pour l'église de Gapbreton, se diL-il;
certaine robe de satin cramoisi trouvée à bord fera une
belle chappe pour les jours de fête.
Un homme si pieux pouvait-il songer à mal? Il s'appro-
chait tranquillement de neuf navires espagnols ancrés près
de Saint-Domingue sans intention de leur nuire, quand, de
la Hotte et de la ville, on lui tira dessus. C'en était trop. Le
pauvre homme ne songeait qu'à se rafraîchir à terre : on
l'attaquait; il " rua » : et il rua si bien que la flotte, après
un jour de combat, dut capituler et payer comme rançon
des deniers d'abord, puis deux cents caisses de sucre, du
vin et des cuirs de bœufs. C'était du fret à bon compte, que
l'on compléta, dans une autre île, de semblable façon, du
reste le plus galamment du monde, « sans meffaire » à
l'équipage rançonné. Et le plus curieux fut qu'en effet
aucune plainte ne fut déposée contre l'heureux corsaire.
Mais comme bien mal acquis ne profite guèi'e, Menjouyn
ne fit pas fortune. Le tiers des prises distribué à l'équipage,
il lui restait un peu plus de deux mille écus sur lesquels le
lieutenant d'amirauté à Bayonnc mit l'embargo. Mais le
Gascon expliqua si bien l'affaire que le roi lui lit grâce (l).
Car le roi avait à pardonner : la guerre n'était pas
ouverte contre l'Espagne. Mais cela ne tarda point, et alors
quel émoi! Au mot magique de Pérou, qui désignait l'Amé-
rique centrale et ses abords (2), la fièvre de lor s empaiait
des plus calmes. Au corsaire assez hardi pour entreprendre
le voyage, les armateurs prêtaient leurs vaisseaux, les
négociants ouvraient leur escarcelle à 50 pour 100 d'inté-
(1) Lettres de rémission de Henri II. Septembre 1552 ( Archives nat.,
JJ261^ n" 386, fol. 304).
(2) « Costoyàmes la terre du Pérou et les isles estans sur ceste coste de
mer océane appelées isles du Pérou jusques à la hauteur de l'isle espa-
gnole » (Hispaniola) (André Thevet, Les Sinqularitéz de la France antarc-
ticjue, Paris, 1558, in-4", p. 130, 137, 143).
« LES ISLES DU PEROU, " 573
rêt (1) ; et à bord, affluaient des serviteurs qui avaient fur-
tivement quitté leurs maîtres, ou des pères de famille qui
avaient, de nuit, déserté le toit conjugal... Lisez, pour
vous édifier, le journal d'un gentilhomme campagnard du
temps, le sire de Gouberville (2).
De tous nos ports, des vols de corsaires s'abattirent sur
les eaux espagnoles. Tel, le Bordelais La Salle, construc-
teur et capitaine du galion royal la Diane, amenait à Mar-
seille un vaisseau enlevé à son retour des Indes (3j . Tels,
les matelots de la roberge de Saint-Malo, des braves qui
ne craignaient pas de donner la chasse à cinq vaisseaux
réunis (4), engageaient une lutte terrible contre le corsaire
basque Martin de Mendaro, au cours d'une expédition en
Amérique. La hache d'abordage au poing, les Bretons
abattirent le capitaine, son fils et une trentaine d'hommes;
ayant eux-mêmes soixante et un tués et blessés, ils durent
lâcher prise : leur proie s'enfuit toute désemparée, mais
avec le pavillon malouin, qu'on exhiba comme un trophée
à Saint-Sébastien (5). Gomme bravoure, les Normands ne
le cédaient point aux Bretons, aux Bordelais et aux Basques.
(i) Cf. de nombreux contrats (rariiicincnt pour " les Indes et islcs du
Pérou » , à partir de 1574 (Charles et Paul Biikard, Documents relatifs a la
marine normande et a ses armements aux XVI' et XVIP siècles pour le
Canada, l' Afrique, les Antilles, le Brésil et les Indes, lloucn, 1889, in-8",
p. 148).
(2) Le journal du sire de Gouberville, éd. de Beaurepaire, p. 433.
(3) Février 1552 (B. N., Franc. 18153, fol. 356 v». — Franc. 20008,
p. 12).
(4) Tdevet, Cosmnçjraphie (1575), p. 598 v", 665.
(5) « Informacion hecha en la villa de San Sébastian, para acreditar las
acciones marineras de los capitanes armadores de Guipuzcoa. » 15 octobre
1555 (F. Duno, Arca de Noé, libro sexto de las disquisiciones nauticas.
Madrid, 1881, in-8", p. 355. — Ducérk, Histoire maritime de Bayonne. Les
corsaires sous l'ancien régime, p. 341).
574 HISTOIRK DE LA MARINE FRANÇAISE.
[I
JAMBE DE BOIS
il Les deux premiers vaillans et hardis capitaines nor-
mans que l'on scent trouver et qui ont fait les plus beaux,
valeureux exploits et prinses, le tems des guerres avenues
en Ire les François et Espaignols " , furent Glamorgan de
Saane et François Le Clerc, dit Jambe de Bois (1); l'un
était un savant, l'autre un héros. Glamorgan rendit aux
capitaines de vaisseau, ses collègues, un immense service
en mettant au point un atlas de cartes hydrographiques (2).
Le Clerc leur donna l'exemple d'une « hardiesse et vail-
lance » sans égale, dont je ne veux d'autre preuve que ses
lettres d'anoblissement, en septembre L55L On y verra en
même temps l'origine de son glorieux sobriquet : " Tou-
jours des premiers — à l'abordage, écrit Henri II, — il a
esté grandement mutilé do ses membres, y ayant perdu
une jambe et un de ses bras fortement endommagé, ne
laissant toutefois pour cela son dict service (3). " Nous ne
savons à quel combat naval font allusion les lettres du roi,
peut-être à l'affaire de Guornesey, où Le Clerc servait sous
les ordres du général des galères (4).
Mais les documents espagnols se chargeront désormais
de nous apprendre quelle indicible épouvante jetait parmi
(i) TiiEVKT, le Grand Insulaire, B. N., Franc. 15452, fol. 272.
(2) « Cosmographie ou cartes géographiques et hydrographiques, faites par
Jean de CLAMoncAN, sieur de Saane, capitaine d'un des gallions du roy dans
la mer de Ponant, et présentées au roy François I'"' avec les figures des ins-
truments » (B. N., ancien fonds français 6815, en déficit).
(3) Bibl. de Grenoble, nis. 1397, fol. 299 v°. — Mémoires de Pierre
Mancjon, vicomte de Valoqnes, publiés par M. L. Delisle : extrait de l'An-
nuaire de la Manche (1891), p. 17.
(4) En 1549 (B. N., Franc. 3118, fol. 11, 15, 26 : cf. plus haut, p. 440.)
" LES ISLES DU PEROU. » 575
les ennemis Tapparilion de Pié de Palo (Jambe de Bois), et
les textes français quelle déférence avaient pour l'infirme
les plus hauts personna^jcs. A sa table hospitalière de
Réville, près de Saint- Vaast-la-Houguc, l'amiral de France
ne dédaignait pas de s'asseoir avec le lieutenant général
Martin Du Bellay ou le héros du combat naval de Barfleur,
Le Tourp (I ) .
Le premier coup porté à nos adversaires fut le sac de
Porto Santo, île portugaise à la vérité, mais dont la neu-
tralité avait été violée par les insulaires eux-mêmes : ils
prêtaient aux Espagnols un concours armé. Le 7 juillet
1552, avant l'aube, cent cinquante de nos arquebusiers
débarquaient sur l'îlot et couchaient en joue tout habitant
qui mettait le nez à la fenêtre. Les notables, mains liées
et la corde au covi, furent traînés sur la place publicjue,
tandis qu'on pillait leurs maisons {"1).
En L55;i, Jambe de Bois emmena aux îles du Pérou
toute une division royale, le Claude qu'il commandait (3),
l'Espérance et l' Aduentureux des capitaines Jacques de
Sores et Robert Blondel (4), sans compter les corsaires.
Contre sa Hotte, les escadrilles de couverture, dont les
Espagnols jalonnaient la route de leurs galions, demeu-
rèrent impuissantes. Cinq de nos l)àtiments barrèrent la
roule à Alonso de Maldonado par le travers de la (îrande
Canarie et ne lui laissèrent d'autre ressource que de fuir,
en abandonnant deux vaisseaux (5). Aux Antilles, Jambe
de Bois ne rencontra pas la moindre résistance. Qui eût
osé tenir tête à six gros vaisseaux et quatre patachcs.
(i) Journal du sire fie Goitherville, p. 63, i70.
(2) Vicomte de Sam'arem, Quadro elenianlar.
(3) Jambe de Bois était en même temps armateur. Le 3 septembre 1550,
il vendait la Marie, de retour du Brésil, à un pilote de Honfleur (Cher-
bourg, registre du tabellion Guiffart (1550).
(4) B. N., Franc. 18153, fol. 408 v».
(5) F. DcRO, t. i, p. 444.
576 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
mon Lés de huit cents hommes! Après escale à San-German
(h> l*orto-Rico et aux îhjts de Mona et vSaona, renommes
pour leurs aiguades, leurs pêcheries et leurs " beaux et
plantureux jardinages (1) ", il fouilla méthodiquement les
ports de Saint-Domingue, en contournant l'île par le sud.
Au port d'Azua, à l'ouest de la capitale de l'île, à la Ya-
guana, notre moderne Port-au-Prince, et, le 29 avril, à
Monte-Ghristi, dans la partie du nord-ouest, il enleva des
cargaisons de cuirs et de salsepareille, sans parler des armes
et des munitions (2).
Le 21 juillet. Jambe de Bois, de retour aux Canaries,
envoyait une corvée à l'aiguade dans lîle de Palma. Elle
fut accueillie par une vive fusillade. C'en fut assez pour
que sept cents hommes missent aussitôt pied à terre et,
onze jours durant, se livrassent à un pillage effréné (3).
Entre autres prises. Jambe de Bois ramenait en France
une magnifique carraque génoise, le Francon, dont l'arlil-
leric garnit les remparts de Brest (4). Avant qu'il fût de
retour, une nouvelle escadrille avait repris la route des
îles du Pérou.
Ainsi que des oîseavix de proie en quête, les corsaires
s associaient deux à deux pour chasser de conserve : l'un
servait de rabatteur ou de sentinelle pendant que l'autre
amarinait la prise. Et 1 on partageait au prorata des équi-
pages toute capture faite par l'un à la vue de sa conserve,
pourvu que les deux associés ne se fussent pas séparés
(1) Cf. la description de l'île de Mona dans Tiikvkt, Le Grand Insiiluiic,
B. N., Franc. 15452, fol. 172 v".
(2) Rapports datés de Saint-Domingue, 11 et 14 mai 1553 (F. Duno,
t. I, p. 444).
(3) L'escadre de Jambe de Bois était alois de six galions et huit cara-
velles ou pataches (Rapport espagnol daté de Palma, 2 août : F. Duno,
t. I, p. 445. — Thevet, Le Grand Lnsulairc, R. N., Franc. 15452, fol.
127, et Cosmographie universelle, livre III, chap. x).
(4) Dès le 14 août 1553, quatre canons de la carraque " naguères prinse
par François Le Clerc « y étaient en batterie (B. N., Franc. 22326, fol. 787).
« LES ISLES DU PEROU. » 577
depuis plus de quarante-huit heures. Cette restriction était
la loi de la mer, loi fertile en ces sortes de contestations
qui sont d'heureuses aubaines pour l'historien, parce
qu'elles nous permettent de revivre les chasses mouve-
mentées données aux galions des Indes.
La Barbe et la Marguerite, commandées par Vincent
Bocquet, étaient parties de Dieppe en mai 1553. Elles
avaient amariné de nombreuses prises, envoyées sous es-
corte au port d'armement, quand elles aperçurent, à la
hauteur de Porto-Rico, le convoi des Indes. Sans la moindre
hésitation, Bocquet s'attachait à la poursuite des quatorze
vaisseaux de Farfan. Chaque soir, après une rude journée
où ils avaient harcelé sans trêve leurs formidables adver-
saires, Bocquet et son camarade de la Marguerite se rejoi-
gnaient et se concertaient pour la tactique du lendemain.
Le bouillant capitaine de la Marguerite eût voulu brusquer
l'attaque, offrant à maintes reprises d'aller u impugner et
assubjectir » avec sa coque de noix l'amirale espagnole.
Mais le Fabius Cunctator de la Barbe répliquait qu'il
n'était point opportun de hâter la bataille : le convoi se
disloquerait peu à peu et on ferait alors main basse sur les
traînards. C'est ce qui arriva durant cette poursuite
acharnée de quarante jours : deux navires chargés d'or,
de cochenille et de perles, succombèrent les premiers, en
octobre; puis ce fut le tour du grand vaisseau de Diego
Marin, jeté par la tempête hors du convoi : sommé de se
rendre, il arbora aussitôt au grand mât le pavillon blanc (1) .
Bref, de quatorze bâtiments partis de Saint-Domingue,
huit seulement parvinrent à Cadix le 7 décembre. Bocquet
avait joué gros jeu : il aurait pu se trouver pris entre deux
(1) Le récit de cette brillante campagne nous est conservé dans un procès,
devant l'amirauté de Dieppe, entre Olivier Tardieu et Etienne Chauvin,
bourgeois de la Marguerite, et Jean de Montpeley, bourgeois de la Barbe
(Archives de la Seine-Inférieure, Registres dû Parlement, février-avril 1557
avant Pâques).
III. 37
578 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
feux, mais l'escadre de onze bâtiments envoyée à la ren-
conlre du convoi fut dispersée par la tempête, et son
commandant, Tello de Guzman, dut soutenir avec deux
vaisseaux un combat sanglant contre trois nefs fran-
çaises (1).
Depuis octobre, sept de nos bâtiments étaient en croi-
sière dans les parages de Madère (2) ; le commandant de
l'escadre des Açores, Pejon, leur avait vainement donné
la chasse (3) ; et Jambe de Bois, en février 1554, rentrait
en scène à la tète de huit gros vaisseaux (4-). Il ne fut
plus de mois où Ton ne vît passer au large de Porto -Rico
des détachements de nos corsaires. Leurs efforts se por-
tèrent cette fois contre Cuba. Une nuit de juillet, trois
cents arquebusiers débarquèrent à Santiago de Cuba, où
pendant un mois ils pillèrent à loisir. Dès que les ga-
lions, au nombre de quinze, s'ébranlèrent pour l'Espa-
gne, quatre de nos vaisseaux s'attachèrent à leur poursuite
et ne quittèrent plus le contact de Porto-Rico jusqu'aux
Açores (5).
Tremblant pour les trésors dont il avait la garde, le
capitaine général de la flotte des galions ne prenait presque
plus de repos. Au premier quart, on voyait sortir de leur
cabine, revêtus d'une grande capote, Francisco de Men-
doza, fils du vice-roi des Indes, ou le terrible adelantado
Menendez de Avilés, le futur bourreau de nos colons flori
(i) F. DuRo, t. I, p. 449.
. (2) Lettre de Diogo Cabrai au roi tic Portugal. 20 octobre 1553 (Lisbonne,
Archivo de la torre do tombo, Corpo Chronolog., P. I, leg. 81, doc. 31.
— Santarem, Qiiadro elementar, p. 336).
(3) En octobre (F. Duro, t. I, p. 445).
(4) Ibidem, p. 446.
(5) Lettres du gouverneur de Porto-Rico, octobre 1554, et de Panama,
24 novembre iColeccion de docianentos iiicditns... de las antit^itus pnscsiones
espaùoles de Ultramar, Cuba, t. III, 319, 427. — Gabriel Marcel, Les
corsaires français au XVI' siècle dans les Antilles. Paris, 1902, in-8%
p. 19 : extrait du Compte rendu du Congrès international des Anierica-
itistes (1902).
« LES ISLES DU PEROU. " 579
diens; et de la nuit, ils ne quittaient plus le banc de quart
au pied du grand mat (1),
Embusqué aux Açores avec sept vaisseaux, Jambe de
Bois attendait les galions qvie poursuivait, telle une meute,
notre autre escadrille (2). Cosme Rodriguez Farfan ne lui
échappa que pour se perdre par un ouragan. Pour comble
d'infortune, les Espagnols apprenaient en mars 1555, que
Pîé de Palo apprêtait douze vaisseaux pour ravager les
Canaries (3). Un incident fortuit, une scission entre deux
de nos capitaines, fit dévier nos coups.
III
LA PRISE DE LA HAVANE
Ah ! les courtoises passes d'armes que ces combats aux
îles du Pérou, où les Français n'encouraient ni la peine de
mort, ni l'esclavage f^), s'ils succombaient; où les Espa-
gnols, s'ils avaient le dessous, se voyaient restituer un de
leurs navires, avec munitions et vivres, pour retourner
chez eux : « la furye passée, le vainqueur souventesfois
gratifiait son ennemv, le laissant aller libre sans le ran-
çonner, ny molester (5). "
A ces procédés chevaleresques, qui contrastaient avec
les cruautés portugaises, une guerre de religion mit fin. De
voir tourner leur culte en dérision, les Espagnols s offen-
sèrent et nous vouèrent une haine à mort. A Santa-Marta
(1) «. Itinerario de navegacion de los mares y tierras occidentales, por el
capitan Jhoan de Escalante de Mendoza (1575), » publié par F. Duro,
Disaidsiciones nauticas, t. V, p. 487.
(2) F. Duro, Armada espanola, t. I, p. 448.
(3) Ibidem, p. 449.
(4) Décision du Conseil d'Espagne, 4 juillet 1552 (Madrid, coll. Muîioz,
t. LXXXVI, fol. 117 v").
(5) Thevet, CoS7noqj-tiphie (éd. 1575), p. 484.
580 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
sur la côte colombienne, nos corsaires, en 1555, revêtirent
de cottes de maille les images saintes; et, à La Havane, la
même année, ils les poignardèrent après une parade en
habits sacerdotaux.
L'auteur responsable de cette manifestation calviniste
était un ancien compagnon de Jambe de Bois, Jacques de
Sores, qui ne pouvait plus s'entendre avec son chef. Après
avoir parcouru la côte colombienne, la Marguerite, rio de
la Hacha, Santa-Marta, il avait gouverné sur Hispaniola,
puis sur Cuba. Un pilote des Açores, Pero Braz, le guidait.
Le mercredi 10 juillet 1555, à l'aube, le sémaphore de
La Havane hissait le signal : navire en vue, que la forte-
resse appuyait d'un coup de canon (1). Le navire était
de petite taille : quelque caravelle de Nombre de Dios,
se dit-on. Cependant à demi-lieue de là, elle débar-
quait du monde, arquebusiers et soldats en corselets et
salades au nombre de deux cents. Tambours battant,
enseignes de France au vent, la colonne fonçait sur la ville
par vine sente étroite et encaissée, à couvert du feu de la
forteresse. " Tout cela s'était passé si vite qu'on aurait cru
rêver. » Un bastion sur la côte était enlevé en un moment,
la ville envahie, une maison transformée en prison-arsenal,
l'alcade de la forteresse sommé de se rendre sous peine
d'être « raccourci » . — « Je tiens cette forteresse de Sa
Majesté Catholique : je ne la rendrai pas, riposta brave-
ment l'alcade Juan de Lovera; j'ai plus de cent hommes et
des munitions à profusion. » Et il agit comme s'il les avait
eus en effet.
Les arquebusiers de Juan del Piano, lieutenant de Sores,
avaient planté leur drapeau sur un ermitage proche du
(1) " Relacion de lo ocurrido en la Habana, acerca de los franceses en ella » :
Coleccion de documentos iiieditos. . . de Ultramar, 2'' série, t. VI {^Cuha),
p. 364, 386; 1" série, t. XII, p. 49. — F. Dl'RO, Armada espanola, t. I,
p. 211, 490.
« LES ISLES DU PÉROU ». 581
môle. Trois fois, Lovera les obligea à reculer. En même
temps, il pointait quatre pièces de marine sur une grande
nef à trois hunes, dont la caravelle n'était que l'aviso et
qui cherchait, pavillon fleurdelisé au mât, canons tonnant,
à franchir la passe. Toute la journée, il la tint en échec.
La forteresse comprenait trois ouvrages, une barbacane,
une tour centrale et, sur le port, une terrasse. Nous étions
informés de cette disposition par le pilote Braz, venu l'an-
née précédente à La Havane. A la tombée de la nuit, les
arquebusiers, soutenus par le feu de deux pièces, donnèrent
un assaut furieux à la barbacane. Vingt-trois des leurs
tombèrent tant sous un feu très vif que sous une grêle de
pierres. Maîtres, à ce prix, du poste avancé, ils firent sauter
la porte de la tour; les flammes gagnèrent tout l'édifice, en
dépit des sacs de terre et des barriques d'eau que les
assiégés lançaient dessus; et l'alcade dut chercher un der-
nier refuge sur le terre-plein du front de mer. La terrasse
était dépourvue de parapet; les barils de poudre étaient en
plein vent, au milieu d'une cohue de vieillards, de femmes
et d'enfarts. Lovera refusait néanmoins de se rendre :
dans les ténèbres, une petite frégate, montée par ses nègres,
s'éloigna silencieusement. Et pour presser l'arrivée des
renforts qu'elle allait quérir, les assiégés battirent la géné-
rale et tirèrent le canon.
Ils n'avaient ni arquebuses, ni arbalètes, ni vivres : l'un
d'eux le confia en allemand à une de nos sentinelles.
Lovera, réduit à ses canons de marine, les avait fait charger
jusqu'à la gueule, afin de les faire éclater et d'ôter tout
trophée aux vainqueurs : et pressé par les siens de
demander quartier, il allait s'évader par la rade avec ses
hommes, quand Sores, avisé de l'état de la place, bondit à
l'escalade et, en un clin d'oeil, la garnison fut garrottée.
Il Où est le trésor impérial? " clamait le vainqueur, per-
suadé qu'on recelait à La Havane une grosse somme pro-
582 HISTOIRE DK LA MARINE FRANÇAISE.
vcnanL des vaisseaux naufragés en Floride. — « Sa Majesté
n'a point d'argent ici » , répliqua Lovei'a. Et de fait, Sores
trouva, seulement, dans le secrétaire de l'alcade, une
bague d'émeraude qu'il se passa au doigt et, dans un coin,
une petite caisse remplie de marcs d'argent. Relâchant les
femmes et leurs enfants, Sores envoya demander au gouver-
neur trente mille douros, cent charges de pain et deux
cents arrobes de vin pour la rançon de la garnison. Un
armistice fut signé en conséquence.
Au mépris de la trêve, le gouverneur Angulo, qui avait
détalé dès les premiers coups, nous surprit traîtreusement
dans la nuit du 17 juillet. Ses trente-cinq Espagnols gui-
daient trois cents nègres et indiens armés de pierres et de
poignards emmanchés. Nos gens dormaient partie sur la
flotte, partie dans la ville. Logés çà et là sur la foi de 1 ar-
mistice, les blessés furent massacrés, ainsi que le barbier
qui les soignait et un parent du capitaine. Trois mousses
eurent le même sort dans l'ermitage du mole, où ils gar-
daient les voiles. Déjà les deux sentinelles qui veillaient à
la porte de la prison étaient tombées sous le poignard des
nègres, les deux pièces braquées sur la place étaient prises,
quand nègres et indiens crièrent trop tôt victoire.
Leurs hurlements éveillèrent en sursaut nos gens. Sores
bondit vers la pièce où étaient enfermés ses trente-trois
prisonniers, et, à coups de poignards et d'estocades, on en
fit une horrible boucherie. L'alcade ne dut son salut qu'à
son geôlier, devenu son ami, le Navarrais Juan del Piano,
qui Ivii fit un rempart de son corps. Le gouverneur, sommé
de battre en retraite pour éviter le massacre des prison-
niers, avait répondu : « Qu'ils meurent! " Et il mit le feu
à la porte de la prison. Cette attaque le perdit. A la lueur
des flammes, nos arquebusiers tirèrent à coup sûr par les
fenêtres et reconnurent que la majorité de leurs adversaires
étaient des sauvages. Une sortie de vingt hommes, dirigée
» LES ISLES DU PÉROU ". 583
par Sores, suffit à disperser les assaillants, dont quarante-
cinq restèrent sur le Icrrain.
Sores offrit aux notables d'épargner les cases des pauvres.
Mais ennuyé de n'avoir que des réponses dilatoires, le
28 juillet, il incendia toute la ville, légllse, l'hôpital, les
hôtels, les canots des pécheurs, faisant du grand port de
relâche espagnol un monceau de cendres. Il eût voulu
châtier aussi le perfide Angulo. A minuit, sur l'avis que le
gouverneur dormait à Gojimar, il partit avec des guides et
quarante soldats. Mais il ne trouva qu'un Espagnol blessé
et cinq nègres de ses agresseurs. Ceux-ci furent alignés,
au retour, le long de la prison et fusillés.
Durant quatre jours, Sores procéda lui-même à des son-
dages dans la baie, dont un dessinateur leva le plan, ainsi
que du port et de la forteresse. Questionné sur la force de
Saint-Domingue, l'alcade répondit : " La ville, très forte,
est garnie d'une artillerie puissante; deux mille cavaliers
et piétons défendent son enceinte, qu'il ne vous sera pas
aussi facile de forcer que La Havane. — Allons donc! inter-
rompit le pilote portugais Braz. Je vous mettrai, capitaine,
dans la forteresse de Saint-Domingue avant que personne
s'en doute. De nuit, les pataches vous déposeront à une
poterne qui borde la mer, et vous aurez facilement raison
des cinq ou six hommes qui veillent la nuit dans le fort. »
Sores se promit d'y donner suite l'année suivante, et le
5 août, par la pleine lune, 11 appareilla.
Il avait si bien ruiné La Havane, qu'une escadre fran-
çaise de seize voiles, au mois d'octobre suivant, n'y trouva
rien à piller (I).
Philippe H, comme jadis Charles-Quint, tenta de mettre
un terme aux coups de main de nos corsaires. Par une
addition à la trêve de Vaucelles, le 5 février 1556, il obtint
(1) F. DuRO, Armada espanola, t. I, p. 213.
584 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
que nos sujets ne pussent naviguer, ni négocier, sans un
congé exprès signé de lui, aux Indes espagnoles (1). Peu
de temps auparavant, Henri II avait eu la faiblesse de faire
pareil accueil aux prétentions des Portugais (2). Mais nos
corsaires n'en tinrent aucun compte. Ils se bornèrent,
comme le baile de Saint-Jean-de-Luz, Jean d'Ansogai'lo,
et ses compatriotes Haristague et Somian, à se faire ab-
soudre par lettres royales, « pour avoir, sans congé préa-
lable, enlevé plusieurs vaisseaux du côté des Indes (3) h .
IV
UN NAUFRAGE AUX BERMUDES
Au lendemain même de la trêve de Vaucelles, en mars
1556, le capitaine Mesmin partit de La Rochelle avec un
navire de guerre, une patache et cent cinquante hommes.
Un bâtiment espagnol, plus fort de tonnage à lui seul que
l'escadrille, avait été amariné par elle, quand, une nuit, à
trois lieues de l'une des Bermudes, il donna à pleines voiles
sur une roche et s'éventra. Averti du péril par un coup de
canon, Mesmin prit aussitôt le large en attendant l'aube.
Le jour se leva sur une scène sinistre : accrochées aux cor-
dages et aux manœuvres courantes, des grappes de nau-
fragés pendaient aux flancs de 1 épave dans une position
affreuse. Mesmin ne s'émut pas : ses officiers, mandés en
chambre du conseil, déclarèrent froidement qu'il restait
trop peu de vivres pour le retour de tous en France; et, la
voile haute, l'escadrille s'éloigna.
(1) DoMOST, Corps diplomaticjue, Suppl., p. 84.
(2) Traité du 13 décembre 1554 (B. N., Dupuy 223, fol. 133).
(3) 1556 (DrcÉRK, Histoire maritime de Bayonne. Les Corsaires SoiiS
l'ancien régime, p. 23 note 2, 24 note 2).
« LES ISLES DU PÉROU ». 585
" Les pavivres malautruts " ne perdirent pas courage,
raconte 1 auteur d'une Histoire véritable de plusieurs voyages
adventtireux (l). Sur deux rats — ainsi appelait-on les
radeaux, — ils gagnèrent la Bermude. Les radeaux abor-
dèrent à sept lieues l'un de l'autre, de part et d'autre d'une
rivière qu'il fallut franchir pour se réunir. L'ile était inha-
l)itée. De leurs chapeaux, les matelots se firent des se-
melles, car les épines traversaient leurs chaussures. Sur
les feux de bivouac qu'ils allumaient la nuit sous les
arbres, des oiseaux, gros comme des courlis, venaient se
jeter et se rôtir; et la rosée qui restait sur les feuilles de
palmier au matin désaltérait les naufragés.
Ils fabriquèrent une barque de dix tonneaux, sur laquelle
ils s'embarquèrent quarante-deux : le maître d'équipage,
le pilote et un autre marin poitevin avaient été condamnés
par un jugement en règle, après procès, délibéré et verdict
à la pluralité des voix, à la rélégation dans l'ile; on leur
infligeait la peine du talion, car on avait découvert à temps
le complot qu'ils avaient formé de partir seuls.
Voilà donc nos aventuriers n dans leur arche » , avec de
la chair de tortue séchée, des oiseaux rôtis et une barrique
d'eau pour tous vivres, deux épées rouillées pour armes.
Gagner la France avec cette nacelle parut téméraire : on
gouverna sur les Antilles, à trois cents lieues de là.
Au bout de trois semaines, on eut en vue l'ile de Mona,
près de là une petite caravelle d une douzaine de tonneaux,
dont l'équipage se sauvait à terre. Nos aventuriers changent
de logis et repartent pour Saint-Domingue. En rade de
Monte-Christi, les matelots d'un navire portugais chargé
de sel ne font pas meilleure contenance que les autres :
(1) Par I. p. T., capitaine de mer, 160i, in-8°, p. 17 et suiv. — Cette
œuvre est une réédition de V Histoire véritable de certains voiages périlleux
et hazaideux sur la mer, dédiée à Philippe Du Plessis-Mornay par Lois de
La Blachiéhe, qui tenait ses récits du capitaine Bruneau de Rivedoux.
IN'iort, 1599, in-12.
586 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
et voilà nos naufraj^jés, d'étape en étape, parvenus à pos-
séder un ])àtlmenten état d'affronter la traversée de l'Océan.
Il ne leur manquait plus qu'un pilote.
La fortune les servit à souhait. Le pilote portu^jais vint
offrir de racheter son bâtiment. Retenu à bord, « de dépit,
en print un Ici mal au cœur qu'il en pensa mourir. Gomme
le cerf poursuivi des chiens a ceste industrie de se jetter
sur quelque autre et à coups de corne le faire lever pour
se mettre en sa place, » le Portugais chercha le moyen de
se libérer avix dépens d'autrui. En vue de l'île Léogane, il
montre à ses geôliers un vaisseau de cent soixante ton-
neaux, bien équipé il est vrai et armé en guerre. Mais nos
quarante-deux n'étaient point gens à reculer; leurs deux
vieilles flamberges au vent, sous une pluie de boulets, ils
montent à l'abordage, et quand ils sont sur le tillac, étrange
phénomène! l'ennemi s'est évanoui. Sans attendre un corps
à corps, les Espagnols s'étaient tous jetés à la mer. Deux
ans après leur départ, alors qu'on les avait rayés du nombre
des vivants, les naufragés revenaient à La Rochelle et
riches. Riches! au moment même où leur capitaine était
presque ruiné, comme si la fortune parfois se plaisait à
réparer l'injustice.
Le capitaine Mesmin venait de peindre, dan.s une ren-
contre avec les garde-cotes portugais, son navire de guerre
et une magnifique prise espagnole venant de Saint-Do-
mingue. Eatigué de réclamer raison à la cour de Lisbonne,
où il s'était rendu (1), Mesmyn résolut de se faire justice
lui-même. Un léger bâtiment qu'il fréla revint à Bordeaux
chargé de butin. Les rôles se trouvant par là intervertis,
ce fut à l'ambassadeur de Portugal de réclamer satisfac-
tion et, en plus, un châtiment exemplaire. Mais dans une
(1) L'affaire se passe en 1558 (Correspondance du chevalier de Seure,
ambassade«r de France en Portugal. Lisbonne, 12 février 1559 : B. N.,
Nouv. aeq. franc. 6638, p. 46-47 : cf. ci-dessous, p. 588, n. 1).
« LES ISLES DU PEROU ». 387
ieltre énergique, où il donnait au roi une leçon de dignité,
le vice-amiral Biaise de Monluc couvrit son subordonné,
un « vaillant et expérimenté capitaine de navire; il ne fault
perdre telles gens, écrivait-il à Charles IX : car vous en
pourrez bien avoir affaire : et puisque vous voyez que les
autres princes favorisent et soutiennent leurs subjets, la
raison veult que vous faictcs de semblable à l'endroit des
vostres (l) . »
V
UN COUP DE MAIN RÊVÉ PAR HENRI II
Du temps de Henri II, pareille leçon eût été superflue.
Tandis que les marins de Bayonne et Saint-Jean-de-Luz,
avec quatre bâtiments, mettaient à sac Puerto-Cavallos et
Fonduras dans la Nouvelle-Espagne (2), deux simples
navires de Dieppe et La Rochelle, après avoir pillé Santiago
de Cuba ne craignaient point de livrer combat dans le
canal de la Floride à toute la flotte des galions, mandée par
le gouverneur de l'île. Rt malgré ses vingt-deux vaisseaux,
le capitaine général Pedro de Las Roelas ne parvint qu'au
prix de grandes pertes à couler l'un de ses adversaii'es et à
capturer 1 autre.
Mais voici que le roi de France entrait en scène, bien
décidé de " faire enti'cprinse sur l'argent que noz voisins
(1) Lettre de Monluc au roi Charles IX. 5 mai 1566 (MoNi.uc, éd. de
Rublc, t. V, p. 49).
(2) Lettre de Luis de Velasco, vice-roi de Nouvelle-Espagne. 30 sep-
tembre 1558 (Archives du centre hydrographique de Madrid : coll. Vargas-
Ponce, dans DuoérÉ, Les Corsaii-es sous l'ancien réqime, p. 348). — Le
12 septembre 1559, " les guallères de Saint-Jean-de-I.,uz, revenues, quelques
jours devant, des Indes » sombraient par une effroyable bourrasque dans
leur port d'attache (B. N., Franc. 15872, fol. 159).
(3) F. Duno, t. Il, p. 462.
588 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
attendoicnt du Péru" . Un courrier spécial, qu'il dépêchait
le 15 septembre 1558 à son ambassadeur en Portugal, le
lapidaire parisien Thierry Badouère rapporta les rensei-
gnements suivants : » La contratacion des marchandises,
qui se faict au Nombre de Dios en contreschange de l'or et
argent qui vient chascun an du Péru par la mer du Sur à
Panama, se faict ordinairement durant le mois de niay. »
Si donc l'on envoyait à cette date une douzaine de vais-
seaux de guerre aux Antilles, ils pourraient ruiner d'un
seul coup les navigations espagnoles.
Ils saccageraient, en passant, Saint-Domingue, faible-
ment défendue par des levées de terre, et Porto-Rico, dont
le port est trop éloigné de la ville pour être couvert
par elle. A Nombre de Dios, ils rafleraient l'or apporté
pour les échanges : une colonne de douze cents « bons
hommes » traverserait l'isthme et surprendrait à Panama
la flotte de la mer du Sud, alors à sec dans le port.
Puis, longeant la côte du Honduras, l'escadre tomberait
sur la flotte de la Nouvelle-Espagne, en partance de la
Vera-Cruz vers la fin de juin; et au retour, elle démoli-
rait les fortifications de La Havane. Pareille campagne
mettrait « en tel effroy toutes les Indes et tous les con-
tractans, qu'il n'en vicndroit de deux ans ung seul solz (1)» .
La colère de voir traiter en esclaves les cent dix prison-
niers de Pedro de Las Roelas, inspirait à l'ambassadeur
français un procédé plus radical, qu'il lui déplaisait pour-
tant d'envisager. Faites bannir, disait-il au roi, et ordonnez
aux corsaires de faire « mourir tous ceulx qu'ilz prendront,
allans ou vcnans de tràicter es Indes... Et je suis asseuré
que le jeu cessera bien tost; car, pour ung des nostres que
(1) Correspondance du chevalier Michel de Seure, ambassadeur de France
en Portugal. Lisbonne, 30 janvier 1559 (Bibliothèque de l'Ermitage à Saint-
Pétersbourg, ms. n° 110 : copie dans R. N., Nouv. acq. franc. 6638, p. 4
et suiv. : publiée par Edmond Falgaiuolle, Le chevalier de Seure. Paris,
1896, in-8", p. 20V
« LES ISLES DU PEROU ». 589
les Espagnols prendront, il en sera prlns cinquante des
leur fl). »
VI
SUR LES BANCS DE TERRE-NEUVE
Car, du rôle d'assaillants aux îles du Pérou, nous pas-
sions à celui d'assaillis sur les bancs de Terre-Neuve. Jaloux
de l'importance sans cesse croissante de nos pêcheries de
Terre-Neuve, où tel port de la Seine expédiait jusqu'à
soixante navires (2), Anglais ou Espagnols, selon que les
vicissitudes de la politique faisaient des uns ou des autres
nos ennemis, cherchaient de toutes façons à les troubler.
En 1548, sur l'ordre secret du protecteur d'Angleterre,
les corsaires anglais armaient en masse pour guetter au
retour nos terreneuviers (3). Ceux-ci ne se rendaient point
sans combat : vingt pièces d'artillerie pour une quaran-
taine de matelots, armés par surcroît d'arquebuses et de
demi-piques (4-), leur donnaient parfois l'allure d'un
vaisseau de guerre, sans compter que le profil de leurs
superstructures d'avant et d'arrière aidait à l'illusion (5).
(1) Lettre du chevalier de Seine. Lisbonne, 12 février 1559 (B. N.,
Nouv. acq. franc. 6638, p. 46).
(2) En 1542 (Henry HAnnisSE, Découverte et évolution eartograplii(juc de
Terre-Neuve et lies pays cuconvoisins (1497-1769. )Vatïs,, 1900, gr. in-8°,
p. xxxi).
(3) Correspondance d'Odet de Selve, éd. G. Lefèvre-Pontalis (1889).
(4) Le Saint-Esprit de Saint-Jean-de-Luz, maître Augerot Damisquet, de
140 tonneaux et 40 hommes d'équipage, armé pour la pêche de la morue à
Terre-Neuve, avait 20 pièces d'artillerie, une arquebuse ou arbalète par
homme, 24 piques et 30 demi-piques. 22 avril 1552 (DucÉnÉ, Histoire
maritime de Bajoune. Les Corsaires sous l'ancien régime, p. 25).
(5) Cf. le protil d'un terreneuvier rouennais en J545 (B. N., Franc. 24269,
fol. 55 : cf. supra, t. II, p. 466).
590 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Cet armement devint bientôt insuffisant. L'ordonnance
espagnole du 3 juin 1553, spécifiant que la flotte des terre-
neuviers basques ne naviguerait plus sans escorte, imposa
à nos armateurs de nouveaux sacrifices, d'autant que les
corsaires de Biscaie avaient fait le serment de ruiner nos
pêcheries, la source la plus importante de notre commerce
maritime (1).
A Saint-Malo par exemple, chaque citoyen y était inté-
ressé, gentilshommes, bourgeois et gens du peuple. Les
matelots louaient leurs services contre un pot de vin et un
lot de poissons, s'ils ne parvenaient à fréter en commun
un navire où chacun péchait pour son compte. Les capita-
listes partageaient les risques en prenant des parts sur
plusieurs vaisseaux. Le clergé prélevait la dîme, et les
châtelains du voisinage participaient aux profits en louant
pour la durée de la campagne les coulevrines qui dormaient
sur les remparts de Chàteauneuf, du Plessis-Bertrand et de
Goëtquen. C'était la vie de Saint-Malo et c'était son sup-
plice. Aux mois d'août et de septembre, une odeur infecte
se répandait dans la ville : on séchait la morue. Elle s'éta-
lait sur les rochers d'alentour, au Sillon, au Talard, au Bé,
sur les remparts et les tours, au faîte des maisons... il fallut
des ordonnances de police répétées en 1565, en 1571, pour
soustraire le cimetière à l'invasion. La morue trempait au
seuil des maisons, la saumure rance engluait la rue. Bref,
les Malouins prirent le parti de sécher leurs poissons sur
les grèves mêmes de Terre-Neuve (^). Et c'est ici le lieu de
dire comment ils avaient, dès avant 1555, exercé leur
mainmise sur l'île, au point d'y élever des fortifications.
Pour tenir tête aux corsaires basques, il avait fallu entre-
(1) JouON DES LoNGRAis, Jacques Cartier, passim. — Ch. de La RonciÈrk,
La question de Terre-Neuve : les droits indiscutables de la France, d'après
des documents inédits. Paris, 1904, in-8°, p. 9, extrait du Correspondant
du 10 avril 1904.
" LES ISLES DU PÉROU ». 591
tenir des croiseurs sur les bancs de Terre-Neuve : mais au
lieu de les grouper en escadre, nos armateurs eurent la
fâcheuse idée de les affecter à l'escorte des pêcheurs de
chaque port, fournissant ainsi aux Espagnols le moyen de
nous battre en détail.
En 1554, une division de neuf bateaux de pêche, qui
revenait sous l'escorte de la Brave de Saint-Pol-de-Léon et
de la Brave de l'île de Ré, fut attaquée par le corsaire
Domingo de Albistur (1). Le combat, commencé dans la
nuit, durait encore la nuit suivante. Nombre de pécheurs
se firent tuer avant que les Basques de Saint-Sébastien par-
vinssent à s'emparer du convoi.
La croisière organisée par l'Espagne sur les bancs de
Terre-Neuve avait été confiée à un autre corsaire de Saint-
Sébastien, Juan de Eraso. Elle gênait d'autant plus nos
pécheurs que certains d'entre eux avaient l'habitude de
laisser leurs doris dans les havres de l'île : tel, ce Rouen-
nais (!2) qui avait immergé au havre de Jean Denys, dit
Rognouse, douze barques et bateaux, dont la marque dis-
tinctive de propriété était un gros clou fiché à tribord
arrière.
La troisième campagne d'Eraso, en 1555, fut désas-
treuse pour nos pêcheries. Sa grande nef de trois cents
hommes d'équipage, formant escadre avec les vaisseaux de
Juan de Lizarza et Miguel de Iturain, surprit dans un port
de Terre-Neuve douze bâtiments chargés de morue. Malgré
la protection de la Grande-Fantaisie àe Saint-Brieuc, navire
(i) Les détails qui suivent sont empruntés à une enquête espagnole, for-
cément partiale : « Informacion hecha en la villa de San Sébastian, para
acreditar les aeciones marineras de los capitanes armadores de Guipuzcoa
durante la guerra con Francia. » i5 octobre 1555 (Publiée dans F. Duno,
Arca de Noé, libro sexto de las disquisiciones nauticas. Madrid, 1881, in-8",
p. 355 : et dans DrcKnÉ, Histoire 7nai-itime de Bayonne ; Les Corsaires
sous C ancien régime, p. 333.)
(2) Mémento de cet armateur rouennais (B. N., Franc. 24269, fol. 55).
592 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
portugais jadis capturé par les Malouins (1), nos pécheurs
durent capituler après un violent combat. Iturain continua
sa fructueuse croisière sur le Grand Banc. Eraso, avec la
Grande-Fantaisie et ses autres prises, remonta les côtes de
l'île.
Le 15 août 1555, il tombait sur huit terreneuviers en
ligne à l'entrée d'un havre, que défendaient deux fortins et
une nef de guerre, la Grande-Françoise de Saint-Malo. Or,
on sait que le chenal d'accès à Saint-Jean, la capitale
actuelle de l'île, est battu par un fort, le fort Amherst, et
que la passe, large de six cents pieds (2), est d'une entrée
si difficile dans un creux entre deux montagnes, qu'elle
défierait des forces navales redoutables. C'est là que les
Malouins étaient embossés, là que Jacques Cartier avait
jadis donné rendez-vous à Roberval; et peut-être, parmi
les défenseurs du port Saint-Jean, v avait-il d'anciens com-
pagnons de Cartier, Boulain {}\) et Jalobert (4). Sous le feu
des batteries de terre, il fut impossible à Eraso de franchir
la passe.
Le Basque feignit de s'éloigner : de nuit, débarquant
assez près de là la majeure partie de ses gens, il attaqua,
drapeau au vent, les fortins, qui furent enlevés d'assaut.
Foudroyés par l'artillerie de terre et par les vaisseaux qui
les bloquaient, les Malouins subirent des pertes énormes,
soixante-douze tués et une centaine de blessés, contre neuf
hommes tués à l'ennemi. Les survivants, au nombre de
(1) En 1544, la Fantaisie du Portugais Albarès est capturée par les
Malouins Lhostellier et Glavegris (JoL'ON dks Loxgrais, Jacques Cartier,
p. 57).
(2) Joseph Haïxon et M. Hakvky, New/oitiullaiul. London, 1883, in-S" :
vues du port et de la passe.
(3) Le 31 août, il est dit » de présent au voiaige des Terres Neufves » .
(Archives du Parlement de Bretagne, publié par A. de L.\ Bordkrie, dans
la Revue de Bretagne et de Vendée (1880), t. II, p. 377V
(4) En avril 1555, il passait à Bordeaux avec la Marqucrile-Bonnavcn'
ture, en route pour Terre-Neuve (Ibidem).
« LES ISLES DU PEROU ». 593
cinq cents, furent rapatriés sur quelques-uns de leurs bâti-
ments désarmes, qu'Eraso, selon l'usage chevaleresque des
Espagnols, leur i^endit. A bord de ses différentes prises,
Eraso n'avait pas trouvé moins de cent trente bouches à
feu.
Au moment où le vainqueur regagnait triomphalement
son port d'armement, six vaisseaux de Saint-Jean-de-Luz,
expédiés par le capitaine de Bayonne avec ordre de recou^
vrer à tout prix nos bâtiments, lui barrèrent la route. Mais
on vit accourir d'autres corsaires de Saint-Sébastien,
Domingo de Albistur, Pablo de Aramburu et Francis de
Illareta, qui venaient d'enlever à l'abordage un beau galion
bayonnais monté de deux cents hommes, la Cuba ou la
Bretonne. On se l)attit un jour entier. Sous le feu écrasant
des Basques, deux de nos bâtiments finirent par être
désempai'és, ce qui obligea les autres à reculer en remor-
quant à l'aviron les deux infirmes.
En voyant capturer quarante-huit de leurs navires, nos
terreneuviers, saisis de panique, quittèrent en déroute les
bancs, sans se douter que les corsaires basques, au nombre
d'une trentaine, s'armaient de Deva à Pasajes, pour les
cueillir au retour.
Les Malouins, furieux, rêvaient de revanche. Comme
Henri II refusait, en 1557, de laisser partir leurs terreneu-
viers, ils déclarèrent qu'ils passeraient outre, un sauf-
conduit royal leur permettant d'aller où bon leur sem-
blait (1). En mars 1557, un corsaire en chausses rouges,
casaque et cape noires, Guillaume Pépin de La Broussar-
dière, semait l'épouvante parmi les marins espagnols (2),
que pourchassaient son vaisseau le Croissant, la Lancette,
(V) Lettre du duc d'Etaiiipes au vicc-ainiral de Bouille. 18 avril 1557
(Doni MoniCK, Mémoires pour servir de preuves a l'histoire de Bretagne,
t. III, col. 1184).
(2) Au point que Philippe II mit embargo sur les flottilles de pêcheurs en
partance. 21 avril (F. Duro, Arca de Noé, p. 406).
m. 38
59* HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
le Mal/iein' et le Petit-Cerf de Saint-Malo ( I) . Les Normands,
à leur tour, entraient en scène; et le lieutenanl-général
Martin Du Bellay, Tannée suivante, organisait une véritable
expédition à Terre-Neuve (2).
La crise, qui avait un moment compromis l'avenir de.n^s
pêcheries, était conjurée. La paix de Cateau-Cambrésis'leur
donna même un tel essor que des havres aussi modestes
que Jumièges, Yatteville et la Bouille armèrent jusqu'à
trente-huit navires (3) , et Le Croisic vingt-cinq à lui seul (4) ,
faisant bonne figure à côté des grands ports d'armement
comme Saint-Malo, Granville (5) , Fécamp (6) , Bordeaux (7) ,
et tantd'autres. Terre-Neuve restait si bien notre domaine,
que les pêcheurs anglais demandaient humblement aux
Malouins la permission de s'y rendre (8) ; la nomenclature
actuelle de l'île affirme encore, nous le verrons plus tard,
la prise de possession effectuée par nos marins normands,
bretons et basques, de même qu'un nom, celui de Villega-
gnon, restera le dernier vestige de la colonisation tentée par
Henri II au Brésil.
Dans la conception de notre rôle maritime à travers le
monde, une évolution s était lentement accomplie. Alors
(1) JouON DKS LoNGRAis, Jacijues Cartier, p. 101-103.
(2) Lettre de Martin Du Bellay au duc de Guise. Glatignv, 2(i mars 1558
(Aniericana, Autographes, manuscrits, pièces et documents liistoritiues.
Librairie Dufossé, Paris. Catalogue 6^ série, n" 1, p. 5).
(3) Janvier-février 1560 (E. Gossklin, Documents (luthcuticjues. . . pour
servir à l'histoire de la marine normande, p. 13; Gt Nouvelles /flancs histo-
i'iqucs normandes, p. 7).
(4) En 1565 (Archives de Nantes, EE 223).
(5) Cf. pour 1564, les arclii\cs de Granville, et .Ial, Glossaire )ututi(jue,
art. Hable.
(6) " Il existe des documents faisant remonter cette pèche une trentaine
d'années plus haut que 1590 " (Amédée Hkij.ot, Fécamp au temps de la
T.ique. Yvetot, 1897, in-8", p. 5V).
(7) Les armements bordelais commencent en 1561 (Francisque Miguel,
Histoire du commerce de Bordeaux . Bordeaux, 1866, in-S", t. II, p. 337,
339).
(8) En 1591 (H. Harrisse, p. vi).
« LES ISLES DU PÉROU «. 595
que les énergies de nos voisins se dépensaient à son mettre
les Indes, nous n'avions vu dans les conquêtes lointaines,
au Canada et même en Corse, qu'un exutoire pour la lie
de la population, pour « les humeurs peccantcs » de la
France, 1 selon l'expression d'un colonisateur du temps,
Filippo Strozzi. Cette notion fâcheuse s'effaça avec un des
événements les plus douloureux de notre histoire, les
guerres de religion. De tous temps, la liberté proscrite a
cherche, par delà les frontières d'une patrie marâtre, un
asile où se fixer. Les disciples de Calvin crurent trouver un
refuge au Nouveau-Monde, dans la France antarctique ou
sur les rives enchanteresses des fleuves de Floride, plus
tard, sous la zone torride de la France équinoxiale.
Puis, ridée d'une plus grande France à fonder outre-
mer, sans distinction de croyances, se fit jour dans les cer-
veaux les plus puissants du règne de Henri IV. Et il se fallut
de peu qu'un courant d'émigration, sans cesse renouvelé,
jetât sur le Nouveau-Monde des milliers de colons, levés
parla voie de la conscription à travers toutes les paroisses
de la métropole. Mais notre inconstance nous perdit : et
ballottés de Tx^-mérique aux Indes orientales, de l'Afrique
australe à la France arctique, en proie à des rêves presque
aussitôt évanouis que conçus, nous fûmes pendant près
d'un siècle en quête de l'empire colonial à fonder, sans
jamais aboutir.
FIN DU TOME TROISIEME.
TABLE DES MATIÈRES
CHARLES VUI
i/expédition de naples
Evolution de la politique française. Les rêves chimériques d'un enfant :
Conquête du royaume de Naples et restauration de l'empire d'Orient.
Rôle capital de la marine 1
l. Ur«E FLOTTE IMPROVISÉE. — • Lc bilan de la Hotte royale en 1494. — Un
poète, Guilloche, promet le concours des marins italiens. Or, les Véni-
tiens pendent à Zante l'équipage d'un de nos navires êclaireurs; les Tos-
cans se dérobent. — Un amiral chef de brigands. Toulon s'éveille port
de guerre. L'improvisation d'une Hotte à Gênes 3
IL L.\ Conquête. — Escarmouche de Porto-Venere entre la flotte de Pierre
d'Urfé et la Hotte napolitaine de Frédéric de Tarente (19 juillet 1494).
Revue navale passée à Gènes par le capitaine général de la Hotte, Louis,
duc d Orléans. Bataille de Rapallo entre Louis d'Orléans et Frédéric de
Tarente (8-9 septembre). Démonstration navale contre les ports toscans et
pontificaux, pour appuyer l'armée d'invasion. Naples ouvre ses portes à
Charles VIII : l'incendie de l'arsenal et des vaisseaux (février 1495).
Conquête instantanée du royaume de Naples. — Les préparatifs de
Charles VIII pour passer en Orient. Djem. La terreur des Turcs.. 7
III. Li DÉRACLE. — Les délices de Capoue. Armements des Espagnols,
des Vénitiens et des Génois contre nous. Charles VIII remonte en
hâte vers le nord. L'escadre de Miolans et Nefve est battue et cap-
turée à Rapallo par le Génois Spinola le More. La division provençale
de Villeneuve-Trans brûle un bourg de la Riviera, oii l'on insultait en
eftigic Charles VIII (août 1495). — Sédition de Gaête réprimée par
l'escadre d'occupation laissée au prince de Salerne. Insurrection de
Naples (juillet). La petite escadre française tient en respect la puissante
Hotte du roi Ferrand et foudroie les colonnes d'assaut lancées contre le
fort de la Lanterne. Magnifiques défenses de Trani et de Tarente. Bom-
bardement de l'escadre française de La Chapelle réfugiée sous le château
de rOEuf. Contre-attaques. Capitulation à terme du Castel Nuovo et de
1 escadre française sous Naples (octobre). L'escadre prove"'''led'Aleman
508 TABLE DES MATIERES.
d'Aibenlest dispersée aux iles Ponza par la flotte de blocus. Capitulation
du château de l'OEuf (décembre). — Défense de Gaète. Le lieutenant
général Fregoso, puis une petite division amènent des secours, malgré
la croisière de blocus hispano-vénitienne (janvier et juillet 1496). Appel
désespéré des assiégés. Capitulation de Gaète (novembre). Perte du
royaume de Naplcs. — L'escadre de Bretagne, mandée à la rescousse,
secourt Pise assiégée par l'empereur Maximilien (octobre). Les Génois
mates. Un vrai marin succède à nos amiraux d'occasion 17
LOUIS XII
LA F R A A ^^ E EN OUI E N T
Louis XII, roi de Jérusalem et des Deux-Siciles^ duc de Milan, seigneur de
Gênes 37
I. Uke bataille de Navarix-Lépaxte iGNORiÎE. — Silence des historiens
français sur cette bataille de quatorze jours (12-25 août 1499). Soixante
mille Turcs et Vénitiens en présence. L'escadre française de Guy de
Blanchefort arrive, le 18, au secours des Vénitiens. Ordre de bataille
adopté par Grimani et Blanchefort. Action d'éclat de la Charente. Pusil-
lanimité de Grimani qui bat en retraite. — Brillante croisière de Prégent
de Bidoux à Volo, Schyros et Xègrepont (1500). René Parent rallie les
Vénitiens sous le fort Saint-Georges de Céphalonie. Ses rodomon-
tades 38
II. ExPÉDiTiOJX DE MiTYLÈNE. — Louis XII et Anne de Bretagne arment
contre les Turcs les escadres du Ponant et du Levant, de quatorze bâti-
ments chacune, sous les ordres de Philippe de Clèves. amiral des royaumes
de Xaples et Jérusalem (1501). Sur l'avis de Bidoux et de Staglieno, on
gouverne sur Mitylènc, excellente base d'opérations pour attaquer les
Turcs à la sortie des Dardanelles. Malgré le concours de Pesaro, capi-
taine général des Vénitiens, des assauts répétés contre Mételin échouent.
Le Grand et le Petit Porcon, capitaines de la Charente et de la division
normande, sont tués. Durant la traversée de retour, le vaisseau-amiral la
Lomellina et la Pensée sombrent sur les écueils de Cythère '. 46
III. Siège du fort Sasta-Madra. ■ — Prégent de Bidoux concourt active-
ment avec les escadres vénitienne et pontificale à la prise du fort de
Santa-Maura, dans l'ile Leucade (30 août 1502). Patriotique réponse de
Prégent aux Vénitiens qui veulent le retenir à leur service. — Les Véni-
tiens se rapprochent des Turcs en vue du percement de l'isthme de
Suez (1504). Projet d expédition française en Egypte et Syrie., ,. 56
EXPEDITIONS D'ITALIE
i. CA.MrAG>E DE Xai'le.s. — Le partage du royaume de Aaples entre
Louis XII et Ferdinand le Catholique (1500), est bientôt suivi d'une
guerre entre les deux rois. L'escadre du capitaine général Louis de Bigars
ne peut venir au secours des quatre galères de Bidoux, cernées à Otrante
TABLE DES MATIERES. 599
par Lezcano : Bidoux coule lui-même ses galères pour ne pas baisser pa-
villon (16 février i503\ — Le vice-roi François de Saluées et Prégent
de Bidoux amènent, de Marseille et de Gènes, deux escadres au secours
de Bigars et cernent dans le port d'Ischia la flotte de Lezcano et Villa-
uiarin ijuin). Pour avoir voulu la prendre, au lieu de l'incendier, Bidoux
la laisse échapper. — I^a flotte française participe à la défense de Gaète.
Le lieutenant-général Antoine de Conflans amène une nouvelle division
navale^ après un vigoureux engagement contre Villamarin dans les parages
de Port'Ercole (août). Diversion de Bidoux dans le golfe de Napics
(octobre). Capitulation de Gaète (l"^^ janvier 1504). — Croisière de Portz-
moguer dans le Ponant. — L'escadre marseillaise du bâtard Henc de
Savoie protège la retraite de l'armée qui assiégeait Salscs (oc-
tobre 1503) 60
II. RÉVOLTE DE GÈiS'ES. — Collision entre la noblesse génoise et « le peuple
gras 1), qui se révolte contre la France et chasse notre garnison (1507).
Bidoux accourt et barre l'accès du port à la flotte génoise envoyée contre
Monaco. Louis XII fait guillotiner les meneurs. Erection du château-fort
de Godefa îi
III. Complication iN.iTTKNDUE. Ux corsair?: trop ciievalerksoue. — Deux
gentilshommes, Chapperon et d'Aulon, épousent la cause du duc Charles
de Gueidre, attaqué par les Flamands. Leurs croisières dans le Ponant
(1507). L'amiral de Flandre et l'empereur, exaspérés par ces attaques,
arment contre nous. — Les Vénitiens, nos alliés, battent les troupes
impériales. — Réorganisation de notre marine de guerre aux trais des
amiraux, des provinces et des villes (1507-1509) 7o
IV. Guerre (joktre Venise. — La Ligue de Camlirai dirigée contre Venise.
La flotte de Trevisano est coulée dans le Pô par nos batteries de ca»i-
pagnc (22 décembre 1509) 81
V. Guerre contre Venise et le Saint-Siège. — Bidoux, rappelé de croi-
sière pour couvrir Gênes contre Biassa et Contarini, attaque à la fosse de
Villamarino les capitaines généraux du pape et de Venise. Contre sa for-
mation de combat, trois lignes et trois étages de feux, les alliés ne peuvent
tenir ^19 juillet 1510). — Nouveaux engagements à Vado (5 septembre)
et Capo di Monte ;^8 septembre) : nouveaux triomphes de l'ordre pro-
fond sur la formation en croissant adoptée par Contarini 8 »•
LA SAINTE-LIGUE
Le pape, 1 empereur, les rois d'Espagne et d'Angleterre, les Suisses, les
Républiques italiennes se liguent contre la France (1511) 89
I. La nÉEENSE DES CÔTES DU PoNANT. — Mobilisation générale de la Hotte.
Le corsaire malouin Roussel. Un plan de campagne anglais. Les paysans
bretons, menacés d'excommunication, ne résistent pas à la descente de
l'amiral Howard 90
II. La Cordelière et le liégcnl. — Nouvelle apparition de I amiral Howard
au large de Saint-Mathieu. Le vice-amiral de Clermont se porte de Brest
à sa rencontre, puis se dérobe. Sa nef, la Louise, est démâtée par Howard :
la Coideliète et la Dieppoise restent seules aux prises avec la flotte an-
60J TABLE DES .MATIERES.
glaise i 10 août J5i2). Assaillie par quatre vaisseaux, la Cordelière s'ac-
croche au Re'qeiit et se fait sauter avec lui. Querelle d'humanistes à l'oc-
casion de ce magnifique exploit. Portzmoguer-Primauguet 93
III. Combat naval dks BLANcs-SABLO^s aux « CROYX-PniMOGrET » . — Ras-
semblement des escadres bretonne, normande et pro\ençale dans « la
. Chambre de Brest " . Howard met en bouteille le vice-amiral Du Chillou,
en bloquant le goulet (avril 1513). Menacé d'une attaque à revers par
Progent de Bidoux qui revient du nord avec dix le'gers bâtiments, Howard,
avec une division détachée de la flotte de blocus, essaie de déloger
Bidoux de la baie des Blancs-Sablons. Sa division est écharpée par les
batteries delà pointe de Kermorvan et par le feu des galères; lui, il est
tué en sautant à bord de la capitane française (25 avril). Bidoux fait
repécher son corps. Terrorisés par nos galères, les Anglais lèvent le blocus
de Brest. — La flotte franco-écossaise de Louis de llouville et Gordon de
Letterfury tente de capturer Henri VIII dans le pas de Calais (octobre).
— Coup de main de Bidoux contre Brighton (avril 1514). Les amiraux
Windham et Thomas Howard tentent vainement d'envelopper ses galères
à Boulogne (mai). Désintéressement sublime de l'amiral de Graville :
« le soulaigement du povre peuple » lOll-
IV. Un siège de deux ans. La défense de i-a Mauvoisine. — La Mauvoi-
sine de Godefa, la seule redoute que nous gardions à Gênes, résiste,
deux ans entiers (23 juin 1512-26 août 1514), aux attaques des armées
et des flottes de la Sainte-Ligue. Les forccurs de blocus : Janot le Mar-
seillais, Cristol Esclavon, Paul Corse. Les dépêches, en langage chiffré,
du gouverneur de la place : ses hommes, manquant de tout, se battent
tous nus. L'intervention navale du lieutenant-général Claude Durrc.
Capitulation. — Glorieux combat, près d Aigues-^Iortes, entre une petite
division et la flotte de Doria (août 1514). Bidoux détruit huit galions
génois à Varazze 116
LE NOUVEAU MONDE
I. Le voyage Dh: LItx/joir Es Inde.s méiudionalks et occidentales. — -
L'écho, à Honfleur, de la découverte de Christophe Colomb : les Nou-
velles admirables ; le manuscrit de Marco Polo acquis par la confrérie
des marins de Honfleur. Les Normands et les Bretons furent les premiers
Européens qui abordèrent au Brésil. — Journal de voyage de l'Espoir
de Honfleur es Indes méridionales et occidentales, c'est-à-dire dans la
partie méridionale et septentrionale du Brésil, au rio San-Francisco-do-
Sul et à Bahia (24 juin 1503-20 mai 1505) I. Espoir n'a pu doubler le
Cap de Bonne-Espérance et aller à Calicut : il est capturé, au retour,
près de Jersey. Le premier Indien raïuené en France. — Croisière du
corsaire Mondragon dans le canal de Mozambique (1506) 129
II. Terre-Neuve. — Les Bretons en possession du « secret de Terre-
Neuve ». Un canot d'Indiens à la dérive est amené à Rouen (1509).
Terre-Neuve est le flef de nos marins. La dîme payée à Bréhat (1514),
La Hougue ri520) sur les morues de Terre-Neuve 138
TARLK DES MATIÈRES. 601
FRAA'ÇOIS l"'
I.A I-nANCE COTRE l' ISLAM
François I" promoteur d'une croisade 141
I. BARBEnonssK. — Exploits fabuleux d'Ilaroudj, dit Rarljerousse, dont
Kidoux et Federijjo Frcgoso tentent vainement de brûler la Hotte dans la
rade de Bizerte (1516\ — Pero Navarro, un " Africain» renomme, passé
au service de la France, dirige diverses expéditions françaises, également
infructueuses, vers l'île Lampedouse (1516), contre El-Mehdiah (1517)
et Monastir (1518). Sanglante riposte des musulmans 11i-2
II. Le.s der:?;iers jours de Rhodes. — Préliminaires d'une croisade contre
les Turcs de Constantinople : le plan franco-impérial (1518). Les divi-
sions françaises de Prégcnt de Bidoux et de Chanoy sont envoyées aux
renseignements (1518). Chanoy détruit, après un vif combat au cap Sa-
lamone en Crète, la division turque qui transporte le tribut de l'Egypte
(janvier 1519). Il repart, avec quinze vaisseaux et galères, pour secourir
les Hospitaliers de Rhodes. Il est tué au cours d'une attaque contre Bey-
routh, et les têtes de ses soldats sont tichées par centaines aux créneaux
,9 octobre 1520). Son lieutenant, Saint-Rlancard, bat dans les parages
de Schyros l 'arrière-garde de Kara-Mahmoud (mai 1521). — La guerre
avec Charles-Quint nous oblige à refuser au grand maître Villiers de
L'Isle-Adaui les divisions de ^Navarro et de Baux. Rhodes défendu par
L'Isle-Adam et Bidoux contre le sultan. Appels désespérés du grand
maître à François I"'. Capitulation de Rhodes (25 décembre 1522). —
Bidoux meurt à la suite d'un combat victorieux contre un corsaire turc
(août 1528) 148
RIVALITE DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT
P R K M I È R E n V ERRE
I. En QUÊTE d'alliances. — " En paix gardée, il n'y a guère d'amour » .
Projet d'alliance avec Christian de Danemark, auquel nous envoyons un
millier d'hommes sur l'escadre du prince Gaston de Brézé. Campagne de
Suède (1519). — Entente avec l'Angleterre pour réglementer la piraterie
(1518). Le Camp du Drap d'Or. Henri VIII s'érige en juge entre Fran-
çois I" et Charles-Quint (1520). Recensement de nos forces navales.
Agressions déguisées de la France contre la Navarre, de l'Empire contre
Gènes (1521V — Surprise méditée contre notre flotte : Henri VIII jette
le masque et prend parti pour l'empereur (15221 164
IL La PATRIE ES DANGER. — « Le temps est tel qu'il faut que chacun
s'esvertue à faire service et garder son pays. » Arniements en masse. La
création du Havre-dc-Grace. Attaque de l'amiral Thomas Howard contre
Saint-Pol-de-Léon et Morlaix (juin 1522). Richard de La Pôle, notre
hôte, ne parvient pas à relever l'étendard de la Rose-Blanche en Angle-
terre. L'escadre de Lartigue et Vidal de Plantade transporte en Ecosse
602 TABLE DES MATIERES.
un corps d'année (septembre 1523). — Le Trépoit brûlé par le vice-
amiral Fitzwilliam. Exploits tic corsaires dieppois contre l'escadre anglaise
de la mer ilu iSord (1523-152V) et contre une Hotte espagnole dans le
golfe du Morbihan (1525) ^ 172
III. L'ixvASiON DE LA PROVENCE. — L'amiral de Tende essaie vainement de
sauver Gênes : Navarro, commandant lavant-garde de notre escadre, est
capturé par les Impériaux (28 mai 1522). — L'oubli d'un signal empêche
André Doria de planter sur Monaco notre pavillon (août 15231. • — Projet
d'envoyer dans le Levant la Graude-Françoyse, « bouUevert Hottant qui
gardera Nysse et saulvera la Prouvence n . La Provence envahie par le
connétable félon Charles de Bourbon, appuyé par la flotte de Moncada
(juin 1524'). L'amiral de La Fayette arrive à enrayer la marche de la
flotte de Moncada, qu'il bat près de l'embouchure du Var. Il seconde
activement la défense de Marseille, dont Bourbon est contraint de lever
le siège (24 septembre). Il inflige une nouvelle défaite à Moncada à Va-
razze (29 janvier 1525) et bombarde Gênes (30 janvier) 185
IV. Après Pavie. • — Après la défaite de François \" à Pavie, nos marins
s'apprêtent à enlever au passage le roi prisonnier. François \" écarte sa
dernière chance de salut et fait escorter de ses galères la flotte ennemie
qui l'emmène en Espagne 196
Y. La i.tgue de Cognac. — Réfection de notre flotte du Levant. Ligue du
roi et des Etats d'Italie contre l'empereur. La flotte confédérée, com-
mandée par Pero Navarro, attaque Gênes (2 septembre 1526). Une de
ses divisions livre bataille à Sestri-Levante, à l'escadre d'Alarcon et Lanoy
qui amène des secours aux Génois (22 novembre). Lanoy prend pied en
Italie. — Doria et Louis de Lorraine- Vaudémont s'emparent de Castel-
lamarc, Sorrente (février 1527), bloquent Naples (6 mars) et se rendent
maîtres de Salerne (17 mars). — Rome mise à sac par l'armée de Bour-
bon. — André Doria capture à Portotino la flotte génoise de Giustiniano
(15 août). Gènes capitule (19 août) 201
VI. L'EXPÉniTiOiN DE Sardaigne. — Pero Navarro et Renzo da Cei-i préco-
nisent une expédition en Sicile, Sainl-Blancard, Doria et le provédifeur
Moro une descente en Sardaignc. Débarquement à Caslel Sardo, en Sar-
daigne. Prise de Sassari. La peste à bord. Retour de Saint-RIaneard en
France et de Doria en Italie (février 1528V André Doria ne peut plusse
faire obéir des capitaines français 213
VII. Bataille dt: C.\p d'Orso. — Filippino Doria, qui a ordre d appuyer
les opérations de Lautrec dans le royaume de Naples, enlève au large
d'Ostie une flottille espagnole chargée des dépouilles de Rome (16 fé-
vrier 1528) et bloque Naples. Attaqué au cap d'Orso par l'escadre de
Moncada, il met en réserve la division Lomellino, qui intervient au
milieu de la bataille et achève la débâcle des Espagnols (28 avril). Gom-
ment Vieilleville emmené prisonnier s enqjara des deux galères qui
avaient éi happé à la dcbàcli , 220
VIII. Lb^ LAURIERS DE LA DEEAUE. — Fdippino. puis Andrc Doria, sont
furieux qu on veuille leur enlever les prisonniers. L'un des prisonniers,
le marquis dcl Vaslo, en gagnant Doria, récolte les lauriers de la défaite.
Doria passe au ser\ice de Charles-Quint (10 août) 228
IX. ChaojÉj d Italie. — Barbesieux, le nouveau capitaine général de notre
TADLE DES MATIÈRES. 6'i3
llollp, qui va seconder l'attaque de Lautrcc contre Naplcs, est mis en
fuite par Doria ; il perd près de Gênes quatre galères et revient à Mar-
seille dans une panique folle (15 septembre). Malgré l'ordre formel du
roi, il n'ose risquer sa flotte pour dégager Savone, qui capitule (21 oc-
tobre). Trivulce est chassé de Gênes (28 octobre). Barbcsieux reçoit ordre
de couvrir Toulon (novembre). François I" se résigne à la pai.v (3 août
1529) '. 232
X. Au SKRVicE DE L'EMPEREtTR. — Nos galères, prêtées à l'empereur aux
termes du traité de Cambrai, coopèrent à l'expédition de Doria contre
Cherchell et Alger (1530). Elles nous sont rendues dans un état lamen-
table 240
ANGO
hX LIBER T É DES M ER S
I. L.\ Re>aiss.\>ce Florentine a Dieppe. — Fresques et sculptures à
l'italienne de l'hôtel et du manoir de l'armateur Ango. Fuorusciti floren-
tins à Dieppe et Rouen : Brunelleschi, Toscanelli, Rucellaï, Verrazzano.
Les poésies d'un navigateur 2-l'0
II. La. Cokquête des trésors du Mexique. — Gortès envoie en Europe
les œuvres d'art splendides des trésors de Montézuma. Les équipages,
décimés par des jaguars, sont battus aux Açores par Jean Fleury et les
corsaires d'Ango; les trésors capturés (1523). L'ex-voto de Villcquier.
Combat naval du cap Saint-Vincent : Fleury, vaincu par Martin Pérez de
Irizar, est pendu par ordre de Charles-Quint (1527). — Le triomphe
d'Ango 249
III. A LA RECHERCHE DES IxDES DU Cathay : Verrazzaxo. — Les quatre
routes de l'Inde. Confusion commise par les historiens entre Jean Fleury,
dit Florin, et Giovanni Verrazzano de Florence. Armateurs italiens en
France : des Centurione établis à Rouen, l'un est raffineur au Brésil,
l'autre cherche la route de l'Inde par la Moscovie. Multiples armements
de Verrazzano pour le Cathay, aux frais d'un syndicat florentin-lyonnais
où entre Ango (1523-1524), puis de marchands de Rouen et de Troycs
(1524), enlin de l'amiral Chabot et d'Ango (1526). Son exploration des
côtes de l'Amérique du Nord : nomenclature mi-florentinc, mi-normande
des cartes verrazzanienncs. Autres voyages par le nord-est de l'Europe et
le détroit de Magellan. Mort tragique de l'explorateur 255
IV. L'expédition des Parmentier a Sumatra. — La première expédition
française dans l'Océan Indien (1527\ Supplique de l'équipage du Grand-
Anglais, de Rouen, prisonnier du sultan de Diu, dans l'Hindoustan
(1528). — Journal de voyage du Sacre et de la Pensée, envoyés par
Ango à Sumatra (1529-1530' : l'escale des frères Parmentier à Mada-
gascar; 1 arrivée a Tieou ; la fourberie malaise 267
V. A LA RECHERCHE DES ILES MoLUOUES PAR LE DKIROU DE MaGKLLAN.
Expédition organisée par Ango, La Meilleraye et le duc d'Albany pour
les Moluques : plan du voyage de circumnavigation dressé par le pilote
Leone ['ancaldo, ancien compagnon de Magellan (1531). Les agents por-
604 TABLE DES MAtlÊRÈS.
tugais débauchent Pancaldo et les autres pilotes engagés par Ango. —
Les vaisseaux d'Ango ont-ils été en Chine? Un explorateur du Pacifique,
Pacheco, au service de François I" (1539) 274
VI. Notre PREMii-;nE colome : l'île Saint-Alexis, au Brésil. — Un diplo-
mate apothicaire. Combat entre Rodrigo d'Acunha et des bâtiments de
Saint-Pol-de-Lcon au Brésil (1526). Les Bretons, premiers occupants du
pays, enterrés vifs par les Portugais. Noble protestation d'un pilote d'Ango
contre les prétentions lusitaniennes. Etablissement fondé à l'ile Saint-
Alexis, près de Pernambouc, par la Pèlerine, appartenant au baron de
Saint-Blancard (1530). Capitulation du comptoir, assiégé par l'escadre de
Lope de Sousa (1531). — La revanche prise par Ango sur les Portugais :
le pseudo-blocus de Lisbonne. L'intervention de Charles-Quint, puis de
l'amiral Chabot contre lui. Ses bâtiments l'Alouette et la Michelle, cap-
turés au Brésil (1532) 278
V[I. UxE BASE NAVALE AU Maroc. — L'ambassade du colonel Pierre de Piton
à Fez. Journal de route du Saiiit-Pie/'ie. Tragique rivalité du colonel et
du capitaine de vaisseau Auxilia. Projet de conquête du Maroc. Trahison
d'Auxilia. Mort de Piton. T^cs ports marocains ouverts à nos marchands
et à nos corsaires (1533) 287
Vin. La COURSE dÉciiaînée. — La mer est commune à tous, déclare Fran-
çois l"' diins des lettres de marque contre les F^ortugais (1533). La lutte
pour la liberté des mers : l'amiral Chabot, complice des Portugais et
soudoyé par eux, triomphe du syndicat des armateurs normands : des
patentes répétées interdisent toutes navigations aux possessions portu-
gaises d'Afrique et d'Amérique (1537-1539). — Horrible supplice de
l'équipage dieppois du Petit-Lion aux Açores. Mobilisation judiciaire
contre les corsaires Pradict et Turegal, du Croisic. L'épouvante causée
par nos corsaires aux Antilles. « Eternuez lor! " Descentes répétées à
Porto-Rico, Saint-Domingue, Cuba 290
IX. Mare apertuji-Mare clausuii. — Mare apcrtum .' L'amiral Chabot
incarcéré, la prohibition de naviguer au Brésil et en Guinée est levée
(1540). Un mot de François l" : " Je voudrais bien voir la clause
du testament d'Adant qui m'exclut du partage du monde. « Congés de
"< navigation par la mer ludicque » : mémoire du capitaine Jean Denne-
bault sur le mécanisme économique de ces voyages au long cours. Arme-
ments d'Ango, etc. pour le rio de la Plata. Agenda de l'armateur rouen-
nais Jean Cordier, avec des dictionnaires de conversation français-guinéen
et français-brésilien. Nouvelles tentatives des Portugais et des Espagnols
pour entraver nos expéditions (1541). Ripostes de nos corsaires aux
Antilles. Croisière d'une escadre bayonnaise contre les ports de Santa*
Margarita, Santa-Marta et Carthagène (1543). — Mare clausiini .' Yran-
çois I"'' interdit à ses sujets d'aller au Pérou et aux colonies espagnoles
(1545) : Henri II fait la même prohibition pour les possessions portu-
gaises (1547). — Derniers vestiges du principe de la liberté des mers : la
mésaventure d'un Vénitien en France 296
X. Les derniers .iours d'Ango. — Le défenseur de la liberté des mers meurt
ruiné, ruiné par les prohibitions royales et par ses sacrifices pécuniaires
pour armer notre flotte contre l'Angleterre (1551) 305
TABLE DES MATIERES. 605
JACQUES CARTIER
LA DECOUVERTE DU CANADA
I. Premier voyage : Larrador et raie des Chaleurs. — Joyaux et colliers
d'or rapportés d'Amérique par le terreneuvier breton Nicolas Don (1526).
■ — Voyage du malouin Jacques Cartier organisé, aux frais du Trésor,
pour des ilcs aux gisements d'or (1534). Cartier entre dans le détroit de
Belle-Isle et va jusqu'à Gaspé, près de l'embouchure du Saint-Lau-
rent 307
II. Second voyage: Canadv et Hociielaga. — Des vigies détachées par les
Indiens hurons attendent le retour de Cartier, qui remonte le Saint-Lau-
rent et visite Stadaconé, le Québec futur, capitale du Canada, et Hociie-
laga, plus tard Montréal (1535). Complot et punition des chefs hurons.
Retour en France (1536) 311
III. Troisième voyage : Charlesbourg royal. Les mines du Saguesay. —
L'erreur de Cartier : le Canada est « un bout de l'Asie " . Le Malouin
nommé capitaine-général d'une expédition nouvelle, et Roberval lieute-
nant-général de la colonie (154-1). Le pèlerin de Rocamadour et le liber-
tin. La relcgation au Canada. Cartier part de l'avant avec cinq navires.
Fondation de Charlesbourg-Royal au confluent du Saint-Laurent et de la
rivière du Cap-Rouge. Exploration jusqu'à Carillon. L'atlas perdu de
Cartier. Départ (1542) 315
IV. Roberval : Fort-de-France-Roy. L'île de la Demoiselle. — Armements
de Roberval à Honfleur. Ses déboires. Fâcheuse liaison avec ie pirate
Lartigue. Le pilote Jean Alfonse. Départ de Roberval et de ses colons
(1542). Rencontre de Jacques Cartier à Terre-Neuve : Cartier revient en
France avec des tonnes pleines, croit-il, d'or et de diamants. Immense
désillusion. Faux connue un diamant du Canada.' — Le supplice de la
relégation : l'ile de la Demoiselle. Roberval s'établit à Charlesbourg-
Royal, qu'il baptise France-Roy. En route pour le Saguenay. La fin de
la relation de voyage est perdue. — L'évacuation du Canada (1543). —
Roberval échappe à l'incendie du carracon le Philippe et obtient le mo-
nopole de l'exploitation des mines en France. Cartier, honoré de l'estime
et des visites de Rabelais, Cabot, Thevet, meurt à Saint-Malo en
1557 321
V. La mort du pilote Alfonsk. — Après avoir achevé une Cosnwqrapliie
(1544), le pilote Jean Alfonse quitte La Rochelle à la tète de trois vais-
seaux de course : après de nombreuses prises, il est pourchassé et tué
par Menendez (1544). — Le plagiat de sa Cosmographie par Séca-
lart ". 330
CROISADE OU ALLIANCE TURQUE?
I. Velléité de croisade. ^ Les corsaires barbaresques mettent à sac La
Napoule (juin 1530). Armement d'une flotte contre Barberousse. Fran-
606 TABLE DES MATIÈRES.
cois I" refuse au pape d'en confier le commandement à Doria (1532). Le
roi de Tunis nous envoie des présents : Henri VIII promet de concourir
à la Croisade, si on lui permet de divorcer 334
II. L'estrp;vuk du pape et du roi a Marseille. — Clément VII, que la
flotte de Stuart d'AIbany a été quérir, refuse d'accéder à la demande de
Henri VIII (1533) 338
III. Les capitulations. — Trêve marchande (1535), puis alliance formelle
(1536) avec le sultan. La prépondérance française dans le Levant : notre
commerce maritime dans les Echelles 342
IV. L'amie DU BAROS DE Saikt-Blaxcard. — Société d'armements en comman-
dite formée par l'Avignonnaise Magdeleine Lartessuti et le général des
galères. Comment la défense maritime de Marseille, en 1536, fut orga-
nisée par une femme 346
V. Les Lyokxais armateurs. — Commanditaires de l'expédition de Verraz-
zano dans la Franciscane, ils organisent des voyages au Brésil, en
Afrique et cherchent, pour leur industrie de la soie, des voies d'accès en
Chine 349
RIVALITE DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT
DEUXIÈXIE GUERRE
I. Le siège de Marseille. — L'amiral Chabot menace les frontières du
Milanais. Charles-Quint, de retour de l'expédition de Tunis, pénètre en
Provence, enlève Antibcs (17 juillet 1536), arrive devant Marseille
(19 août). Un barrage de vaisseaux coulés dans le chenal empêche Doria
d'entrer dans le port. Une de nos divisions navales harcèle les assiégeants,
qui battent en retraite avec des pertes énormes (13 septembre). L'autre
division, avec le baron de Saint-Blancard, a été quérir l'escadre algérienne
pour opérer une division aux Baléares et en Catalogne (septembre). Bar-
berousse, à notre requête, jette l'épouvante dans l'Italie du sud; puis le
sultan lui-même arrive avec son armée et sa flotte au camp d'Avlona, à
l'entrée de l'Adriatique (mai 1537). Une escadre française est envoyée
à sa rencontre pour combiner avec lui l'invasion du royaume de
Naples '. 353
II. Le voyage de Saixt-Blaxgard daxs le Levast. — Mal accueilli par le bey
de Tunis, ravitaillé à Hammamet, Saint-Blancard rallie la flotte turque à
Prévésa. Soliman II, après l'incendie de Corfou, a battu en retraite et
abandonné le projet de conquête de Naples (septembre 1537). Saint-
Blancard, forcé par la tempête d'hiverner à Chio, a l'humiliation d'aller
mendier à la Sublime-Porte de l'argent. Pendant son absence, son frère
Magdalon reçoit à Chio des lettres de rappel : les dix galères qu'il
ramène, tombent au milieu de la flotte de Charles-Quint à l'ile Riou, près
de Marseille ; quatre d'entre elles sont enlevées, puis relâchées aux pour-
parlers de paix : les six autres se sont réfugiées sous la forteresse de La
Ciotat (5 mai 1538). Trêve de Nice (15 juin). Vicissitudes de notre poli-
tique 360
III. L'alerte anglaise. — Henri VIII croit que le partage de l'Angleterre
TABLE DES MATIERES. 60":
est le gage de notre rapprochement avec Charlcs-Quint. Le roi Jacques V
d'Ecosse a épousé successivement deux princesses françaises, Magdeleine
de France (1537) et Marie de Guise (1538), que nos escadres ont escor-
tées en Ecosse. Préparatifs des Anglais dans l'éventualité d'une invasion.
La rupture évitée 369
RIVALITE DE FRANÇOIS I" ET DE CHARLES-QUINT
T R O t s I K 11 E G U E R R ?:
I. Ux TRIO d'ambitions. — Les héros de la sanglante mêlée navale de Mer-
lera (1537), Leone Strozzi et Virginio Orsini dell' Anguillara, se dis-
putent le généralat des galères de France. Le troisième larron : le capi-
taine Polin, baron de La Garde 372
II. L'alli.\>i:e frakco-turque. — Assassinat par les Impériaux de nos
agents diplomatiques Rincon et Fregoso. Le capitaine Polin obtient pour
1542 le concours de la flotte de Barberousse, qui n'arrive en Provence
qu'en juillet 1543. Le lieutenant-général de notre armée navale, François
de Bourbon, comte d'Enghien, vient de perdre dans une embuscade près
de Nice les quatre galères de son avant-garde (17 juin). La flotte franco-
turque bombarde Nice, qui capitule (22 août), à l'exception du château.
Barberousse et Doria : « le corbeau ne crève pas les yeux au corbeau » .
— Hivernage de la flotte turque à Toulon : une de ses divisions, avec
Salah Raïs, met à sac la côte espagnole et va quérir l'escadre algérienne.
Polin de La Garde nommé général des galères de France. Une entreprise
mystérieuse. Barberousse, déçu et irrité contre nous, quitte Toulon en
emmenant comme otages La Garde, Leone Strozzi et six de nos bâtiments
(23 mai 1544). Le massif de l'Argentario, enlevé par lui, est ensuite
occupé par des garnisons françaises; échec de Leone Strozzi devant Orbe-
tello; bombardement de Pouzzolles, Lipari. La Garde et Strozzi reçoivent
de Soliman II une audience très cordiale 376
III. L'alliasce ANGLO-ESPAGNOLE. — Devant l'alHance anglo-iuqjcrialc, Fran-
çois l" envoie la division navale de Clamorgan de Saane quérir la Hotte
danoise, qui ne vient pas. Clamorgan bat une escadre flamande. Une
escadre dieppoise, envoyée au secours de l'Ecosse, livre plusieurs com-
bats à Mancell et Willoughby (juillet-août 1543). Une escadrille bre-
tonne apporte à Dumbarton un matériel de guerre (octobre). — Deux
vaisseaux de guerre bietons sauvent Cherbourg en livrant combat à une
escadre anglaise (22 juillet). Le capitaine Nicolas Lcscollier d'Ambreville
poursuit des vaisseaux anglais qui sont venus reconnaître Le Havre (no-
vembre). L'amiral Henri d'Albret protège La Rochelle contre la flotte
anglo-flamande. L'invasion de la France organisée par iin traître, le vice-
amiral Lartigue. Bataille navale de Muros entre Clamorgan de Saane et
Alvaro de Bazan (25 juillet). — La France envahie. Henri VIII se rend
maître de Boulogne (14 septembre 1544). Traité de Crépy avec l'empe-
reur 39a
608 TABLE DES MATIERES.
L'INVASION DE L'ANGLETERRE
Épouvante causée en Angleterre par une menace de débarquement. L'es-
cadre de Château-Chalon transporte en Ecosse le corps d'armée de Mont-
gommery de Lorges (3 juillet 1545). Le baron de La Garde amène en
Normandie l'escadre du Levant, après un fâcheux retard causé par le mas-
sacre des Vaudois. L'amiral Lisie essaie de détruire notre flotte au Havre.
L'incendie du Carracon. Combat naval de Portsmouth entre Lisle et
d'Annebault (19 juillet}. Mort du capitaine d'AuIps à Wiglit. Ordre de
bataille de l'amiral Lisle. Combat naval de Shoreham (15 août). Incendie
du Trcport (2 septembre). Combat naval d'Auibleteuse (18 mai 1546).
Traité de paix (7 juin) 409
INTERVENTION EN ECOSSE
I. Campaoes d'Ecosse. — « Le peintre françois « , un de nos agents, suit la
campagne d'Ecosse abord du vaisseau amiral d'Angleterre. Leone Strozzi,
avec seize galères, s'empare de Saint-Andrew (30 juillet 1547). Monta-
lembert d'Essé envoyé en Ecosse (décembre). Mobilisation de la flotte de
Ponant, que le vice-amiral de La Meilleraye emmène à Leith, avec les
troupes du Rhingrave, de Pietro Strozzi et d'Andelot (juin 1548). Vifs
engagements entre les galères de Pietro Strozzi et les vaisseaux du vice-
amiral Clinton. Villegagnon contourne la Calédonie avec quatre galères
et amène la reine ^larie Stuart en France (août). — La flotte de La Meil-
leraye bloque la Gironde pour réprimer l'insurrection de la Guyenne
(septembre). — Montalembert enlève d'assaut l'Ile d'Inch-Keith, en face
de Leith, tandis que l'escadre de Villegagnon la cerne (juillet 1549). 432
II. La rupture avec l'Ascleterre. — La crainte d'une intervention impé-
riale : déclaration de guerre à l'Angleterre (8 août 1549). Agression
redoutée en Cotentin. Leone Strozzi s'empare de Sercq, surprend dans le
port Saint-Pierre de Guernesey l'escadre du vice-amiral Wynter (31 juil-
let 1549) et opère une descente à Jersey 443
III. Le siège de Roulogne. — Croisière de Leone Strozzi dans le pas de
Calais. Roulogne investi par Henri II et le connétable (août). La Dunette
battue par Coligny. Villegagnon tente vainement d'obstruer la passe, en
y coulant de vieux vaisseaux (décendjre). Rachat de Boulogne et traité de
paix (février 1550) 448
HENRI II PRECURSEUR DE COLBERT
L'anarchie et la concussion dans la marine de François l" 453
I. Une flotte modèle. — Construction de deux escadres homogènes dans
le Ponant et le Levant. » Se mettre sur mer aussi fort pour le moins que
ses ennemis « . Les roberges : pièces à tir rapide et à mise en batterie
automatique. — Budget ordinaire et budget extraordinaire de la marine.
TABLE DES MATIERES. 609
Réseau de défenses côtières. Ordonnance sur la marine. La stolonomie :
l'inscription ou description maritime : gardes-marines 455
II. Victoire sans combat. — Le nouveau général des galères, Leone Strozzi,
réclame satisfaction pour une injure faite à nos marins en Sardaigne. Il
répond au dédain de Doria en lui barrant la route avec vingt-deux ga-
lères contre quarante-deux, aux iles près de Marseille (28 juillet 1548).
Doria bat en retraite. — Avec les galères de Malte et celles de Dragut
comme renfort, Strozzi projette d'enlever l'Infant d'Espagne : Henri II
n'y consent pas. — Sforza, général des galères pontificales, rallie notre
pavillon (1550) 463
III. Le,s conséquences d'un acte d'indiscipline. — L'armée navale divisée
en deux factions. Carcès, lieutenant du général des galères, soutenu par
l'amiral de Tende, entre en insubordination ouverte. Leone Strozzi, au
retour d'une attaque hardie contre Barcelone [24 août 1551), tombe dans
un guet-apens dressé par la faction carciste. Menacé de mort, il déserte
et s'évade de Marseille avec deux galères (16 septembre). Carcès surprend
à Villefranche l'arrière-garde de Doria. Le Héau de notre marine. • 471
DERNIÈRE GUERRE CONTRE CHARLES-QUINT
I. Croisières dans le Ponant. — Sourds préparatifs maritimes des Fla-
mands. Le baron de La Garde enlève un de leurs convois près de Fal-
mouth (20 août 1551), puis un second : lingots d'or cachés sous des
monceaux de sel. Le sémaphore de Dunkerque hisse le signal d'alarme
(1552). I^a course partout déchaînée. Duel à mort entre Basques français
et Basques espagnols. Le musée naval de l'alcade de Deva. Les escadres
de couverture des Espagnols. — Adrien Crol, d'Enkhuysen, s'empare par
surprise de l'île de Sercq (1553). A qui appartient l'archipel anglo-nor-
mand? 480
II. CoMiMENT NOUS FAILLIMES ENLEVER l'infant d'Espagne. — Le nouvcl ami-
ral de France. Villegagnon, chargé de mettre Brest en état de défense,
préconise l'enlèvement de l'Infant, fiancé de la reine Marie d'Angleterre.
La révolte de Wyatt appuyée par la France. « Les guerriers d Irlande " ,
corsaires malouins. La Bemba tombe au milieu d'une grosse flotte fran-
çaise, qui guette Philippe d'Espagne à l'ouvert de la Manche (juin 1554).
Philippe nous échappe 487
III. « MÉMORABLE COMB.AT NAVAL LIVRE PAR LES DiEPPOIS AUX FLAMANDS » .
Amatelotés deux à deux, dix-huit petits navires dieppois livrent combat
à vingt-trois grandes hourques flamandes. De Douvres comme de Calais, on
aperçoit la bataille (il août 1555). Terrible mêlée. Le vice-amiral fla-
mand Melis Claesson est tué, l'amiral Herman Hens, d'Enkhuysen, fait
prisonnier : l'amiral de Bures et plusieurs de nos capitaines sont tués.
La lâcheté de trois capitaines dieppois. Gigantesque brasier. Les Diep-
pois vainqueurs, mais en quel état! — Jean Ribault, » ung des meilleurs
hommes de mer de la Chrestienté » 494
IV. Attentat démasqué. — Comment le capitaine-général Luis de Carvajal
devait s'emparer du Havre avec la complicité du corsaire Hollinshed
(1556) 503
III. 39
610 TABLE DES MATIERES.
V. La flotte turque entre en scène. — Mission de Gabriel d'Araraont à
Alger, Malte et Gonstantinople (1551). Le dey d'Alger braque ses batte-
ries sur nos galères; le grand maître de Malte nous accuse de la chute de
Tripoli; la flotte de Sinan et Dragut, que Gabriel d'Aramonl nous amène
en 1552, saccage le sud de l'Italie, bat aux iles Ponza l'escadre d'André
Doria (5 août), mais manque le rendez-vous pris avec le baron de La
Garde. L'escadre française, en quête de la Hotte turque, la rejoint aux îles
Ioniennes et hiverne à Chio. Echec du projet d'xtccupation de Naples :
la conspiration d'Ascanio Colonna éventée. La flotte franco-turque de La
Garde et Dragut saccage Licata, en Sicile, l'île de Pantellaria et arrive le
9 aoiît 1553 à Port'Ercole. Attaque de Porto-Ferraio 504
VI. Conquête de la Corse. — Le promoteur de la conquête de la Corse, le
colonel d'Ornano ; vendetta contre les Génois, que les Corses " estiment
mercadants et canailles » . La Maremma siennoisc, occupée depuis 1552
par le maréchal de Termes, est peuplée de Corses. La Garde et Dragut
transportent en Corse l'armée du maréchal de Termes. Prise de Bastia et
Saint-Florent : Dragut, privé du pillage de Bonifacio, prend congé (août
1553). — André Doria, auquel la République génoise remet l'étendard
de la guerre, débloque Caivi et investit Saint-Florent. Le baron de La
Garde reçoit mandat exprès de le combattre : ordre de bataille et code de
signaux adoptés pour sa flotte. Il n'ose attaquer Doria. La tempête dis-
perse notre flotte, dont une partie fait naufrage sur l'île Pianosa, mais
dont l'autre enlève un convoi de troupes espagnoles (février 1554). Capi-
tulation de Saint-Florent 511
VII. Les derniers jours du prieur de Capoue. — Leone Strozzi, fugitif, était
allé à Malte. Il dirige une attaque contre Zoara en Tripolitaine et devient
général des galères de l'Ordre. Frustré de la grande maîtrise, il rentre au
service de la France comme général des galères d'Italie (mars 1554). Son
stratagème pour échapper aux embûches du vice-roi de Sicile. Il renforce
les ouvrages de Port'Ercole, projette l'attaque d'Orbetello, mais tombe
mortellement frappé près de Scarlino (24 juin) 520
VIII. La perte de la Maremma. — La flotte franco-algérienne de La Garde
et Salah Raïs amène des renforts à Port'Ercole (6 juillet); le maréchal
Pietro Strozzi est défait à Lucignano (2 août). Dérobade de Dragut, après
une courte apparition au large des côtes napolitaines. La famine dans
les places de la Maremma. Capitulation de Sienne (21 avril 1555). Biaise
de Monluc s'embarque à Civita-Vecchia, prévient La Garde, qui s'attache
au siège de Calvi, de l'arrivée imminente d'André Doria, et sauve notre
escadre. Une poursuite émouvante. — Le maréchal Strozzi s'échappe de
Port'Ercole, investi le 31 mai par Doria. — La flotte de Piali-Pacha,
que la division Saint-Blancard dépêchée en estafette, n'a pu rallier, échoue
dans une attaque contre Piombino (12 juillet). Ralliée dans le golfe de Saint-
Florent par l'escadre de La Garde, elle attaque vainement Calvi et Bastia
(août). Combat naval de Saint-Florent entre La Garde et une escadre
espagnole. Naufrage de l'escadre de Gian-Andrea Doria à Porto- Vecchio
(6 février 1556). Trêve de Vaucelles. Charles-Quint abdique le pou-
voir 525
TABLE DES MATIÈRES. 6H
GUERRE CONTRE L'ESPAGNE ET L'ANGLETERRE
T. L'expkdition du duc dk Guisk a Naplks. — La trêve de Vaucelles mécon-
tente le sultan et le pape. Paul IV veut la liberté de l'Italie : la maison
de Lorraine-Guise fait valoir ses prétentions sur Naples. Ligue contre
Philippe II. La flotte de La Garde amène des secours au pape, que le
duc d'Alhe presse (1556). — Henri II déclare la guerre à l'Espagne
(7 janvier 1557). L'armée du dtu; de Guise descend vers Naples. La
Garde, après une croisière mouvementée, laisse échapper la flotte de
Gian-Andrea Doria, qui mène des renforts à Naples (mars-avril). Il songe
à « se saisir doulcement » du port pontifical de Civita-Vecchia. L'armée
du duc de Guise, rappelée en France, s'embarque sur la Hotte du baron
(septembre) 538
II. La TRAHi.sois DK Pum-Pacha. — Le nouveau général des galères : brillant
combat naval du prieur François de Lorraine contre le gouverneur de
Rhodes. Le grand prieur va au-devant de la flotte de Piali-Pacha, en-
voyée au secours de la France. Piali manque le rendez-vous en Corse,
saccage Minorque et, sa jonction faite à Toulon avec notre flotte, refuse
d'agir soit contre Villefranchc, soit contre Bastia ou Port'Ercole (juin-
juillet 1558). Cruelle découverte : Pinli avait été corrompu par les
Génois 547
III. La PRisK DK Calais. — Rassciiiijicment de loiites les Hottes ennemies,
espagnole, anglaise et flamande; manque d'unité dans le commande-
ment. Carvajal attaque Relle-Isle et Le Croisic, l'amiral anglais Cherbourg.
Le capitaine Bordelais de La Salle imagine un svstème de défense mo-
bile, avec batterie flottante, fort démontable et garde-côtes blindés (1557).
Diversion tentée en Angleterre par Stafford. Plan de Coligny contre
Calais. L'escadre de Ponsard de Fors, en balayant le détroit, isole Calais
et permet au duc de Guise de s'en emparer (8 janvier 1558). La flotte de
Chamberlain, arrivée trop tard, manque d'être foudroyée dans le port de
Calais. Le baron de Clères enlève une escadre anglaise chargée d'un parc
de siège (juillet) 552
IV. AïTKNTAT co^iTRK Rrkst. - — Défaite des amirau.x Clinton et Wacken au
Conquet (20 juillet). Traité de Cnteau-Cambrésis ; perte do nos conquêtes
(1559) 564
« F, ES ISLES D[T PEROn „
I. Un cadet dk Gascognk. — Odyssée de Menjouyn de La Cabanne, de
Capbreton ; parti sans vivres pour les « isles du Peyrou » ou Antilles, il
bat avec un seid vaisseau deu-x escadrilles (1550). — Le mot magique de
Pérou. — La roberge de Saint-Malo 570
IL .Tambk de BOLS. — François Le Clerc, flit .Ïambe de Rois, corsaire nor-
mand anobli pour sa valeur. Sac de l'île de Porto-Santo (17 juillet
1552), des côtes de Saint-Domingue (avril 1553) et de I île de Palma
aux Canaries (21 juillet). Deux corsaires diepppis donnent la chasse à la
612 TABLE DES MATIERES
flotte des galions depuis Porto-Rico jusqu'en Espagne, et en capturent la
moitié (1553). — Nouvelles croisières de Jambe de Bois 574
III. La prise de La Havane. — Profanations commises par Jacques de Sores
à Santa-Marta sur la côte colombienne. La guerre navale, jusque-là très
chevaleresque, s'envenime d'une guerre de religion. Sores, à la tête de
deux bâtiments seulement, s'empare de la Havane : la forteresse du port
est enlevée d'assaut (juillet 1555). Sores s'informe des fortifications de
Saint-Domingue 579
IV. Un naufrage aux Bermudes. — Naufrage aux Bermudes d'une prise
faite par le capitaine Mesmin, de La Rochelle (1556). Odyssée des nau-
fragés, qui enlèvent plusieurs bâtiments avec deux épées pour toutes
armes, et gagnent Saint-Domingue, puis La Rochelle 584
V. Un coup de main rêvé par Henri II : la capture des galions (1558). 587
VI. Sur les bancs de Terre-Neuve. — Comment chaque classe de la popula-
tion était intéressée à la pêche de la morue. Nos flottilles de terreneuviers
pourvues de vaisseaux d'escorte (1554). Combat naval livré par une divi-
sion malouine sous le fort Saint-Jean à Terre-Neuve (15 août 1555).
Nouvel essor de nos pêcheries (1560). — Evolution de nos idées politiques
en fait de colonisation 589
PARIS
TYPOGRAPHIE PLON-NOURRIT ET C''
Rue Garancière, 8
ûG La Roncière, Charles Germaine
50 Marie Bourel de
L37 Histoire de la marine
t. 3 française
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